Date : 20240927
Dossiers : IMM-7653-22
IMM-7678-22
Référence : 2024 CF 1523
Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2024
En présence de l'honorable madame la juge Tsimberis
ENTRE :
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SUNKYU LEE |
YOUNG SOOK JI |
HYE DAM LEE |
HYESOL LEE |
HYEJUNG JUNE LEE |
partie demanderesse |
et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
partie défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] La Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire.
[2] La première, portant le numéro de Cour IMM-7653-22, concerne le contrôle judiciaire de la décision rendue le 8 juin 2022 [Décision 1] par laquelle un agent [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] de l’Ambassade du Canada à Manille, Philippines, a rejeté la demande de résidence permanente dans la catégorie des investisseurs sélectionnés par le Québec de Sunkyu Lee [demandeur principal] et, par extension, la demande de résidence permanente des personnes à charge, soit son épouse Young Sook Ji et leurs trois enfants, Hyejung June Lee, Hye Dam Lee, et Hyesol Lee [collectivement, les demandeurs], au motif que l’agent n’était pas satisfait qu’ils aient l’intention de résider au Québec, au sens de l’article 90(2) du Règlement sur l’immigration et le statut des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR].
[3] Dans la demande de contrôle judiciaire de la Décision 1, les demandeurs prétendent en premier lieu un manquement à l’équité procédurale puisqu’une seconde demande de prorogation de délai aurait été envoyée le 7 juin 2022, mais qu’aucune mention n’a été faite à l’égard de cette demande de prorogation de délai dans la lettre de refus de l’agent datée du 8 juin 2022. En deuxième lieu, les demandeurs prétendent que l’agent a déraisonnablement évalué l’intention des demandeurs de résider au Québec. Ils argumentent que le simple fait que les enfants étudient en Colombie-Britannique [C-B] ne suffit pas pour prêter aux demandeurs une intention de ne pas résider au Québec de façon permanente. Les demandeurs maintiennent que rien dans la preuve ne soutient l’affirmation que son épouse et leurs enfants «
have put down roots, by establishing friendships and routines »
et que cette réflexion que les enfants se seraient faits des amis en C-B, par exemple, n’est qu’une supposition de l’agent.
[4] La deuxième, portant le numéro de Cour IMM-7678-22, concerne le contrôle judiciaire de la décision rendue le 11 août 2022 [Décision 2] par l’agent qui a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de réexaminer la Décision 1. Les demandeurs prétendent qu’aucun motif ou justification n’accompagnait la Décision 2.
[5] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire du dossier portant le numéro de Cour IMM-7653-22 est rejetée, et la demande de contrôle judiciaire du dossier portant le numéro de Cour IMM-7678-22 est accueillie.
II. Faits
A. Les faits du dossier portant le numéro de Cour IMM-7653-22
[6] Les demandeurs sont nés en Corée du Sud. Le demandeur principal réside en Corée du Sud et se dévoue à son emploi pour l’entreprise Samsung. En septembre 2012, les trois enfants du demandeur principal sont devenus résidents temporaires du Canada après l’obtention de permis d’études leur permettant de poursuivre leur enseignement primaire et secondaire à Abbotsford, en C-B. L’épouse du demandeur principal a accompagné les enfants et elle est devenue résidente temporaire du Canada grâce à l’obtention d’un statut de visiteur en 2012.
[7] Fort de ses investissements, le demandeur principal se qualifie au programme d’immigration permanente pour les gens d’affaires du Québec et est sélectionné par la province à titre d’immigration investisseur le 31 août 2016, date d’émission de son Certificat de sélection du Québec [CSQ]. Le 17 janvier 2017, le demandeur principal a déposé une demande de résidence permanente auprès de l’IRCC au titre de la catégorie des investisseurs sélectionnés par le Québec en application du paragraphe 90(2) du RIPR. Les demandeurs sont restés sans nouvelles de la part d’IRCC durant plus de cinq ans.
[8] Lors de l’examen de la demande, l’agent de l’IRCC a soulevé des préoccupations quant à savoir si le demandeur principal cherchait à s’établir au Québec, comme l’exige l’alinéa 90(2)a) du RIPR. Le 25 mars 2022, l’agent a communiqué aux demandeurs une lettre d’équité procédurale les informant de ses doutes quant à l’intention des demandeurs de résider au Québec. Dans la lettre d’équité procédurale, l’agent a noté ce qui suit: «
I am not satisfied that the fact that you are named in a certificate issued by the province of Quebec is a sufficient indicator that you are likely to reside in that province. The following factor was taken into consideration: You have a spouse and three children who have been living and/or studying in British Columbia for several years, which is a strong pull factor for you to reside in British Columbia instead of Quebec. »
L’agent a accordé un délai de trente jours au demandeur principal afin de répondre à ses préoccupations et la lettre précisait que «
If you do not respond within the given period, your application will be assessed based on the information currently on file and may result in the refusal of your application. »
[9] Le 22 avril 2022, une demande de prorogation de délai de 30 jours a été sollicitée par les demandeurs afin de répondre à la lettre d’équité procédurale. Celle-ci a été accordée le même jour par l’IRCC leur donnant ainsi jusqu’au 25 mai 2022 pour répondre et précisait à nouveau que «
If we do not hear from you within this time, we will proceed with a review of your client’s file based on documents and information available which could lead to a refusal. »
[10] Le 7 juin 2022 à 15h12 de l’après-midi (heure de Manille), deux semaines après l’expiration du délai supplémentaire accordé aux demandeurs, l’agent rend la Décision 1 et inscrit ses notes dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] rejetant la demande de résidence permanente pour le même motif qu’il avait indiqué dans la lettre d’équité procédurale : il n’était pas convaincu que le demandeur principal et sa famille avaient l’intention de résider au Québec. Les notes consignées dans le SMGC le 7 juin 2022 à 15h12 (heure de Manille) indiquent les motifs à l’appui du raisonnement de l’agent :
Officer Review.
Not satisfied that PA meets R90 requirements. PA’s spouse and 3 children have been living in Abbotsford BC since 2013.08. The 3 children arrived on SP in Canada to study in grades 4, 7 and 11. PA’s spouse accompanied children at that time. In total, the PA’s spouse and children have spent the last 8 years in Abbotsford. They have put down roots, by establishing friendships, and routines. After spending so much time in British Columbia, there are concerns that the PA and his family do not intend to reside in Quebec. A PFL was sent on March 25, 2022 providing the PA with the opportunity to alleviate these concerns. PA’s representative responded, requesting additional time to prepare their submission. This request was granted, the new deadline of May 25, 2022 was provided. As of this day, the PA has not provided a response to the PFL. Based on the documentation provided on file, I am not satisfied on balance of probabilities, that the PA and his family intend to reside in the province of Quebec. Refused
[Accentuations ajoutées]
[11] Le 8 juin 2022 à 06h00 du matin (heure de Manille), le représentant des demandeurs dépose une seconde demande de prorogation de délai de dix jours pour répondre à la lettre d’équité procédurale quant aux inquiétudes concernant l’intention de résider au Québec.
[12] Quelques heures plus tard, le 8 juin à 09h23 du matin (heure de Manille), l’agent envoie la lettre de refus aux demandeurs concernant le refus de la demande de résidence permanente, sans mention de la seconde demande de prorogation de délai qui avait été transmise quelques heures auparavant.
[13] Les notes consignées dans le SMGC datées du 14 juin 2022, soit après l’envoi de la Décision 1 aux demandeurs, mentionnent ce qui suit :
Rcvd 08Jun2022: Email from authorized rep requesting extension of deadline to submit PFL reply. Deadline already passed on 25May2022. No reply sent. Refusal letter will serve as reply.
B. Les faits du dossier portant le numéro de Cour IMM-7678-22
[14] Le 24 juin 2022, le représentant des demandeurs a acheminé une demande de reconsidération de la Décision 1 accompagnée d’un affidavit signé le 8 juin 2022 par le demandeur principal détaillant son intention de résider au Québec avec sa famille. Dans cette demande, leur représentant précise avoir demandé une deuxième prorogation de délai de dix jours qui a été envoyée avant que la Décision 1 leur ait été communiquée, que le refus impacte lourdement les projets de vie de son client qui a été fortement impliqué dans le processus administratif pendant cinq ans, et que leur bureau était particulièrement occupé avec des mandats plus urgents à cause de la crise en Ukraine et des absences des membres de l’équipe en lien avec le virus de la COVID-19. Le 30 juin 2022, la demande de reconsidération aurait été transmise par l’IRCC à l’agent.
[15] Le 11 août 2022 (heure de Manille), l’agent a rendu la Décision 2 rejetant la demande de reconsidération de la Décision 1 qui a été transmise par courriel au demandeur principal. La Décision 2 est reproduite ci-dessous:
Dear Ho Sung Kim,
This refers to your correspondence received on 04 August 2022 regarding the application for a Canadian permanent resident visa of SUNKYU LEE.
The migration officer has reviewed your request for reconsideration and was not satisfied that re-opening your case is warranted. The decision to refuse the application is maintained.
In view of our limited resources, we will not respond to further correspondence regarding this matter.
III. Dispositions législatives applicables
[16] Les dispositions législatives applicables sont les paragraphes 11(1) et 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR], ainsi que le paragraphe 90(2) de la RIPR. Ces paragraphes sont ainsi respectivement libellés :
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IV. Questions en litige
[17] Les questions en litige sont les suivantes :
Est-ce que l’agent a commis une violation de l’équité procédurale en omettant de considérer la deuxième demande de prorogation de délai des demandeurs transmise après la prise de la Décision 1, mais avant l’envoi de celle-ci?
Est-ce que la Décision 1 de l’agent refusant la demande de résidence permanente est déraisonnable?
Est-ce que la Décision 2 refusant de procéder au réexamen est déraisonnable?
V. Norme de contrôle
[18] Tout d’abord, les parties conviennent que la Décision 1 doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord. Par ailleurs, la question touchant à l’équité procédurale entourant la Décision 1 est plutôt susceptible d’être contrôlée sur la base de la norme de la décision correcte. Ensuite, je suis d’accord avec les parties que la Décision 2 relative à la demande de réexamen du dossier par l’agent est une décision discrétionnaire qui exige un contrôle sur la base de l’application de la norme de la décision raisonnable (Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 9 au para 13; Hussein c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 44, au para 32).
[19] La Cour suprême du Canada a conclu que, lorsqu’une cour effectue le contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond, hormis un examen se rapportant à un manquement à la justice naturelle et/ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23). Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions n’est applicable en l’espèce.
[20] Une Cour qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail »
des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte »
au problème (Vavilov au para 83).
[21] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur »
(Vavilov au para 125).
[22] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). La Cour ne devrait pas intervenir dans le cas d’une « erreur mineure »
(Vavilov au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156 au para 36). Ce n’est pas n’importe quelle erreur ou préoccupation qui justifient une intervention de la Cour. Les lacunes reprochées doivent être au-delà des évocations superficielles sur le fond de la décision contestée. Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov au para 100).
[23] La norme de la décision raisonnable exige de la Cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue judiciaire envers une telle décision (Vavilov au para 85).
[24] Néanmoins, les manquements à l’équité procédurale dans les contextes administratifs sont considérés comme pouvant être contrôlés sur la base de la norme de la décision correcte ou sujet à un « exercice de révision… ‘particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte’, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée »
(Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 54). L’obligation d’équité procédurale « est ‘éminemment variable’, intrinsèquement souple et tributaire du contexte »
; elle doit être déterminée eu égard à l’ensemble des circonstances, incluant la liste non exhaustive de facteurs mentionnés dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 aux paras 22-23 (Vavilov au para 77). En somme, la Cour de révision se concentre sur la question de savoir si la procédure a été équitable. Pour reprendre les termes de la Cour d’appel fédérale, les questions ultimes ou fondamentales sont les suivantes :
[56] Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice ― a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence.
(Canadien Pacifique au para 56, accentuations ajoutées)
VI. Analyse
A. Aucune violation de l’équité procédurale en omettant de considérer la deuxième demande de prorogation de délai des demandeurs transmise après la prise de la Décision 1, mais avant l’envoi de celle-ci
[25] Les demandeurs prétendent que l’agent a commis un manquement à l’équité procédurale en omettant de considérer leur demande de prorogation de délai du 7 juin 2022, qui s’avérait raisonnable dans les circonstances et qui a été transmise avant l’envoi de la décision négative. Il est important de noter que l’agent a traité le dossier et rendu sa décision avant la réception de la deuxième demande de prorogation de délai déposée par les demandeurs et après la date du 25 mai 2022 qui a été fixée comme date limite pour la réception de la réponse à la lettre d’équité procédurale. Les motifs de la décision de l’agent consignés dans le SMGC reconnaissent l’opportunité donnée au demandeur principal de fournir de la documentation :
A PFL was sent on March 25, 2022 providing the PA with the opportunity to alleviate these concerns. PA’s representative responded, requesting additional time to prepare their submission. This request was granted, the new deadline of May 25, 2022 was provided. As of this day, the PA has not provided a response to the PFL.
[26] Je suis d’accord avec le défendeur qui soutient qu’en l'espèce, les demandeurs ont clairement eu l'occasion de détromper l'agent de toute préoccupation de leur intention de résider au Québec découlant spécifiquement de l’exigence prévue à la législation et des faits que la femme et les trois enfants du demandeur principal ont vécus plus de huit ans en C-B, mais ils ne l’ont pas fait, malgré les délais accordés, incluant une prorogation de délai de 30 jours. Les demandeurs ont eu l'occasion de participer de manière significative au processus décisionnel et il n'y a pas eu de violation de l'équité procédurale.
[27] Il est connu qu’il revient aux demandeurs de présenter des demandes qui sont convaincantes, de prévoir les inférences défavorables qui peuvent être tirées des éléments de preuve et de répondre à celles-ci, et de démontrer qu'ils ont le droit d'entrer et de résider au Canada. En l’espèce, la lettre d’équité procédurale donnait aux demandeurs la possibilité de répondre aux préoccupations de l'agent quant à leur intention de résider au Québec. Cette lettre les informait que la demande serait évaluée sur la base de l’information au dossier s’ils ne répondaient pas dans les délais prévus, ce qui pourrait impliquer un refus de la demande. La réponse de l’agent accordant la première demande de prorogation de délai d’un mois prenait encore une fois le soin de préciser que la demande serait évaluée sur la base de l’information au dossier si les demandeurs ne répondaient pas dans les délais prévus, ce qui pourrait impliquer un refus de la demande. Les demandeurs étaient donc mis en garde des conséquences du non-respect du délai supplémentaire d’un mois octroyé par l’agent, mais n’ont pas agi dans les délais.
[28] Il est bien reconnu que les agents des visas n'ont pas le devoir ou l'obligation juridique de demander des précisions au sujet d'une demande incomplète, de chercher à établir le bien-fondé de la demande, d'informer le demandeur de leurs préoccupations concernant le respect des exigences législatives ou réglementaires, de fournir au demandeur un résultat provisoire à chaque étape du processus de demande, ou encore de lui offrir d'autres possibilités de répondre à des doutes ou de corriger des lacunes persistantes (Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 [Sharma] au para 32; Lv c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 [Lv] au para 23). Imposer une telle obligation reviendrait à donner un préavis d'une décision défavorable, une obligation que la Cour a expressément rejetée à de nombreuses reprises, incluant dans Sharma et Lv, précités. Dans les circonstances, il n’était pas nécessaire que l’agent réponde à la deuxième demande de prorogation de délai envoyée après que la décision de l’agent était prise et consignée dans le SMGC. Il était raisonnable pour l’agent de considérer que la Décision 1 envoyée aux demandeurs servirait de réponse à la deuxième demande de prorogation de délai.
B. La Décision 1 refusant la demande de résidence permanente n’est pas déraisonnable
[29] Les demandeurs prétendent que l’agent a rendu sa décision négative suite à une analyse déraisonnable de leur intention de résider au Québec, alors que l’information disponible au dossier ne traduit pas de comportement incompatible avec une intention de résider au Québec. Le défendeur, quant à lui, prétend que la décision de l'agent n'est pas entachée d'erreur de droit en s'appuyant sur la disposition à l'appui de sa conclusion selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 11 de la LIPR. La décision n’était pas raisonnable parce que la décision de l'agent, malgré le CSQ au dossier, était fondée sur le fait que les demandeurs n'avaient pas répondu à la lettre d'équité procédurale qui leurs avait été envoyée au sujet des questions et des préoccupations soulevées concernant l'intention de la famille de résider au Québec.
[30] Il est clairement établi en droit qu'un agent de visas a un haut degré de discrétion lorsqu'il détermine l'« intention »
d'un demandeur de s'établir dans une province donnée, puisqu'il peut tenir compte de tous les indices dont il dispose (Quan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 576 [Quan] au para 24, citant Tran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 [Tran] au para 33; Yaman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 584 [Yaman] au para 29; Rabbani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 FC 257 au para 43; et Dhaliwal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 131 [Dhaliwal] au para 31).
[31] En l’espèce, l’agent avait donné les motifs suivants: « PA’s spouse and 3 children have been living in Abbotsford BC since 2013.08. The 3 children arrived on SP in Canada to study in grades, 4, 7 and 11. PA’s spouse accompanied children at that time. In total, the PA’s spouse and children have spent the last 8 years in Abbotsford. They have put down roots, by establishing friendships, and routines. After spending do much time in British Columbia, there are concerns that the PA and his family do not intend to reside in Quebec. »
[32] La preuve au dossier confirme que les circonstances actuelles des demandeurs sont que Young Sook et ses enfants habitent et les enfants étudient en Colombie-Britannique depuis plus de 8 ans à la date de la Décision 1. Tel que convenu par la jurisprudence citée ci-haut, l’évaluation de l’intention de s’établir est très subjective et il été ouvert à l’agent d’utiliser des indices d’une conduite précédente et des circonstances actuelles pour tirer des conclusions. Dans les circonstances en l’espèce, ce ne fut alors pas déraisonnable de conclure que les demandeurs sont établis en C-B étant donné qu’ils vivent à Abbotsford depuis 2013.
[33] En ce qui a trait aux liens familiaux ou l'attrait familial, l'agent a considéré le fait que le demandeur principal avait des enfants établis en C-B comme étant un facteur important. Il est établi que les demandeurs avaient le fardeau de démontrer comment les plans actuels en C-B, et leurs racines ancrées dans cette province, étaient compatibles avec leur désir de s'établir au Québec. Les notes du SMGC permettent donc de constater que l'agent a considéré et pondéré l'ensemble des facteurs au dossier, incluant le facteur de l'intégration sociale et communautaire, et l’absence de réponse à sa lettre d’équité procédurale dans les délais accordés, avant de parvenir à la conclusion qu'il n'était pas convaincu que les demandeurs avaient démontré avoir l'intention de s'établir dans la province de Québec.
[34] Les demandeurs s’appuient sur la décision du juge Diner dans l’affaire Dhaliwal, au paragraphe 33 quant au fait que des études dans une province n’indique pas une intention de s’y établir en permanence. Pourtant, aux paras 31-32, le juge Diner mentionne que la preuve comportait de nombreux indices objectifs appuyant l’intention de la partie demanderesse de résider en permanence à Brampton (Ontario) qui ont contribué à sa décision d’accueillir le contrôle judiciaire. Dans le cas présent, il y avait plutôt une insuffisance d’indices objectifs appuyant l’intention des demandeurs de s’établir au Québec.
[35] Les demandeurs s’appuient également sur la décision du juge Gascon dans l’affaire Quan, au paragraphe 27, afin de soutenir qu’il existe peu de lien entre la décision d’un enfant à étudier dans un établissement donné à l’extérieure du Québec, et l’intention des parents de s’établir dans la province. Cette décision doit également être distinguée des faits en l’espèce. D’un côté, bien que le juge Gascon ait concédé que l’agent avait commis une erreur en tirant une inférence défavorable sur le fait que le fils de la demanderesse avait étudié en C-B pendant deux ans, il remarque au paragraphe 28 qu’il n’était pas convaincu que cette erreur commise par l’agent est suffisante pour rendre la décision déraisonnable. Le juge a rejeté le contrôle judiciaire dans Quan parce qu’il était convaincu que d’autres préoccupations avaient été soulevées au sujet de l’intention de Mme Quan de s’établir dans la province de Québec, incluant son incapacité de répondre directement aux questions sur le fait que son fils avait étudié en C-B dans le passé (Quan aux paras 28-29). De la même façon, les demandeurs dans le dossier dont je suis saisi n’ont pas répondu aux préoccupations soulevées par l’agent quant au conjoint et trois enfants qui vivent et/ou étudient en C-B depuis plusieurs années, ce qui est un facteur d’attraction important pour le demandeur principal de vivre en C-B plutôt qu’au Québec.
[36] À mon avis, ces motifs sont raisonnables et attirent la déférence de la Cour compte tenu du vaste pouvoir discrétionnaire dont jouissait l’agent.
C. La Décision 2 refusant de procéder au réexamen est déraisonnable
[37] Je suis d’accord avec les demandeurs qui prétendent que la décision attaquée – soit le refus d’exercer un pouvoir discrétionnaire de procéder à un réexamen – est déraisonnable puisqu'elle n’est accompagnée d’aucun motif ou justification, et qu’il est ainsi impossible de comprendre le raisonnement de l’agent décideur, et précisément de confirmer que les obligations qui lui incombaient dans sa prise de décision ont été respectées. Les quelques lignes de la Décision 2 et, plus particulièrement, « The migration officer has reviewed your request for reconsideration and was not satisfied that re-opening your case is warranted. The decision to refuse the application is maintained. »
n’expliquent aucunement le raisonnement de l’agent.
[38] Dans l’arrêt Kurukkal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 230, la Cour d’appel fédérale a confirmé au paragraphe 3 que le décideur administratif a, si les circonstances s’y prêtent, le pouvoir discrétionnaire de réexaminer sa décision.
[39] Il incombe aux demandeurs de démontrer aux réviseurs que les circonstances justifient l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire de rouvrir une demande antérieure qui a déjà été refusée « dans l'intérêt de la justice »
et « dans des circonstances inhabituelles »
(Malik c. Canada (Citoyenneté et 'Immigration), 2009 CF 1283 aux paras 40-46; Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 710 au para 31; Ghaddar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 727 au para 19).
[40] Tel que résumé au paragraphe 14 ci-dessus, la demande de reconsidération des demandeurs était accompagnée de soumissions et d’une déclaration assermentée du demandeur principal, lesquelles faisait valoir quelques points en lien avec l’intérêt de la justice et des circonstances inhabituelles. Par exemple, le bureau de l’avocat en charge du dossier était particulièrement occupé à cause de la crise en Ukraine qui prenait préséance à cause de leur nature urgente et des absences des employés en lien avec le virus de la COVID-19. Tel que soulevé par les demandeurs, la Décision 2 est complètement silencieuse à leurs égards, et ce manque de traitement et de justification fait en sorte que la Cour ne peut pas « s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable »
(Vavilov, au para 99).
[41] Le défendeur argumente que l’agent a procédé à une analyse de déterminer s’il y avait lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour procéder au réexamen de la décision antérieure et que les demandeurs n’avaient pas démontré que c’était dans l’intérêt de la justice ou que les circonstances étaient inhabituelles justifiant la réouverture. Malheureusement pour le défendeur, la Décision 2 ne démontre pas que l’agent ait traité des circonstances soulevées par les demandeurs:
[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.
(Vavilov, para 128, accentuation ajoutée)
[42] N’étant pas motivée, la Décision 2 ne permet pas de comprendre le raisonnement de l’agent, et n’est donc pas justifiée, intelligible et transparente (Vavilov au para 85).
JUGEMENT dans les dossiers IMM-7653-22 et IMM-7678-22
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-7653-22 est rejetée.
La demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-7678-22 est accueillie.
Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Ekaterina Tsimberis »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-7653-22 |
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INTITULÉ :
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SUNKYU LEE, YOUNG SOOK JI, HYE DAM LEE, HYESOL LEE, HYEJUNG JUNE LEE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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ET DOSSIER :
|
IMM-7678-22 |
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INTITULÉ :
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SUNKYU LEE, YOUNG SOOK JI, HYE DAM LEE, HYESOL LEE, HYEJUNG JUNE LEE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 8 avril 2024 |
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JUGEMENT ET motifs : |
LA JUGE TSIMBERIS |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 27 septembre 2024
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COMPARUTIONS :
Mai Nguyen
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pour LA PARTIE DEMANDERESSE |
Edith Savard
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pour lA PARTIE DéFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cliche-Rivard, Avocats inc.
Montréal (Québec)
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pour LA PARTIE DEMANDERESSE |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Montréal (Québec)
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pour lA PARTIE DéFENDERESSE |