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Date :  20060728

Dossier :  IMM-7095-05

Référence :  2006 CF 929

Ottawa, (Ontario), le 28 Juillet 2006

En présence de L'honorable Paul U.C. Rouleau

 

ENTRE :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

 

ALBERTO C. VENEGAS

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le défendeur n’a pas comparu devant la Cour lundi le 24 juillet 2006, néanmoins le demandeur a insisté pour que la Cour émette des motifs de jugement dans cette affaire.

 

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’encontre de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI), rendue le 27 octobre 2005.

 

[3]               Devant la SAI, le défendeur en appelait de la décision du 6 janvier 2004 de l’agent de visas qui avait précédemment rejeté la demande d’établissement au Canada présentée par sa fille Lucia Venegas, citoyenne de l’Argentine dans la catégorie du regroupement familial en tant qu’ « enfant à charge ».

 

[4]               Le défendeur, Alberto C. Venegas, est un citoyen canadien né en Argentine, le 7 septembre 1955.  Lucia Venegas, est née en Argentine le décembre 1980 et est la fille du défendeur.  Le défendeur a effectué une demande de parrainage et d’engagement de Lucia Venegas.   Cette dernière a, par la suite, déposé une demande de résidence permanente au Canada, signée le 2 octobre 2003, dans la catégorie de regroupement familial en tant qu’ « enfant à charge ».

 

[5]               Dans une décision datée du 6 janvier 2004, l’agent de visas rejetait la demande de résidence permanente de Lucia Venegas parce qu’elle était âgée de 22 ans et plus et qu’elle n’étudiait pas depuis 2000.  Elle n’était donc pas une « enfant à charge » au sens des articles 117(1) et 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR).

 

[6]               Pour ce qui est de la demande de parrainage, après avoir évalué l’ensemble de la preuve, l’agent de visas avait conclu que la Lucia Venegas n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial car elle n’était pas une « enfant à charge » tel que défini aux articles 2 et 117(1) du RIPR.  Le défendeur en a donc appelé de cette décision devant la SAI en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

 

[7]               En appel, le commissaire a déterminé que la question en litige principale concernait le statut d’étudiant de la requérante et si elle était une étudiante à temps plein tel que défini par la RIPR.  Après avoir entendu toute la preuve, tant testimoniale qu’écrite, la SAI a accueilli l’appel.  C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[8]               À priori, le demandeur prétend que lors de son audience devant la SAI, le défendeur a déposé de la nouvelle preuve qui n’avait pas été présentée à l’agent de visas.  Cette preuve énonçait que Lucia Venegas aurait étudié dans une académie de coiffure du 22 janvier au 2 février 2004.  En outre, c’est sur la base de ces documents que la SAI a renversé la décision de l’agent de visas et a conclu que la requérante faisait partie de la catégorie du regroupement familial et qu’elle avait le droit d’être parrainée par son père.

 

[9]               Suite à l’audience, les documents attestant de la scolarité de la requérante furent envoyés à l’agent de visas à Buenos Aires afin qu’elle en vérifie l’authenticité.  Suite à ces recherches, le demandeur soutient que les documents attestant de la scolarité de Lucia Venegas étaient frauduleux et que le témoignage basé sur ces documents était, par conséquent, également faux.

 

[10]           Selon le demandeur, la SAI a commis une erreur de droit et de fait en concluant que la requérante est une « enfant à charge » au sens de l’article 2 et du paragraphe 117(1) des RIPR car au moment de l’audience, le 26 septembre 2005, Lucia Venegas n’étudiait plus depuis le 2 février 2004.

 

[11]           La SAI a souligné qu’un appel devant elle procède de novo.  La SAI se devait donc de trancher l’appel sur la foi de la preuve qui lui était soumise au moment où elle en disposait et devait analyser la définition d’ « enfant à charge » au moment où était entendue l’affaire.

 

[12]           Le 13 janvier 2006, l’avocate du défendeur, Me Annie Kenane, a déposé une requête du procureur du défendeur pour cesser d’occuper parce qu’elle ne sentait plus qu’elle pouvait continuer de représenter valablement le défendeur.  Le 6 février 2006, le protonotaire Morneau a accueilli la requête de Me Kenane.

 

[13]           Il appert du dossier que le défendeur n’a pas retenu les services d’un autre avocat et qu’il se représenterait donc lui-même.  Entre temps, il importe de souligner que le défendeur n’a pas déposé de mémoire de faits ou de droit ou de réplique au mémoire du demandeur pour cette demande de contrôle judiciaire.

 

[14]           Étant donné les faits mentionnés ci-dessus, cette Cour doit se prononcer sur trois questions en litiges.  À priori, la Cour doit déterminer quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la SAI.  Dans un deuxième temps, la Cour doit déterminer si la SAI a omis d’agir parce que les documents attestant de la scolarité de Lucia Venegas étaient frauduleux.  Finalement, la Cour doit décider si la SAI a commis une erreur de droit et de fait en concluant que Lucia Venegas est une « enfant à charge ».

 

[15]           Le juge Blanchard a clairement stipulé au paragraphe 27 de l’arrêt Avalos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 830, [2005] A.C.F. no 1035 que la Cour doit accorder une grande retenue aux décisions de la SAI en ce qui a trait à des interprétations factuelles.  De plus, le juge Noël a énoncé au paragraphe 16 de l’arrêt Hermas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1649, [2005] A.C.F. no 2020 (QL) que « La norme de contrôle applicable à la décision de la Section d’appel sur la question de savoir si une personne est un « enfant à charge » est celle de la décision manifestement déraisonnable ».

 

[16]           En ce qui concerne une interprétation de la loi par la SAI, cette Cour tient à reprendre les propos du juge Beaudry au paragraphe 10 dans l’arrêt Yen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1236, [2005] A.C.F. no 1501 :

 

 10      La norme de contrôle qui s'applique aux questions d'interprétation de la loi est celle de la décision correcte (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 366 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 18, et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982). La norme de contrôle qui s'applique aux questions mixtes de droit et de fait est celle de la décision raisonnable (raisonnable simpliciter) (Ly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 658 (1re inst.); Collier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1445 (1re inst.) (QL)).

 

 

[17]           Dans le cadre d’un appel d’une demande de parrainage pour un « enfant à charge », la SAI doit tenir compte de la législation suivante :

 

117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

b) ses enfants à charge;

c) ses parents;

d) les parents de l’un ou l’autre de ses parents;

e) [Abrogé, DORS/2005-61, art. 3]

f) s’ils sont âgés de moins de dix-huit ans, si leurs parents sont décédés et s’ils n’ont pas d’époux ni de conjoint de fait :

(i) les enfants de l’un ou l’autre des parents du répondant,

(ii) les enfants des enfants de l’un ou l’autre de ses parents,

(iii) les enfants de ses enfants;

117. (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

(a) the sponsor's spouse, common-law partner or conjugal partner;

(b) a dependent child of the sponsor;

(c) the sponsor's mother or father;

(d) the mother or father of the sponsor's mother or father;

(e) [Repealed, SOR/2005-61, s. 3]

(f) a person whose parents are deceased, who is under 18 years of age, who is not a spouse or common-law partner and who is

(i) a child of the sponsor's mother or father,

(ii) a child of a child of the sponsor's mother or father, or

(iii) a child of the sponsor's child;

enfant à charge  » L’enfant qui :

a) d’une part, par rapport à l’un ou l’autre de ses parents :

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

(i) il est âgé de moins de vingt-deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

(ii) il est un étudiant âgé qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci,

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

(iii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental. (dependent child)

 

dependent child”, in respect of a parent, means a child who

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or

(ii) is the adopted child of the parent; and

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

(i) is less than 22 years of age and not a spouse or common-law partner,

(ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 — or if the child became a spouse or common-law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common-law partner — and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common-law partner, as the case may be, has been a student

(A) continuously enrolled in and attending a post-secondary institution that is accredited by the relevant government authority, and

(B) actively pursuing a course of academic, professional or vocational training on a full-time basis, or

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition. (enfant à charge)

 

[18]           Il n’y a aucun doute que la SAI a l’autorité de déterminer la valeur ou le poids qu'elle accorde aux éléments de preuve qui lui sont soumis; voir Mahendran c. Canada, [1991] A.C.F. no 549, au paragraphe 10 (C.A.F.); Rani c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'immigration), 2002 CFPI 1002, [2002] A.C.F. no 1337, au paragraphe 21.  Il est tout aussi véridique qu’un appel devant la SAI procède de novo. Il est donc complètement acceptable que la SAI ait pris en considération la nouvelle preuve qui n’avait pas été présentée à l’agent de visas, soit le fait que Lucia Venegas aurait étudié dans une académie de coiffure du 22 janvier au 2 février 2004.

 

[19]           Toutefois, le problème en l’espèce est que suite à l’audience le demandeur a découvert, et a annexé en preuve documentaire à sa demande de contrôle judiciaire, des lettres faisant état du fait que les documents attestant aux études entreprises par Lucia Venegas du 22 janvier au 2 février 2004 seraient frauduleux.  Dans un tel contexte, cette Cour ne peut ignorer une preuve qui aurait mené à une décision erronée de la SAI.

 

[20]           Bien que cette Cour doit s’attarder aux éléments de preuve qui étaient devant le décideur, soit la SAI, il est tout aussi important pour cette Cour d’analyser une preuve supplémentaire qui aurait une influence sur ladite décision. Dans l’arrêt Association des crabiers acadiens c. Canada (Procureur général), 2006 CF 222, [2006] A.C.F. no 294 (QL), le juge Harrington a eu à se prononcer sur une requête visant à obtenir une ordonnance enjoignant le défendeur (intimé) de fournir aux demanderesses (requérantes) des documents additionnels.  Alors que cette requête, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, ne reposait pas sur une demande de parrainage pour un « enfant à charge », ses propos aux paragraphes 13 et 14 sont d’une grande pertinence en l’espèce:

 

 13      En ce qui concerne le fait que les documents n'étaient pas devant le décideur, l'on ne peut éviter la production de ces documents en omettant de les fournir au décideur. Tel qu'énoncé dans l'arrêt Tremblay c. Canada (Procureur général) 2005 CF 339, [2005] A.C.F. no 421 (QL), la question n'est pas uniquement à savoir si les documents étaient devant le décideur, mais plutôt à savoir s'ils auraient dû être devant le décideur.

 14      Malgré le moment de la création des documents, ces derniers sont néanmoins directement reliés à la décision et ne peuvent être ignorés dans un tel contexte. Les documents en question demeurent un continuum de ce qui a été décidé, que ce soit le 30 mars 2005 ou le 4 avril 2005.

 

 

[21]           Les documents attestant à l’authenticité des études de Lucia Venegas en Argentine n’étaient pas devant la SAI mais sont néanmoins « directement reliés à la décision et ne peuvent être ignorés ».  À la lumière du fait que la preuve documentaire fournie par le demandeur indique que les documents sont frauduleux et que le défendeur n’a aucunement répliqué à cette allégation, cette Cour ne peut en bonne conscience déterminer que la décision de la SAI est raisonnable.

 

[22]           Étant donné que la demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs énoncés ci-dessus, cette Cour n’a pas à se prononcer sur la troisième question à savoir si la SAI a commis une erreur de droit et de fait en concluant que Lucia Venegas est une « enfant à charge ».

 


 

JUGEMENT

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et renvoyée devant un autre commissaire de la SAI pour redétermination; et
  2. Il n’y a aucune question sérieuse d’importance générale à certifier.

 

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7095-05

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. ALBERTO C. VENEGAS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Qc

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 juillet 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  ROULEAU J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 juillet 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claudia Gagnon

 

POUR LE DEMANDEUR

Sans Comparution

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Claudia Gagnon – Ministère fédéral de la Justice - Montréal

 

POUR LE DEMANDEUR

M. Alberto C. Venegas – représentant lui-même - Montréal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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