Dossier : IMM-9797-23
Référence : 2024 CF 1488
Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2024
En présence de l’honorable juge Pamel
ENTRE :
|
KIEMA, Casimir Desire Teeg-Wende
|
demandeur |
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Casimir Desire Teeg-Wende Kiema est un entrepreneur citoyen du Burkina Faso âgé de 50 ans. En 2011, il aurait reçu du gouvernement une terre située à Nadiagou sur laquelle il avait pour projet de construire une boulangerie. Des personnes religieuses, qui priaient dans une hutte se trouvant sur cette parcelle de terre, lui auraient refusé l’accès à la terre. En 2019, ces dernières auraient commencé à construire un lieu de culte. M. Kiema aurait décidé de confier ce conflit au chef du village en vue d’obtenir une médiation avec les personnes qui occupaient la terre. Le 21 juin 2019, durant la séance de médiation devant le chef de village et en présence des parties, M. Kiema aurait appris que des jeunes munis de gourdins supposément associés aux Kolgweogos [les K.] l’attendaient en vue de l’agresser. Il aurait fui les lieux et se serait rendu chez lui à Fada.
[2] Le 25 juin 2019, le gérant de l’auberge de M. Kiema, à Fada, lui aurait appris que des membres des K. seraient venus le convoquer à leur quartier général de Fada. M. Kiema allègue avoir décliné cette convocation et être retourné chez lui à Ouagadougou. Le 30 juin 2019, un voisin à Ouagadougou l’aurait informé que les K. le convoquaient maintenant à leur quartier général de Ouagadougou. M. Kiema aurait déposé une plainte à la police contre les K. après cette seconde convocation.
[3] M. Kiema affirme avoir reçu un appel de menaces, le 3 juillet 2019, d’une personne se réclamant des K., apparemment en raison de la plainte qu’il aurait déposée à la police. Son interlocuteur lui aurait sommé de ne plus impliquer les policiers.
[4] M. Kiema aurait alors acheté un billet d’avion pour les États-Unis. Il serait resté caché dans un hôtel jusqu’à son départ le 17 juillet 2019. M. Kiema n’a pas demandé l’asile aux États-Unis et est arrivé au Canada le 16 août 2019 muni d’un visa à entrées multiples obtenu en 2018. Le 15 septembre 2019, un de ses employés l’aurait informé que son commerce de vente d’eau à Nadiagou aurait été saboté, possiblement par des membres des K. Vers le 22 septembre 2019, M. Kiema a présenté une demande d’asile.
[5] La Section de la protection des réfugiés [SPR] a refusé la demande d’asile parce que M. Kiema avait des possibilités de refuge intérieur [PRI] dans les villes de Léo, Banfora et de Bodo-Dioulasso. Par décision en date du 12 juillet 2023, la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté l’appel de la décision de la SPR. La question déterminante pour la SAR était l’existence de PRI. Bien que la SAR ait éliminé la ville de Léo comme PRI, elle a conclu que M. Kiema avait néanmoins des PRI viables dans les villes de Banfora et Bodo-Dioulasso.
[6] Les présents motifs portent sur la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.
II. Norme de contrôle
[7] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23; Adefisan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2021 CF 359 au para 10). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov au para 85). La Cour ne peut intervenir que si les demandeurs démontrent que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov au para 100).
III. Analyse
A. Manquement à l’équité procédurale
[8] M. Kiema soutient qu’il aurait dû avoir droit à une audience de la SAR parce que, parmi les nouveaux éléments de preuve qu’il a présentés, certains d’entre eux ont été admis par la SAR. M. Kiema avance que le défaut de tenir une audience constitue une entorse au principe de justice naturelle et aux règles de l’équité procédurale.
[9] Le ministre avance que la SAR n’avait pas à tenir d’audience. Le paragraphe 110(6) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit que la SAR peut tenir une audience si de nouveaux éléments de preuve soulèvent une question importante sur la crédibilité de la personne en cause. La SAR a jugé crédibles et pertinents certains des nouveaux éléments de preuve présentés par M. Kiema, soit l’article de journal et les conseils aux voyageurs du gouvernement du Canada et de l’ambassade de France. Néanmoins, d’après la SAR, ces nouveaux éléments ne soulevaient pas de question importante quant à la crédibilité de M. Kiema (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 au para 44).
[10] Je suis du même avis que la SAR : ces éléments de preuve, bien que crédibles et pertinents, ne justifiaient pas la tenue d’une audience, car la crédibilité de M. Kiema n’était pas en cause. La décision de la SAR de ne pas entendre M. Kiema n’était pas déraisonnable.
B. L’existence de PRI viables
[11] La Cour d’appel fédérale a établi un critère à deux volets relatif à la PRI dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) [Rasaratnam] (voir aussi Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) [Thirunavukkarasu]). Selon ce critère, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, (1) que l’appelant ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans le lieu envisagé comme PRI; et (2) qu’il ne serait pas déraisonnable pour l’appelant d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui lui sont particulières. Selon ce critère, il incombe à l’appelant de démontrer que la PRI proposée est déraisonnable.
[12] En outre, dès que le tribunal soulève l’existence d’une PRI, il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il sera en danger partout dans son pays et qu’il ne pourra raisonnablement trouver refuge à l’endroit proposé. Le demandeur peut s’acquitter de ce fardeau soit en démontrant qu’il y serait encore persécuté ou exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, soit en démontrant que ce serait déraisonnable qu’il tente de s’y installer (Thirunavukkarasu aux pp 595, 597 598; Limones Munoz c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 1051 au para 24; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 719).
[13] Dans un premier temps, M. Kiema avance que la décision de la SAR d’éliminer la ville de Léo et de conserver les villes de Banfora et de Bodo-Dioulasso comme PRI viables manquait de justification, de transparence et d’intelligibilité. D’après M. Kiema, les trois PRI auraient dû être éliminées, car l’insécurité prévaut dans tout le Burkina Faso. Il fait valoir que la SAR a estimé qu’une possibilité minime de persécution existait dans la ville de Léo, et que, si cette possibilité minime était suffisante pour éliminer Léo, il devrait en être de même pour les villes de Banfora et de Bodo-Dioulasso, puisqu’il existe certainement une possibilité minime de persécution dans ces villes également. Je ne suis pas d’accord; la SAR a bien tenu compte de tous les éléments de preuve et a effectué attentivement l’analyse en deux volets du critère de la décision Rasaratnam. C’est à partir de la preuve documentaire, soit les informations disponibles dans le cartable national, que la SAR a décidé d’éliminer Léo des PRI viables et de conserver Banfora et Bodo-Dioulasso. Il était loisible à la SAR d’éliminer Léo des PRI tout en maintenant les deux autres villes comme PRI viables.
[14] Comme deuxième argument, M. Kiema affirme simplement que les villes de Banfora et de Bodo-Dioulasso ne sont pas des PRI viables, car les K. peuvent le retrouver n’importe où dans le pays. Le ministre précise que la décision de la SAR était raisonnable en ce qui concerne l’absence de motivation des K. à retrouver M. Kiema trois ans après son départ du Burkina Faso; il ajoute que la SAR n’a pas été convaincue que la visite plus récente de deux individus chez le frère de M. Kiema, le 19 août 2022, était bien celle des K. Selon son témoignage, le frère de M. Kiema aurait déduit qu’il s’agissait des K. à cause de leur mode opératoire, ce que la SAR a jugé trop vague. La SAR a également déterminé que cette visite ne démontrait pas de motivation suffisante de la part des K. (ou d’un autre agent de persécution) à retrouver M. Kiema. Le ministre affirme que M. Kiema ne fait que répéter les faits et arguments présentés à la SAR afin que la Cour les évalue de nouveau, ce qui n’est pas son rôle.
[15] Je suis d’accord avec le ministre; la SAR a tenu compte de la preuve documentaire du cartable national et est d’avis que de tels risques pour M. Kiema, même minimes, n’existent pas dans les PRI proposées, car les K., qui ne forment pas un groupe homogène, ne sont pas présents dans ces deux villes. De plus, rien dans l’analyse de la SAR sur la motivation de l’agent de persécution ne me paraît déraisonnable. En conséquence, M. Kiema ne m’a pas convaincu que l’opinion de la SAR selon laquelle il ne courrait pas le risque d’être persécuté dans les PRI proposées était déraisonnable. À mon sens, cette décision ne manquait pas de justification, de transparence et d’intelligibilité.
[16] Pour les motifs étayés ci-dessus, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT au dossier IMM-9797-23
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y aucune question à certifier.
« Peter G. Pamel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-9797-23 |
|
INTITULÉ :
|
KIEMA, CASIMIR DESIRE TEEG-WENDE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
montréal (québec) |
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 5 septembre 2024 |
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE PAMEL |
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 23 septembre 2024
|
|
COMPARUTIONS :
Me Olivier Badolo |
Pour le demandeur |
Me Margarita Tzavelakos |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Olivier Badolo, avocat Montréal (Québec) |
Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |