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Date : 20060406

Dossier : IMM-5498-05

Référence : 2006 CF 437

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2006

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Shore

ENTRE :

Carlos Alejandro GUICHON FERRAZAN

Maria Del Angeles GARCIA SEGOVIA

Ignacio Gabriel GUICHON GARCIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]                C'est essentiel dans une motivation d'une décision que les moyens justifient les fins et pas seulement que les fins justifient les moyens. Ce qui est nécessaire de la part de la Commission c'est de formuler ses moyens pour démontrer ses fins.

            Dans la décision Isse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1020 (QL), le juge Andrew McKay dit :

En l'absence d'éléments de preuve, cités par la section du statut et évalués au regard de la preuve contraire pour appuyer ce « sentiment » , je conclus que la section du statut en est arrivée à une conclusion toute théorique et conjecturale qui était manifestement essentielle à sa décision. En agissant ainsi, elle a commis une erreur susceptible de contrôle.

NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande d'autorisation de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 23 août 2005, concluant que les demandeurs ne sont pas des « réfugiés au sens de la Convention » .

LES FAITS

[3]                Les demandeurs, monsieur Carlos Alejandro Guichon Ferrazan, son épouse, madame Maria Del Angeles Garcia Segovia et leur fils mineur, sont des citoyens du Uruguay et ils ont une crainte fondée d'être persécutés dans leur pays en tant que membres d'un groupe social particulier, monsieur Guichon Ferrazan était membre d'un syndicat des marchands de journaux, ayant subi des agressions, des menaces téléphoniques et d'attentat de la part d'autres membres du même syndicat.

[4]                Monsieur Guichon Ferrazan a une crainte fondée d'être persécuté parce que lui et sa famille encourent des risques de traitements cruels mettant en danger leurs vies ou leur santé physique ou mentale s'ils étaient obligés de retourner en Uruguay, sans que les autorités de leur pays d'origine soient en mesure de les protéger adéquatement.

[5]                Monsieur Guichon Ferrazan a vécu des menaces et harcèlements de la part des membres reliés au même syndicat que lui en raison de son opposition à certaines mesures syndicales ce qui a mené à des situations conflictuelles, sans que les autorités soient en mesure d'agir efficacement et qui rend impossible sa protection et celle de sa famille en Uruguay.

ANALYSE

[6]                Les conclusions de la section de réfugié nécessitent un deuxième regard pour refléter sur les conditions de pays en relation avec les témoignages des trois demandeurs en question.

[7]                Comme les demandeurs ont été considérés crédibles, il est nécessaire de prendre en compte tous les éléments de la preuve, tant testimoniale que documentaire concernant la possibilité de la protection de l'état à l'égard des demandeurs.

[8]                Compte tenu des explications données dans l'affidavit du revendicateur principal, la Commission a pris pour acquis que l'Uruguay est un État qui contrôle et applique sa loi à l'étendue du pays et qu'il est capable de protéger ses citoyens victimes de menaces et d'actes criminels.

[9]                La Commission n'a pas pris l'occasion d'analyser en profondeur et donc de spécifier au moins quelques éléments-clés qu'elle voulait ressortir de la documentation sur les conditions de pays reliée aux cas des demandeurs. Cela ne veut pas dire que la conclusion de la Commission soit nécessairement erronée mais le raisonnement de la Commission devrait démontrer des éléments plus détaillés pour en arriver à sa conclusion.

[10]            Par le seul besoin de raisonnement plus complet pour comprendre la logique inhérente du tribunal une justification existe pour que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

[11]            La Commission a admise la preuve testimoniale étayée par les demandeurs mais n'a pas formulé concrètement ses propos, même d'une façon succincte, avec des références spécifiques, la preuve documentaire faisant état de la corruption qui sévit en Uruguay. Le refus du tribunal d'accorder aux revendicateurs le bénéfice du doute est ici uniquement fondé sur un raisonnement sans appui. C'est essentiel dans une motivation d'une décision que les moyens justifient les fins et pas seulement que les fins justifient les moyens. Ce qui est nécessaire de la part de la Commission c'est de formuler ses moyens pour démontrer ses fins.

[12]            Dans la décision Isse, ci-dessus, le juge MacKay dit :

En l'absence d'éléments de preuve, cités par la section du statut et évalués au regard de la preuve contraire pour appuyer ce « sentiment » , je conclus que la section du statut en est arrivée à une conclusion toute théorique et conjecturale qui était manifestement essentielle à sa décision. En agissant ainsi, elle a commis une erreur susceptible de contrôle.

[13]            D'une façon supplémentaire, Ayad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no568; Dumitru c. Canada (Ministre de le l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 76 C.F. 116, [1994] A.C.F. no 239 (QL); Parizi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 90 C.F. 186, [1994] A.C.F. no1977 (QL); Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 170, [1989] A.C.F. no 505 (QL).

[14]            Au sujet de la capacité de l'état d'assurer la protection de ses citoyens, dans la décision D'Mello c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 72 (QL), le juge Frederick Gibson dit :

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. [...] en l'absence de pareil aveu [au sujet de l'incapacité de l'État], il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection...

[...]

Il serait possible de dire la même chose dans ce cas-ci. La crainte de la requérante principale ne reposait pas sur l'absence de mécanisme législatif et procédural, en Inde, visant à protéger les femmes victimes de violence entre les mains de leur mari ou de représentants de leur mari, mais plutôt sur le fait que la police n'aidait pas ces femmes et sur le fait qu'il était difficile, compte tenu de l'absence de pareille aide, de se prévaloir avec succès du mécanisme législatif et procédural existant de protection établi par l'État indien.

Cela étant, je conclus que, même s'il lui était raisonnablement loisible de tirer ces conclusions au sujet des allégations des requérantes, et je ne tire aucune conclusion à cet égard, la SSR a commis une erreur susceptible de révision lorsqu'elle est arrivée à ces conclusions en se fondant sur une analyse tout à fait inadéquate de l'ensemble de la preuve dont elle disposait et du droit applicable. Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission aux fins d'une nouvelle audience et d'une nouvelle décision par un tribunal composé de membres différents.

[15]            Dans le même sens de la prétention de la Commission que l'état uruguayen est en mesure de protéger ses citoyens, à voir la décision Moya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1594 (QL) :

Encore une fois, je partage l'avis exprimé au paragraphe 34 du mémoire des prétentions du demandeur : [TRADUCTION] « Étant donné que le tribunal a déclaré que le témoignage du demandeur n'était entaché d'aucune contradiction ou incohérence majeure et que sa crédibilité n'était pas en cause, il est manifestement déraisonnable qu'il ait conclu que la déclaration précitée du demandeur, portant qu'il ne pouvait obtenir la protection efficace de l'État au Mexique, n'était pas crédible. »

CONCLUSION

[16]            Par ces motifs, la Cour accueille la demande.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.          La requête soit accueillie;

2.          L'affaire soit retournée à la Commission aux fins d'une nouvelle audience par un tribunal composé d'un panel différent.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5498-05

INTITULÉ :                                        Carlos Alejandro GUICHON FERRAZAN

                                                            Maria Del Angeles GARCIA SEGOVIA

                                                            Ignacio Gabriel GUICHON GARCIA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 28 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                       le 6 avril 2006

COMPARUTIONS:

Me Alain Joffe

POUR LES DEMANDEURS

Me Marie-Claude Paquette

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

ALAIN JOFFE

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS C.R.                                                                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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