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     IMM-396-97

ENTRE

     ARDIE QUIZON,

    

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED

     Le requérant sollicite l"annulation d"une décision rendue par la section d"appel de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la SAI), qui a rejeté l"appel qu"il avait formé contre une mesure d"expulsion prise à son endroit parce qu"il a été considéré qu"il appartenait à une catégorie de personnes visées à l"alinéa 27(2)e ) de la Loi sur l"immigration, c"est-à-dire une personne qui :

         a obtenu le droit d"établissement soit sur la foi d"un passeport, visa " ou autre document relatif à son admission " faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d"une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d"un tiers;                 

     (Non souligné dans l"original.)

     Le requérant a été admis au Canada comme immigrant ayant obtenu le droit d"établissement en sa qualité de parent, étant donné qu"en juin 1990 il a épousé, aux Philippines, une résidente du Canada, Leonila Paraton. Mme Paraton et lui avaient communiqué par téléphone et par courrier pendant l"année précédente. Après être revenue au Canada, Mme Paraton a déposé, le 1er octobre 1990, une demande visant à parrainer le requérant. Le 23 janvier 1991, le requérant a demandé à être admis au Canada à titre de résident permanent. Avant d"obtenir son visa d"immigrant et de se voir octroyer le droit d"établissement, il s"est marié avec une autre femme, Maria Nena Solas. Ce mariage a été célébré le 29 avril 1991. La cérémonie a eu lieu devant un juge des Philippines et a été régulièrement enregistrée. Le requérant soutient qu"il s"est marié sous la contrainte. Mme Solas et lui avaient renoué. Des cousins de celle-ci les ont trouvés au lit ensemble et les ont forcés à se marier. Le requérant n"a pas révélé ce second " mariage " aux fonctionnaires de l"immigration lorsqu"il a obtenu son visa d"immigrant le 19 août 1991, ni lorsqu"il est entré au Canada le 11 septembre 1991.

     À cette époque, une personne n"était pas inadmissible à entrer au Canada du fait qu"elle avait commis une infraction criminelle à l"étranger. Il fallait qu"elle ait été déclarée coupable.1 Si les événements du 29 avril 1991 avaient été divulgués aux fonctionnaires de l"immigration, la preuve démontre qu"ils auraient procédé à une enquête pour vérifier si le mariage avec Leonila Paraton était une véritable union ou s"il avait été contracté principalement à des fins d"immigration. L"agent des visas de Manille soutient que s"il avait été informé du second " mariage ", il n"aurait pas délivré de visa au requérant.

     Le requérant n"a pas menti en répondant aux questions qui lui ont été posées, que ce soit à Manille ou à son entrée au Canada. Ainsi, il n"a pas contrevenu aux paragraphes 9(3) et 12(4) de la Loi sur l"immigration.2 Il n"a tout simplement pas donné spontanément de renseignements sur le " mariage " du 29 avril 1991. L"article 12 du Règlement sur l"immigration de 1978 présume que certaines questions sont posées au point d"entrée.3 Cet article traite des cas où les circonstances ont changé (le statut matrimonial, par exemple) entre le moment de la délivrance du visa et la date d"entrée au Canada. L"alinéa b ) impose aussi l"obligation de signaler " des faits influant sur la délivrance du visa [qui] n"ont pas été révélés au moment où le visa a été délivré ".

     Dans le numéro 31 du formulaire de demande (IMM8-08-89), qu"il a rempli pour obtenir le statut de résident permanent, le requérant reconnaît qu"il comprend que toute dissimulation d"un fait important peut entraîner son exclusion permanente du Canada.

     L"avocat du requérant soutient que, pour se prononcer, l"arbitre et la SAI ont présumé que le deuxième mariage avait une validité légale indépendante et il fait valoir que le requérant ne pouvait pas imaginer qu"un deuxième " mariage " nul était important pour son immigration au Canada en qualité d"époux de Leonila Paraton. Ce second " mariage " était nul sous le régime des lois philippines, comme il l"aurait été sous le régime des lois canadiennes.

     L"arbitre, contrairement à la SAI, semble avoir procédé en supposant que le second " mariage " avait une certaine validité qui devait être écartée par une décision administrative ou l"ordonnance d"un tribunal. L"essentiel de la décision de la SAI se trouve exposé dans l"extrait suivant tiré des motifs de sa décision :

         [TRADUCTION] L"avocat de l"appelant a produit en preuve les articles applicables du Code des Philippines , dont les extraits pertinents précisent que le mariage contracté avant la dissolution d"un autre est considéré " nul dès le départ ". Dans son témoignage, le requérant a fait état d"une lettre reçue du consulat philippin, dans laquelle cette prétention est manifestement confirmée. Selon l"avocat, puisque le mariage de l"appelant avec Maria Nena Solas était nul dès sa formation (ab initio ), en fait, il n"existait pas de mariage. S"il n"existait pas de mariage, l"omission de l"appelant de signaler ce mariage inexistant aux autorités de l"Immigration n"est pas assimilable à une représentation erronée.                 
             La Cour suprême du Canada dans l"arrêt Brooks4 qualifie de représentation erronée les " déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses " qui ont " pour effet d"exclure ou d"écarter d"autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d"expulsion n"eût été découvert par suite de ces enquêtes ". La Cour d"appel fédérale, dans l"affaire Medel5, a statué que ceux qui cherchent à immigrer ont l"obligation absolue d"être sincères et de révéler tout renseignement qui peut objectivement et raisonnablement être considéré comme pertinent. Le deuxième mariage contracté par l"appelant, après avoir épousé sa répondante et peu avant qu"un visa ne lui soit délivré, peut-il être considéré comme un fait pertinent? Ce second mariage pouvait-il être considéré comme un fait important qui, s"il avait été révélé, aurait pu inciter les autorités de l"Immigration à mener d"autres enquêtes?                 
             Je conclus que le mariage de l"appelant, qui a été contracté dans le cadre d"une cérémonie civile qui respectait toutes les formalités d"un mariage et qui a été dûment enregistré comme tel, est un fait important qui aurait dû être divulgué tant à l"agent des visas qu"à l"agent d"immigration se trouvant au point d"entrée. Si les autorités de l"Immigration avaient été informées de ce second mariage de l"appelant avec Maria Nena Solas, elles auraient pu décider de vérifier s"il existait un lien véritable entre l"appelant et sa répondante, Leonila Paraton, elles auraient eu la possibilité de procéder à des recherches pour savoir si la bigamie est un crime aux Philippines (c"était le cas à l"époque où la décision de l"affaire Brooks a été rendue, comme il a été mentionné dans cette affaire), comme ça l"est au Canada pour les mariages célébrés au Canada et elles auraient pu vérifier la légalité des deux mariages ou de l"un ou de l"autre mariage aux Philippines. Toutes ces possibilités d"enquête ne se sont pas offertes parce que l"appelant a négligé de divulguer l"existence de son second mariage, contracté avant la dissolution de son premier mariage.                 
             Devant moi, l"appelant a déclaré qu"il avait négligé de signaler son second mariage aux autorités de l"Immigration, premièrement, parce que la question de savoir s"il était marié à quelqu"un d"autre ne lui avait pas été posée et, deuxièmement, parce que, selon un avocat qu"il avait consulté, le deuxième mariage était sans valeur. Si l"appelant a consulté un avocat, ce qu"il a nié avoir fait à l"enquête devant l"arbitre, il aurait pu en avertir les autorités de l"Immigration, de même que du fait de son second mariage. Ainsi, les fonctionnaires de l"immigration auraient pu avoir la possibilité de vérifier quel était l"état du droit aux Philippines relativement à la bigamie et voir si le deuxième mariage de l"appelant avait des répercussions sur son admissibilité au Canada.                 
             Comme il a négligé de divulguer un fait important, je conclus que l"appelant est une personne visée par l"alinéa 27(1)e ) de la Loi. Par conséquent, je statue que la mesure de renvoi prononcée contre lui est valable en droit.                 

Dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire, il s"agit de déterminer si le décideur :

         a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l"exercer;                 
         b) n"a pas observé un principe de justice naturelle ou d"équité procédurale ou toute autre procédure qu"il était légalement tenu de respecter;                 
         c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d"une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;                 
         d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;                 
         e) a agi ou omis d"agir en raison d"une fraude ou de faux témoignages;                 
         f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.6                 

     La Cour ne peut qualifier ainsi la décision visée par la demande de contrôle judiciaire.

     Je suis d'avis que les avocats veulent aborder la possibilité de certifier une question pour cet appel. S"ils ont l"intention de proposer une question en vue d"une certification, ils devront en informer le greffe avant la fermeture des bureaux le 21 août 1997.

OTTAWA (Ontario)

le 15 août 1997

                                 B. REED

                                         Juge
Traduction certifiée conforme :     
                     F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-396-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          ARDIE QUIZON c. MINISTRE DE LA
                         CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L"AUDIENCE :              VANCOUVER
DATE DE L"AUDIENCE :              LE 30 JUILLET 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE Reed

DATE :                      LE 15 AOÛT 1997

ONT COMPARU :

M. CHARLES E.D. GROOS                  POUR LE REQUÉRANT
MME SANDRA WEAFER                      POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. CHARLES E.D. GROOS

VANCOUVER                          POUR LE REQUÉRANT

M. GEORGE THOMSON

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA          POUR L"INTIMÉ
__________________

1      Comparer le paragraphe19(1) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et l"article 11 de la Loi modifiant la Loi sur l"immigration et d"autres lois en conséquence, L.R.C. (1985), ch. 28 (4e suppl.), proclamée en vigueur le 1er février 1994.

2      9 (3)      Toute personne doit répondre franchement aux questions de l"agent des visas et produire toutes les pièces qu"exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.
         12(4)      L"intéressé doit répondre franchement aux questions de l"agent d"immigration [...]

3      12. Un immigrant à qui un visa a été délivré et qui se présente pour examen devant un agent d"immigration à un point d"entrée, conformément au paragraphe 12(1) de la Loi, doit          a) si son état matrimonial a changé depuis la délivrance du visa, ou          b) si des faits influant sur la délivrance du visa ont changé depuis que le visa a été délivré ou n"ont pas été révélés au moment où le visa a été délivré,          établir          c) que lui-même et les personnes à sa charge, [...]      [...]          satisfont, au moment de l"examen, aux exigences de la Loi, du présent règlement, [...] y compris les exigences relatives à la délivrance du visa.

4      M.M.I. c. Brooks, [1974] R.C.S. 850.

5      Medel c. M.E.I., [1990] 2 C.F. 345, 10 Imm.L.R. (2d) 274 (C.A.)

6      Paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7, tel que modifié.

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