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Date : 20241025


Dossiers : T-1790-17
T-416-19

Référence : 2024 CF 1657

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2024

En présence de madame la juge St‑Louis

Dossier : T-1790-17

ENTRE :

VALLEY BLADES LTD.

demanderesse/défenderesse reconventionnelle

et

USINAGE PRO‑24 INC. S/N LES LAMES NORDIK

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

Dossier : T-416-19

ET ENTRE :

USINAGE PRO‑24 INC. S/N LES LAMES NORDIK

demanderesse/défenderesse reconventionnelle

et

VALLEY BLADES LTD.

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES PUBLICS

(Jugement et motifs supplémentaires confidentiels émis le 22 octobre 2024)

I. Introduction

[1] Les présents jugement et motifs supplémentaires portent sur les dépens et les débours payables à la suite du jugement et des motifs rendus le 22 décembre 2023 (Valley Blades Ltd c Usinage Pro‑24 Inc (Lames Nordik), 2023 CF 1749 [la décision de première instance]). Dans les motifs de cette décision, j’ai adjugé les dépens à Valley Blades Ltd. [Valley Blades]. J’ai cependant décidé de traiter plus tard la question du montant des dépens, afin de permettre aux parties de déposer des observations écrites, ce qu’elles ont toutes deux fait.

[2] Je dois donc déterminer le montant des dépens qui seront adjugés à Valley Blades.

[3] En résumé et pour les motifs qui suivent, je tire les conclusions suivantes : 1) les dépens majorés, c.‑à‑d. supérieurs aux sommes prévues au tarif, sont justifiés; 2) une somme globale correspondant à 25 % du montant rajusté des honoraires d’avocat engagés par Valley Blades est appropriée; 3) l’article 420 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], ne s’applique pas; et 4) Usinage Pro-24 Inc., exerçant ses activités sous le nom de Les lames Nordik [Lames Nordik], ne fait aucun commentaire sur les débours de 32 438,91 $, comprenant les taxes applicables, et je suis convaincue que ces débours ont effectivement été engagés et qu’ils étaient raisonnablement requis.

II. Les positions des parties

[4] Valley Blades demande l’adjudication de dépens sous la forme d’une somme globale de 1) 630 750,54 $, ce qui correspond à 37,5 % de ses honoraires d’avocat et une partie de ses débours, les honoraires engagés après le 30 septembre 2022 étant doublés; ou, à titre subsidiaire, 2) 334 362,09 $, ce qui correspond à l’échelon supérieur de la colonne V du tarif et à une partie des débours de Valley Blades, les sommes prévues au tarif étant doublées pour les services après le 30 septembre 2022.

[5] Au soutien de sa demande, Valley Blades se fonde sur l’affidavit de Mme Christine Ingham, parajuriste chez Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l., qui n’a pas été contre-interrogée, affidavit présentant quelque 71 pièces et des centaines de pages comprenant, entre autres :

  • 1)la copie de deux offres de règlement signifiées par Valley Blades à Lames Nordik le 28 novembre 2017 et le 30 septembre 2022, respectivement;

  • 2)trois versions du mémoire de frais, la première préparée selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, la deuxième, selon l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B, et la troisième, selon les dépens avocat‑client correspondant à 37,5 % des honoraires d’avocat effectivement payés (dans les trois versions du mémoire de frais, les honoraires ont été répartis en fonction des plages de dates et en tenant compte des offres de règlement);

  • 3)les documents relatifs aux débours de 32 428,91 $ engagés par Valley Blades;

  • 4)les factures de Norton Rose Fulbright payées par Valley Blades, caviardées pour des raisons de confidentialité et pour cacher les honoraires et les débours qui ne sont pas réclamés dans le mémoire de frais.

[6] Selon l’affidavit de Mme Ingham, les honoraires d’avocat payés par Valley Blades à Norton Rose Fulbright s’élevaient à environ 1,1 M$.

[7] Quant aux débours, Mme Ingham affirme au paragraphe 16 de son affidavit que les débours réclamés s’élèvent à 32 428,91 $ (y compris les taxes applicables) et présente la pièce F‑01 qui contient un sommaire des débours facturés à Valley Blades pour la période du 10 octobre 2017 au 24 janvier 2024.

[8] En ce qui concerne la partie de sa demande relative aux honoraires d’avocat, Valley Blades fait valoir que l’adjudication de dépens majorés, sous la forme d’une somme globale correspondant à 37,5 % des honoraires effectivement payés, est appropriée et qu’elle a droit aux dépens suivant le double du taux applicable après le 30 septembre 2022, puisqu’elle avait signifié une offre de règlement valide, aux termes de l’article 420 des Règles, à Lames Nordik le 30 septembre 2022 et que Lames Nordik n’avait pas obtenu de jugement.

[9] Valley Blades soutient qu’elle ne serait pas indemnisée adéquatement aux termes du tarif et que le paragraphe 400(3) des Règles justifie une somme globale majorée, pour les raisons suivantes : 1) l’instance en matière de brevet était complexe et avait nécessité beaucoup de travail; 2) l’importance des questions en litige et l’expérience de Lames Nordik en matière de litige; 3) la conduite de Lames Nordik; et 4) Valley Blades a eu gain de cause lors du procès. Dans ses observations en réplique, Valley Blades souligne que l’adjudication d’une somme globale est appropriée, même dans les affaires simples, qu’il n’existe aucune preuve que les honoraires d’avocat de Valley Blades sont déraisonnables et que les offres qu’elle a présentées lui donnent droit à une majoration des dépens.

[10] Lames Nordik répond qu’il faut utiliser l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif pour la taxation des dépens, qui s’élèveraient à 114 580,00 $, ou, à titre subsidiaire, la colonne V du tarif, les dépens se chiffrant alors à 145 095,00 $. Lames Nordik affirme que 1) le tarif devrait s’appliquer et que la colonne IV du tarif B est appropriée; 2) l’affaire n’était pas complexe, et Lames Nordik n’est pas une plaideuse avertie; 3) les honoraires de base calculés par Valley Blades pour la somme globale sont disproportionnés; 4) Valley Blades a inclus tous les honoraires sans discernement; 5) la conduite de Lames Nordik dans le cadre du litige était ordinaire et raisonnable; et 6) les offres de règlement faites aux termes de l’article 420 des Règles étaient irrégulières, car, essentiellement, l’offre signifiée le 30 septembre 2022 n’était pas admissible, puisqu’elle ne portait que sur une seule des deux affaires, soit celle du dossier T‑416‑19, et sur seulement deux des trois brevets en cause.

[11] Lames Nordik se fonde sur l’affidavit de M. Hugo Michel, président de Lames Nordik, qui n’a pas été contre-interrogé. M. Michel y présente quatre pièces et affirme entre autres 1) qu’il n’est pas un plaideur averti, contrairement à ce que Valley Blades allègue; 2) que sa conduite était raisonnable dans les circonstances; et 3) que les deux parties ont tenté de régler les dossiers T‑1790‑17 et T‑416‑19 activement et de bonne foi.

III. Les principes généraux de la taxation des dépens

[12] Comme la Cour l’a indiqué dans des décisions antérieures, le droit relatif aux dépens n’est pas une science exacte. Pour adjuger les dépens, les tribunaux tentent d’établir un juste équilibre entre trois objectifs principaux : l’indemnisation, l’offre de mesures incitatives en vue d’un règlement et la dissuasion quant à une conduite abusive dans une instance. À cet égard, le paragraphe 400(1) des Règles dispose que la Cour « a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ».

[13] Le paragraphe 400(3) des Règles prévoit une liste non exhaustive de facteurs dont un tribunal peut tenir compte lors de la taxation des dépens. En ce qui concerne le montant des dépens, l’article 407 des Règles exige que, dans le cadre de cette règle générale, les dépens soient adjugés conformément à la colonne III du tableau du tarif B (Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc, 2002 CAF 417 [Consorzio del Prosciutto] au para 9). Toutefois, le vaste pouvoir discrétionnaire de la Cour comprend le pouvoir d’ordonner une taxation des dépens au titre d’une autre colonne du tarif B ou de déroger au tarif (Philip Morris Products SA c Marlboro Canada limitée, 2015 CAF 9 au para 4).

[14] Le paragraphe 400(4) des Règles autorise la Cour à fixer les dépens et à adjuger une somme globale au lieu de taxer les dépens conformément au tarif B.

[15] En ce qui concerne la somme globale, son adjudication est de plus en plus privilégiée par les tribunaux, parce que cette formule fait épargner aux parties temps et argent en plus de contribuer à la réalisation de l’objectif des Règles des Cours fédérales d’apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (article 3 des Règles) (Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 [Nova] au para 11). Lorsqu’il peut adjuger les dépens sous forme de somme globale, le tribunal n’a pas à faire une analyse détaillée, et les audiences portant sur l’adjudication des dépens ne se transforment pas en exercice de comptabilité (Nova, au para 11). Dans l’arrêt Nova, la Cour d’appel fédérale a ajouté ce qui suit :

[12] Il peut convenir d’adjuger une somme globale dans des affaires relativement simples ou encore dans des affaires particulièrement complexes où un calcul précis des dépens serait inutilement laborieux et onéreux : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 157, au para. 11.

[16] Par conséquent, une somme globale peut être adjugée selon un montant qui s’apparente aux valeurs du tarif ou elle peut correspondre à des « dépens majorés », c.‑à‑d. à l’adjudication de dépens qui sont supérieurs aux valeurs du tarif, souvent calculés selon le pourcentage des honoraires d’avocat effectivement engagés.

[17] Il arrive souvent que la Cour déroge au tarif 1) pour la sanction d’une conduite répréhensible; et 2) lorsque le barème par défaut accorderait une indemnisation inadéquate dans le cadre d’un litige particulièrement coûteux ou complexe (Nova, au para 13). Dans le cas d’un litige coûteux et complexe, le tribunal doit déterminer si le barème par défaut du tarif serait injuste, parce qu’il ferait en sorte que la partie ayant obtenu gain de cause ne serait pas suffisamment indemnisée (Crocs Canada Inc c Holey Soles Holdings Ltd, 2008 CF 384 au para 2). L’adjudication des dépens vise habituellement à assurer une « contribution raisonnable » aux honoraires d’avocat engagés par la partie qui a obtenu gain de cause (Nova, au para 13; Consorzio del Prosciutto, aux para 8‑9). La pratique consistant à adjuger une somme globale correspondant au pourcentage des frais réels raisonnablement engagés est de plus en plus courante dans les « litiges complexes opposant des parties averties » (Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada SRI, 2020 CF 505 au para 4, conf par 2021 CAF 154).

[18] Le juge en chef Crampton a exposé, dans la décision Allergan Inc c Sandoz Canada Inc, 2021 CF 186 [Allergan], les principes généraux qui doivent orienter la Cour en ce qui concerne l’adjudication de dépens. Je souscris à ces principes et souligne particulièrement la déclaration suivante, figurant au paragraphe 27 :

[27] Pour essentiellement les mêmes raisons que celles que nous venons d’évoquer, il est également de plus en plus courant dans les affaires de propriété intellectuelle d’adjuger une somme globale importante « dépassant largement le Tarif » : Venngo, précité, au para 85; Bauer Hockey Ltd c Sport Maska Inc (CCM Hockey), 2020 CF 862 au para 12 [Bauer]. À cet égard, une somme globale qui se situe entre 25 et 50 p. 100 des frais réels, plus les débours raisonnables, est souvent accordée : Nova c Dow, précité, au para 17, 21; Seedlings, précitée, au para 6; Bauer, précitée, au para 13. Voir également Loblaws Inc c Columbia Insurance Company, 2019 CF 1434 au para 15. Pour en venir à la taxation en l’espèce, il faut garder à l’esprit que la détermination de l’ordre de grandeur de la somme globale « n’est pas une science exacte » : Nova c Dow, précité, au para 21.

[Caractères gras dans l’original.]

[19] En ce qui concerne les considérations en matière de preuve relatives aux honoraires d’avocat, dans l’arrêt Nova, la Cour d’appel fédérale a examiné l’exigence et a mentionné que « [l]’adjudication d’une somme globale au titre des dépens doit être justifiée au regard des circonstances de l’affaire et des objectifs qui sous‑tendent l’adjudication des dépens. Il ne s’agit pas d’en fixer le montant ou le pourcentage de façon arbitraire » (Nova, au para 15). Les parties devraient produire un mémoire de frais et des éléments de preuve étayant les frais effectivement engagés (Nova, au para 18). Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nova :

[18] […] Ainsi, la preuve de la nature et de l’étendue des services fournis doit être suffisante pour permettre à la partie de prendre une décision éclairée quant au règlement des frais ou à leur contestation et à la Cour de conclure au caractère raisonnable des frais effectivement engagés et du pourcentage adjugé dans le cadre d’un litige.

[20] Quant aux débours, « [l]orsque l’avocat ne connaît pas le montant des débours, il convient généralement de fournir par affidavit à la Cour la preuve qu’ils ont effectivement été engagés et qu’ils étaient raisonnablement requis » (Nova, au para 20). Conformément à ce qui est indiqué au paragraphe 1(4) du tarif B, aucun débours n’est taxé ou accepté aux termes du tarif B à moins qu’il ne soit raisonnable et que la preuve qu’il a été engagé par la partie ou est payable par elle n’est fournie par affidavit ou par l’avocat qui comparaît lors de la taxation. La Cour d’appel fédérale a réitéré ce principe, déclarant qu’une partie est autorisée à recouvrer les débours lorsque ceux-ci sont raisonnables et nécessaires au déroulement de l’instruction (Exeter c Canada (Procureur général), 2012 CAF 153 au para 13, citant Merck & Co c Apotex Inc, 2006 CF 631).

IV. Application aux faits de l’espèce

A. La somme globale

[21] Après avoir examiné les circonstances de la présente affaire, je suis convaincue que l’adjudication de dépens sous forme de somme globale est justifiée. Comme l’a énoncé la Cour d’appel fédérale au paragraphe 11 de l’arrêt Nova, l’adjudication d’une somme globale permet d’apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et la plus économique possible » (article 3 des Règles) et permet d’éviter les analyses détaillées et les exercices de comptabilité.

B. Le barème des dépens

[22] Je suis convaincue qu’il est raisonnable et approprié en l’espèce d’adjuger des dépens majorés, c.‑à‑d. supérieurs aux sommes prévues au tarif, sous forme d’une somme globale calculée selon un pourcentage des honoraires d’avocat effectivement engagés par Valley Blades.

[23] L’objet de l’action présentait une certaine complexité technique, les parties sont averties et représentées par des cabinets d’avocats expérimentés en matière de propriété intellectuelle, les honoraires d’avocat engagés par Valley Blades dépassaient largement les sommes prévues à la colonne V du tarif B, et les parties « peuvent répondre aux mesures incitatives qu’offrent les dépens » (Allergan, au para 38, citant Bauer Hockey Ltd c Sport Maska Inc (CCM Hockey), 2020 CF 862 [Bauer] au para 22).

[24] Comme la Cour l’a fait remarquer dans le passé, les questions de brevets ont une complexité inhérente (Pollard Banknote Limited c Babn Technologies Corp, 2016 CF 1193 au para 13; Teva Canada Limited c Janssen Inc, 2018 CF 1175 au para 14). En l’espèce, en particulier, en ce qui concerne l’analyse de l’évidence, il fallait tenir compte d’un certain nombre de sous-questions, notamment celles concernant la personne versée dans l’art, l’antériorité, les connaissances générales courantes et l’interprétation des revendications.

[25] Les deux parties ont défendu vigoureusement les intérêts de leur cliente respective et, comme le juge Sébastien Grammond l’a récemment souligné, je suis consciente du fait que « mon rôle, au moment d’adjuger les dépens, n’est pas d’effectuer une autopsie détaillée du procès et de critiquer en rétrospective les décisions stratégiques prises par les parties » (Bauer, au para 32). Cela dit, comme je l’ai indiqué au paragraphe 41 de la décision de première instance, je relève qu’il est surprenant que l’expert de Lames Nordik n’ait pas fait ressortir plus tôt que l’une des revendications était évidente. Cet élément joue en défaveur de Lames Nordik.

[26] Je souligne en outre que les deux parties ont déployé des efforts pour discuter et parvenir à un règlement. Il s’agit donc d’un facteur neutre.

[27] En ce qui concerne le caractère raisonnable des honoraires d’avocat engagés par Valley Blades, je conclus, encore une fois, que certains des points soulevés par Lames Nordik dans ses observations écrites sont convaincants, et démontrent que quelques honoraires ne sont pas indemnisables et sont excessifs dans les circonstances de l’espèce. Je suis persuadée qu’il faut réduire d’environ 60 000,00 $ les honoraires d’avocat de Valley Blades et qu’il serait donc plus raisonnable de les considérer comme s’élevant à 1 040 000,00 $.

[28] Enfin, à mon avis, dans les circonstances particulières de l’espèce, des dépens correspondant à 25 % des honoraires d’avocat raisonnables seraient appropriés et adéquats.

C. L’article 420 des Règles

[29] Aux termes de l’alinéa 420(2)b) des Règles, lorsque le défendeur fait une offre écrite de règlement, si le demandeur n’a pas gain de cause lors du jugement, le défendeur a droit aux dépens partie‑partie jusqu’à la date de la signification de l’offre et au double de ces dépens par la suite et jusqu’à la date du jugement.

[30] Pour que la règle du doublement des dépens s’applique, l’offre de règlement faite aux termes de l’article 420 des Règles doit répondre aux conditions suivantes :

  • a)elle respecte les exigences relatives au calendrier énoncées au paragraphe 420(3) des Règles, c.‑à‑d. qu’elle est faite au moins 14 jours avant le début de l’instruction et qu’elle n’est pas révoquée avant le début de l’instruction;

  • b)elle est claire et non équivoque;

  • c)elle comporte un « élément de compromis »;

  • d)elle met fin au litige entre les parties (Venngo Inc c Concierge Connection Inc, 2017 CAF 96 au para 87).

[31] Lorsque la Cour adjuge des dépens correspondant à un pourcentage des honoraires d’avocat effectivement engagés, elle peut doubler le pourcentage de recouvrement pour la période suivant le refus d’une offre (Bauer, au para 38). Par exemple, dans la décision Bauer, la Cour a accordé une somme globale correspondant à 25 % des honoraires effectivement payés et une somme correspondant à 50 % des honoraires effectivement payés après la date du refus de l’offre (Bauer, au para 43).

[32] Dans le dossier T‑416‑19, Valley Blades était défenderesse et demanderesse reconventionnelle. Le 30 septembre 2022, Valley Blades a envoyé à Lames Nordik une offre spécifiquement pour ce dossier, dans laquelle elle proposait ce qui suit :

[TRADUCTION]

  1. La demanderesse [Lames Nordik] se désistera entièrement de l’action portant le numéro de dossier T‑416‑19, sans dépens.

  2. La défenderesse [Valley Blades] se désistera entièrement de sa demande reconventionnelle dans le dossier T‑416‑19, sans dépens.

  3. Cette offre demeure valide pour acceptation sans dépens jusqu’à une minute après le début de l’instruction.

[33] Valley Blades soutient que l’offre qu’elle avait faite en septembre 2022 répond à toutes les exigences de l’alinéa 420(2)b) des Règles :

  • a)Conditions relatives au moment de l’offre. — L’offre a été faite plus de 14 jours avant le début de l’instruction, qui a eu lieu le 17 octobre 2022, et elle était valide jusqu’à une minute après le début de l’instruction.

  • b)Offre claire et non équivoque. — Les modalités de l’offre étaient claires. Lames Nordik devait simplement décider si elle acceptait ou refusait l’offre (H-D USA, LLC c Berrada, 2015 CF 189 au para 32).

  • c)Élément de compromis. — L’acceptation de l’offre de Valley Blades aurait entraîné le désistement de la demande reconventionnelle et la renonciation aux dépens. Notre Cour a reconnu que ces deux éléments sont des compromis. Par exemple, dans la décision Camso Inc c Soucy International Inc, 2019 CF 816 [Camso], le juge Locke était d’avis que, lorsqu’une offre faite aux termes de l’article 420 des Règles mentionne le désistement de la demande reconventionnelle et la renonciation aux dépens, elle entraîne le doublement des dépens (Camso, au para 38). De même, dans la décision Bodum USA, Inc v Trudeau Corporation (1889) Inc, 2012 FC 240 [Bodum], la défenderesse avait proposé ce qui suit : i) la demanderesse se désisterait de sa demande; ii) la défenderesse se désisterait de sa demande reconventionnelle; et iii) chacune des parties assumerait ses propres frais (Bodum, au para 7). L’offre faite par Valley Blades en l’espèce est identique à celle faite dans l’affaire Bodum. Comme l’a reconnu le juge Montigny dans cette affaire, [traduction] « on ne saurait contester sérieusement que l’offre écrite de règlement présentée par la défenderesse remplit toutes les conditions de l’article 420 des Règles (Bodum, au para 22). »

  • d)Offre qui met fin au litige. — Si Lames Nordik avait accepté l’offre, l’ensemble du litige dans le dossier T‑416‑19 aurait pris fin. Il n’aurait pas été nécessaire d’instruire la validité de 2 des 3 brevets de Lames Nordik ni de 63 des 75 revendications en litige. Valley Blades ajoute que, bien que l’offre faite en septembre 2022 ne s’appliquait pas directement au dossier T‑1790‑17, les dépens relatifs à l’invalidation des 3 brevets de Lames Nordik devraient être doublés. En effet, les travaux sur les trois brevets étaient intimement liés, étant donné que ces 3 brevets « se rapport[aient] tous les uns aux autres et port[aient] sur le même sujet » (la décision de première instance, au para 8).

[34] Enfin, Valley Blades fait valoir qu’à tout le moins, les offres faites en novembre 2017 et en septembre 2022 devraient toutes deux jouer en faveur de l’adjudication de dépens majorés, étant donné que « [l]es propositions ou les offres de règlement qui ne répondent pas aux conditions énoncées à la Règle 420 peuvent être prises en compte en vertu de la Règle 400 lors de l’adjudication des dépens » (Pharmascience Inc c Teva Canada Innovation, 2022 CAF 207 [Pharmascience] au para 18).

[35] Lames Nordik répond que l’offre faite le 30 septembre 2022 ne répond pas aux conditions de l’article 420 des Règles, car elle ne porte que sur un seul des deux dossiers, soit T‑416‑19, et seulement sur deux des trois brevets. Selon Lames Nordik, il en résulte également une licence libre de redevances et une invalidation inter partes. En outre, l’offre n’a pas été faite sans réserve. En réponse à l’observation de Valley Blades selon laquelle les travaux sur les trois brevets étaient intimement liés, Lames Nordik affirme qu’il n’y a aucune raison de régler le litige concernant deux brevets intimement liés à un brevet qui n’a pas fait l’objet d’un règlement, ou de régler le litige concernant un brevet et pas les deux autres. Pour conclure, elle fait essentiellement valoir que les conséquences énoncées à l’article 420 peuvent être très graves et lourdes, et que tout doute doit être tranché au détriment de la partie qui n’a pas formulé son offre aux termes de l’article 420 de manière à englober et régler l’ensemble du litige.

[36] Je suis convaincue que l’offre faite en septembre 2022 ne satisfait pas à deux des conditions mentionnées pour déclencher l’application de l’article 420, car l’offre n’était pas claire et non équivoque, et elle n’aurait donc pas mis fin au litige. Les deux facteurs concernent le même enjeu, à savoir que cette offre n’indique pas clairement ce qu’il adviendrait du dossier T‑1790‑17.

[37] En outre, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’une offre de règlement valide au sens de l’article 420 des Règles doit être présentée par écrit et « être claire et sans équivoque, c’est‑à‑dire qu’elle ne doit laisser à la partie adverse que l’alternative de l’accepter ou de la refuser » (Syntex Pharmaceuticals International Ltd c Apotex Inc, 2001 CAF 137, aux para 9, 10).

[38] En l’espèce, je ne crois pas qu’une offre de règlement portant sur le dossier relatif à seulement deux des trois brevets (T‑416‑19) concerne clairement et sans équivoque l’autre dossier relatif au troisième brevet (T‑1790‑17), et qu’elle doive par conséquent avoir une incidence sur l’adjudication des dépens dans les deux dossiers.

[39] En outre et surtout, le dossier T‑1790‑17 portait notamment sur la responsabilité alléguée de Lames Nordik aux termes de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13, une question sans lien avec le dossier T‑416‑19 et qui avait été mentionnée dans l’exposé conjoint des questions en litige. Ainsi, si Lames Nordik avait accepté l’offre faite en septembre 2022, cette question, ainsi que la validité du brevet 940 et de chacune de ses revendications n’auraient pas été réglées, et Valley Blades aurait pu poursuivre son action dans le dossier T‑1790‑17.

[40] Enfin, en réponse à l’argument de Valley Blades selon lequel les offres faites en novembre 2017 et en septembre 2022 devraient, à tout le moins, toutes deux jouer en faveur de l’adjudication de dépens majorés, je relève que la Cour d’appel fédérale a déclaré que ce ne sont pas toutes les offres ou propositions de règlement qui constitueront un facteur à prendre en considération dans l’adjudication des dépens (Pharmascience, au para 20). Comme je l’ai déjà souligné, d’après la preuve dont je dispose, les deux parties ont déployé des efforts pour parvenir à un règlement, ce qui en fait un facteur neutre.

D. Les débours

[41] Valley Blades sollicite des débours de 32 438,91 $, taxes comprises. Les débours réclamés semblent raisonnables. Dans son affidavit, Mme Ingham, qui n’a pas été contre-interrogée, déclare que les sommes réclamées ont été engagées, et Lames Nordik a confirmé qu’elle ne formulait aucun commentaire à cet égard. Compte tenu de ce qui précède, je conclus que Valley Blades a établi le caractère raisonnable et la nécessité des débours réclamés et, par conséquent, je lui adjugerai ses débours.

V. Conclusion

[42] Je suis consciente que [traduction] « [l’]équité et le caractère raisonnable sont des facteurs incontournables lors de l’adjudication de dépens; il s’agit de trouver un équilibre entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non-imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe » (Energizer Brands, LLC v Gillette Company, 2024 FC 717 au para 9, citant Janssen Inc c Teva Canada Ltd, 2022 CF 269 au para 8).

[43] Pour les motifs exposés ci-dessus, je crois que la présente adjudication est conforme à ces principes.

[44] Par conséquent, j’adjugerai à Valley Blades la somme arrondie de 293 000 $, qui comprend les honoraires, les débours et les taxes.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T‑1790‑17 et T‑416‑19

LA COUR STATUE :

  1. Valley Blades a droit à des dépens totalisant 293 000 $, honoraires, débours et taxes compris.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés dans le cadre du présent jugement sur les dépens.

« Martine St-Louis »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑1790‑17

 

 

INTITULÉ :

VALLEY BLADES LTD. c. USINAGE PRO‑24 INC., S/N LES LAMES NORDIK

 

 

ET DOSSIER :

T‑416‑19

 

INTITULÉ :

USINAGE PRO-24 INC. S/N LES LAMES NORDIK c. VALLEY BLADES LTD.

OBSERVATIONS RELATIVES AUX DÉPENS EXAMINÉES À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT AU JUGEMENT DE LA COUR DANS 2023 CF 1749

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES:

LA JUGE ST‑LOUIS

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES CONFIDENTIELS ÉMIS:

LE 22 OCTOBRE 2024

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES PUBLICS ÉMIS:

LE 25 octobRE 2024

COMPARUTIONS :

Daniel Daniele

William Chalmers

Fortunat Nadima Nadima

Pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle

Bob Sotiriadis

Catherine Thall‑Dubé

Samuel Ross

Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada LLP/S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle

Robic, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle

 

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