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Date : 20240910


Dossier : IMM‑11201‑24

Référence : 2024 CF 1420

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 10 septembre 2024

En présence de monsieur le juge adjoint Trent Horne

ENTRE :

ALAA ALHILAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour doit décider si une contestation constitutionnelle indépendante d’une disposition de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, c’est‑à‑dire en dehors du cadre de la contestation d’une décision administrative, peut être engagée par voie de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[2] Je conclus que non. Une contestation constitutionnelle indépendante doit être engagée par voie d’action. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sera retirée du dossier de la Cour, sous réserve du droit de solliciter la même réparation par voie d’action.

II. Le contexte

[3] Alaa Alhilal et le Conseil canadien pour les réfugiés ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (la DACJ) pour dépôt aux alentours du 4 juin 2024. Il ne demandait pas ainsi le contrôle judiciaire d’une décision, mais cherchait plutôt à obtenir un jugement déclarant que l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) est inconstitutionnel. Le greffe m’a transmis la DACJ pour savoir si elle pouvait être reçue pour dépôt ou non (art. 72 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles)).

[4] Le 17 juin 2024, j’ai indiqué dans une directive que la DACJ ne pouvait pas être reçue pour dépôt, concluant que la réparation demandée devait être poursuivie sous la forme d’une action. Une copie de la directive est jointe à l’annexe A.

[5] La DACJ dont il est question en l’espèce a été présentée le 26 juin 2024. Le Conseil canadien pour les réfugiés n’en est pas une partie. À tous autres égards, la DACJ soulève une contestation constitutionnelle essentiellement identique de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR (tous les renvois faits à des dispositions dans les présents motifs s’appliquent à des dispositions de la LIPR, sauf indication contraire). La DACJ indique expressément qu’aucune décision n’est contestée.

[6] Le 10 juillet 2024, j’ai rendu une directive indiquant que la DACJ semble soulever une contestation constitutionnelle presque identique et mentionnant expressément qu’aucune décision n’est contestée. Comme il semblait que la réparation demandée devait être obtenue par voie d’action, j’ai ordonné au demandeur de signifier et de déposer des observations écrites pour expliquer pourquoi il ne fallait pas retirer la DACJ du dossier de la Cour, conformément à l’article 74 des Règles.

[7] En réponse à la directive du 10 juillet 2024, le demandeur a déposé des observations le 22 juillet 2024; le défendeur a déposé ses observations le 2 août 2024; le demandeur a déposé des observations en réplique le 6 août 2024.

III. Analyse

[8] L’unique question dont la Cour est saisie est de savoir quelle procédure convient pour la contestation constitutionnelle du demandeur, et s’il est possible d’engager l’instance en présentant une demande d’autorisation à la Cour. Plus précisément, il s’agit de savoir si la DACJ doit être retirée du dossier de la Cour parce qu’elle « [n’a] pas été déposé[e] en conformité avec les présentes règles, une ordonnance de la Cour ou une loi fédérale ». La question de savoir si le document introductif d’instance comporte une lacune est une question de procédure, pas de justification de fond. La qualité pour agir du demandeur, et le bien‑fondé de l’instance, ne sont pas des questions qui doivent être tranchées maintenant.

[9] Le demandeur soutient que la présente DACJ est différente de la première qui n’a pas été acceptée pour dépôt parce que, en plus d’un jugement déclarant que l’alinéa 34(1)f) est inconstitutionnel, elle vise à obtenir un jugement déclaratoire, plus précisément un jugement déclarant que le défendeur ne peut pas se fonder sur cette disposition pour rejeter ou retarder davantage la demande de résidence permanente du demandeur, ou pour détenir ce dernier, lui imposer des conditions de mise en liberté ou solliciter à son encontre une ordonnance d’expulsion.

[10] Pour évaluer un acte de procédure, il est nécessaire de le lire en essayant de comprendre son fond même, et d’obtenir une appréciation réaliste du caractère essentiel de l’instance. La Cour d’appel a prévenu que la Cour ne doit pas se laisser berner par les plaideurs habiles qui sont « [f]orts d’outils perfectionnés pour jouer sur les mots et d’un esprit rusé ». Il faut plutôt lire les actes de procédure en en faisant « une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Office des transports), 2023 CAF 245 aux para 14‑16).

[11] Si on lit la DACJ de manière globale, le jugement déclaratoire demandé contre le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est subordonné à l’octroi initial de la principale réparation demandée : un jugement déclarant que l’alinéa 34(1)f) est inconstitutionnel. Les jugements déclaratoires secondaires ne peuvent être pris en considération que si le jugement déclaratoire d’inconstitutionnalité principal est accordé. Il peut être évident en soi que les ministres ne peuvent pas se fonder sur des dispositions législatives qui ont été jugées inconstitutionnelles. En tout état de cause, la caractéristique essentielle de la présente instance est une demande de jugement déclarant que l’alinéa 34(1)f) est inconstitutionnel.

[12] Il n’est pas sûr que l’on puisse accorder les jugements déclaratoires secondaires que sollicite le demandeur. Les jugements déclaratoires sont censés exprimer les droits des parties qui les réclament (Canada c Boloh 1(a), 2023 CAF 120 (Boloh) au para 60). Dans l’arrêt Boloh, la Cour d’appel a infirmé une ordonnance parce que les jugements déclaratoires demandés et accordés étaient en réalité des ordonnances impératives, ou des réparations sous forme de brefs de mandamus, déguisées à l’encontre du gouvernement du Canada. C’est également le cas en l’espèce. Ce que le demandeur tente en fait d’obtenir par la voie des jugements déclaratoires secondaires est une ordonnance impérative ou une injonction interdisant aux ministres de prendre certaines mesures.

[13] La Cour a compétence pour examiner des contestations de nature constitutionnelle dans le contexte d’instances engagées par le dépôt d’une demande d’autorisation qui conteste une décision précise; elle examinera cependant si les arguments constitutionnels ont été soumis au décideur administratif ou s’ils sont formulés pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire (voir, par exemple, Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 600 aux para 29‑55). Ce n’est pas le cas en l’espèce; aucune décision n’est contestée.

[14] Pour évaluer si la contestation constitutionnelle actuelle du demandeur concernant l’alinéa 34(1)f) peut être déposée au moyen d’une demande d’autorisation, et non en lien avec une contestation relative à une décision précise, je commence par l’article 72 :

SECTION 8

DIVISION 8

 

Contrôle judiciaire

Judicial Review

 

Demande d’autorisation

Application for judicial review

 

72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72 (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is, subject to section 86.1, commenced by making an application for leave to the Court.

 

Application

Application

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

(2) The following provisions govern an application under subsection (1) :

 

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted;

 

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

(b) subject to paragraph 169(f), notice of the application shall be served on the other party and the application shall be filed in the Registry of the Federal Court (“the Court”) within 15 days, in the case of a matter arising in Canada, or within 60 days, in the case of a matter arising outside Canada, after the day on which the applicant is notified of or otherwise becomes aware of the matter;

 

c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;

(c) a judge of the Court may, for special reasons, allow an extended time for filing and serving the application or notice;

 

d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;

(d) a judge of the Court shall dispose of the application without delay and in a summary way and, unless a judge of the Court directs otherwise, without personal appearance; and

 

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.

(e) no appeal lies from the decision of the Court with respect to the application or with respect to an interlocutory judgment.

[15] L’interprétation des lois consiste à examiner le sens ordinaire des mots employés et le contexte législatif dans lequel ils s’inscrivent. C’est ce que la Cour suprême a expliqué dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 10, et qu’elle a réitéré dans l’arrêt Celgene Corp. c Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, au paragraphe 21. Dans cette dernière affaire, la Cour suprême a cité et commenté l’arrêt Hypothèques Trustco Canada comme suit :

[…]

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, 1999 CanLII 639 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. [Paragraphe 10.]

S’il est clair, le libellé prévaut; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loi.

[16] Tout d’abord, le texte de l’article 72 ne traite pas de façon générale de « litige » ou d’« instance », mais plutôt d’une procédure bien précise, le contrôle judiciaire. Essentiellement, le contrôle judiciaire est un mécanisme qui permet aux cours de justice de contrôler les décisions que rendent les organismes administratifs afin de s’assurer de leur équité, de leur raisonnabilité et de leur légalité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 28). Le législateur n’est pas un organisme administratif.

[17] Lorsqu’une instance est une attaque directe contre la loi, la Couronne fédérale ne peut pas être traduite devant la Cour par le truchement d’une demande de contrôle judiciaire (Confédération des syndicats nationaux c Canada, [1998] ACF no 144 au para 17). L’emploi des mots « contrôle judiciaire » à l’article 72 étaye la conclusion que cette disposition ne vise pas à inclure les contestations constitutionnelles indépendantes qui sont présentées au moyen d’une demande d’autorisation, puis d’une demande de contrôle judiciaire si l’autorisation est accordée.

[18] Il est indiqué à l’article 72 que le contrôle judiciaire s’applique à « toute mesure […] prise dans le cadre de la présente loi […] ».

[19] Les mots figurant entre « mesure » et « dans le cadre de » (« décision, ordonnance, question ou affaire ») ne définissent pas mais illustrent plutôt les mots « mesure [...] prise dans le cadre de […] » (Wong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 949 au para 13 (Wong)).

[20] Dans la décision Wong, la Cour s’est dite convaincue qu’une décision du greffier de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), qui avait refusé d’accorder au demandeur l’accès à certains dossiers, était une « mesure prise dans le cadre de » la LIPR parce que la CISR tirait son pouvoir de rendre cette décision de la LIPR, même si la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985 c A‑1, pouvait interdire l’exercice de ce pouvoir.

[21] Selon l’Oxford Dictionary of English (3e édition), le terme anglais « under » (dans le cadre de) signifie : contrôlé, géré ou régi par. Une contestation constitutionnelle indépendante (c’est‑à‑dire non associée à une décision précise qui touche un demandeur) n’est pas une mesure prise dans le cadre de la LIPR. La contestation vise la loi elle‑même, qui a été adoptée par le législateur. Ce dernier ne tire de la LIPR aucun pouvoir de créer ou de modifier cette loi, et il n’est pas géré ou régi par elle. Selon le sens ordinaire du texte de l’article 72, une contestation constitutionnelle qui n’est pas liée à une décision précise n’est pas une « mesure [...] prise dans le cadre de » la LIPR, et cette contestation ne peut donc pas être soulevée par la voie d’une instance introduite aux termes d’une DACJ.

[22] Une analyse de la version française de l’article 72 mène à la même conclusion. Les mots « prise dans le cadre de la présente loi » signifient « dans le contexte de cette loi ». La version française étaye également la conclusion qu’une DACJ peut servir de document introductif d’instance pour contester une décision rendue si le pouvoir de la rendre découle de la LIPR, mais non pour contester la seule validité constitutionnelle d’une mesure.

[23] Pour ce qui est du contexte, l’alinéa 72(2)e) indique que le jugement de la Cour sur la demande n’est pas susceptible d’appel. Vu l’importance que peut revêtir une décision concernant la validité constitutionnelle pour les justiciables en général, il est difficile d’admettre que le législateur ait envisagé que l’article 72 comporte un mécanisme applicable aux contestations constitutionnelles indépendantes qui serait censément à l’abri d’un contrôle en appel.

[24] Je tire la même conclusion au sujet de l’objet. La section 8 de la LIPR offre un moyen sommaire de soumettre à un contrôle judiciaire les décisions administratives en matière d’immigration. Je ne puis conclure que l’objet de cette section, ou de la LIPR dans son ensemble, est d’offrir un moyen sommaire de se prononcer de manière indépendante sur la validité constitutionnelle d’une loi.

[25] Le demandeur invoque l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la Loi sur les CF), dont le texte est le suivant :

Recours extraordinaires : offices fédéraux

Extraordinary remedies, federal tribunals

 

18 (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

 

18 (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

 

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

 

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

 

[26] Je ne trouve pas cet argument convaincant. Les alinéas 18(1)a) et b) de la Loi sur les CF traitent du pouvoir de la Cour de rendre des ordonnances et de trancher toute procédure « afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral ». La réparation essentielle qui est demandée dans la DACJ ne vise pas un office fédéral; il s’agit plutôt d’une contestation de la loi elle‑même.

[27] Nul ne conteste que la Cour fédérale a compétence pour trancher les contestations de nature constitutionnelle, et qu’elle est un « tribunal compétent » au sens de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11). La question à trancher consiste à savoir quelle procédure utiliser pour présenter la contestation constitutionnelle du demandeur. Ni l’article 18 de la Loi sur les CF ni l’article 72 ne permettent ou n’exigent que l’on formule une telle contestation en déposant une DACJ.

[28] Je conclus donc que la DACJ n’a pas été déposée d’une manière conforme à une loi fédérale et qu’il y a donc lieu de la retirer du dossier de la Cour.

[29] Le retrait de la DACJ du dossier de la Cour ne met pas fin à l’affaire. Le demandeur est autorisé à soumettre de nouveau l’instance en recourant à la procédure appropriée.

[30] Quelle est donc la procédure appropriée – une demande ou une action?

[31] L’article 300 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, dresse une liste exhaustive des genres d’affaire qui peuvent être tranchés par voie de demande. Cet article n’indique pas qu’une demande de jugement déclaratoire d’inconstitutionnalité peut être déposée sous la forme d’une demande indépendante, séparément d’une contestation relative à une décision ou à une mesure administrative précise. La DACJ ne sollicite pas le contrôle judiciaire d’une mesure ou d’une décision administratives antérieure; l’essence de l’instance porte plutôt sur la contestation de mesures prises par le législateur. Le jugement déclaratoire demandé dans la DACJ ne tombe pas sous le coup de l’article 300 des Règles.

[32] Je signale la décision qu’a rendue récemment la juge Blackhawk dans l’affaire Bird c Première Nation des Cris de Canoe Lake, 2024 CF 1205, dans laquelle une demande de contrôle judiciaire soulevant une contestation constitutionnelle de la Loi sur la citoyenneté de la Première Nation des Cris de Canoe Lake a été rejetée parce qu’aucune décision administrative n’était contestée et que, de ce fait, l’affaire n’était pas formulée correctement comme un contrôle judiciaire (para 5‑8).

[33] Comme nous l’avons vu plus tôt, la LIPR n’exige ou ne permet pas que l’on engage une contestation constitutionnelle indépendante en présentant une demande d’autorisation à la Cour. Les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, ne s’appliquent pas. La LIPR n’exige ou ne permet pas que l’on engage de telles contestations par voie de demande en vertu des Règles.

[34] À titre de comparaison, les genres d’instance qui peuvent être engagés au moyen d’un avis de demande devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario sont énumérés à la règle 14.05 des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194 (les Règles de l’Ontario). L’alinéa 14.05 (3) g.1) des Règles de l’Ontario prévoit qu’une demande peut être déposée pour « une mesure de redressement fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés ». La liste des genres d’instance qu’il est possible d’engager au moyen d’une demande en Ontario n’est pas exhaustive. L’alinéa 14.05 (3) h) des Règles de l’Ontario autorise à recourir à la procédure de demande pour toute « mesure relative à une question qui n’est pas susceptible de donner lieu à une contestation des faits pertinents nécessitant la tenue d’une instruction ». Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[35] Les Règles des Cours fédérales font état de la procédure à suivre pour les actions (partie 4), les demandes (partie 5) et les appels (partie 6). Étant donné que le caractère essentiel de la demande du demandeur ne peut pas être poursuivi par voie de demande, et qu’il ne s’agit pas d’un appel, la contestation constitutionnelle du demandeur doit se faire par voie d’action.

[36] Je reconnais que l’obtention, par voie d’action, d’un jugement déclaratoire portant que l’alinéa 34(1)f) est inconstitutionnel sera une mesure plus longue et plus coûteuse que le fait de tenter d’obtenir la même réparation par voie de demande. Mais le fait de conclure que l’affaire devrait rester dans le dossier de la Cour et suivre la voie procédurale choisie par le demandeur équivaudrait à prendre la plume du législateur et à réécrire la section 8 de la LIPR. La loi a un sens clair, que seul le législateur peut modifier (voir Felipa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 272 au para 109). Je ne puis me fonder sur le principe général qui est énoncé à l’article 3 des Règles (à savoir que celles-ci sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible) pour supplanter les exigences précises de l’article 72.



ORDONNANCE dans le dossier IMM‑11201‑24

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sera retirée du dossier de la Cour.

  2. La présente ordonnance est rendue sous réserve du droit du demandeur de tenter d’obtenir la même réparation par voie d’action.

« Trent Horne »

Juge adjoint


ANNEXE A

Directive de la Cour du 10 juin 2024

Alaa Alhilal et le Conseil canadien pour les réfugiés ont présenté un avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (la DACJ) pour dépôt. Le greffe m’a renvoyé le document pour savoir si la demande peut être reçue pour dépôt ou non.

La DACJ indique expressément que les demandeurs ne contestent pas une décision. Ils sollicitent plutôt un jugement déclaratoire portant que l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, tel qu’il s’applique conjointement avec les autres dispositions relatives au régime d’interdiction de territoire pour raison de sécurité que prévoit la LIPR, dont l’art. 42.1, les para 6(3) et 21(2), les art. 24, 25, 25.1, 25.2 et 44, les para 56(3) et 58(5), les al. 101(1)f) et 112(3)a) ainsi que les art. 113 et 114, de même que toute disposition réglementaire connexe, dont les art. 24.1‑24.5, le para 65b), l’art. 230 et l’art. 250.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, est inopérant aux termes de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 parce qu’il viole l’article 7 ou les articles 12 ou 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et ne se justifie pas au regard de l’article premier.

La DACJ ne peut pas être reçue pour dépôt. La réparation demandée doit être poursuivie par la voie d’une action.

L’article 300 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, dresse une liste exhaustive des genres d’affaire qui peuvent être tranchés par la voie d’une demande. Cet article n’indique pas qu’une demande de jugement déclaratoire d’inconstitutionnalité peut être déposée sous la forme d’une demande indépendante, séparément d’une contestation relative à une décision ou à une mesure administrative précise. La DACJ ne vise pas à soumettre à un contrôle judiciaire une mesure administrative ou une décision antérieure, mais plutôt à obtenir un jugement déclaratoire indépendant qui se rapporte à des mesures prises par le législateur. Le jugement déclaratoire sollicité dans la DACJ ne tombe pas sous le coup de l’article 300 des Règles. De plus, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés n’exige ou ne permet pas qu’une contestation constitutionnelle autonome soit engagée par la voie d’une demande. L’article 72 de cette Loi envisage la tenue d’un contrôle judiciaire pour « toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi ». Le jugement déclaratoire demandé dans la DACJ n'est pas une mesure « prise dans le cadre de » la Loi; il se rapporte plutôt au contenu de la Loi elle‑même.

Je signale que les genres d’instance qui peuvent être engagés par la voie d’une demande devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario sont énumérés à la Règle 14.05 des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194 (les Règles de l’Ontario). L’alinéa 14.05 (3) g.1) des Règles de l’Ontario prévoit qu’une demande peut être présenté pour « une mesure de redressement fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés ». La liste des genres d’instance qui peuvent être engagés par la voie d’une demande en Ontario n’est pas exhaustive. L’alinéa 14.05 (3) h) des Règles de l’Ontario permet de recourir à la procédure de demande pour toute « mesure relative à une question qui n’est pas susceptible de donner lieu à une contestation des faits pertinents nécessitant la tenue d’une instruction ». Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, ne sont d’aucune utilité pour les demandeurs. Ces règles (à l’article 3) indiquent qu’elles s’appliquent aux demandes déposées et aux appels interjetés en vertu de la Loi sur la citoyenneté et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Dans le cas présent, la DACJ ne découle pas d’une décision rendue sous le régime de l’une ou l’autre de ces deux lois; elle conteste plutôt la constitutionnalité de certaines dispositions.

L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, n’est d’aucune utilité pour les demandeurs. La DACJ ne conteste pas une décision d’un office fédéral ni aucune forme de décision administrative. Elle propose de contester une mesure législative. Même si la Cour était habilitée à accorder la réparation demandée dans la DACJ, la procédure à suivre pour obtenir cette réparation figure à la partie 4 des Règles des Cours fédérales.

Les demandeurs ont également demandé par écrit que la Cour fasse part d’une directive quant à la question de savoir si le Conseil canadien pour les réfugiés peut se fonder sur une certaine jurisprudence en matière de qualité pour agir, ou si la Cour s’attend depuis peu à ce que les parties agissant dans l’intérêt public ne puissent prendre part à un litige qu’après avoir demandé ou obtenu l’autorisation de le faire par la voie d’une requête préliminaire. Étant donné que la DACJ ne sera pas reçue pour dépôt, il n’existe aucun dossier de la Cour ni aucun contexte contradictoire dans le cadre duquel rendre une directive quelconque à cet égard. En tout état de cause, une partie devrait présenter en dernier recours une requête en vue d’obtenir des directives (article 54 des Règles). La Cour n’offre pas de conseils juridiques aux parties et se doit de rester tout à fait neutre et impartiale. Les parties sont tenues de vérifier leurs propres positions en droit et de déposer une requête en cas de litige (Olumide c Canada, 2016 CAF 287 aux para 14‑17). Tout litige concernant la qualité pour agir du Conseil canadien pour les réfugiés dans le cadre de toute action relative à la réparation énoncée dans la DACJ peut être précisément tranché dans le contexte de cette action.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑11201‑24

 

INTITULÉ :

ALAA ALHILAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

AFFAIRE EXAMINÉE PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION PERSONNELLE DES PARTIES

ordonnance et motifs :

LE JUGE ADJOINT HORNE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 SEPTEMBRE 2024

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Jared Will

 

POUR LE DEMANDEUR

 

James Todd

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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