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Date : 20060803

Dossier : T-915-06

Référence : 2006 CF 952

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

AREVA NP GmbH et

AREVA NP CANADA LIMITED

demanderesses

 

et

 

ÉNERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

[1]               Le 23 août 2006, la Cour entendra la demande des sociétés demanderesses pour l’obtention d’une injonction interlocutoire dans la présente affaire de contrefaçon de brevet. Le calendrier fixé jusqu’à cette date est serré. Les parties doivent échanger ou avoir échangé des affidavits, et un certain nombre de journées ont été réservées pour les contre-interrogatoires sur ces affidavits.

 

[2]               Les présents motifs ont trait à une requête produite en réponse par la défenderesse, Énergie atomique. Celle-ci sollicite la radiation intégrale de la déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action, du moins aucune cause d’action relevant de la compétence de la Cour, et le rejet de l’action ou, subsidiairement, une ordonnance prescrivant la radiation de certains paragraphes de la déclaration et enjoignant aux demanderesses de fournir des précisions supplémentaires relativement à d’autres paragraphes. La requête a été instruite d’urgence, compte tenu de l’incidence considérable que la décision pourrait bien avoir sur l’étendue du contre-interrogatoire des auteurs respectifs des affidavits produits au soutien de la requête pour injonction interlocutoire ou en opposition à celle-ci.

 

[3]               Le lendemain de l’audience, j’ai rejeté intégralement la requête d’Énergie atomique. Voici les motifs de ma décision.

 

HISTORIQUE DE L’INSTANCE

[4]               Il faut se rappeler que dans une requête en radiation de la déclaration aux termes de l’article 221 des Règles des Cours fédérales portant que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable, l’on présume que le demandeur sera en mesure de prouver ses allégations mais qu’il est néanmoins évident et manifeste que celles-ci ne révèlent aucune cause d’action raisonnable (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959). Aussi les faits exposés ci-dessous représentent‑ils uniquement la version des demanderesses.

 

[5]               La société Areva NP GmbH, que j’appellerai Areva Germany, fournit dans le monde entier de la technologie et de l’équipement présentant un intérêt pour l’industrie électronucléaire. Elle a notamment mis au point une technologie et des appareils pour le nettoyage mécanique des tubes d’échangeur thermique. Des dépôts d’oxyde s’accumulent dans ces tubes et doivent être enlevés périodiquement. Avera Germany détient à cet égard plusieurs brevets canadiens, parmi lesquels le brevet no 2280348 (le brevet 348), intitulé « Méthode pour nettoyer des tubes d’échange thermique et collecteur des dépôts provenant des tubes d’échange thermique ».

 

[6]               Durant nombre d’années, Areva Germany a travaillé avec Énergie atomique, une société d’État canadienne qui a conçu les centrales nucléaires CANada Deuterium Uranium (CANDUMC), à différents projets au Canada et sur le plan international. Les parties ont mis fin à leur relation en mauvais termes. Areva Germany a déposé et signifié une déclaration dans laquelle elle soutient qu’Énergie Atomique s’est livrée à la contrefaçon du brevet 348 et continuera de le faire à moins qu’on l’en empêche, et que la défenderesse a divulgué des renseignements confidentiels et des secrets industriels et continuera de le faire à moins qu’on l’en empêche. Certaines allégations ont trait plus particulièrement à Bruce Power L.P., société qui exploite les centrales nucléaires situées au lac Huron. Énergie atomique a procédé à certains services de nettoyage à cette centrale en octobre 2005 et doit y effectuer le mois prochain d’autres travaux qui, prétendent les demanderesses, constituent une contrefaçon du brevet et une violation de l’engagement contractuel d’Énergie atomique de ne pas dévoiler des secrets industriels de valeur.

 

[7]               Dans la déclaration, les demanderesses prient la Cour d’interdire de façon permanente à Énergie Atomique d’utiliser toute méthode protégée par le brevet et de fabriquer, vendre ou utiliser tout dispositif visé par le brevet; elles sollicitent aussi une injonction limitant l’utilisation ou la divulgation des renseignements définis comme des renseignements confidentiels dans divers accords conclus entre les parties, une déclaration reconnaissant la validité du brevet et la contrefaçon, l’octroi de dommages-intérêts ou une ordonnance prescrivant un état comptable des profits et les réparations connexes. 

 

[8]               Énergie atomique a répondu par deux requêtes, l’une demandant un cautionnement pour les dépens, l’autre sollicitant le rejet intégral de la déclaration.

 

[9]               À l’origine, la requête pour rejet comprenait deux parties. La requête soutenait d’abord que les allégations de contrefaçon de brevet avancées dans la déclaration étaient si dénuées de détails qu’elles devraient être radiées parce qu’elles ne révélaient aucune cause d’action valable. Subsidiairement, la Cour devrait ordonner à Areva Germany de fournir des précisions supplémentaires. Quant aux autres paragraphes de la déclaration, certains devraient être radiés parce qu’ils étaient sans pertinence et d’autres parce qu’ils avaient trait non pas à une action en contrefaçon de brevet, mais plutôt à une action en rupture de contrat, un type de recours à l’égard duquel la Cour n’a pas compétence. 

 

[10]           Areva Germany n’est pas demeurée passive. Elle a volontairement fourni des précisions. Elle a aussi modifié sa déclaration. Elle n’a pas supprimé les paragraphes décrits comme étant sans pertinence ni ceux se rapportant, selon la défenderesse, à une cause d’action hors de la compétence de la Cour, mais elle a retiré ses conclusions pour l’obtention d’une injonction et celles sollicitant un état comptable des profits découlant d’une violation du contrat. Par ailleurs, elle a ajouté une conclusion pour obtenir des dommages-intérêts punitifs et exemplaires. Elle a aussi, de concert avec Areva NP Canada Limited (Areva Canada), déposé une action conservatoire en Cour supérieure de justice de l’Ontario.

 

[11]           Ces démarches n’ont pas mis fin au jeu des actes de procédure. Énergie atomique a modifié son dossier de requête pour faire valoir que l’action engagée en Cour fédérale constituait désormais un abus de procédure et que la Cour ne pouvait adjuger des dommages-intérêts punitifs à l’égard de contrats qui ne relèvent pas de sa compétence.

 

[12]           Enfin, en vue, dans une certaine mesure, de se protéger contre la requête en cautionnement pour les dépens, Areva Germany a demandé l’autorisation de modifier à nouveau sa déclaration pour y ajouter Areva Canada à titre de demanderesse.

 

[13]           À l’instruction, j’ai autorisé la présentation d’une première déclaration modifiée à nouveau pour y inclure Areva Canada à titre de demanderesse, mais j’ai néanmoins ordonné qu’Areva Germany fournisse un cautionnement pour les dépens.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[14]           La requête en radiation est régie par l’article 221 des Règles des Cours fédérales, dont voici le libellé :

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

Preuve

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

 

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

Evidence

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

 

 

 

 

 

[15]           Les questions en litige sont les suivantes :

 

a)      Certains paragraphes de la déclaration modifiée devraient-ils être radiés au motif soit qu’ils ne révèlent aucune cause d’action du ressort de la Cour, soit que la Cour ne peut, même dans une action en contrefaçon de brevet, adjuger des dommages‑intérêts punitifs lorsque la conduite répréhensible est liée à des contrats à l’égard desquels elle n’a pas compétence?

b)      Certains paragraphes devraient-ils être radiés au motif que, même si la réparation sollicitée relève de la compétence de la Cour, la déclaration modifiée ne révèle aucune cause d’action valable? Subsidiairement, y a-t-il lieu d’ordonner aux demanderesses de fournir des précisions supplémentaires?

c)      Certains paragraphes devraient-ils être radiés au motif qu’ils sont sans pertinence?

d)      La déclaration modifiée devrait-elle être radiée intégralement et l’action, rejetée au motif qu’elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue autrement un abus de procédure?

 

COMPÉTENCE DE LA COUR FÉDÉRALE

[16]           Énergie atomique ne prétend pas que la Cour n’a pas compétence, dans la mesure où l’instance constitue une action en contrefaçon de brevet. L’instance satisfait facilement au critère juridictionnel à trois volets établi par la Cour suprême du Canada notamment dans les arrêts Canadien Pacifique Limitée c. Quebec North Shore Paper Co., [1977] 2 R.C.S. 1054 et ITO‑International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, à savoir que le litige doit tomber dans une catégorie de sujets à l’égard desquels le Parlement a compétence législative, qu’il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige, et que l’administration de ces règles de droit a été confiée à la Cour fédérale.

 

[17]           Le paragraphe 91(22) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement le pouvoir de légiférer sur les « brevets d’invention et de découverte », le Parlement a promulgué la Loi sur les brevets, qui traite expressément de la contrefaçon, et il a conféré à la Cour fédérale la compétence sur cette question en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[18]           Énergie atomique fait valoir que la déclaration initiale associait deux causes d’action : la contrefaçon de brevet, pour laquelle la Cour a compétence, et la violation de contrat, pour laquelle elle ne l’a pas. Au moment de l’audition de la requête en radiation, la déclaration avait bien changé. Les conclusions relatives à la violation de contrat avaient été abandonnées, mais les allégations concernant le contrat subsistaient pour étayer les nouvelles conclusions sollicitant des dommages‑intérêts punitifs et exemplaires. Énergie atomique maintient que le long historique des relations contractuelles entre les parties devrait être radié, non seulement parce qu’il est sans pertinence, une question sur laquelle nous reviendrons plus loin, mais aussi du fait que, pour pouvoir adjuger des dommages-intérêts exemplaires et punitifs, la Cour devrait conclure à la violation du contrat, un contrat à l’égard duquel la Cour n’a pas compétence. 

 

[19]           J’estime que les paragraphes en cause ne devraient pas être radiés pour motifs d’ordre juridictionnel, et ce pour deux raisons. En premier lieu, il n’est pas « évident et manifeste » que les contrats concernés échappent à la compétence de la Cour. Deuxièmement, même si de fait ils ne relèvent pas de la compétence de la Cour, Areva pourrait néanmoins plaider que la conduite d’Énergie atomique au regard des contrats peut justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, si la Cour concluait qu’il y a eu contrefaçon du brevet.

 

[20]           Des décisions comme l’arrêt Hunt, précité, ont bien établi qu’une déclaration ne devrait être radiée que s’il est « évident et manifeste » que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable. Les demanderesses ne devraient pas se voir refuser d’entrée de jeu le droit à un jugement, à moins qu’il n’apparaisse au-delà de tout doute raisonnable qu’elles n’ont aucun recours à faire valoir.

 

[21]           La Cour n’a pas vu le contrat en cause. Il est évident que la Cour a compétence pour connaître de l’affaire telle qu’elle est actuellement exposée dans la déclaration modifiée. Il convient de souligner que les demanderesses ont pris l’initiative, sans être assujetties à une ordonnance de la Cour, de modifier la déclaration et de retrancher les conclusions sollicitant un état comptable des profits découlant de la violation d’un contrat. S’il est vrai que dans l’abstrait, une action pour rupture ou violation de contrat pure et simple appartient à la catégorie législative afférente à la propriété et aux droits civils et, partant, relève du ressort des provinces et des tribunaux provinciaux en vertu de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, il reste que la notion juridique de contrat n’est en soi ni provinciale ni fédérale. L’objet du contrat a une incidence importante à cet égard. Comme l’a fait remarquer le juge en chef Laskin dans l’arrêt R. c. Rhine, [1980] 2 R.C.S. 442, « [e]st-il nécessaire d’ajouter qu’on ne peut invariablement attribuer les « contrats » ou les autres créations juridiques, comme les délits et quasi-délits, au contrôle législatif provincial exclusif, ni les considérer, de même que la common law, comme des matières ressortissant exclusivement au droit provincial ». 

 

[22]           Un contrat relatif à la vente de biens est de ressort provincial. Toutefois, le contrat de vente d’un navire est de ressort fédéral, puisqu’il porte sur le sujet de la navigation et des bâtiments ou navires (Antares Shipping Corp. c. Le Navire « Capricorn », [1980] 1 R.C.S. 553). De même, un contrat d’assurance est de compétence provinciale, mais le contrat d’assurance maritime relève de la compétence fédérale puisqu’il tombe dans la catégorie de la navigation et des bâtiments ou navires (Zavarovalna Skupnost Triglav c. Terrasses Jewellers Inc., [1983] 1 R.C.S. 283).

 

[23]           En conséquence, la première question consiste à se demander si les contrats sont suffisamment liés au brevet pour se classer dans la catégorie législative des brevets d’invention (l’arrêt ITO, précité, au paragraphe 22). Comme la Cour n’est pas en possession des contrats, elle ne peut pour l’instant répondre à cette question.

 

[24]           La deuxième question est de savoir s’il existe des règles de droit fédérales effectives. Le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour fédérale une compétence concurrente dans tous les cas « de recours sous le régime d’une loi fédérale ou de toute autre règle de droit [...] relativement à un brevet d’invention [...] ». Le Parlement s’est-il limité à octroyer cette compétence ou a-t-il incorporé par renvoi ou intégré dans le régime fédéral la common law et l’equity? Voir à cet égard le paragraphe 18 de l’arrêt ITO, précité.

 

[25]           Comme l’a observé le juge en chef Jackett dans la décision Associated Metals & Minerals Corp. c. L’« Evie W », [1978] 2 C.F. 710, les lois antérieures à la Confédération qui ont continué d’exister en vertu de l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867, qu’il s’agisse de la common law de la Grande-Bretagne, d’une loi du Royaume-Uni ou d’une loi coloniale antérieure à la Confédération, font partie du droit fédéral si elles peuvent être révoquées, abolies ou modifiées par le Parlement du Canada. La Cour suprême a conclu ([1980] 2 R.C.S. 322) que le juge Jackett était arrivé à la bonne conclusion sur la question de la compétence, à la lumière de la décision de la Cour suprême dans Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co., [1979] 2 R.C.S. 157.

 

[26]           Compte tenu de l’arrêt Rhine, précité, et des observations du juge en chef Jackett, je pense qu’on peut soutenir que l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales a institué un ensemble de règles de droit fédérales au-delà de la Loi sur les brevets. Assurément, je n’aurais pas ordonné le rejet sans entendre les parties sur ce point.

[27]           Étant donné que je ne suis pas prêt, au stade actuel, à conclure que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur les prétentions découlant des violations de contrat alléguées, je n’ordonnerai pas la radiation de ces allégations dans la déclaration. Qui plus est, même si les contrats se rapportent à la propriété et au droit civil, il ne s’ensuit pas que la Cour ne peut pas en tenir compte. L’arrêt ITO permet de conclure que, dès lors que l’essence même de l’action est de compétence fédérale, la Cour peut devoir tenir compte du droit provincial incident. Dans Kellogg Co. c. Kellogg, [1941] R.C.S. 242, la Cour suprême a jugé que, bien que la Cour de l’Échiquier, prédécesseur de la Cour fédérale, n’avait pas compétence pour statuer sur une question concernant exclusivement un contrat entre deux personnes, l’action portait principalement sur une invention. Pour trancher le litige, la Cour a dû examiner le contrat d’emploi entre les parties. De même, une partie à une action concernant un brevet ne saurait être à l’abri des conséquences d’une conduite justifiant l’imposition de dommages-intérêts punitifs du fait qu’elle a adopté la conduite reprochée dans le cadre d’un contrat qui présente une pertinence incidente. La Cour, je le rappelle, ne dispose pas des contrats en cause dans la présente requête.

 

[28]           Je suis d’avis en conséquence de ne pas radier, au stade actuel de l’instance, les allégations de la déclaration portant sur la violation de contrat. Il ne s’agit pas d’une décision préliminaire sur un point de droit. La question n’est pas de savoir si la Cour a compétence, mais bien plutôt s’il est « évident et manifeste » qu’elle n’a pas compétence. En l’absence du contrat et, peut-être, d’autres éléments de preuve sur la question de la compétence, la déclaration doit être maintenue. 

 

 

LES ALLÉGATIONS DE CONTREFAÇON DE BREVET SONT-ELLES SUFFISANTES?

[29]           Selon la déclaration et les précisions apportées jusqu’à maintenant, Énergie atomique aurait contrefait certaines revendications précises du brevet. Bien que ces revendications ne soient pas reproduites dans la déclaration, la défenderesse reconnaît qu’elle possède une copie du brevet. Cette dernière se plaint de ce que la déclaration ne précise pas suffisamment en quoi elle aurait contrefait le brevet. J’estime que les éléments contenus dans la déclaration modifiée sont plus que suffisants pour permettre à la défenderesse de connaître les arguments auxquels elle devra répondre et pour produire une défense en conséquence.

 

[30]           Ainsi que le juge Marceau, alors juge à la Cour fédérale, a décidé dans la décision Embee Electronic Agencies Ltd. c. Agence Sherwood Agencies Inc. et al. (1979), 43 C.P.R. (2d) 285, ce point pourra être réexaminé après le dépôt de la défense. Après clôture des actes de procédure, les règles prévoient la communication de documents et la tenue d’interrogatoires préalables.

 

 

CERTAINES PARTIES DE LA DÉCLARATION SONT-ELLES SANS PERTINENCE?

[31]           L’article 174 des Règles exige que tout acte de procédure contienne un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde. La position d’Énergie atomique, dont chacun reconnaît la logique, est que cette action vise la violation d’un brevet précis. Or, la déclaration fait référence à trois autres brevets ainsi qu’à divers contrats intervenus entre les parties, comme il a été mentionné. Il n’est donc pas nécessaire que la Cour examine les autres brevets ni les contrats pour décider si le brevet en cause a ou non été contrefait, et la Cour ne devrait pas examiner ces documents. Après tout, un brevet s’adresse en principe à une personne raisonnablement compétente dans le domaine, qui pourrait sans aide extérieure reproduire l’invention protégée par le brevet, une fois le monopole expiré.

 

[32]           Quoique ce point de vue ne soit pas sans valeur, il convient d’accorder une latitude raisonnable aux demanderesses dans la présentation de leur version des faits. L’on ne peut conclure au stade actuel de l’instance, avant même que la défenderesse ait déposé une défense, que les autres brevets et les contrats évoqués n’ont aucune pertinence, fût-elle incidente, surtout si l’on tient compte de l’allégation selon laquelle la défenderesse, en plus d’enfreindre délibérément les droits conférés par le brevet, a adopté une conduite [traduction] « arrogante, implacable, malveillante, despotique, arbitraire et extrêmement répréhensible [...] ». Même si le contrat n’est qu’accessoire au litige, cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas être invoqué (arrêt Kellogg, précité, et décision Titan Linkabit Corp. c. SEE See Electronic Engineering Inc., [1992] A.C.F. no 807 (QL)). Même dans une action portant exclusivement sur la contrefaçon de brevet, la conduite de la partie visée, et notamment le mépris qu’elle aurait affiché à l’égard d’ententes confidentielles, peut être pertinente pour ce qui est des dommages-intérêts exemplaires (Dimplex North America Limited c. CPM Corp., [2006] A.C.F. no 776 (QL)).

 

[33]           Bien que l’on ait déjà affirmé qu’il n’est pas nécessaire de faire expressément état des dommages-intérêts punitifs, le point de vue à retenir est celui exprimé par le juge Binnie au paragraphe 86 de l’arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 1 R.C.S. 595 :

 

 

[...] À mon avis, l’affirmation selon laquelle aucune allégation n’est nécessaire à cet égard ne tient pas compte du principe fondamental de notre système de justice voulant que quiconque s’expose à une punition doit être informé suffisamment à l’avance de ce qu’on lui reproche afin de pouvoir apprécier l’ampleur du risque qu’il court et d’avoir la possibilité de répliquer. Cela ne peut se faire que si la demande de dommages-intérêts punitifs, par opposition à la demande de dommages-intérêts compensatoires, n’est pas incluse dans une vague mention des dommages-intérêts généraux. Ce principe, qui n’est en fait rien de plus qu’une règle d’équité, est énoncé dans les règles de procédure civile de certains tribunaux de première instance. [...]

 

 

[34]           Si la déclaration ne formulait pas les allégations à cet égard, la défenderesse pourrait être surprise et aurait le droit de demander des précisions.

 

[35]           Énergie atomique reconnaît que la Cour a le pouvoir d’accorder des dommages‑intérêts punitifs, mais elle prétend qu’en l’espèce, la Cour ne peut tenir compte que de sa conduite au cours de l’instance. Contrairement à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, indique‑t-elle, la Cour ne peut pas se pencher sur la façon dont elle a exécuté ou enfreint les contrats qu’elle a conclus avec les demanderesses. Même s’il s’avère en temps et lieu que la défenderesse a raison sur ce point parce que la Cour conclut que les contrats ne sont pas étroitement liés à la contrefaçon de brevet alléguée, il serait inapproprié de radier maintenant les paragraphes visés, puisqu’il n’est pas « évident et manifeste » que cette position est bien fondée en droit.

 

ABUS DE PROCÉDURE

[36]           L’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour fédérale une compétence concurrente avec d’autres tribunaux, en l’occurrence avec la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Étant donné la contestation d’ordre juridictionnel qu’Énergie atomique a opposée à une partie de la déclaration initiale, il était tout à fait normal que les demanderesses se protègent en engageant une action en Cour supérieure de l’Ontario. Suivant la règle générale, lorsque plus d’un tribunal a compétence, le choix revient à la partie demanderesse, non à la partie défenderesse. Comme la Constitution impose malheureusement des limites à la compétence de la Cour fédérale, les actions conservatoires devant les tribunaux provinciaux ne sont pas chose rare. Areva n’a donc pris là aucune mesure extraordinaire. Il se peut que les demanderesses soient appelées à faire un choix, mais ce moment n’est pas encore arrivé. La Cour a été informée qu’Areva ne pouvait obtenir une instruction de la requête pour l’obtention d’une injonction interlocutoire en Cour supérieure de l’Ontario avant le 15 septembre, et que les demanderesses avaient choisi de poursuivre en Cour fédérale parce qu’elles craignaient qu’Énergie atomique n’exécute le contrat Bruce avant cette date. La poursuite de la présente action n’est ni abusive ni vexatoire. 

 

[37]           Pour ces motifs, la requête est rejetée avec dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 3 août 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.L.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-915-06

 

INTITULÉ :                                       AREVA NP GmbH et AREVA NP CANADA LIMITED

c.

ÉNERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 juillet 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 août 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

May M. Cheng

 

POUR LES DEMANDERESSES

Diane E. Cornish

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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