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Date : 20060629

Dossier : IMM-6802-05

Référence : 2006 CF 833

Montréal, (Québec), le 29 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

GABRIELA TREVINO MORENO

JUAN PABLO MONCADA TREVINO

MONICA TREVINO MORENO

MARCELA TREVINO MORENO

ELENA TREVINO MORENO

OMAR LARA ENRIQUEZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et visant la décision du 13 octobre 2005 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié – section de la protection des réfugiés (la Commission) – a conclu que Monica Trevino Moreno (la demanderesse principale), Gabriela Trevino Moreno, Juan Pablo Moncada Trevino, Marcela Trevino Moreno, Elena Trevino Moreno et Omar Lara Enriquez (les demandeurs) n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

FAITS PERTINENTS

 

[2]               Les demandeurs sont tous citoyens du Mexique. La demanderesse principale a un fils nommé Juan Pablo Moncada Trevino. La sœur de la demanderesse principale, Marcela Trevino Moreno a une fille nommée Elana Trevino Moreno. Les demandeurs allèguent avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de leur appartenance à un groupe social particulier, soit la famille de la demanderesse principale, laquelle aurait été menacée après qu’elle ait e au courant des pratiques corrompues de son supérieur.

 

[3]               La demanderesse principale travaillait depuis février 2002 au bureau du Ministère de l’éducation publique à titre de sous-coordonnatrice des ressources humaines. La demanderesse principale allègue avoir été témoin et victime d’une pratique illégale reliée à l’embauche des fonctionnaires. Cette pratique se décrit de la façon suivante : un dirigeant fonctionnaire déclare l’existence d’un certain nombre de postes de travail dans son département dans le but d’obtenir les salaires reliés aux postes, mais en réalité, les postes sont inoccupés et donc l’argent des salaires est empoché par les fonctionnaires corrompus. Dans certains cas, les employés qui n’ont pas de poste sont payés moins cher et la différence de salaire est également empochée par les mêmes personnes corrompues.

 

[4]               La revendication du statut de réfugié des demandeurs est essentiellement fondée sur la persécution de la demanderesse principale. La demanderesse principale allègue qu’elle a été persécutée par Fermin Villasenor Borvolla, son ancien superviseur au Ministère de l’éducation au Mexique et ce, suite à une plainte verbale qu’elle a portée contre lui pour sa pratique de déclarer des postes ouverts comme étant comblés et d’empocher les salaires.

 

[5]               La demanderesse prétend que sa maison avait été saccagée et qu’une menace avait été écrite en rouge sur le plancher. Elle a déménagé chez sa sœur avec son époux et son fils. Le 3 juin 2004, des individus sont entrés illégalement dans la maison de la sœur de la demanderesse principale pour faire des menaces. La police est arrivée peu de temps après, mais les individus avaient pris la fuite.

 

[6]               Suite à cet événement, les demandeurs craignant pour leur sécurité ont décidé de quitter. Ils sont arrivés au Canada le 17 juin 2004 en provenance du Mexique. Le 30 juin 2004, la maison de la sœur de la demanderesse principale a été vandalisée. Les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié le 7 juillet 2004 soit 20 jours après leur arrivé au Canada.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               1. Est-ce que le tribunal a erré en trouvant les demandeurs non crédibles?

2. Est-ce que la Commission a erré en concluant que les demandeurs n’avaient pas

établi l’incapacité de l’État mexicain d’accorder la protection?

 

ANALYSE

1. Est-ce que le tribunal a erré en trouvant les demandeurs non crédibles?

[8]               Dans la décision Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 141, [2005] A.C.F. no 162, au paragraphe 45, mon collègue le juge Yves de Montigny a réitéré qu’une évaluation de crédibilité est une question de fait et qu’il n’appartient pas à cette Cour d’intervenir à moins que cette évaluation soit abusive, arbitraire ou rendue sans tenir compte des éléments de preuve :

Pour ce qui concerne la question de crédibilité, il est évident que la Cour doit beaucoup hésiter à intervenir lorsqu'il s'agit d'une décision en matière de crédibilité rendue par le tribunal, qui a eu l'avantage d'entendre les témoins. Plusieurs jugements le mentionnent, les décisions quant à la crédibilité, qui constituent "l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits", ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.); Siad c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 C.F. 608 (C.A.F.); Oyebade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), [2001] A.C.F. no 1113; Sivanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 662 (C.F.).

 

[9]                  Il y a plusieurs façons de tirer des conclusions en matière de crédibilité. Pour évaluer la fiabilité du témoignage du demandeur, la Commission peut, par exemple, tenir compte du manque de précision, des hésitations, des incompatibilités, des contradictions et du comportement (Ezi-Ashi c. Canada Secrétaire d'État) [1994] A.C.F. no 401). Dans l’arrêt El Balazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2006 CF 38, [2006] A.C.F. no 80, le juge Yvon Pinard affirme que même dans certaines circonstances, le comportement du demandeur peut être suffisant pour rejeter une réclamation de statut de réfugié :

Le défendeur a raison de dire que la CISR peut tenir compte du comportement d'un demandeur pour apprécier ses dires ainsi que ses faits et ses gestes et que, dans certaines circonstances, le comportement d'un demandeur peut être suffisant, à lui seul, pour rejeter une demande d'asile (Huerta c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 271, (le 17 mars 1993), A-448-91, Ilie c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1994] A.C.F. no 1758, (le 22 novembre 1994), IMM-462-94 et Riadinskaia c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] A.C.F. no 30, (le 12 janvier 2001), IMM-4881-99).

 

(Décision de la Commission, le 13 octobre 2005, à la page 5)

 

[10]           Les demandeurs allèguent que la Commission a erré dans l’appréciation de la crédibilité quant au motif évoqué pour justifier que l’époux ne soit pas venu au Canada. La Commission avait conclu :

Questioned as to why her husband did not come along with her to Canada, she then reiterated that she came with the intention to stay for a short period of time but when her sister’s house was again vandalized, she was afraid to return. She further added that her husband does not want to come to Canada. The panel cannot but seriously question why her husband would stay behind if she and her family were targeted as the claimant alleges and does not find these actions consistent with the claimant’s allegations for fear for their lives.

 

[11]           La demanderesse principale allègue que son époux habite dans un petit village et travaille de façon autonome, non-enregistrée auprès des autorités, ce qui fait en sorte qu’il est introuvable. La demanderesse principale allègue que la Commission a erré en ne pas tenant compte de cette explication raisonnable. Je ne suis pas d’accord avec l’argument des demandeurs. C’est tout à fait raisonnable pour le tribunal de tirer une inférence négative envers la crédibilité des demandeurs en raison de la façon dont la demanderesse principale a essayé d’expliquer pourquoi son époux n’est pas venu au Canada.

 

[12]           À plusieurs reprises, dans sa décision, le tribunal a qualifié le témoignage des demandeurs, et surtout de la demanderesse principale, comme étant non crédible en raison de contradictions, invraisemblances, incohérences, hésitations et imprécisions. Par exemple, la Commission a fait des inférences négatives envers la crédibilité dans les situations qui suivent :

 

  • La raison donnée pour expliquer pourquoi l’époux de la demanderesse principale n’est pas venu au Canada;

 

  • La raison pour laquelle les demandeurs n’ont pas réclamé la protection du Canada lors de leur arrivée le 17 juin 2004;

 

  • La raison pourquoi la demanderesse principale n’a pas porté plainte à la police au Mexique suite au saccage de sa maison;

 

  • L’explication pourquoi M. Borvolla serait intéressé par la demanderesse principale et sa famille alors qu’elle n’a pas déposé de plainte officielle contre lui, ni fait de suivi, qu’elle n’avait aucune intention de le poursuivre si elle retournait au Mexique et qu’elle n’avait jamais été appelée à témoigner contre lui.

 

[13]           En l'espèce, la Commission a indiqué en termes clairs et non équivoques pourquoi elle ne croyait pas les demandeurs. Les conclusions défavorables qu'elle a tirées reposent sur une analyse d’un certain nombre d'invraisemblances et d'incohérences découlant des formulaires de renseignements personnels (FRP) des demandeurs ainsi que le témoignage de ces derniers au sujet des éléments essentiels de la demande.

 

[14]           Il revient à la Commission de décider si les demandeurs sont crédibles. Les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire. La décision a été prise après une analyse complète de la preuve et je suis d’avis que la Commission n’a commis aucune erreur en trouvant les demandeurs non crédibles.

 

2. Est-ce que la Commission a erré en concluant que les demandeurs n’avaient pas établi

l’incapacité de l’État mexicain d’accorder la protection?

 

[15]           La Commission a conclu que les demandeurs non pas rencontré le fardeau de la preuve pour démontrer de façon claire et convaincante que l’État mexicain ne pouvait pas fournir une protection adéquate. La norme de contrôle applicable aux questions touchant la protection de l'État est celle de la décision raisonnable simpliciter (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 193, aux paragraphes 9-11).

 

[16]           Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a déclaré au paragraphe 50 :

[…] il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection […] En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.  La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.  En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

 

 

[17]           La Cour suprême affirme qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’un État est capable de protéger ses citoyens. De plus, il appartient aux demandeurs de renverser la présomption en démontrant par une preuve claire et convaincante, que l’État était incapable de les protéger.

 

[18]           Les demandeurs allèguent avoir prouvé, en raison de la preuve documentaire, que la police est corrompue au Mexique et qu’ils auraient du mal à obtenir justice contre des gens haut placés dans l’administration étatique.

 

[19]           Il existe une présomption selon laquelle le tribunal a examiné l'ensemble de la preuve dont il dispose (Taher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. 1433). En l’espèce, la Commission a expressément reconnu que la corruption est un problème qui perdure au Mexique. Il y avait en réalité une preuve documentaire démontrant que la corruption constitue toujours un problème au Mexique et que le gouvernement mexicain fait des efforts pour l'atténuer. La Commission précise dans sa décision :

In the documentary evidence we also read that there are many investigations that have been undertaken by the present Government to look into corruption cases within the Attorney General’s Office of the Federal District, and recourses are available to people who expose corruption in the Attorney General’s Office. It also refers to a unit being formed to investigate issues of corruption and this is the Central Office of the Public Prosecutor which has undertaken numerous such investigations. Therefore the panel retains that there are now recourses that are available in Mexico, and although the situation may not be perfect, there have been many steps taken to initiate investigations and bring to justice those who are guilty of corrupt or criminal practices.

 

(Décision de la Commission, le 13 octobre 2005, à la page 11)

 

[20]           La Commission a conclu que même si la corruption existe, les autorités au Mexique étaient en mesure d’assurer la sécurité des demandeurs. Les demandeurs n’ont pas soulevé une preuve claire et convaincante indiquant le contraire. Pour ces motifs, je suis d'avis que la Commission n'a pas eu tort de conclure que le demandeur n'a pu réfuter la présomption de la protection de l'État. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[21]           Les parties n’ont soumis aucune question pour certification.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

  • La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  • Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-6802-05

 

INTITULÉ :                                       GABRIELA TREVINO MORENO, JUAN PABLO MONCADA TREVINO, MONICA TREVINO MORENO, MARCELA TREVINO MORENO, ELENA TREVINO MORENO, OMAR LARA ENRIQUEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               27 juin 2006

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT :                   LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      29 juin 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sébastien Dubois

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Suzanne Trudel

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre Grenier S.E.N.C.

Montréal

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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