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Date : 20060814

Dossier : IMM-6698-05

Référence : 2006 CF 979

Ottawa (Ontario), le 14 août 2006

En présence de Monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

QUOC TRUNG NGUYEN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), à l’égard d’une décision en date du 21 octobre 2005 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté l’appel du demandeur en vue de surseoir, pour des motifs d’ordre humanitaire, à l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre lui.

[2]        Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire en vue d’une nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

 

Les faits à l’origine du litige

 

[3]        Le demandeur est né au Vietnam. En 1985, alors qu’il était âgé de sept ans, il est arrivé au Canada comme immigrant ayant obtenu le droit d’établissement avec ses parents et deux soeurs. Il n’est pas retourné au Vietnam depuis qu’il a immigré au Canada et il est actuellement résident permanent du Canada. Son père et ses 12 frères et soeurs résident au Canada et ils sont soit des résidents permanents du Canada, soit des citoyens canadiens. Sa mère est décédée il y a deux ans et est enterrée à Mississauga.

 

[4]        Le demandeur compte 12 condamnations au criminel à son dossier ainsi que des antécédents d’abus de drogues. Le 6 mai 2003, une mesure d’expulsion a été prise contre lui, la Section de l’immigration ayant décidé qu’il était interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Cette décision était fondée sur la déclaration de culpabilité prononcée contre le demandeur le 2 octobre 1997 relativement à l’infraction de possession d’une arme à feu alors qu’il était sous le coup d’une interdiction, laquelle infraction était punissable d’un emprisonnement maximal de 10 ans. Il avait été condamné à une peine d’emprisonnement de 60 jours relativement à cette infraction et s’était vu interdire la possession d’armes à feu, de munitions ou de substances explosives à vie.

 

[5]        Le 27 août 2003, le demandeur a été arrêté, détenu et accusé de différentes infractions. Par suite de ces accusations, il a fait l’objet de déclarations de culpabilité le 25 mai 2004 relativement à des infractions de possession d’un véhicule volé, d’entrave à un agent de la paix et de violation d’une condition de l’ordonnance de probation rendue contre lui, soit s’abstenir d’être propriétaire, possesseur ou porteur d’une arme, contrairement au Code criminel. Il a été condamné à la peine qu’il avait déjà purgée plus un jour, ainsi qu’à une probation concurrente de 12 mois. Il a ensuite été placé sous garde de l’Immigration jusqu’au 9 juillet 2004, date à laquelle il a été mis en liberté sous caution, à la condition qu’il s’inscrive à un traitement contre la toxicomanie dans un délai de 30 jours.

 

[6]        À titre de résident permanent, le demandeur a interjeté appel de la mesure d’expulsion devant la Commission en application du paragraphe 63(3) de la LIPR et a demandé un sursis à l’exécution de cette mesure pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[7]        Au soutien de son appel, le demandeur a présenté des lettres du Peel Addiction Assessment and Referral Centre et une confirmation de participation, des lettres de recommandation de sa famille et de son employeur, une lettre confirmant ses pratiques religieuses et une preuve documentaire sur la situation qui règne au Vietnam.

 

[8]        Le ministre a présenté une preuve des déclarations de culpabilité inscrites contre le demandeur. Ces déclarations de culpabilité se rapportent, notamment, à la possession d’une arme à feu non enregistrée, à la possession d’une arme à feu pendant une période d’interdiction, à la violation d’une condition d’une ordonnance de probation, à la conduite dangereuse d’un véhicule automobile, à la conduite pendant une période d’interdiction, à la possession d’une substance interdite (drogues) et à l’entrave à un agent de la paix.

 

[9]        Le 17 janvier 2005, la Commission a entendu l’appel du demandeur, qui a témoigné au sujet de ses antécédents judiciaires et de son ancien problème de toxicomanie. Il a dit que la peine qu’il avait purgée en prison en 2003 et 2004 lui avait fait prendre conscience de la nécessité de réparer son erreur. Après avoir été mis en liberté en juillet 2004, il s’est trouvé un emploi dans le domaine des travaux de rénovation, il a fréquenté l’église et a participé à des séances de consultation en toxicomanie. Il faisait l’objet d’une surveillance par son père, sa soeur et son frère, qui habitaient dans la même maison que lui. La soeur du demandeur avait également un jeune fils qui habitait avec eux; elle a dit à l’audience qu’elle avait observé de nombreux changements chez le demandeur et que la famille appuyait celui-ci et surveillait ses activités.

 

[10]      Le 21 octobre 2005, la Commission a rejeté l’appel, en raison de l’insuffisance de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise d’une mesure spéciale. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Les motifs de la décision de la Commission

[11]      Le commissaire a précisé que, pour décider s’il y avait lieu de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, il s’est inspiré des facteurs exposés dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] I.A.B.D. n° 4 (décision de la Commission d’appel de l’immigration n° T84‑9623) (QL), que la Cour suprême du Canada a approuvés dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, à la page 108. Ces facteurs sont les suivants : a) la gravité des infractions à l’origine de la mesure d’expulsion, b) la possibilité de réadaptation, c) la durée de la période passée au Canada et le degré d’établissement, d) la famille que le demandeur a au Canada et les bouleversements que l’expulsion occasionnerait pour cette famille, e) le soutien dont le demandeur bénéficie au sein de sa famille, mais également de la collectivité et f) l’importance des difficultés que causerait au demandeur le retour dans son pays de nationalité.

 

[12]      Après avoir passé en revue le casier judiciaire du demandeur, le commissaire a dit qu’il trouvait particulièrement inquiétant le fait que le demandeur avait été déclaré coupable d’une autre infraction relative à des armes le 12 août 2003. Cette accusation montrait que le demandeur n’avait nullement l’intention de s’amender. De plus, le demandeur ne s’était pas conformé aux ordonnances de probation rendues à son endroit, le plus récent manquement se rattachant à l’accusation portée contre lui le 27 août 2003, trois mois et demi après qu’il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion.

 

[13]      La Commission a souligné que ce n’est que récemment que le demandeur a cessé de consommer de la drogue et que, d’après le témoignage qu’il a présenté à l’audience, il a cessé de consommer du crack en 2003 et de l’héroïne en 2004. La Commission s’est exprimée comme suit : « Bien qu’il n’ait fait l’objet d’aucune arrestation, accusation ni condamnation en 2003 et 2004, il continuait de posséder et de consommer des stupéfiants et d’enfreindre la loi ».

 

[14]      La Commission a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve donnant à penser que le demandeur avait pris des initiatives pour régler son problème de toxicomanie avant juillet 2004. Elle a reconnu que le demandeur s’était présenté à un rendez-vous avec un conseiller en toxicomanie le 7 décembre 2004 et devait participer à quatre séances de groupe en janvier et février 2005. Cependant, la Commission a souligné que le demandeur n’avait pris aucune initiative en ce sens, mais qu’il avait plutôt suivi des directives qu’il avait reçues afin de se conformer aux conditions de sa mise en liberté. La Commission n’était pas convaincue que le demandeur s’était réadapté. Elle a plutôt conclu qu’il « était plus enclin à écouter ses amis toxicomanes et à se comporter en criminel ».

 

[15]      La Commission a constaté que le demandeur ne s’était pas préparé pour la vie au Canada. Il n’avait aucun compte bancaire et sa soeur s’occupait de toutes les affaires financières qui le concernaient. Selon la Commission, l’expérience de travail du demandeur était épisodique et il n’a jamais rien versé au fisc, bien qu’il ait déposé une déclaration de revenus une année.

 

[16]      La Commission a ajouté que les membres de la famille du demandeur n’avaient visiblement pas réussi à le convaincre de modifier son comportement criminel.

 

[17]      En ce qui a trait au bouleversement que l’expulsion du demandeur occasionnerait pour l’enfant de sa soeur, la Commission a mentionné qu’il serait difficile d’évaluer cette question parce que la preuve produite sur ce point est presque inexistante. Cela étant dit, la Commission a souligné que le demandeur n’était guère un « modèle de bonne conduite » et qu’il n’exercerait pas une influence positive sur cet enfant. Le commissaire a reconnu que, si le demandeur était renvoyé au Vietnam, il éprouverait des difficultés et que sa famille en souffrirait.

 

[18]      La Commission a conclu comme suit à la fin de ses motifs :

Compte tenu de ce qui précède, à savoir le degré d’établissement presque nul de l’appelant au Canada, la gravité de ses infractions et de ses activités criminelles ici, la faible probabilité qu’il se réadapte et le risque qu’il récidive, je ne suis pas convaincu qu’un sursis convienne dans son cas, malgré les difficultés qu’il pourrait éprouver au Vietnam ou les bouleversements que pourraient subir les membres de sa famille.

 

La question en litige

[19]      Le demandeur a soumis la question suivante à l’examen de la Cour :

La Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait erronée, mal interprété ou ignoré la preuve ou tiré des conclusions qui n’étaient pas fondées sur celle-ci?

 

Les arguments du demandeur

[20]      Le demandeur a soutenu que la conclusion de la Commission selon laquelle il n’avait nullement l’intention de s’amender était manifestement déraisonnable, parce qu’elle était fondée sur une conclusion de fait erronée, c’est-à-dire la déclaration de culpabilité dont il avait fait l’objet le 12 août 2003 à l’égard d’une autre infraction relative à des armes. Le demandeur a souligné qu’aucune déclaration de culpabilité n’avait été inscrite contre lui en 2003. Le commissaire faisait peut-être allusion à la déclaration de culpabilité inscrite à l’égard du demandeur le 25 mai 2004 par suite des infractions perpétrées le 27 août 2003. La déclaration de culpabilité inscrite le 25 mai 2004 ne concernait pas une infraction relative à des armes, mais plutôt la possession d’un véhicule volé, l’entrave à un agent de la paix et la violation d’une ordonnance de probation. Le demandeur a fait valoir que la conclusion de fait erronée de la Commission  constitue un élément primordial de la décision, parce qu’elle a eu une influence négative sur un facteur important, soit la possibilité de réadaptation.

 

[21]      Le demandeur a ajouté que la Commission avait tiré une autre conclusion de fait erronée en disant qu’il avait cessé de consommer du crack en 2003 et de l’héroïne en 2004. En fait, le demandeur a dit au cours de son témoignage qu’il avait cessé de consommer du crack en 2002 et de l’héroïne en 2003, avant d’être incarcéré en août 2003. Selon le demandeur, à la date de la décision que la Commission a rendue en octobre 2005, il n’avait pas consommé d’héroïne depuis deux ans et de crack depuis trois ans et l’erreur de la Commission quant à la durée de la période d’abstinence de consommation de drogues de la part du demandeur a touché la façon dont elle a évalué les chances de réadaptation de celui-ci.

 

[22]      Le demandeur a ajouté que la Commission avait commis une erreur en concluant qu’il avait fait peu d’efforts pour se réadapter et qu’il n’avait pris aucune initiative en ce sens, se contentant plutôt de suivre des directives. Selon le demandeur, cette conclusion ne tient pas compte du fait qu’il avait volontairement cessé de consommer du crack et de l’héroïne en 2002 et 2003, soit avant l’ordonnance de mise en liberté rendue à son endroit le 6 juillet 2004.

 

[23]      Le demandeur a reproché à la Commission d’avoir commis une erreur en omettant de tenir compte de la lettre d’un conseiller du Peel Addiction Assessment and Referral Centre, de la lettre d’appui de sa famille et du témoignage de sa soeur, qui comportaient tous des commentaires positifs au sujet de sa réadaptation. De l’avis du demandeur, cette preuve allait directement à l’encontre de la conclusion de la Commission selon laquelle il était davantage enclin à écouter ses amis toxicomanes et à se comporter en criminel. L’omission de tenir compte de cette preuve concernant la réadaptation constituait, de l’avis du demandeur, une erreur susceptible de révision, comme c’était le cas dans Malicia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 170.

 

[24]      Le demandeur a reproché à la Commission d’avoir conclu que sa famille n’avait aucune influence sur lui sans tenir compte de la preuve, de sorte que cette conclusion était manifestement déraisonnable. La soeur du demandeur a mentionné à l’audience que les membres de la famille s’étaient rassemblés pour aider celui-ci à se réadapter et qu’elle avait constaté qu’il avait changé et ne se tenait plus avec ses anciens amis. Elle a dit que le demandeur travaillait et que, lorsqu’il n’était pas au travail, il était avec sa famille à la maison. Le demandeur avait également remis une lettre dans laquelle son employeur l’avait décrit comme un homme travailleur. De l’avis du demandeur, l’ensemble de cette preuve montrait que sa famille avait réussi à l’aider à s’amender.

 

Les arguments du défendeur

[25]      Le défendeur a d’abord commenté les arguments du demandeur au sujet de la conclusion de fait erronée que la Commission avait tirée en ce qui a trait à la déclaration de culpabilité d’août 2003. Le défendeur a soutenu qu’il y avait lieu de replacer cette conclusion dans son contexte, parce qu’elle constituait l’un des nombreux facteurs sur lesquels la Commission s’était fondée pour conclure que le demandeur n’avait pas modifié son comportement criminel. Selon le défendeur, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur ne s’était pas amendé, pour les nombreuses raisons qu’elle a invoquées. Le demandeur avait commis de nombreux actes criminels graves et violé à maintes reprises les ordonnances de probation rendues à son endroit; il a continué à commettre des actes criminels après la prise d’une mesure d’expulsion contre lui et les infractions dont il a été reconnu coupable et qui étaient passibles de la peine la plus lourde (emprisonnement de neuf mois) ont été perpétrées après cette mesure d’expulsion.

 

[26]      Le défendeur a souligné que le demandeur avait été accusé, en août 2003, de deux chefs de possession d’une arme dangereuse, au motif qu’il portait sur lui une épée et un fusil à plomb. La Couronne a retiré ces accusations au moyen d’une négociation de plaidoyer. Cependant, le demandeur a plaidé coupable à l’accusation d’avoir violé une condition de l’ordonnance de probation rendue à son endroit, soit s’abstenir d’être propriétaire, possesseur ou porteur d’une arme, contrairement au Code criminel. Le fait que le demandeur portait des armes sur lui lorsqu’il a été arrêté en août 2003 était important aux yeux de la Commission, parce qu’il montrait que le demandeur n’avait pas l’intention de s’amender. Le défendeur a donc soutenu que, même si la Commission avait peut-être mal décrit la preuve, elle n’avait pas commis d’erreur quant à la façon dont elle avait évalué celle-ci et que les erreurs de la Commission n’étaient pas des erreurs susceptibles de révision, étant donné qu’elles n’avaient pas d’effet important sur l’issue de l’affaire.

 

[27]      En ce qui a trait à l’erreur que la Commission aurait commise au sujet de la durée de la période d’abstinence de drogues de la part du demandeur, le défendeur a fait valoir que, d’après le dossier, le demandeur avait consommé de l’héroïne en 2003 et du crack en août 2002. Il était donc loisible à la Commission de conclure que le demandeur avait cessé de consommer de l’héroïne et du crack récemment, en 2004 et en 2003.

 

[28]      Le défendeur a ajouté que la Commission avait examiné les efforts que la famille avait déployés pour aider le demandeur, mais qu’elle n’y avait pas accordé beaucoup d’importance, parce que ces efforts n’avaient pas été couronnés de succès dans le passé. L’absence d’influence exercée par la famille est appuyée par la preuve au dossier et ressort des contradictions entre le témoignage du demandeur et la déposition de la soeur de celui‑ci. Ainsi, le demandeur a dit que son employeur le payait habituellement par chèque, tandis que sa soeur a déclaré qu’il était habituellement payé au comptant, mais qu’elle ignorait le montant qu’il touchait. Le demandeur a mentionné au cours de son témoignage qu’il versait un loyer mensuel de 400 $ à 500 $ à ses parents, mais sa soeur a dit qu’il payait seulement 250 $ par mois.

 

[29]      Le défendeur a soutenu que la lettre du Peel Addiction Assessment and Referral Centre a été déposée le jour de l’audience comme pièce A-3. Selon le défendeur, la Commission renvoie, au paragraphe 3 des motifs de sa décision, à l’argument de l’avocate selon lequel le demandeur fait des progrès. La Commission mentionne également la pièce A-3 à la note 10.

 

[30]      Le défendeur a fait valoir que la Commission avait dûment tenu compte des facteurs énoncés dans la décision Ribic et que la conclusion qu’elle avait tirée n’était pas manifestement déraisonnable. Selon le défendeur, même si la Commission n’a peut‑être pas évalué la preuve concernant l’établissement, le soutien de la famille et le changement de mode de vie du demandeur comme celui-ci l’aurait souhaité, elle n’a pas ignoré ou mal compris la preuve.

 

Analyse et décision

[31]      Le demandeur conteste une décision que la Section d’appel de l’immigration a rendue au sujet d’un appel d’une mesure d’expulsion. La Section d’appel de l’immigration peut faire droit à l’appel et accorder un sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion lorsqu’elle est convaincue que, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifient, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. Par souci de commodité, les dispositions pertinentes de la LIPR sont reproduites ci-dessous :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé:

 

 

 

. . .

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

. . .

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

 

[32]      La Cour fédérale a décidé que le pouvoir discrétionnaire dont la Section d’appel de l’immigration est investie en vertu des paragraphes 67(1) et 68(1) de la LIPR est large et qu’une cour de justice n’interviendra pas dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire aussi longtemps que celui-ci est exercé de bonne foi et sans l’influence de considérations non pertinentes (voir Mand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1637, au paragraphe 13). Dans Capra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1324, au paragraphe 6, le juge Blais a décidé que, dans des cas semblables à la présente affaire, la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable. Dans la même veine, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bryan, 2006 CF 146, au paragraphe 43, le juge Russell a décidé que la norme de la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en ce qui a trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont la Section d’appel de l’immigration est investie en vertu du paragraphe 68(1) de la LIPR. Je souscris à cette conclusion. J’appliquerai donc la norme de la décision manifestement déraisonnable à la décision sous examen.

 

[33]      La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande de sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion?

            Pour décider s’il y avait lieu d’accorder le sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, la Commission a appliqué les critères qui avaient été énoncés dans la décision Ribic et que la Cour suprême du Canada a confirmés dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84. À la page 108, la Cour suprême du Canada a énoncé comme suit les facteurs en question :

Adoptant cette interprétation large de l’al. 70(1)b), la S.A.I. elle-même considère depuis longtemps que les difficultés à l’étranger sont un facteur à considérer dans les appels interjetés en vertu de cet alinéa.  Dans Ribic, précité, p. 4-5, la C.A.I. résume les facteurs pertinents qu’elle doit considérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère ce qui est maintenant l’al. 70(1)b) de la Loi :

 

[traduction] Dans chaque cas, la Commission tient compte des mêmes considérations générales pour déterminer si, compte tenu des circonstances de l’espèce, la personne ne devrait pas être renvoyée du Canada. Ces circonstances comprennent la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion. La Commission examine la durée de la période passée au Canada, le degré d’établissement de l’appelant, la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité. Même si les questions générales à examiner sont similaires dans chaque affaire, les faits, eux, ne sont que rarement, voire jamais, identiques. [Je souligne.]

 

Cette liste est indicative, et non pas exhaustive. Le poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas. Même si la majorité de ces facteurs visent des considérations intérieures, le dernier facteur comporte l’examen des difficultés possibles à l’étranger.

 

[34]      Dans la présente affaire, un des facteurs qui ont joué un rôle important dans la décision de la Commission était la possibilité de réadaptation du demandeur. La Commission semble avoir rejeté les efforts que le demandeur a déployés en ce sens au motif qu’il avait assisté à des séances de consultation en toxicomanie par suite des directives qu’il avait reçues. Je suis préoccupé par la façon dont la Commission a traité la lettre adressée le 9 septembre 2004 par un conseiller du Peel Addiction and Referral Centre qui avait interrogé le demandeur. Dans cette lettre, le conseiller s’est exprimé en partie comme suit :

[TRADUCTION] M. Nguyen signale qu’il a consommé du crack et de l’héroïne dans le passé. Il décrit sa consommation des deux substances comme une consommation peu fréquente de petites quantités de chacune d’elles. Il précise qu’il n’a pas consommé de crack depuis 2002 et qu’il a consommé de l’héroïne pour la dernière fois il y a plus d’un an. Il déclare avoir la ferme intention de ne plus toucher aux drogues quelles qu’elles soient, parce qu’il a été témoin, directement et indirectement, des conséquences graves que chaque substance peut avoir sur la vie d’une personne, que ce soit sur le plan juridique, financier ou social ou encore sur le plan de la santé.

 

M. Nguyen a montré qu’il avait réfléchi aux problèmes qui seraient en partie à l’origine de sa conduite antérieure. Il a reconnu ses activités criminelles passées et les conséquences qu’elles ont entraînées. Il a choisi d’éviter les contacts avec ses semblables pour l’instant, parce que ces personnes représentent à ses yeux des personnes à haut risque qui pourraient nuire à ses plans futurs. Il déclare que son objectif actuel est de terminer sa probation, de payer ses amendes et sa dette et de continuer à travailler à temps plein sur une base régulière. Il semble sincère à ce sujet et affirme que la consommation de drogues est désormais chose du passé en ce qui le concerne.

 

 

[35]      Cette lettre donnait des renseignements sur le désir du demandeur de se réadapter. Je ne crois pas que la Commission peut justifier le rejet de cet élément de preuve important simplement en le mentionnant comme référence dans une note de bas de page.

 

[36]      La Commission a également rejeté les efforts que la famille du demandeur avait déployés pour l’aider lorsqu’elle s’est exprimée comme suit dans ses motifs :

Les membres de sa famille ont tenté de lui ouvrir les yeux, mais visiblement sans succès. Ils n’ont aucune influence sur lui.

 

 

[37]      Cependant, le demandeur a dit au cours de son témoigne qu’il s’était tenu loin des problèmes en travaillant à temps plein et que, lorsqu’il n’était pas au travail, il était à la maison avec sa famille ou aidait sa soeur au salon de coiffure de celle-ci. Ces déclarations ont été corroborées par le témoignage de la soeur du demandeur, qui a également mentionné qu’elle avait observé de nombreuses améliorations chez celui-ci et qu’il y avait toujours un membre de la famille qui le surveillait à la maison lorsqu’il n’était pas au travail. J’ai tenu compte de l’existence de certaines incohérences entre le témoignage du demandeur et celui de sa soeur au sujet de la question de savoir s’il avait été payé par chèque ou au comptant et au sujet du montant de loyer qu’il versait à sa famille. Ces incohérences ne permettent pas d’ignorer la preuve concernant l’influence que les membres de la famille ont exercée sur le demandeur.

 

[38]      À mon avis, aucun élément des motifs ne montre que la Commission a tenu compte du témoignage du demandeur et de la soeur de celui-ci au sujet des changements positifs qu’il a apportés à son mode de vie.

 

[39]      De plus, la Commission ne semble pas avoir tenu compte de la preuve selon laquelle le demandeur évitait ses anciens amis, qui avaient été l’une des sources de ses problèmes de toxicomanie et de son comportement criminel passés.

 

[40]      À mon avis, il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission de ne pas expliquer les raisons pour lesquelles elle n’a pas accepté la preuve du demandeur et de la soeur de celui-ci au sujet de la réadaptation. La Commission n’a pas expliqué non plus pourquoi elle n’acceptait pas la preuve de réadaptation contenue dans la lettre du 9 septembre 2004 du Peel Addiction Assessment and Referral Centre. La possibilité de réadaptation est l’un des facteurs pertinents qui ont été énoncés dans la décision Ribic et que la Cour suprême du Canada a appliqués pour décider si le demandeur devrait être autorisé à rester au Canada.

 

[41]      En conclusion, pour les motifs exposés ci-dessus, la décision de la Commission était manifestement déraisonnable et doit être annulée. L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué en vue d’une nouvelle décision.

 

[42]      Aucune partie n’a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale à faire certifier.

 

 

JUGEMENT

 

[43]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué en vue d’une nouvelle décision.

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6698-05

 

INTITULÉ :                                       QUOC TRUNG NGUYEN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 JUILLET 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 14 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Rhonda Marquis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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