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Date : 20240909


Dossier : T-1458-20

Référence : 2024 CF 1414

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2024

En présence de madame la juge Gagné

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

NICHOLAS MARCUS THOMPSON, JENNIFER PHILLIPS,

MICHELLE HERBERT, KATHY SAMUEL, WAGNA CELIDON,

DUANE GUY GUERRA, STUART PHILP, SHALANE ROONEY, DANIEL MALCOM, ALAIN BABINEAU, BERNADETH BETCHI,

CAROL SIP, MONICA AGARD et MARCIA BANFIELD SMITH

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LE ROI

défendeur

et

AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA

intervenante

et

LE PRÉSIDENT DU SÉNAT

intervenant

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le président du Sénat sollicite l’autorisation d’intervenir dans une requête que les demandeurs ont présentée afin d’interjeter appel d’une ordonnance rendue par le juge adjoint Benoit Duchesne en qualité de juge responsable de la gestion de l’instance dans le présent recours collectif envisagé. Le juge adjoint Duchesne a refusé de permettre aux demandeurs de produire les nouveaux éléments de preuve qui suivent afin de les utiliser dans la requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif une fois les contre-interrogatoires terminés :

1. le rapport du 11 décembre 2023 du Comité sénatorial permanent des droits de la personne (le Comité), intitulé « Racisme anti-Noirs, sexisme et discrimination systémique au sein de la Commission canadienne des droits de la personne » (le Rapport du Sénat sur la CCDP);

2. les transcriptions des audiences publiques tenues devant le Comité les 1er, 8 et 15 mai 2023, avant la publication du Rapport du Sénat sur la CCDP, et liées à ce rapport (les transcriptions des audiences du comité sénatorial).

[2] Le président du Sénat soutient que ces documents constituent des travaux du Parlement et que, pour cette raison, notre Cour doit s’assurer que la question de leur admission et de leur utilisation est tranchée d’une manière compatible avec le privilège parlementaire.

[3] Le président du Sénat affirme qu’il a un intérêt réel dans les questions à trancher dans la présente requête en appel, compte tenu des conséquences que pourrait avoir l’issue de celle-ci sur l’utilisation des travaux du Sénat par les parties et les tribunaux. Ces conséquences pourraient influer à leur tour sur l’application de deux éléments reconnus du privilège parlementaire : la liberté de parole au Parlement et le contrôle exclusif du Sénat sur ses travaux.

[4] Le président du Sénat ne cherche pas à compléter le dossier et ne sollicite pas non plus les dépens de la présente intervention.

[5] Les demandeurs contestent la requête pour les motifs suivants : i) la Cour n’a tiré aucune conclusion au sujet du privilège parlementaire — de sorte qu’il ne s’agit pas d’une question en litige dans l’appel; ii) l’intervention éventuelle constitue une contestation indirecte de l’action des demandeurs; iii) la présente requête en autorisation d’intervenir aurait dû être présentée en même temps que la requête en autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve, que le juge adjoint Duchesne a tranchée; et iv) l’approche de l’intervenant éventuel est discriminatoire envers les travailleurs noirs, car les tribunaux se sont largement fondés sur les rapports du Sénat dans le passé au soutien de leur analyse de questions d’ordre public.

[6] Pour sa part, le défendeur ne s’oppose pas à la requête.

[7] L’article 109 des Règles des Cours fédérales indique que l’intervenant doit expliquer a) de quelle manière il désire participer à l’instance; et b) en quoi sa participation aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance. Cette même disposition précise par ailleurs que, si la Cour accorde l’autorisation d’intervenir, elle doit donner des directives concernant la signification de documents et le rôle de l’intervenant.

[8] Bien que les critères à appliquer pour accorder ou non l’autorisation d’intervenir soient souples, le principal facteur est la question de savoir s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder cette autorisation (Sport Maska Inc c Bauer Hockey Corp, 2016 CAF 44 au para 42). Notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont élaboré et appliqué plusieurs critères contextuels non exhaustifs devant les guider dans le cadre de cet exercice, bien que la Cour d’appel fédérale ait récemment mis l’accent sur trois principaux critères : l’utilité de l’intervention, l’intérêt de l’intervenant éventuel dans l’affaire et l’intérêt de la justice (Chelsea (Municipalité) c Canada (Procureur général), 2023 CAF 179 au para 9).

[9] À mon avis, l’intervention proposée satisfait à ces trois critères.

[10] Contrairement à ce que les demandeurs soutiennent, j’estime que le privilège parlementaire est une question qui doit être tranchée avant que leurs nouveaux éléments de preuve puissent être admis.

[11] Cela étant dit, l’intervenant éventuel possède une expertise directe en matière de privilège parlementaire. Les observations qu’il présenterait seraient différentes de celles des parties, parce qu’il compte invoquer des arguments qui mettraient en relief le point de vue du Sénat en qualité d’organe législatif qui joue un rôle constitutionnel unique et auquel le privilège parlementaire s’applique. Dans ce contexte, son intervention sera utile à la Cour.

[12] En ce qui concerne le deuxième critère, le président du Sénat a un intérêt réel dans l’objet de la requête en appel de l’ordonnance du juge adjoint Duchesne. Il agit en qualité de gardien du privilège parlementaire tant pour le Sénat que pour ses membres.

[13] Les documents dont la production est contestée pourraient être des travaux du Sénat et, à ce titre, ils seraient protégés par le privilège parlementaire. L’utilisation de ces travaux d’une manière incompatible avec le privilège parlementaire touche les intérêts du Sénat et de son président, qui craint qu’en admettant en preuve des travaux du Sénat afin d’établir des faits en litige controversés, les tribunaux ne puissent contester ces travaux et les remettre en question. Étant donné que le privilège parlementaire sert à protéger l’intégrité des travaux des comités en mettant les sénateurs et les témoins à l’abri de toute responsabilité pour les propos qu’ils tiennent pendant les délibérations des comités et en empêchant des organismes externes comme les tribunaux de contester leurs travaux ou de les mettre en doute, le président du Sénat a un intérêt dans l’admissibilité des éléments de preuve dont la production est contestée.

[14] Enfin, en ce qui a trait au troisième critère, j’estime qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder au président du Sénat l’autorisation d’intervenir, strictement sur la question du privilège parlementaire soulevée par la requête en appel. Il s’agit d’une question d’intérêt public au sujet de laquelle il fournira d’autres précisions et perspectives utiles.

[15] L’intervention proposée ne freinera nullement le déroulement de l’instance ni ne causera de préjudice aux parties.


ORDONNANCE dans le dossier T-1458-20

LA COUR ORDONNE :

  1. Le président du Sénat est autorisé à intervenir dans la requête en appel de l’ordonnance rendue par le juge adjoint Benoit Duchesne le 8 juillet 2024 (Thompson c Canada, 2024 CF 1064);

  2. Le président du Sénat est autorisé à déposer des observations écrites d’au plus quinze (15) pages dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance;

  3. Le président du Sénat est autorisé à présenter des observations de vive voix à l’audience relative à la requête en appel;

  4. Le président du Sénat recevra signification de tout autre document devant être signifié aux parties au sujet de la requête en appel;

  5. L’intitulé de la cause est modifié de façon à indiquer que le président du Sénat est un intervenant.

  6. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1458-20

 

INTITULÉ :

NICHOLAS MARCUS THOMPSON et al c SA MAJESTÉ LE ROI et AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA et LE PRÉSIDENT DU SÉNAT

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT ET EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT aux ARTICLEs 109 et 369

DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

ORDonnance et motifs :

LA JUGE gAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 SEPTEMBRE 2024

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Courtney Betty

Hugh Scher

 

pour les demandeurs

 

Paul J. Martin

 

pour le défendeur

 

Marc-André Roy

Anne Burgess

 

pour l’intervenant lE président du sénat

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Betty's Law Office

Toronto (Ontario)

Scher Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

Holtz Lawyers

Thornhill (Ontario)

Makki Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Cambridge LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANTE AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA

 

Bureau du légiste et conseiller parlementaire

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANT LE PRÉSIDENT DU SÉNAT

 

 

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