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Date : 20051214

Dossier : T-734-05

Référence : 2005 CF 1688

Montréal (Québec), le 14 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

SERGE EWONDE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                De façon routinière, les agents correctionnels du centre de détention Donnacona procèdent à des fouilles générales de l'établissement, incluant la fouille des cellules des détenus. Le 6 janvier 2005, lors d'une fouille générale, les agents correctionnels ont trouvé dans la cellule du demandeur, Serge Ewonde, une enveloppe contenant des photos personnelles et quatre morceaux d'une substance noire enveloppée. L'analyse de cette dernière révéla qu'il s'agissait de 0,8 gramme d'une substance illégale, soit du haschisch.


[2]                Un des agents correctionnels a rédigé un rapport d'infraction dans lequel il a rapporté que le demandeur était en possession d'un objet interdit ou en faisait le trafic, ce qui constitue une infraction en vertu du paragraphe 40 i) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (ci-après « la Loi » ).

40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :

i) est en possession d'un objet interdit ou en fait le trafic;

40. An inmate commits a disciplinary offence who

i) is in possession of, or deals in, contraband;

[3]                Pour pouvoir prononcer un verdict de culpabilité, le président de l'audience disciplinaire doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que le détenu est coupable. Suite à une telle audience devant le Président Paul Maranda, le demandeur a été trouvé coupable de l'infraction et a reçu une sentence de neuf jours de détention avec radio seulement.    C'est cette décision qui est portée en contrôle judiciaire devant cette Cour.

Les faits

[4]                Le demandeur souligne qu'avant cette fouille, il a été placé en isolement suite à une altercation avec deux autres détenus de sa rangée. Le demandeur soutient qu'il est impossible qu'il soit coupable de possession d'une substance illégale étant donné qu'il n'était pas dans sa cellule à ce moment. D'ailleurs, il allègue que les deux individus avec lesquels il a eu l'altercation auraient possiblement placé le haschisch dans sa cellule.

La norme de contrôle

[5]                Avant de pouvoir se prononcer sur les arguments que soulève le demandeur, il est nécessaire de déterminer quelle est la norme de contrôle appropriée en l'espèce. Le demandeur allègue que le président a pris une décision manifestement déraisonnable en ce qui concerne l'interprétation des faits et qu'il a commis une erreur de droit en déterminant qu'il était coupable hors de tout doute raisonnable. En réponse, le défendeur prétend que la Cour se doit d'exercer sa discrétion judiciaire de façon modérée et que la norme de contrôle manifestement déraisonnable doit être appliquée.

[6]                Alors qu'il existe une panoplie de jurisprudence en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à une décision d'un tribunal disciplinaire au sein d'un pénitencier, dans l'arrêt Knight v. Canada, 2005 FC 727, [2005] F.C.J. No. 909 (QL), mon collègue le juge Blais a correctement énoncé la norme de contrôle applicable. En ce qui concerne l'application des faits, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable tandis que l'application de la norme raisonnable doit être employée lorsqu'il y a une application du droit aux faits. En l'espèce, l'application du droit a été interprétée à la lumière des faits ce qui entraîne nécessairement l'application d'une norme de contrôle raisonnable.

Analyse

[7]                Afin de soutenir sa position que la décision du président était manifestement déraisonnable, le demandeur a soulevé six points en litige. Au premier point, il prétend qu'il devrait être acquitté uniquement en vertu du fait qu'il y avait une imprécision dans le lieu désigné dans l'acte d'accusation. Il n'est pas nécessaire de s'attarder à cet argument puisque l'acte d'accusation stipule clairement que le lieu de l'infraction était dans la cellule K-110, la cellule de Monsieur Ewonde. Étant donné que la désignation du lieu est très claire et qu'il satisfait à l'article 25(1)(a) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, cet argument est sans fondement.

25. (1) L'avis d'accusation d'infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :

25. (1) Notice of a charge of a disciplinary offence shall

a) un énoncé de la conduite qui fait l'objet de l'accusation, y compris la date, l'heure et le lieu de l'infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qui seront présentés à l'audition;

(a) describe the conduct that is the subject of the charge, including the time, date and place of the alleged disciplinary offence, and contain a summary of the evidence to be presented in support of the charge at the hearing; and

[8]                Comme deuxième point, le demandeur allègue qu'il aurait dû être acquitté puisqu'il n'y avait pas de preuve qu'il y a eu des tentatives de règlement informel. Le paragraphe 41(1) de la Loi donne un droit à un détenu de bénéficier d'une tentative de règlement informel. Toutefois, cet argument a uniquement été soulevé dans sa demande de contrôle judiciaire et n'a jamais été soulevé devant le président Maranda. Tel que cité par le juge Létourneau dans l'arrêt Laplante c. Canada (Procureur général) (C.A.), 2003 CAF 244, [2003] 4 C.F. 1118; [2003] A.C.F. no 896 (QL), le demandeur qui tente d'invoquer son droit d'un règlement informel en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi, doit invoquer ce droit le plus tôtpossible. Il doit donc en faire mention au président, et s'il choisit de ne pas en faire mention il abandonne ce droit.

41. (1) L'agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu'un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.

41. (1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.

[9]                Pour troisième point en litige, le demandeur allègue que le président a commis une erreur de droit en considérant deux de ses antécédents disciplinaires. Il allègue que les articles 2, 10, 11 et 12 de la Loisur la preuve du Canada font en sorte d'empêcher que ces derniers soient utilisés afin de déterminer sa culpabilité. Alors que le demandeur aurait tout à fait raison d'invoquer la Loi sur la preuve du Canada dans le cadre d'une procédure criminelle, il ne faut pas oublier qu'un tribunal administratif n'est pas assujetti aux règles de preuve. Le juge Joyal a confirmé ce principe dans l'arrêt Barnaby c. Canada, [1995] A.C.F. no 1541 (QL) au paragraphe 8 :

La retenue judiciaire à l'égard des décisions disciplinaires rendues par un tribunal administratif dans le milieu correctionnel est aussi grande que pour tout autre tribunal.    Le tribunal se pose comme un processus d'enquête interne.    La règle de preuve en matière pénale ne s'applique pas au tribunal.    Celui-ci peut admettre toute preuve qu'il juge raisonnable ou digne de foi.

Il importe également de noter que c'est l'avocate du demandeur qui a soulevé ses antécédents. Le demandeur ne peut donc pas, par la suite, critiquer le tribunal d'avoir noté ces faits.

[10]            Le demandeur fait valoir, comme quatrième point en litige, qu'il aurait dû être acquitté puisque même si l'on considère qu'il était en possession d'une substance illégale, il devait en avoir possession de façon volontaire, ce qui n'était pas le cas. En l'espèce, il est vrai qu'il y avait des circonstances particulières puisque le demandeur était effectivement à l'extérieur de sa cellule lors de la fouille. Toutefois, sa cellule était barrée à clé pendant ces deux semaines et il est clair que le président, en rejetant l'allégation que quelqu'un d'autre ait placé l'enveloppe dans sa cellule, a déterminé que c'était un acte volontaire.

[11]            Le demandeur soutient comme cinquième point en litige que le président a erré en droit en permettant à l'assesseur, Monsieur Bénard, de témoigner sur certains faits. Plus particulièrement, il allègue que le témoignage de l'assesseur n'est pas admissible puisque le président s'appuie entre autres sur ce témoignage pour déterminer sa culpabilité. Encore une fois, la procédure durant une audience disciplinaire de ce genre n'est pas dictée par des règles de preuve spécifiques. Donc, il n'y a rien qui empêchait le président de permettre à l'assesseur de témoigner. De plus, il ne faut pas perdre de vue que l'assesseur a une connaissance exhaustive de ce qui se passe au sein du centre de détention Donnacona et que l'avocate du demandeur avait l'opportunité de le contre-interroger si elle le croyait nécessaire.

[12]            Le dernier point en litige et l'argument le plus important que soulève le demandeur concerne l'appréciation des faits et des témoignages par le président. Le demandeur allègue que le président n'a pas bien interprété le principe « hors de tout doute raisonnable » . Il souligne que pour que le président puisse le trouver coupable, il doit être convaincu de ce fait hors de tout doute raisonnable tel que le stipule le paragraphe 43(3) de la Loi.

(3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.

(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

[13]            Selon le demandeur, le président n'aurait pas bien interprété le test dans l'arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, [1991] A.C.S. no 26 (QL), afin d'apprécier les témoignages et le concept « hors de tout doute raisonnable » . Il prétend que le doute raisonnable est lié à la présomption d'innocence et que le président a inversé le fardeau de la preuve en affirmant qu'il ne le croyait pas. Alors que le demandeur soutient que ce n'était pas son rôle de démontrer que ce n'était pas lui qui était en possession de cette substance illégale ou les raisons pour lesquelles quelqu'un cacherait cette dernière dans sa cellule, le président affirme que le détenu n'était pas crédible il a pris une décision raisonnable.

[14]            Dans l'arrêt R. c. W.(D.), précité, il s'agissait d'une question par rapport à l'exposé du juge au jury. Dans le cadre d'un procès criminel, tel que dans l'arrêt R. c. W.(D.), le juge doit fournir des instructions au jury en ce qui concerne des principes de droit incluant des instructions en ce qui a trait au principe de « hors de tout doute raisonnable » .    Toutefois, lorsqu'une procédure a lieu sans jury, le juge n'a pas à exprimer comment il entreprend l'analyse des principes de droit. Dans ce contexte, il faut donc interpréter le résultat final afin d'analyser si ce dernier a effectivement bien interprété un principe de droit. En l'espèce, il n'y a rien dans le résultat de l'analyse du président Maranda qui indique qu'il n'a pas bien apprécié ou appliqué le test approprié tel qu'énoncé dans l'arrêt R. c. W.(D.).

[15]            Il est important de ne pas interpréter l'analyse du président hors contexte. Il a analysé la défense du demandeur et s'est demandé s'il pouvait rejeter le scénario selon lequel un autre individu aurait mis la substance illégale dans la cellule de ce dernier.    Il est clair que le président devait se poser la question et considérer tous les scénarios afin de déterminer s'ils étaient probables. De plus, la décision du président était prise suite à une audience où toute la preuve a été entendue et où le demandeur avait la chance de faire ses représentations. Tel que mentionné ci-dessus, en analysant les faits en l'espèce, il n'était ni manifestement déraisonnable, ni déraisonnable pour le président d'avoir conclu qu'étant donné que la cellule était barrée à clé pendant deux semaines que d'autres détenus n'auraient pas eu l'occasion de placer la substance illégale dans la cellule du demandeur. Le président avait le devoir de considérer la crédibilité du demandeur en l'espèce, mais ce n'est pas sur ce fait qu'il a pris une décision. Le président a évalué la crédibilité du demandeur dans le contexte de la preuve présentée et a déterminé, hors de tout doute raisonnable, que ce dernier était coupable. Le président a bien apprécié les faits et n'a pas erré dans l'application du test dans l'arrêt R. c. W.(D.), précité.

[16]            En vertu des représentations faites par les parties, cette Cour ne croit pas que la décision du président était manifestement déraisonnable ou qu'il a erré en droit. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.          la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

« Sean Harrington »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-734-05

INTITULÉ :                                          SERGE EWONDE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 2 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :       LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                          LE 14 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Me Catherine Fournier

POUR LE DEMANDEUR

Me Dominique Guimond

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Catherine Fournier

Drummondville (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

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