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Date : 200608010

Dossier : T-957-05

Référence : 2006 CF 964

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 10 août 2006

En présence de madame la protonotaire Milczynski

 

ENTRE :

ISAC SCHENKMAN

demandeur

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit d’une requête en rejet de l’action en vertu du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales (Règles). Pour les motifs ci-dessous, la requête est accordée et la demande, radiée étant donné que la procédure pour contester et annuler la décision concernant des allocations de retraite versées en trop au demandeur et la récupération de ces allocations versées en trop aurait dû être entamée par voie de demande de contrôle judiciaire, et non par voie d’action.

 

Résumé des faits

 

  • [2] Le demandeur en l’espèce, Monsieur Isac Schenkman, est un ancien employé de la fonction publique fédérale. Monsieur Schenkman était chargé de projet au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, où il a commencé son emploi en juin 1982.

 

  • [3] Monsieur Schenkman a été congédié de son emploi le 6 janvier 1999. Le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux a allégué avoir congédié Monsieur Schenkman de manière justifiée. Toutefois, Monsieur Schenkman a déposé un grief et obtenu par la suite une réintégration avec rémunération et avantages sociaux complets auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. La période pour laquelle il a reçu cette rémunération complète va de la date de son congédiement en janvier 1999 jusqu’au 28 août 2002.

 

  • [4] À la suite de son congédiement, mais avant le règlement de son grief, Monsieur Schenkman a entre autres présenté une demande d’allocations de retraite et touché des allocations au titre du Régime de pension de retraite de la fonction publique (CRTFP).

 

  • [5] Au moment de la réintégration de Monsieur Schenkman ou aux alentours de cette date, le ministère des Travaux publics a émis un certain nombre de relevés présentant le rapprochement des sommes dues à ou par Monsieur Schenkman. Ces relevés ont donné lieu à un autre grief, déposé en septembre 2002, et à une autre décision de la CRTFP pour clarifier les indemnités rétroactives et la demande de Monsieur Schenkman concernant les intérêts (qui a été rejetée).

 

  • [6] D’autres réunions et discussions ont eu lieu au sujet des indemnités de Monsieur Schenkman, de sa réintégration et de ses fonctions – selon la preuve déposée par le ministère des Travaux publics, au cours de ces réunions et discussions, on a dit à Monsieur Schenkman qu’il allait devoir rembourser les allocations de retraite qu’il avait reçues avant sa réintégration puisqu’il avait obtenu réparation pour sa perte de salaire et d’avantages sociaux. Monsieur Schenkman nie que ces discussions ont eu lieu. Néanmoins, il est manifeste et sans conteste que Monsieur Schenkman n’a pas reçu d’avis officiel ou de demande de remboursement; aucun avis écrit n’a été fourni à Monsieur Schenkman au moment de sa réintégration ou immédiatement après, que ce soit par le ministère des Travaux publics ou la direction du Régime de pension de retraite de la fonction publique à Shediac, au Nouveau-Brunswick, pour établir le montant précis présumément à rembourser, le fondement de la réclamation ou les options de remboursement.

 

  • [7] En fait, aucune mesure n’a été prise concernant le remboursement des allocations de retraite pendant un long moment, même si l’occasion s’est présentée, malheureusement le plus souvent dans des circonstances peu favorables. Le 8 mai 2003, Monsieur Schenkman a intenté un recours en dommages et intérêts devant la Cour supérieure de l’Ontario pour un certain nombre de questions liées à l’emploi. Il a également déposé des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Tout au long de cette période, ni l’employeur, ni l’administrateur du régime de retraite n’ont pris de mesure pour remettre à Monsieur Schenkman un avis écrit des montants présumément à rembourser. La défenderesse fait valoir qu’il revenait en quelque sorte à Monsieur Schenkman de soulever la question des allocations de retraite versées en trop avant ou pendant cette instance, de demander des clarifications ou de demander des renseignements précis sur les sommes dues et sur la façon dont elles allaient devoir être remboursées.

 

  • [8] Le recours devant la Cour de l’Ontario et les plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne ont tous été réglés par l’intermédiaire d’un processus de médiation général dirigé par George Adams. Dans le cadre du règlement, Monsieur Schenkman a présenté sa démission au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux en date du 10 septembre 2004 et a fait une demande d’allocations de retraite au titre du Régime de pension de retraite de la fonction publique.

 

  • [9] Peu après, dans une lettre datée du 13 septembre 2004, Monsieur Schenkman a reçu ce que la défenderesse décrit comme la [traduction] « trousse de renseignements standard à l’intention des futurs retraités ». Une partie de la trousse portait sur les questions d’assurance. Toutefois, sous réserve de l’avis de non-responsabilité habituel, le montant de pension auquel Monsieur Schenkman avait droit immédiatement y était également clairement établi sur une base annuelle et mensuelle (41 354,04 $ et 3 446,17 $, respectivement). Les documents ne contenaient aucune indication au sujet d’allocations versées en trop.

 

  • [10] À cet égard, Monsieur Schenkman a reçu deux lettres portant la même date du 1er novembre 2004 de la part de Madame Barbara Sowerby, du secteur Pensions de retraite, Regroupement des pensions et Services à la clientèle, à Shediac, au Nouveau-Brunswick. L’une d’elles contenait son relevé de retraite ainsi que des renseignements concernant ses allocations de retraite mensuelles. La deuxième portait sur son retour à l’emploi de la fonction publique en août 2002 avec une réintégration complète rétroactive jusqu’au 7 janvier 1999. Cette deuxième lettre indiquait que, puisque Monsieur Schenkman avait été entièrement dédommagé pour le salaire et les avantages sociaux perdus, le montant des allocations de retraite qu’il avait reçu au cours de cette période avait été versé en trop et devait être remboursé.

 

  • [11] Le montant forfaitaire total des allocations versées en trop a été établi à 73 515,01 $, somme que Monsieur Schenkman pouvait, selon l’information qui lui a été donnée, rembourser en un seul versement ou au moyen de prélèvements mensuels de 585,96 $ sur ses allocations de retraite (montant incluant des frais liés à une police d’assurance vie contractée par le ministère des Travaux publics pour le montant des allocations versées en trop). Monsieur Schenkman devait transmettre une réponse dans un délai de 30 jours, faute de quoi on considérerait qu’il avait choisi la deuxième option.

 

  • [12] L’avocat de Monsieur Schenkman a écrit à Madame Sowerby le 10 novembre 2004 pour lui demander quel était le fondement juridique qui autorisait une telle demande et le prélèvement unilatéral du montant sur les allocations mensuelles de Monsieur Schenkman. L’avocat a également mentionné le règlement devant George Adams qui, selon lui, avait réglé toutes les questions entre les parties et prévoyait la démission de son client ainsi que l’abandon de toutes les demandes. Aucune réponse n’a été reçue et Monsieur Schenkman a personnellement rédigé une lettre le 8 février 2005.

 

  • [13] Le 10 mars 2005, une réponse a été reçue de la part de Madame Melissa Soucoup, conseillère en politique et en législation au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux – secteur Pensions de retraite, Regroupement des pensions et Services à la clientèle. La lettre est rédigée comme suit :

 

[traduction]
…Aux termes de l’article 29 de la Loi sur la pension de la fonction publique (PSSA), lorsqu’une personne qui a droit à une pension est de nouveau employée dans la fonction publique et devient un contributeur en vertu de la LPFP, tout droit ou titre qu’elle peut avoir quant à cette pension ou allocation annuelle cesse immédiatement. Puisque la décision prise le 18 juillet 2002 par la Commission des relations de travail dans le secteur public a rétabli l’emploi de Monsieur Schenkman et qu’il est, par conséquent, devenu un contributeur aux termes de la LPFP, il n’a plus droit à aucune pension en vertu de la LPFP, et ce, de manière rétroactive jusqu’à la date de sa réintégration dans son emploi. La situation a donné lieu au versement de 73 510,01 $ d’allocations en trop à Monsieur Schenkman.

 

Le paragraphe 6(1) du Règlement sur la pension de la fonction publique (RPFP) indique que si, en vertu de la Loi, un montant a été versé par erreur à une personne sous la forme d’une pension ou d’une allocation annuelle, le ministre doit, immédiatement, sommer cette personne de payer une somme correspondant à la somme versée par erreur. Par ailleurs, les paragraphes 6(2) et (3) du RPFP mentionnent que lorsque la personne ne choisit pas de payer le montant en bloc dans les 30 jours qui suivent la date de la sommation de paiement, elle est réputée avoir choisi la méthode des versements mensuels à déduire de sa pension, avec assurance vie. Même si la pension de Monsieur Schenkman n’a pas été initialement versée par erreur, il a été établi ultérieurement qu’elle avait été versée par erreur compte tenu de sa réintégration dans son emploi, étant donné qu’aux termes de la Loi, une personne ne peut être un contributeur au titre de la LPFP tout en recevant une pension.

 

Monsieur Schenkman a entamé le présent recours le 2 juin 2005. La demande vise à obtenir une injonction intérimaire et permanente empêchant le ministère des Travaux publics d’effectuer des prélèvements mensuels sur la pension de Monsieur Schenkman; le remboursement de toutes les sommes qui ont été, selon Monsieur Schenkman, prélevées par erreur; et la somme de 250 000 $ en dommages-intérêts pour mauvaise foi et manquement à une obligation fiduciaire.

 

Analyse

 

  • [14] La question de savoir si les allocations que Monsieur Schenkman doit rembourser ont été versées en trop n’est pas à traiter en l’espèce. Toutefois, il est malheureux que le ministère des Travaux publics ait attendu que Monsieur Schenkman soit à la retraite pour réclamer les sommes versées en trop. Cela inflige des difficultés incroyables. La demande de remboursement aurait vraisemblablement pu être présentée au moment de la réintégration de Monsieur Schenkman et les sommes auraient simplement pu être déduites de ce qui lui était dû pour les pertes salariales. La demande aurait également pu être présentée alors que Monsieur Schenkman était de nouveau employé et touchait un revenu plus élevé. La demande concernant le versement d’allocations en trop aurait également pu être présentée lors de la médiation devant George Adams. Si la demande avait été présentée à l’un ou l’autre de ces moments, Monsieur Schenkman aurait pu la contester et avoir accès à la procédure de grief. À titre d’ancien employé et retraité, ses droits d’être représenté par le syndicat et de bénéficier de la procédure de grief ne sont pas clairs et nets, mais plutôt incertains.

 

  • [15] Le ministère des Travaux publics a plutôt attendu après la démission de Monsieur Schenkman et, même à ce moment-là, n’a pas mentionné de demande de versement en trop dans la première communication envoyée à Monsieur Schenkman en septembre 2004 au sujet de ses allocations de retraite. Le premier avis écrit indiquant le montant exact présumément à payer et la demande de remboursement a été transmis en novembre 2004, soit près de deux ans et demi après la réintégration de Monsieur Schenkman.

 

  • [16] Comme il est noté ci-dessus, la preuve déposée par la défenderesse par l’intermédiaire de l’affidavit de Madame Linda Bellissimo, superviseure aux services de rémunération, région de l’Ontario, ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, impose à Monsieur Schenkman le fardeau de présenter les demandes et de poser les bonnes questions. Pourtant, en ce qui concerne toutes les communications entre le ministère des Travaux publics et Monsieur Schenkman concernant son salaire, ses avantages sociaux et les modalités de sa réintégration qui exposaient en détail les versements salariaux rétroactifs, les calculs d’insuffisance sur pension de retraite (cotisations), le remboursement des primes de soins dentaires de Monsieur Schenkman et ainsi de suite, Madame Bellissimo déclare au paragraphe 25 de son affidavit qu’elle [traduction] « n’a pas mentionné l’exigence de remboursement des allocations de retraite versées en trop puisqu’elle n’était pas au courant du montant à rembourser, qui était alors en cours de traitement par le secteur Pensions de retraite ».

 

  • [17] Il ne semble pas y avoir de connaissance des obligations d’un employeur et d’un administrateur de régime de retraite de divulguer aux participants du régime de manière exhaustive, exacte et rapide leurs avantages sociaux, leurs droits et leurs obligations. Pour sa part, Monsieur Schenkman semble croire qu’il a le droit de toucher une pension pour la même période au cours de laquelle il avait droit à son plein salaire, a versé des cotisations au régime de retraite et a accumulé des années de services ouvrant droit à pension.

 

  • [18] Dans tous les cas, peu importe la façon dont le dossier de Monsieur Schenkman peut avoir été administré, la procédure adéquate pour solliciter une ordonnance visant essentiellement à annuler une décision sur des versements en trop et la récupération des sommes versées en trop est une demande de contrôle judiciaire. La décision sur les versements en trop et le pouvoir d’exiger un remboursement est fondée sur la Loi sur la pension de la fonction publique et son règlement, tel qu’il est mentionné dans la lettre du 10 mars 2005 adressée à l’avocat de Monsieur Schenkman. En l’espèce, seule une demande de contrôle judiciaire permettra de déterminer si ce fondement est valide et s’il est autorisé d’exiger un remboursement.

 

  • [19] Comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, un demandeur doit contester une décision administrative au moyen d’une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision administrative, et non au moyen d’une action. Autoriser toute autre démarche permettrait de contester de manière indirecte ou collatérale des décisions rendues en vertu de fondements législatifs. À cet égard, la question de la procédure n’est pas simplement une question de forme – il y a un intérêt public à empêcher l’utilisation de réclamations de responsabilité délictuelle pour contester de manière collatérale des décisions qui sont ou devraient être définitives et qui peuvent faire l’objet d’un contrôle en vertu de la norme de contrôle adéquate et applicable. Autoriser la contestation collatérale d’une décision par la voie d’une action encouragerait un comportement contraire aux objectifs de la loi et aurait tendance à miner l’efficacité de la loi.

 

  • [20] Comme dans la décision Michaud c. Canada (Procureur général), [2000] ACF no 1999 (T.D.), étant donné que la mauvaise procédure a été choisie, le seul recours de Monsieur Schenkman à ce stade-ci consiste à solliciter une prorogation du délai pour entamer une demande et à présenter des raisons valables pour cette prorogation.

 

ORDONNANCE

 

  LA COUR ORDONNE que :

 

  1. La déclaration est radiée et l’action est rejetée.

  2. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens liés à la présente requête, elles peuvent déposer, au plus tard 30 jours après la date de la présente ordonnance, des déclarations écrites qui ne devront pas dépasser trois pages pour traiter la question des dépens.

 

« Martha Milczynski »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-957-05 

 

INTITULÉ :  ISAC SCHENKMAN c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 13 DÉCEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LA PROTONOTAIRE MILCZYNSKI

 

 

DATE DES MOTIFS:  LE 10 AOÛT 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Morris Cooper

 

POUR LE DEMANDEUR

Lois Lehmann

Roy Lee

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morris Cooper, Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada, Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

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