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Date : 20060317

Dossier : IMM-4446-05

Référence : 2006 CF 357

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2006

En présence de Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

JASWANT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 ( « LIPR » ) d'une décision datée du 30 juin 2005 de la Section de la protection des réfugiés ( « SPR » ). Par cette décision, la SPR refusait la demande d'asile du demandeur, estimant qu'il n'est ni un réfugié, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                La seule question en litige est la suivante :

-                      La SPR a-t-elle commis des erreurs de fait, de procédure ou d'administration de la preuve ?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est retourné à la SPR pour être évalué de nouveau par un tribunal différemment composé. Aucune question n'est certifiée.

FAITS

[4]                Le demandeur est un citoyen indien membre du parti Shiromany Akali Dal Mann. Il prétend avoir été arrêté, détenu et torturé par la police au début de l'année 2004, celle-ci le suspectant d'être venu en aide à des terroristes. Il dit avoir été relâché à la suite du paiement d'un pot-de-vin et grâce à l'intervention de gens influents de son village.

[5]                En août 2004, des terroristes auraient fait irruption sur la ferme de la tante du demandeur, alors que ce dernier lui rendait visite. Les terroristes auraient alors menacé le demandeur et des membres de sa famille. Les terroristes se sont alors enfuis en voiture, mais ont presque immédiatement été interceptés par la police. Le demandeur et deux de ses cousins, Fauja Singh et Swaran Singh, ont été arrêtés pas la police, détenus et torturés, jusqu'à ce qu'un pot-de-vin soit payé pour les relâcher. Fauja Singh serait décédé de ses blessures le 9 août 2004, après un séjour à l'hôpital.

[6]                Le 19 août 2004, des terroristes seraient retournés chez la tante du demandeur pour les intimider et les persuader de ne pas témoigner en Cour. Le 20 août 2004, se sentant coincé entre la menace de la torture policière et les menaces des terroristes, le demandeur prit la fuite vers New Delhi, chez son oncle. Le 8 septembre 2004, le père du demandeur fût torturé par la police, qui était à la recherche du demandeur, et succomba à ses blessures. Le 17 septembre 2004, persuadé que la police était prête à tout pour le retrouver, le demandeur quitta son pays vers le Canada et demanda l'asile le 20 septembre 2004.   

DÉCISION DE LA SPR

[7]                La décision de la SPR est fondée sur le manque de crédibilité du demandeur. La SPR fait mention des éléments suivants pour appuyer cette conclusion :

-                      Le demandeur a dit à l'audience que son père avait 90 ans au moment de son décès, alors que le certificat de décès produit indique qu'il avait 80 ans;

-                      Les notes de l'agent d'immigration n'indiquent pas que le cousin du demandeur est mort, ni que le père du demandeur a été battu par la police et les explications du demandeur à cet égard ne sont pas plausibles;

-                      Il n'est pas crédible que le père du demandeur, compte tenu de la condition physique et mentale des gens de son âge, ait été battu par la police;

-                      Il y a contradiction entre les notes de l'agent d'immigration, qui indiquent que les terroristes ont demandé les clés de sa voiture au cousin du demandeur, alors que dans son Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ) et lors de son témoignage à l'audience, il aurait plutôt dit que les terroristes aurait obtenu la voiture en le menaçant avec une arme à feu;

-                      Le demandeur n'aurait pas produit de preuve acceptable de la mort de son cousin, ni de preuve qu'il possédait la voiture volée par les terroristes.

ANALYSE

[8]                La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la SPR est celle de la décision manifestement déraisonnable (Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1469, [2003] A.C.F. No. 1866 (C.A.F.), au para. 10;    Aguebor c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1993] A.C.F. No. 732 (C.A.F.), au para. 4).

            1.         L'âge du père du demandeur

[9]                La SPR a donné la description suivante des faits relatifs à l'âge du père du demandeur. Elle écrit, à la page 2 de sa décision :

[TRADUCTION] Le demandeur a été interrogé quant à l'âge de son père. Il a dit lors de son témoignage que son père avait 90 ans. La pièce P-5 (le certificat de décès de son père Budh Singh), il est indiqué que le père a 80 ans, et non 90.

[10]            À mon avis la SPR a fait une description incomplète de la pièce P-5. À la page 93 du dossier, on remarque que l'âge du père du demandeur figure en deux endroits dans la traduction du certificat de décès. Dans la colonne de gauche, à la ligne 5, il est indiqué 80 ans. Dans celle de droite, il semble qu'il soit également indiqué 80 ans, mais cette information a été corrigée à la main de sorte qu'on peut lire que l'âge est de 88 ans. À la ligne 5 de l'original, on peut voir le nombre 88. Le fait que la SPR n'ait tenu compte que d'une partie du document constitue une erreur manifestement déraisonnable. La SPR a également commis une erreur manifestement déraisonnable en écrivant que la crédibilité du demandeur est affectée du fait qu'il n'est pas plausible que le père du demandeur, sous prétexte qu'il est âgé, n'aurait pu être battu par la police locale. Le manque de justifications pour appuyer une telle conclusion de fait m'empêche de donner raison au défendeur.

[11]            De plus, la description du témoignage du demandeur par la SPR est également erronée. Le demandeur a dit à l'audience que son père avait « [TRADUCTION] près de 90 ans » , et non qu'il avait 90 ans.

[12]            Pour contrer cet argument du demandeur, le défendeur a insisté sur le fait que la date de décès du père du demandeur n'est pas la même sur tous les documents. En effet, on remarque qu'à la page 11 du dossier (FRP du demandeur), le demandeur indique que son père est mort le 8 septembre 2004. Le certificat de décès (p. 93, dossier du tribunal) indique la même date. Cependant, à la page 74 du dossier, le demandeur a plutôt indiqué la date du 16 mars 2003.

[13]            Il n'appartient pas à la Cour de réécrire la décision de la SPR et d'en combler les lacunes. Le fait que la Cour pourrait identifier des raisons additionnelles de miner la crédibilité du demandeur n'atténue pas, dans les circonstances de l'espèce, le fait que les motifs de la SPR sont erronés.

2.                   La propriété du véhicule

[14]            Le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur en écrivant qu'il n'avait pas produit de preuve acceptable qu'il possédait la voiture volée par les terroristes.

[15]            Même si la décision de la SPR ne contient aucune explication permettant de comprendre pourquoi les documents des pages 87, 88 et 89 (documents concernant le véhicule) du dossier de la SPR n'ont pas été considérés acceptables, je ne crois pas que cela constitue une erreur manifestement déraisonnable. En effet, ce document ne peut qu'au mieux établir que le demandeur a déjà possédé un véhicule, et non qu'il s'agit du véhicule volé par les terroristes. La SPR n'avait aucune obligation, dans ce contexte, de détailler davantage ses explications.

3.         Les contradictions entre les notes de l'agent d'immigration, le FRP et le témoignage

[16]            Quant aux notes de l'agent d'immigration (voir en particulier les p. 63 et 64 du dossier de la SPR), elles sont très brèves. Les questions de l'agent sont courtes et suggèrent des réponses concises.

[17]            La mort du père du demandeur et celle de son cousin sont des éléments importants du récit du demandeur. Il n'y a pas de doute que des omissions quant à des éléments essentiels de la revendication peuvent être considérés par la SPR, surtout lorsqu'une question a été posée à l'égard de l'élément qui a été omis (voir notamment Eustace v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1553, [2005] F.C.J. No. 1929; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 767, [2005] A.C.F. No. 959, au para. 23). C'est encore plus vrai lorsqu'il y a une contradiction entre les notes de l'agent, le récit du FRP et le témoignage à l'audience. En l'espèce, il s'agit d'une omission portant sur un élément important de la revendication, même s'il n'est pas central.

[18]            Compte tenu des circonstances, la raison invoquée par la SPR, soit le défaut du demandeur de mentionner la mort de son père et de son cousin, est très peu convaincante. Les questions posées par l'agent d'immigration étaient courtes et directes, et le demandeur n'a pas eu l'occasion d'élaborer sur l'ensemble des événements qu'il prétend avoir vécus dans son pays. Aucune des questions de l'agent d'immigration, telles que posées, n'ont permis au demandeur de relater cet événement. Seule la mort de son cousin Fauja Singh aurait peut-être pu être mentionnée, mais les questions semblaient suggérer au demandeur de répondre de façon très brève.

[19]            La SPR fait allusion dans sa décision à une contradiction entre le FRP du demandeur et les notes de l'agent d'immigration. À la page 3 de la décision, la SPR écrit :

[TRADUCTION] Dans son récit joint à son FRP et lors de son témoignage à l'audience, le demandeur a déclaré que lors de l'incident du 4 août 2004, les militants se sont emparés de sa voiture en le menaçant d'une arme. À la page 2 des notes de l'agent d'immigration, pièce A-2, page 3, « les militants on demandé à mon cousin les clés de sa voiture.

Lorsqu'il a été interrogé au sujet de cette contradiction, le demandeur a dit qu'il n'avait pas de voiture.

[20]            Encore ici, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un élément très convaincant, bien que la contradiction soit réelle dans la preuve. Dans le procès-verbal (pages 238 à 241 du dossier de la SPR), plusieurs questions sont posées au demandeur, de sorte qu'on peut en déduire que le 19 août 2004, lorsque les terroristes se sont présentés à la ferme, ils ont demandé au cousin du demandeur les clés de la voiture. Celui-ci aurait alors fait signe au demandeur de remettre les clés aux terroristes. Le cousin du demandeur aurait agi comme intermédiaire physique entre le demandeur et les terroristes : le demandeur aurait remis les clés à son cousin, qui les a données aux terroristes. Dans les notes de l'agent d'immigration, on peut lire qu' « [TRADUCTION] ils [les terroristes] sont venus et ont demandé à mon cousin les clés de sa voiture » .

[21]            À mon avis, il s'agit d'une contradiction très mineure qui peut se comprendre à la lecture du témoignage du demandeur. Une telle contradiction ne saurait miner la crédibilité du demandeur. La SPR ne devrait pas faire preuve d'un zèle excessif pour trouver des contradictions là où il n'y en a pas (Voir notamment R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. No. 162, 2003 CFPI 116).

[22]            Pour ces motifs, je suis d'avis que la décision rendue par la SPR concernant la crédibilité du demandeur est fondée sur certaines erreurs de faits et sur des contradictions tellement mineures que la décision ne peut pas être maintenue. La décision quant à la crédibilité du demandeur est manifestement déraisonnable. La SPR avait peut-être des raisons valables d'estimer que le demandeur n'était pas crédible, mais ces raisons ne figurent pas à sa décision. Le dossier doit donc être retourné à la SPR pour être examiné par un tribunal différemment composé.

[23]            Les parties furent invitées à poser des questions pour fins de certification. Le demandeur a posé la question suivante :

Le tribunal est-il en droit de fonder une ou plusieurs conclusions de non-crédibilité sur l'absence d'événements ou de faits qui n'ont pas été consignés par l'agent d'immigration dans le cadre de ses notes d'entrevue alors que ces événements ou ces faits se retrouvent consignés au niveau du formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur si celui-ci n'a pas été interrogé spécifiquement sur ces événements et sur ces faits et qu'on ne lui a ni octroyé le droit à l'avocat, ni transmis aucune information à l'effet qu'on [sic] pourrait lui reprocher, plus tard, dans le cadre de sa revendication au niveau de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de ne pas avoir révélé tous les faits ou événements qui lui étaient connus lors de son interrogatoire devant l'agent d'immigration?

[24]            Pour déterminer si une question doit être certifiée, il faut recourir aux critères établis dans Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. No. 1637, au para. 4. La question doit transcender les intérêts des parties au litige, avoir une portée générale et être déterminante quant à l'issue de l'appel.

[25]            Je ne pense pas que la question doit être certifiée puisqu'il s'agit d'une question de fait et non de droit. L'évaluation des faits relève de la SPR, et il lui appartient de décider, dans chaque cas, si elle doit ou non conclure que l'omission du demandeur d'asile de mentionner un élément central de la revendication à l'agent d'immigration constitue un élément affectant sa crédibilité. Dans certains cas, un fait pourra être tellement central que le fait d'omettre de le mentionner constituera un élément minant la crédibilité du demandeur. Dans d'autres cas, l'omission ne permettra pas de conclure que le demandeur n'est pas crédible. Chaque situation de fait est unique et l'évaluation qu'en fait la SPR est sujette au contrôle judiciaire. La question telle que formulée n'a donc pas une portée générale justifiant qu'elle soit certifiée puisque c'est au cas par cas que la SPR doit trancher les questions de crédibilité. De plus, cette question ne serait pas déterminante pour l'issue de l'appel compte tenu du fait que d'autres motifs justifient le renvoi du dossier à la SPRet que la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE :

-           La demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que le dossier soit renvoyé devant un tribunal différemment composé.

« Simon Noël »

Juge


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

                                                                       

DOSSIER :                                  IMM-4446-05

INTITULÉ :                                 JASWANT SINGH    

                                                                                                                              demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L=IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :         le 23 février 2006

MOTIFSDE JUGEMENT

ET JUGEMENT:                      L=HONORABLE JUGE SIMON NOÊL

DATE DES MOTIFS :               le 17 mars 2006

COMPARUTIONS:

Me MICHEL LE BRUN                                                     POUR LE DEMANDEUR

Me IAN DEMERS                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me MICHEL LE BRUN                                                     POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

JOHN M. SIMS                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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