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                                                                                                                               Date : 20060125

                                                                                                                    Dossier : IMM-2880-05

                                                                                                                  Référence : 2006 CF 38

ENTRE :

                                                           HANANE EL BALAZI

                                                                                                                    Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                      Partie défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s=agit ici d=une demande de contrôle judiciaire d=une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l=immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 15 avril 2005, statuant que la demanderesse n'est pas une * réfugiée + au sens de la Convention, ni une * personne à protéger + en vertu des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l=immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27.

[2]         Hanane El Balazi (la demanderesse) est une citoyenne du Maroc qui prétend avoir une crainte d=être persécutée dans son pays en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit les femmes victimes de violence familiale.


[3]         La CISR a conclu que la demanderesse n=était pas crédible. Plus spécifiquement, la CISR :

-           n=a pas cru l=explication de la demanderesse quant à son retard à demander l=asile au Canada et a conclu qu=il était invraisemblable que la demanderesse, qui craignait d=être tuée par le père de son ex-fiancé, et qui est demeurée au Canada depuis 2001, attende que son visa arrive à expiration pour demander la protection du Canada; et

-           a également conclu qu=il était invraisemblable que la mère de la demanderesse ait été incapable de lui donner des nouvelles de son père ou du père de son ex-fiancé.

[4]         Il appert donc à la face de la décision en cause que la CISR a fourni seulement deux motifs pour appuyer sa conclusion de non crédibilité.

[5]         Selon la demanderesse, la CISR a erré à propos du premier de ces motifs, soit le délai entre août 2003, moment de son retour au Canada après avoir visité sa famille au Maroc, et juillet 2004, moment où elle a revendiqué l=asile.

[6]         Le défendeur a raison de dire que la CISR peut tenir compte du comportement d=un demandeur pour apprécier ses dires ainsi que ses faits et ses gestes et que, dans certaines circonstances, le comportement d=un demandeur peut être suffisant, à lui seul, pour rejeter une demande d=asile (Huerta c. Ministre de l=Emploi et de l=Immigration (le 17 mars 1993), A-448-91, Ilie c. Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration (le 22 novembre 1994), IMM-462-94 et Riadinskaia c. Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration (le 12 janvier 2001), IMM-4881-99).


[7]         Toutefois, la jurisprudence indique aussi que la possession d=un visa (la CISR semble avoir accepté le témoignage de la demanderesse à l=effet qu=elle croyait que son visa d=étudiante expirait le 31 juillet 2004 et non le 31 décembre 2003) est un facteur qui a permis à la Cour, dans le passé, de déterminer que semblable délai était raisonnable.

[8]         Par exemple, la Cour d=appel fédérale, dans Hue c. Ministre de l=Emploi et de l=Immigration (le 8 mars 1988), A-196-87, a énoncé ce qui suit :

La Commission a rejeté la demande de l'appelant, selon ses motifs, pour la seule raison qu'il n'avait pas fait cette demande en 1981 lorsqu'il est allé en Grèce et qu'il s'est engagé sur un navire. Aux yeux de la Commission, cela montrerait que la crainte de l'appelant n'était pas réelle et que ses prétentions à cet égard, étant donné le temps qu'il a mis à faire sa demande, n'étaient pas crédibles.

Bien que nous ne contestions pas que le retard dans le dépôt d'une demande de statut de réfugié puisse être un facteur important à prendre en considération lorsqu'il s'agit d'établir le sérieux des prétentions d'un requérant, nous ne sommes pas du tout d'accord avec le raisonnement de la Commission en l'espèce. Il nous semble évident que les craintes du requérant visent la perspective d'avoir à retourner aux Seychelles, et que tant qu'il avait ses papiers de matelot et un navire sur lequel il pouvait naviguer, il n'avait pas à chercher une protection.

[9]         Dans Houssainatou Diallo c. La ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration du Canada, 2002 CFPI 2004, j=ai aussi exprimé ce qui suit :

[9]      . . . Enfin, les explications fournies par la demanderesse quant au délai à revendiquer sont bien basées sur la preuve et m=apparaissent tout à fait raisonnables : elle avait le droit d=être au Canada sous son visa d=étudiante et, tel qu=il appert de la lettre de son médecin, elle souffrait de symptômes dépressifs sévères. . . .

[10]       En l=espèce, la CISR, à mon avis, a erré en jugeant que le délai à revendiquer minait la crédibilité de la demanderesse, détentrice d=un visa d=étudiante.

[11]       La demanderesse soutient que la CISR, en regard de son second motif, a aussi eu tort de conclure qu=il était invraisemblable que sa mère ait été incapable de lui donner des nouvelles de son père ou du père de son ex-fiancé.


[12]       Selon le défendeur, il était raisonnable pour la CISR de conclure que si l=histoire de la demanderesse était vraie, sa mère * . . . étant très proche d=elle et connaissant le Amartyre@ qu=elle aurait vécu auprès de son père + aurait été capable de lui donner un peu plus d=informations.

[13]       À mon avis, ce seul motif est loin de suffire pour soutenir une conclusion de non crédibilité. Il serait manifestement déraisonnable de trouver que la demanderesse est non crédible pour le seul motif qu=elle a témoigné que sa mère ne lui a pas donné de nouvelles de son père divorcé depuis longtemps ou du père de son ex-fiancé, quand elle lui a téléphoné. À mon avis, c'est là une question tout à fait négligeable et sans conséquence dans tout le contexte du témoignage de la demanderesse.

[14]       Par ailleurs, le défendeur a relevé sept autres motifs pour tenter de justifier la décision de non crédibilité de la CISR. Le défendeur soutient que malgré le fait que ces contradictions et invraisemblances n=aient pas été notées par la CISR dans sa décision, elles ressortent clairement de la preuve devant elle et que cette Cour doit les considérer afin de décider si la décision du tribunal était rationnellement étayée par les éléments de preuve dont elle disposait.

[15]       Toutefois, faute de motifs, un demandeur n=a aucun moyen d=identifier ce qui a conduit le tribunal à la décision rendue. L=obligation de motiver une décision par écrit vise donc à permettre au demandeur de connaître en temps opportun les raisons précises du rejet de sa demande, de façon à ce qu=il puisse évaluer ses chances avant d=engager efforts et frais dans une nouvelle procédure (Hilo c. Ministre de l=Emploi et de l=Immigration (le 15 mars 1991), A-260-90 et Hussain c. Ministre de l=Emploi et de l=Immigration (le 8 juillet 1994), A-1212-91).


[16]       La CISR a donné deux raisons précises pour lesquelles elle a trouvé que la demanderesse n=était pas digne de foi. Les raisons données par la CISR sont les seules indications qui permettent d=apprécier ses conclusions. Il n=appartient pas à cette Cour d=en chercher d=autres pour soutenir la décision de ce tribunal. Cette Cour n=a pas à évaluer les nouvelles contradictions et implausibilités soulevées par le défendeur, si elles n=ont pas été soulevées à l=audition de la CISR et si elles n=ont pas été considérées dans ses motifs.

[17]       Étant d=avis, donc, qu=il était manifestement déraisonnable pour la CISR de conclure comme elle l=a fait sur la base des deux seuls motifs exprimés dans sa décision, l=un erroné, et l=autre, insignifiant, la demande de contrôle judiciaire est accordée, la décision en cause, annulée, et l=affaire, renvoyée devant la CISR différemment constituée pour nouvelle considération.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 janvier 2006


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2880-05

INTITULÉ :                                                       HANANE EL BALAZI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L=IMMIGRATION

LIEU DE L=AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L=AUDIENCE :                           Le 14 décembre 2005

MOTIFS DE L=ORDONNANCE :                Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 25 janvier 2006    

COMPARUTIONS:

Me Odette Desjardins                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Gretchen Timmins                                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Odette Desjardins                                          POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

                                                                                                                                                           

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