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     IMM-2257-96

OTTAWA (ONTARIO), le 17 juin 1997.

EN PRÉSENCE DE: Monsieur le juge McKeown

ENTRE:

     DUNG TIEN NGO,

     requérant,

     et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimée.

     ORDONNANCE

         VU LA DEMANDE d"autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en vertu de l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration, portant sur la décision de la ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration que le requérant constitue un danger pour le public au Canada (l"autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ayant été accordée par le juge Wetston le 8 janvier 1997), et vu que le requérant cherche à obtenir le redressement suivant:

         [TRADUCTION] une ordonnance enjoignant à l"intimée de faire ce qu"elle a illégalement omis ou refusé de faire ou a de manière déraisonnable tardé à faire;                 
         une ordonnance déclarant invalide ou illégale, ou infirmant ou annulant la décision suivant laquelle le requérant constitue un danger pour le public au Canada, ou l"annulant et la renvoyant aux fins d"un nouvel examen à effectuer en suivant les directives que la Cour considère appropriées, ou imposant une interdiction ou un sursis à la décision de l"intimée.                 


LA COUR ORDONNE QUE:

         La demande est rejetée.

     William P. McKeown

     _________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme:      _________________________________

     Jacques Deschênes

     IMM-2258-96

OTTAWA (ONTARIO), le 17 juin 1997.

EN PRÉSENCE DE: Monsieur le juge McKeown

ENTRE:

     DUNG TIEN NGO,

     requérant,

     et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimée.

     ORDONNANCE

         VU LA DEMANDE d"autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en vertu de l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration, portant sur la décision de la ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration que le requérant constitue un danger pour le public au Canada (l"autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ayant été accordée par le juge Wetston le 8 janvier 1997), et vu que le requérant cherche à obtenir le redressement suivant:

         [TRADUCTION] une ordonnance enjoignant à l"intimée de faire ce qu"elle a illégalement omis ou refusé de faire ou a de manière déraisonnable tardé à faire;                 
         une ordonnance déclarant invalide ou illégale, ou infirmant ou annulant la décision suivant laquelle le requérant constitue un danger pour le public au Canada, ou l"annulant et la renvoyant aux fins d"un nouvel examen à effectuer en suivant les directives que la Cour considère appropriées, ou imposant une interdiction ou un sursis à la décision de l"intimée.                 


LA COUR ORDONNE QUE:

         La demande est rejetée.

     William P. McKeown

     _________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme:      _________________________________

     Jacques Deschênes

     IMM-2257-96

     IMM-2258-96

ENTRE:

     DUNG TIEN NGO,

     requérant,

     et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimée.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

         Le requérant, un citoyen du Viêt-nam et un réfugié au sens de la Convention, cherche à obtenir le contrôle judiciaire de deux décisions de la ministre. La première porte que le requérant constitue un danger pour le public aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (et mod.) (la Loi), alors que la seconde porte que le requérant constitue un danger pour le public aux termes de l"alinéa 53(1)d ) de la Loi.

         Les questions en litige sont les suivantes: 1. La norme d"équité imposée relativement à l"alinéa 53(1)d ) est-elle plus élevée que pour le paragraphe 70(5)? 2. Les fonctionnaires de la ministre ont-ils commis une erreur en refusant au requérant la prorogation de délai de trois semaines qu"il demandait et en lui accordant une prorogation de seulement une semaine? 3. La décision de la ministre était-elle manifestement déraisonnable? 4. La ministre a-t-elle manqué à son obligation d"équité en qualifiant ou en énonçant erronément la preuve, ou en omettant des éléments de preuve?

         Le requérant est né au Viêt-nam. La Commission d"examen du statut de réfugié de Kowloon lui a accordé le statut de réfugié au sens de la Convention le 12 janvier 1990. Il est marié et a un fils. Il a obtenu le droit d"établissement le 26 août 1992. Depuis son arrivée au Canada, il a été déclaré coupable des infractions criminelles suivantes: vol de moins de 1 000 $ en novembre 1992, possession d"un stupéfiant en mars 1993 et en décembre 1993, et, en décembre 1993, trafic d"un stupéfiant et possession de biens criminellement obtenus. Deux autres accusations ont été portées en décembre 1993; l"une a été abandonnée, l"autre a fait l"objet d"un sursis.

         Le requérant, en mise en liberté sous caution, est déménagé à Vancouver en juin 1994 et y est resté jusqu"en août 1995, lorsqu"il est retourné à Calgary pour recevoir sa sentence. Il a été condamné à 33 mois en août 1995 à la suite des déclarations de culpabilité prononcées contre lui relativement aux accusations portées en décembre 1993. Le 14 mai 1996, alors qu"il était encore en prison, le requérant a reçu un avis de la Commission l"informant qu"elle demanderait à la ministre de déclarer qu"il constitue un danger pour le public au Canada. La lettre énonçait les documents qui pouvaient éventuellement être présentés à la ministre aux fins de l"examen de son dossier et invitait le requérant à répondre à la preuve présentée à la ministre en faisant des observations, en donnant des renseignements et en présentant des éléments de preuve sur la question de savoir s"il constituait un danger pour le public et si des raisons d"ordre humanitaire pouvaient dans son cas l"emporter sur le danger qu"il pouvait représenter.

         Le requérant a reçu la lettre alors qu"il était en prison, hospitalisé en isolement. Il allègue que, en raison de sa connaissance limitée de l"anglais, il n"a pas bien compris la lettre et ne s"est pas rendu compte qu"il avait seulement 15 jours pour présenter des observations. Le requérant affirme que, à son retour de l"hôpital en prison, un autre prisonnier lui a expliqué que la lettre avait trait à son expulsion, et le requérant a alors communiqué avec un ami pour qu"il retienne les services d"un avocat pour lui. Le requérant a retenu les services d"une avocate le 28 mai 1996.

         L"avocate du requérant a alors présenté à l"agente principale plusieurs requêtes visant à obtenir une prorogation de deux ou trois semaines, afin de présenter des observations. L"agente principale a informé l"avocate qu"une prorogation d"une semaine seulement serait accordée parce que le requérant était admissible à une libération conditionnelle à compter du 2 juillet 1996 et qu"elle voulait que la ministre prenne une décision avant cette date. Elle aussi affirmé que les préoccupations de l"avocate au sujet de la prorogation seraient incluses dans la requête adressée à la ministre pour obtenir une décision. Ces préoccupations n"ont pas été incluses dans la requête en question.

         Le 7 juin 1996, l"avocate du requérant a envoyé, pour le compte du requérant, des observations au Centre d"immigration Canada à Edmonton. L"avocate note les circonstances défavorables dans lesquelles elle a formulé les observations, en raison du peu de temps qu"elle a eu pour les préparer. Elle a demandé à la ministre de prendre en considération, dans sa décision, le fait que le requérant était loin d"avoir eu pleinement la chance de se faire entendre et que, si le requérant avait eu une prorogation, elle aurait interrogé le requérant en personne, obtenu des lettres de référence pour le requérant, obtenu une évaluation psychologique du requérant et parlé aux autres personnes qui connaissent le requérant.

         Les documents déposés par le requérant soutiennent qu"il n"a pas d"antécédents de violence et qu"il n"est pas un homme violent. Il a participé à des activités criminelles pour satisfaire ses besoins de toxicomane. Toutefois, il n"a pas fait usage de drogues ni participé à des activités criminelles depuis son déménagement de Calgary à Vancouver avec sa famille, en juin 1994, plus d"un an avant son incarcération. Le requérant est subvenu aux besoins de sa famille en travaillant dans une usine de traitement du poisson et en livrant des journaux. Il comptait retourner à ses anciens emplois à sa sortie de prison et croyait pouvoir compter sur le soutien de ses camarades de travail et de sa famille. Finalement, le requérant est un réfugié au sens de la Convention qui s"est échappé du Viêt-nam parce qu"il était persécuté en raison de ses opinions politiques. Le requérant allègue qu"il courrait de graves risques d"être emprisonné et tué s"il retournait au Viêt-nam.

         Le 19 juin 1996, la ministre a signifié au requérant la décision qu"elle a prise en vertu du paragraphe 70(5) et de l"alinéa 53(1)d ) de la Loi, selon laquelle le requérant constitue un danger pour le public au Canada.

         Le 2 juillet 1996, le requérant a été placé sous garde. Le 4 juillet 1996, une audience relative à la garde a été tenue et le requérant a été libéré.

         Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes:

         53(1)      Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l"alinéa 46.01(1)a ), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas:                 
             d)      elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d"une loi fédérale d"un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l"alinéa 27(1)d ) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.                 
         70(5)      Ne peuvent faire appel devant la section d"appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a ) ou b), qui, selon la décision d"un arbitre:                 
             c)      relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d"une loi fédérale d"un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l"alinéa 27(1)d ) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.                 

         Dans l"arrêt Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Williams, 11 avril 1997, no du greffe A-855-96, la Cour d"appel a conclu que le paragraphe 70(5) de la Loi n"affecte pas les droits à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l"article 7 de la Charte des droits et libertés (la Charte). Le juge Strayer a examiné les questions 2 et 3 même si, à strictement parler, comme il l"a dit, il n"avait pas à le faire. Cependant, ce qui est important pour les questions en litige en l"espèce, c"est qu"il les a tranchées au cas où il aurait tort quant à sa conclusion suivant laquelle l"application de l"article 7 n"est pas engagée. Il a conclu qu"il n"y avait aucune violation des principes de justice fondamentale. Tant dans le paragraphe 70(5) que dans l"alinéa 53(1)d ), la question est de savoir si, selon le ministre, une personne constitue un danger pour le public. La nature de la décision prise en vertu de ces deux dispositions est la même et il n"y aucune violation de la justice fondamentale. La décision prise par le ministre en vertu du paragraphe 70(5) a pour effet de retirer le droit d"interjeter appel devant la Section d"appel, alors que la décision prise en vertu de l"alinéa 53(1)d ) a pour effet de permettre le renvoi d"un réfugié au sens de la Convention.

         Bien que le requérant en l"espèce conteste la décision de la ministre et non une mesure d"expulsion, j"adopte le raisonnement qu"a tenu la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Hoang c. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35, où le juge MacGuigan a affirmé, à la page 41:

         Selon l"appelant, il y a lieu de faire une distinction, quant au résultat, dans les cas où la personne expulsée est un réfugié au sens de la Convention, auquel cas il faut présumer qu"elle sera persécutée à son retour. Sans doute, la personne expulsée se trouve dans une situation différente, quoique pas nécessairement plus catastrophique, que celle d"une personne livrée par l"extradition, comme l"a autorisé la Cour suprême dans les affaires R. c. Schmidt , [1987] 1 R.C.S. 500, 61 O.R. (2d) 530 (note), 53 C.R. (3d) 1, 33 C.C.C. (3d) 193, 28 C.R.R. 280, 39 D.L.R. (4th) 18, 76 N.R. 12, 20 O.A.C. 161, et États-Unis d"Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469, 48 C.C.C. (3d) 193, 42 C.R.R. 101, 96 N.R. 321, 23 Q.A.C. 182. Toutefois, nous concluons que la distinction proposée par l"appelant est intenable dans la mesure où, suivant l"autorité des arrêts Hurd et Chiarelli, l"expulsion pour avoir commis des infractions graves n"enfreint pas les droits garantis par l"article 7 ou par l"article 12, puisqu"elle ne doit pas être assimilée à une atteinte au droit à la liberté ni à une peine.                 

         La Cour a conclu que l"on ne contrevenait pas à la Charte en expulsant une personne qui était allée à l"encontre du droit criminel canadien. La Cour suprême a aussi confirmé dans son arrêt Chiarelli c. M.E.I. (1992), 135 N.R. 161, que le Canada peut expulser les personnes qui ne respectent pas la loi. Cela ne viole pas les principes de justice fondamentale ni la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.

         De plus, selon moi, par analogie, l"arrêt Nguyen v. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1993), 18 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.F.), appuie la position selon laquelle la suppression du droit d"appel auprès de la Commission d"appel de l"immigration ne viole pas les règles de justice fondamentale. Comme le juge Marceau l"a affirmé, à la page 173:

         [...] De la même façon en l'espèce, bien que la décision concluant à l'irrecevabilité en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e)(ii) de la Loi ne soit qu'indirectement liée à la mesure d'expulsion, elle n'en supprime pas moins le seul obstacle possible à la prise d'une mesure d'expulsion pure et simple, et comme telle elle contribue à la perte de la liberté et, il est possible, de la sécurité de la personne résultant de l'expulsion. De façon plus générale, la perte de la liberté en cause dans toute expulsion forcée revêt une nouvelle dimension du fait que la personne qui doit être expulsée revendique le statut de réfugié. Il convient donc, par conséquent, de tenir pour acquis que l'article 7 de la Charte entre en jeu à l'égard du cadre législatif dans son ensemble, c'est-à-dire non seulement en ce qui concerne la prise de la mesure d'expulsion, mais aussi relativement à la conclusion d'irrecevabilité fondée sur l'attestation selon laquelle le requérant constitue un danger pour le public. La question devient donc celle de savoir si la délivrance de cette attestation, qui est la caractéristique principale du régime législatif dans son ensemble, peut être considérée comme une atteinte aux principes de justice fondamentale.                 

Le juge Marceau poursuit alors de la façon suivante:

         [...] aucune [de ces observations] ne m"a convaincu que la Loi ou son application en l"espèce sont invalides sur le plan constitutionnel.                 

         À mon avis, le paragraphe 53(1) a un effet semblable à celui du sous-alinéa 46.01(1)e)(ii).

         Je suis aussi du même avis que le juge McGillis, qui, dans la décision Sinnappu c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, 14 février 1997, no du greffe IMM-3659-95 (C.F. 1re inst.), a affirmé à la page 13:

         Dans l'arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, le juge Sopinka a expliqué à la page 584 le raisonnement à suivre pour évaluer une allégation de manquement à l'article 7 de la Charte, qui concerne les droits de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne:                 
             L'article 7 comporte deux éléments d'analyse. Le premier se rapporte aux valeurs en jeu en ce qui concerne l'individu. Le second se rapporte aux restrictions éventuelles de ces valeurs sous l'angle de leur conformité avec les principes de justice fondamentale.                         
         Au cours de la première partie de l'analyse, il faut examiner les droits accordés aux termes de la Loi et du Règlement aux requérants en qualité de demandeurs dont la revendication du statut de réfugié a été rejetée afin de déterminer la portée de la protection qu'ils peuvent invoquer sous le régime de l'article 7 de la Charte. L'énoncé de ces droits représente la confirmation par le législateur des "... valeurs en jeu en ce qui concerne l'individu".                 
                         [note de bas de page omise]                 

         Je note que le juge McGillis examinait une affaire où la revendication du statut de réfugié avait été rejetée; mais il est clair, au vu de ses motifs, à la page 14, que le même raisonnement s"applique aussi dans le cas où une revendication a été accueillie:

         Dans l'arrêt Ahani c. Sa Majesté La Reine, [1995] C.F. 669 (C.F. 1re inst.); conf. [1996] 201 N.R. 233 (C.A.F.), j'ai souligné, à la page 687, que, reconnaissant les obligations qui lui sont imposées en ce qui a trait aux réfugiés, le législateur fédéral a accordé dans la Loi sur l'immigration certains droits limités aux réfugiés au sens de la Convention, y compris le droit restreint de demeurer au Canada et l'interdiction restreinte de les renvoyer dans un pays où leur vie ou leur liberté serait menacée.                 
                         [note de bas de page omise]                 

         Il faut garder à l"esprit que, au stade actuel, le requérant n"est pas en train d"être renvoyé dans un pays donné et qu"il n"est pas non plus en train de contester une mesure de renvoi.

         Je dois donc maintenant examiner si la ministre a respecté les principes d"équité dans les procédures suivies en l"espèce. Le requérant donne à entendre que la ministre a manqué à son obligation en ne permettant pas une audition orale. Dans l"arrêt Nguyen v. The Minister of Employment and Immigration , précité, il a été expressément affirmé qu"une audition orale n"est pas requise. Les cours ont statué que ce qui est requis dans de telles procédures, c"est que l"intéressé connaisse les éléments de preuve qui lui sont défavorables et qu"il ait pleinement la possibilité de faire des observations. C"est ce qui a été fait en l"espèce et il n"y a eu aucune infraction en n"accordant pas une audition orale. Le requérant a aussi allégué qu"il n"avait pas pleinement eu l"occasion de présenter des observations parce que la déléguée de la ministre avait refusé d"accorder une prorogation de délai. Cependant, pour être exact, il faut dire que la déléguée de la ministre a accordé une prorogation d"une semaine, au lieu des deux ou trois demandées. Je suis convaincu que la déléguée de la ministre a accordé une prorogation de délai raisonnable dans les circonstances. Elle a pris en considération les connaissances limitées du requérant quant à la langue anglaise et a accordé une prorogation, même si cette prorogation n"était pas pour la durée demandée par le requérant. Il est clair que la déléguée de la ministre avait devant elle la demande du requérant lorsqu"elle a pris sa décision.

         Le requérant avait des réserves quant à deux documents remis à la ministre qui ne lui étaient pas disponibles. Le premier était le rapport relatif à l'avis ministériel quant au danger pour le public, préparé par l"agent d"immigration local et, le second, était la formule de demande d"un avis ministériel remplie par l"agent de réexamen et l"agent supérieur de l"analyse à la Direction générale du règlement des cas. Je dois examiner les erreurs censément commises au regard des normes de contrôle judiciaire établies dans l"arrêt Williams , précité. À la page 29, le juge Strayer affirme:

         [...] Le processus décisionnel autorisé par le paragraphe 70(5) n'est pas un processus judiciaire ou quasi-judiciaire qui, par nature, comporte l'application de principes juridiques préexistants à des décisions factuelles précises, mais réside plutôt dans la formulation d'un avis de bonne foi basé sur les probabilités perçues par le ministre au moyen d'un examen des documents pertinents et sur une évaluation de l'acceptabilité du risque probable. Dans de telles circonstances, les exigences en matière d'équité sont minimes et ont sûrement été respectées pour des motifs identiques à ceux que j'ai donnés pour conclure que les exigences de justice fondamentale, le cas échéant, ont été respectées.                 

         Le juge Strayer indique aussi ce que je devrais faire en cas de désaccord avec le ministre quant à savoir si le requérant constitue un danger pour le public. Comme le juge Strayer l"affirme, à la page 28, le critère est le suivant:

         [...] Peut-être qu'un juge des requêtes ayant pris connaissance de ces documents serait personnellement d'avis que la preuve selon laquelle M. Williams ne constitue pas un danger était plus convaincante que la preuve contraire, mais, selon moi, là n'est pas la question. Il s'agit en l'espèce de savoir s'il est possible d'affirmer avec certitude que le délégué du ministre a agi de mauvaise foi, en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier. Il n'y a absolument rien qui permette de conclure que l'un ou l'autre de ces faits s'est produit, et je ne vois pas comment on peut considérer que le résultat est absurde : en d'autres termes, je ne vois pas comment on peut dire qu'il n'était pas loisible au délégué du ministre d'exprimer l'avis, sur le fondement des déclarations de culpabilité prononcées contre M. Williams, de leur nature et de leur nombre, et d'après les observations du juge qui a prononcé la sentence, que M. Williams constituait un danger pour le public au Canada. [...]                 

         Il avait déjà énoncé ce critère lorsqu"il avait affirmé à la page 27:

         [...] J'ai fait état plus haut de la portée limitée du contrôle judiciaire de telles décisions. La Cour n'est pas invitée à siéger en appel et à statuer à nouveau sur des conclusions de fait. Ce n'est pas l'avis du juge qui est requis sur la question de savoir si un non-citoyen constitue un danger pour le public. [...]                 

         La première question que le requérant affirme avoir été qualifiée de façon erronée se trouve dans le rapport relatif à l'avis ministériel quant au danger pour le public, à l"article 11, sous le titre FONDEMENT DU RISQUE, où se trouvent les deux énoncés suivants:

         [TRADUCTION] " Il a assuré sa subsistance au Canada presque exclusivement au moyen d"activités criminelles.                 

         Le requérant soutient que la preuve montre qu"il a travaillé dans deux emplois pendant un an, de juin 1994 à août 1995, dans une usine de traitement du poisson et, à temps partiel, comme livreur de journaux. Selon moi, l"énoncé n"est pas trompeur. La deuxième question est la suivante:

         [TRADUCTION] " Les sentences d"emprisonnement ont tenu le sujet à l"écart des activités criminelles seulement pour le temps qu"il était de fait incarcéré (Voir "Extrait des procédures" " la partie quant à la sentence imposée à l"issue de son dernier procès pénal.).                 

         Il est clair que le juge qui a imposé la sentence n"a pas énoncé la question dans les mêmes termes. Toutefois, il a bel et bien indiqué que la prison n"avait pas empêché le requérant d"exercer d"autres activités criminelles. Il faut se rappeler qu"il s"agit d"un résumé de l"avis préparé par le bureau local et il ne peut pas être qualifié de trompeur.

         Le requérant est aussi préoccupé par l"énoncé contenu dans la demande adressée à la ministre quant à une décision aux termes des paragraphes 70(5) et 53(1), où il est affirmé:

         [TRADUCTION] L"avocate de M. Ngo a présenté des observations indiquant que M. Ngo ne veut pas retourner au Viêt-nam en raison de la situation générale au Viêt-nam et de sa crainte que le gouvernement vietnamien ne respecte pas ses obligations internationales dans la façon de le traiter s"il retournait au pays. Il craint d"être exécuté pour s"être échappé de la zone économique où il avait été envoyé. Il n"y a aucune raison manifeste qui donne à penser que les autorités vietnamiennes auraient des motifs politiques de le mettre en détention ou de le harceler. Bien que le trafic de la drogue soit une infraction punissable de la peine de mort au Viêt-nam et que ses autres déclarations de culpabilité (si elles avaient été prononcées au Viêt-nam) soient susceptibles d"être considérées comme graves, rien n"indique dans les sources mentionnées ci-dessous que les contrevenants d"outre-mer qui ont purgé leur peine subiraient le même sort. Par conséquent, je ne vois aucune raison empêchant le renvoi de M. Ngo au Viêt-nam.                 

         Il est exact que l"avocate de M. Ngo n"a pas affirmé que M. Ngo ne voulait pas retourner au Viêt-nam en raison de la situation générale au Viêt-nam. Il était préoccupé par ses antécédents politiques, mais il craignait aussi d"être exécuté en raison de son évasion de la zone économique où il avait été envoyé. Selon moi, il ne s"agit pas d"une erreur grave. L"avocate a effectivement affirmé à la page 33 du dossier de la ministre:

         [TRADUCTION] Nous affirmons que, si M. Ngo est expulsé vers le Viêt-nam, il courra de graves risques de persécution et sera vraisemblablement tué.                 

         Par conséquent, l"essentiel de ce que l"avocate a dit est inclus dans les observations. Le requérant a effectivement mentionné ses craintes politiques quant aux activités antigouvernementales exercées alors qu"il se trouvait au Viêt-nam, mais il est loisible aux délégués de la ministre de choisir les documents sur lesquels ils désirent s"appuyer dans le résumé. Le requérant avait aussi des réserves quant à certains commentaires faits sous le titre COMMENTAIRES ET RECOMMANDATIONS DE L'AGENT DE RÉVISION, à la page 4 du dossier de la ministre. Le requérant s"oppose au passage suivant:

         [TRADUCTION] [...] Je considère qu"il n"y a pas suffisamment de raisons d"ordre humanitaire en l"espèce pour qu"elles l"emportent sur le danger pour le public. M. Ngo a été déclaré coupable de la grave infraction de trafic de stupéfiant. C"est la troisième fois qu"il est déclaré coupable d"une accusation liée aux stupéfiants. Rien n"indique qu"il ne retournerait pas à ces mêmes activités s"il lui était accordé de rester au Canada. Il y a de plus une déclaration de la police de Calgary suivant laquelle M. Ngo est un "complice" de l"élément asiatique du crime organisé.                 

         Le requérant fait remarquer que ses observations mentionnent bien que, de juin 1994 à août 1995, il a effectivement occupé les deux emplois dont il a été question précédemment et qu"il a soutenu financièrement sa famille. Il n"y a aucune preuve qu"il se serait livré à une activité liée aux drogues au cours de cette période. Il conteste aussi la déclaration de la police de Calgary selon laquelle il est un complice, alors qu"il ne vit plus à Calgary depuis 1994. Sur ce point encore, il est permis aux fonctionnaires de la ministre d"interpréter la preuve, dans la mesure où cette interprétation est sensiblement exacte dans le résumé qu"ils présentent à la ministre en vue d"obtenir une décision. Je ne suis pas d"accord qu"il y ait une obligation de droit à ce que les deux rapports préparés par le bureau local et, par la suite, par le bureau national soient divulgués au requérant avant que la ministre prenne sa décision, dans la mesure où les deux rapports n"introduisent pas de nouveaux éléments de preuve ou ne qualifient pas erronément la preuve sur un élément important. Les résumés ne peuvent pas être contestés. Il n"y a pas de ressemblance avec la décision Kim c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, 5 mars 1997, nos du greffe IMM-154-96, IMM-155-96 (C.F. 1re inst.), où le ministre avait introduit en preuve un appel téléphonique d"un agent de probation qui avait affirmé certaines choses qui contredisaient le rapport écrit. Le requérant n"avait pas eu la chance de répondre à ces nouvelles allégations qui contredisaient la documentation qui lui avait été remise. Il n"y a rien de tel ici. Comme dans la décision Ibraham c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"immigration, 29 novembre 1996, no du greffe IMM-766-96, il y avait eu introduction d"un nouveau document dans le rapport d"examen des cas de criminels accumulés, que le requérant n"avait pas vu. Les fonctionnaires de la ministre peuvent résumer la preuve dont ils disposent et ils ne sont pas obligés de répéter chaque point présenté par le requérant. Il s"agit d"un rapport sommaire et il n"y a aucun document extrinsèque à ces deux rapports. Selon moi, dans le premier rapport, préparé par le bureau local, la documentation au dossier soutenait toutes les observations présentées par l"avocate dans sa lettre. Selon moi, les affirmations du juge Strayer dans l"arrêt Williams , à la page 28, sont pertinentes en l"espèce:

         La Cour a également été saisie de ces documents ainsi que du rapport qui a initialement été fourni au délégué du ministre, mais pas à l'intimé. Il n'est pas donné à entendre qu'un de ces documents est totalement étranger aux considérations pertinentes quant à une conclusion de dangerosité. Ces documents renferment l'ensemble des observations que l'intimé a faites après avoir lu attentivement les documents soumis au délégué du ministre, de sorte que tout ce que l'avocat de M. Williams allait dire en faveur de son client a été soumis au délégué du ministre.                 

         Le résumé, par sa nature, ne peut comprendre chacune des observations présentées par le requérant. Les réserves du requérant portent sur le fait que les fonctionnaires de la ministre ont choisi de souligner des aspects différents de ceux qu"aurait soulignés son avocate; mais c"est de la nature d"un résumé.

         Le requérant a aussi soulevé un autre point, celui de l"utilisation des Country Reports dans la demande de décision adressée à la ministre, comme d"un document extrinsèque. Toutefois, avant qu"il ne présente ses observations, le requérant a été informé que la ministre pourrait examiner les Country Reports. Il n"y a aucun déni de justice à avoir utilisé les Country Reports de la façon qu"ils ont été utilisés en l"espèce. Le requérant a aussi affirmé qu"il n"y avait aucune preuve en l"espèce quant à un danger éventuel pour le public. Je ne suis pas d"accord et, à nouveau, je fais miennes les remarques formulées par le juge Strayer dans l"arrêt Williams , à la page 18:

         [...] Je conviens avec le juge Gibson dans l'affaire Thomson que le "danger" doit être interprété comme un "danger présent ou futur pour le public". J'hésite toutefois à affirmer que le ministre doit avoir en main un type particulier de document pour tirer une conclusion de danger présent ou futur. J'ai du mal à comprendre pourquoi il n'est pas loisible à un ministre de prévoir une inconduite future à partir d'une inconduite passée, particulièrement eu égard aux circonstances des infractions et, comme en l'espèce, aux commentaires faits par l'un des juges qui ont prononcé les peines. Il se peut qu'une cour de contrôle ne soit pas du même avis que le ministre, ou considère qu'on aurait dû donner plus de poids à certains documents, mais cela ne veut pas dire que le critère législatif est d'une imprécision inadmissible simplement parce qu'il permet au ministre de parvenir à une conclusion différente de celle de la Cour.                 
                         [note de bas de page omise]

         Selon moi, la décision de la ministre n"est pas manifestement déraisonnable. Elle disposait de la preuve pertinente et la valeur à accorder à cette preuve est une question qui relève de sa compétence, et non de celle de la Cour. Selon moi, l"analyse et l"avis contenus dans les deux rapport préparés pour la ministre par le bureau local et le bureau national ne sont pas fautifs au point que je doive refuser d"appuyer la décision en question. Il n"y a aucune atteinte à la justice naturelle. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

         Pour les motifs soumis par l"avocate de l"intimée, les quatre questions soumises par le requérant ne sont pas des questions graves de portée générale. Il n"y a aucune violation de la justice fondamentale dans les demandes en cause.

     William P. McKeown

     _________________________________

     Juge

OTTAWA (ONTARIO),

le 17 juin 1997.

Traduction certifiée conforme:      _________________________________

     Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE:                      IMM-2257-96 et IMM-2258-96
INTITULÉ DE LA CAUSE:              DUNG TIEN NGO c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE:                  VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE:                  LE 8 MAI 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR:      LE JUGE MCKEOWN
DATE:                          LE 17 JUIN 1997

ONT COMPARU:

Mme Jennifer Watt                  pour le requérant
Mme Leigh Taylor                  pour l'intimée

PROCUREURS AU DOSSIER:

Simkin & Co.                      pour le requérant

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. George Thomson                  pour l'intimée

Sous-procureur général

du Canada

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