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     IMM-1113-96

ENTRE :


VASILY MUZYCHKA

Requérant

     - et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Intimé

     MOTIFS DE DÉCISION

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire instituée par le requérant, Vasily Muzychka, à l'encontre d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié, Section du statut du réfugié (ci-après la "Section du statut") lui refusant le statut de réfugié.

     Le requérant est né à Borshiv (Ukraine) en 1967. Il est domicilié en Ukraine jusqu'en 1988. En 1989, après avoir séjourné en Lituanie pendant un an, il s'établit à Mourmansk, en Russie.

     La Section du statut a déterminé que puisque le requérant était en mesure de devenir citoyen ukrainien sur simple demande, on pouvait, dans le cadre de sa revendication, considérer l'Ukraine comme son pays de nationalité. Dans le mémoire qu'il a produit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le requérant ne conteste pas cette conclusion. En fait, le requérant ne traite pas de cette question de sorte que les incidents qu'il rapporte ne seront pertinents que dans la mesure où ils sont survenus dans ce pays, c'est-à-dire l'Ukraine.

     Le requérant se plaint essentiellement de la persécution dont il fait l'objet en Ukraine en raison de son homosexualité. En 1987, il est victime d'attaques verbales et physiques. Celles-ci persistent jusqu'à son départ en 1988. Il revient en 1992. Il se présente à la "Maison de la culture". C'est alors qu'il est sévèrement battu par des personnes qui, en raison de son orientation sexuelle, l'auraient intimé de quitter l'Ukraine.

     La preuve démontre que le requérant s'est plaint au chef de la police du village de Borshiv en 1988 lorsque des insultes ont été écrites sur le mur de sa résidence. Par la suite, en 1992, le requérant se plaint de l'attaque dont il fut victime à la "Maison de la culture". Cette fois, il s'adresse non seulement au chef de police du village mais aussi au Bureau du Procureur local. À chaque occasion, le chef de police lui dit qu'il n'est pas en mesure de changer l'opinion publique qui prévaut au village et que, en définitive, la meilleure option qui s'offre au requérant était de quitter Borshiv. Quant au Procureur local, il avise le requérant du fait que le traitement d'une plainte de cette nature n'entre pas dans ses attributions.

     Dans la présente affaire, puisqu'il lui fallait décider du statut de réfugié du requérant à l'égard de l'Ukraine, la Section du statut prend soin de distinguer les éléments de preuve afférents à la situation générale et aux incidents survenus en Ukraine de ceux survenus en Russie :

         We find the evidence more equivocal, however, with regard to the issue of the ability of the Ukrainian police to protect the claimant and the claimant's unwillingness to avail himself of that protection. The claimant's testimony with respect to treatment he received at the hands of Ukrainian police authorities suggests that an attitude on the part of the police which might be characterized as benign passivity or ineffectiveness rather than outright hostility, such as he experienced at the hands of the police in Murmansk.                 
         The ILGHRC report and the affidavit of Julia Dorf are quite specific with regard to abusive police conduct toward gays and lesbians in Russia. We find Ms. Dorf's statements with regard to the situation in Ukraine to be less substantiated than are her statements with respect to Russia. We are therefore unwilling to accord her comments concerning the situation in Ukraine the same weight as we would her comments concerning Russia.                 

     Ainsi, de l'avis de la Section du statut, la preuve documentaire soumise par le requérant constitue un indice valable du traitement réservé aux homosexuels en Russie. Ces éléments de preuve ne sont toutefois pas convaincants en ce qui concerne la situation en Ukraine. Après une revue de la preuve, je suis d'avis qu'il était déraisonnable pour la Section du statut d'en arriver à pareille conclusion1.

     Le ILGHRC Report ainsi que l'affidavit de Mme Dorf sont très spécifiques et démontrent de façon indubitable la persécution dont sont victimes les hommes et les femmes homosexuels en Ukraine. Il ressort très clairement de la preuve que les autorités ukrainiennes font preuve d'un comportement abusif à l'égard des citoyens et citoyennes homosexuels. À cet égard, il m'apparaît opportun de référer à certains paragraphes de l'affidavit de Mme Dorf. Elle conclut ce qui suit2 :

         It is my opinion that the persecution of lesbians and gay men in the Ukraine has not changed much since 1991 or since the repeal of article 122. What has changed is the openness of a few courageous leaders to organize political and social groups to work for their protection and basic human rights. This does not mean that life for a lesbian or gay man is less full of fear than before. In fact, it may even be worse due to increased social stigma and targeting by nationalist groups and government's inability and disinterest in protecting its gay citizens from violent hate crimes and misuse of both psychiatric and criminal justice systems. (c'est moi qui souligne)                 

     Bien que, dans sa décision, la Section du statut cite ce passage de l'affidavit de Mme Dorf, elle en omet le passage le plus pertinent, c'est-à-dire celui qui fait état de l'inhabilité des autorités ukrainiennes à protéger les citoyens et citoyennes homosexuels contre les crimes violents3.

     La Section du statut ne pouvait faire référence à l'affidavit de Mme Dorf pour ensuite en exclure les passages les plus pertinents. En effet, il est bien établi en jurisprudence que le fait d'ignorer ou d'exclure un élément de preuve pertinent constitue une erreur de fait révisable4. De même, on pourra reprocher à la Section du statut le fait de ne pas tenir compte du contenu d'un document qu'elle cite au soutien de ses motifs5. Qui plus est, cette Cour a déjà expressément décidé que la Section du statut ne peut scinder le contenu d'un seul et même document pour en utiliser certains paragraphes tout en ignorant les autres:

         La Commission a tiré une conclusion de fait de façon abusive ou arbitraire en disant que le demandeur avait été arrêté pour la dernière fois en février 1992. Comme je l'ai mentionné, il y a eu une arrestation subséquente. Cette omission est très importante parce que la Commission n'a pas cité les deux paragraphes que je reproduis ci-après - qui, dans le dossier devant elle, figuraient immédiatement après l'extrait qu'elle a mentionné dans ses motifs, que nous venons de citer.6                      

     Je n'ai rien pu trouver au dossier qui puisse justifier la conclusion de la Section du statut selon laquelle la preuve soumise par le requérant est moins concluante quant au comportement des autorités ukrainiennes qu'elle ne l'est quant à celui des autorités russes. Ainsi, parce qu'elle a été prise sans égard à la preuve non contredite soumise par le requérant, cette conclusion était déraisonnable.

     En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier de revendication du requérant renvoyé à la Commission pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.

OTTAWA (ONTARIO)

Ce 7e jour de mars 1997

    

                                 JUGE

__________________

1      Voir, entre autres, Singh and Narang v. Canada (M.E.I.) (1993), 69 F.T.R. 142 (C.F., 1ère instance) et Romero Minero c. Canada (M.E.I.) (1994), 75 F.T.R. 156 (C.F., 1ère instance).

2      Dossier de la section du statut, à la page ?.

3      Dossier de la Section du statut, à la p. 13.

4      Voir, en autres, les affaires suivantes: Sikder c. M.E.I., (le 8 octobre 1992), A-718-91 (C.A.F.); Djama c. M.E.I., (le 5 juin 1992), A-738-90 (C.A.F.); Aujla c. M.E.I., (le 4 mars 1991), A-520-89 (C.A.F.); Mensah c. M.E.I., (le 23 novembre 1989), A-1173-88; Jeyachandran c. Canada (Solicitor General), (le 30 mars 1995), IMM-779-94 (C.F., 1ère instance); Mannan c. M.E.I., (le 8 mars 1994), IMM-2892-93 (C.F.,1ère instance); Cabrera c. M.C.I., (le 9 février 1996), IMM-1991-95 (C.F.,1ère instance); Andemariam c. M.E.I., (le 28 septembre 1994), IMM-5815-93 (C.F.,1ère instance); Ayad c. M.C.I., (le 26 avril 1996), IMM-2820-95 (C.F.,1ère instance) et Vielma c. M.C.I., (le 10 novembre 1994), IMM-786-94 (C.F.,1ère instance).

5      Freda Serwaa Offei c. The Minister of Citizenship and Immigration, (le 8 février 1996), IMM-821-95 (C.F.,1ère instance).

6      Mir c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), (le 26 janvier 1996), IMM-1837-95 (C.F.,1ère instance).


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : IMM-1113-96

INTITULE : VASILY MUZYCHKA c. LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETE ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTREAL, QUEBEC

DATE DE L'AUDIENCE : LE 4 MARS 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TREMBLAY-LAMER EN DATE DU 7 MARS 1997

COMPARUTIONS

Me Michel Lebrun POUR LA PARTIE REQUERANTE

Me Daniel Latulippe POUR LA PARTIE INTIMEE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Me Michel Lebrun POUR LA PARTIE REQUERANTE Montreal, Quebec

M. George Thomson POUR LA PARTIE INTIMEE Sous-procureur general du Canada

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