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Date : 20060816

Dossier : IMM‑5108‑05

Référence : 2006 CF 987

Ottawa (Ontario), le 16 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

WAFFA AZIZ ISMAIL

SAMIR ABDULHADI ABBAS

MURAD SAMIR ABDULHADI ABBAS

AWS SAMIR ABDULHADI ABBAS

MANAR S. ABDULHADI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Le présent contrôle judiciaire concerne un demandeur qui, a‑t‑il été présumé, occupait un poste de rang supérieur au sein du gouvernement irakien et, à cause de cela, ni lui ni sa famille ne sont admissibles au Canada. La question fondamentale est celle de savoir si le demandeur a occupé un tel poste ou non.

 

[2]               Un agent des visas a déterminé que les demandeurs appartiennent à une catégorie de personnes interdites de territoire pour cause de terrorisme, de violations systématiques ou flagrantes des droits de la personne, de génocide, d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité, et ils se sont donc vus refuser une demande de visas de résident permanent présentée depuis l’extérieur du Canada. Un appel auprès de la Section d’appel de l’immigration a été rejeté.

 

II.         Les faits

[3]               Le demandeur adulte, Samir Abdulhadi Abbas (Abbas), a été officier dans l’armée irakienne sous les régimes d’Ahmed Hassan Al‑Bakr et de Saddam Hussein. Ces gouvernements, au pouvoir depuis 1968, ont été désignés le 3 septembre 1996 par le ministre responsable comme des gouvernements qui se livrent au terrorisme, à des violations systématiques ou flagrantes des droits de la personne, à un génocide, à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité.

 

[4]               Abbas a été soit brigadier (administratif), soit brigadier‑général au sein de l’armée irakienne. Il a prétendu s’être joint volontairement à cette dernière en 1975 parce que, en tant que membre de la minorité turkmène, il avait peu d’autres perspectives de carrière. Entre 1984 et 1996, il a été automatiquement promu tous les quatre ans parce qu’il avait subi des blessures non liées au combat durant la guerre entre l’Iran et l’Irak.

 

[5]               Abbas a soutenu qu’en 1996, il a été arrêté et jeté en prison sur l’ordre du président Hussein. Il a dit avoir versé un pot‑de‑vin au secrétaire personnel du président pour obtenir sa libération et le rétablissement de son grade. Par la suite, il a pris la fuite vers la Turquie, où vivaient son épouse et ses enfants depuis 1995.

 

[6]               Les demandes de visa des demandeurs ont été refusées par l’agent des visas en Turquie. Dans sa décision, ce dernier fait référence à l’alinéa 35(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) ainsi qu’à l’article 16 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement); il conclut qu’Abbas, à titre de brigadier‑général, était un haut gradé de l’armée irakienne. Il correspondait donc à la définition d’une personne occupant un poste de rang supérieur - au sens du règlement – au sein d’un gouvernement, et était donc interdit de territoire.

 

[7]               Dans le présent contrôle judiciaire, Abbas a affirmé qu’il n’était pas brigadier‑général, mais qu’il avait le grade inférieur de brigadier (administratif).

 

III.       Analyse

[8]               Les demandeurs soulèvent un certain nombre de questions qui, prétendent‑ils, se posent en l’espèce, mais la seule question fondamentale est de savoir si la décision factuelle de l’agent des visas, selon laquelle Abbas occupait un poste de rang supérieur, peut être maintenue.

 

[9]               Les parties ont toutes deux convenu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cependant, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a conclu que les décisions que prennent les agents d’immigration au sujet des demandes d’immigration sont de nature discrétionnaire et qu’il convient de faire preuve, à l’égard de ces dernières, d’une retenue considérable. Dans le contexte de cette affaire, la Cour suprême a décrété que la norme à appliquer était celle de la décision raisonnable simpliciter. Parallèlement, dans la décision Nezam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 446, [2005] A.C.F. no 554 (QL), une affaire analogue au présent contrôle judiciaire, la juge Heneghan a statué que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter quand il était question de décider si une personne occupait un poste de rang supérieur. Pour les besoins de la présente espèce, je souscris à cette norme, qui implique un degré moindre de retenue.

 

[10]           Le demandeur a soutenu qu’il fallait admettre certains documents (onglets 1 à 8 de son dossier) dans le présent contrôle judiciaire. La preuve se rapporte à des faits décrits à l’agent des visas, ou concerne la crédibilité des demandeurs. Le défendeur admet - et je suis d’accord - que ces documents sont recevables en l’espèce.

 

[11]           Les demandeurs ont soulevé une question d’équité procédurale : l’agent des visas n’a pas fait part à Abbas de ses doutes au sujet de son grade et de son rang supérieur. Les commentaires qu’Abbas a faits à la fin de l’entrevue, à savoir que si son grade ou son rôle au sein du gouvernement irakien étaient préjudiciables à la revendication de sa famille, il [traduction] « sacrifierait » sa propre revendication, ne cadrent pas avec l’argument selon lequel on a négligé de lui faire part des doutes en question.

 

[12]           Au dire d’Abbas, la décision de l’agent des visas au sujet de son grade est manifestement déraisonnable. Il soutient qu’il était brigadier (administratif), et non brigadier‑général. Les demandeurs font aussi remarquer qu’il n’existe pas de définition du mot « supérieur » comme dans l’expression « poste de rang supérieur » et que, compte tenu de son grade véritable, il n’avait pas ce statut‑là.

 

[13]           Deux questions de fait sont soulevées : Abbas était‑il brigadier ou brigadier‑général, et le grade exact faisait‑il de lui une personne occupant un poste de rang supérieur?

 

[14]           Voici quelques‑unes des preuves cruciales qu’Abbas était brigadier‑général :

·                    le tableau de la hiérarchie militaire de l’armée irakienne, qui figure dans le dossier du demandeur (onglet 7), indique que les grades d’officier vont du grade de lieutenant en second à celui de colonel, et ensuite du grade de brigadier‑général à celui de général de l’armée. Il n’existe pas de grade de brigadier ou, détail plus important, de grade de brigadier (administratif);

·                    Abbas a gravi les échelons jusqu’au grade de colonel avant sa promotion suivante qui, d’après le tableau de la hiérachie militaire, est le grade de « brigadier‑général »;

·                    La version traduite du laissez‑passer du ministre de la Défense que détenait Abbas le qualifie de brigadier‑général; ce laissez‑passer porte la signature d’un major‑général.

 

[15]           Au vu de ce dossier, et à défaut d’autres preuves dignes de foi soumises à l’agent des visas, la conclusion selon laquelle Abbas avait le grade de brigadier‑général est raisonnable.

 

[16]           Abbas a soutenu devant la Cour que la traduction de son laissez‑passer militaire était inexacte. Il en a produit une nouvelle traduction, qui indiquait que son grade était celui de brigadier. Cependant, cette traduction réduisait également le grade de l’officier signataire du laissez‑passer; ce dernier n’était plus major‑général, mais brigadier‑général d’état‑major. Au vu de l’ensemble des autres éléments de preuve, il est impossible d’accepter que cette nouvelle traduction soit concluante quant au grade d’Abbas.

 

[17]           Abbas soutient également que l’agent des visas n’a pas tenu compte du rôle et des responsabilités qu’il assumait en tant qu’officier de l’armée irakienne. Il souligne aussi que ce rôle était celui d’un administrateur, et non d’un combattant.

 

[18]           L’enquête menée aux termes de l’alinéa 35(1)b) de la Loi n’a pas pour but de déterminer si une personne a été complice d’actes prohibés, mais si elle a occupé un poste « de rang supérieur ». Le fait qu’un officier soit un administrateur ne l’empêche d’occuper un poste de rang supérieur.

 

[19]           Les demandeurs se fondent sur les décisions que la Cour a rendues dans Lutfi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1391, [2005] A.C.F. no 1703 (QL) et Hamidi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 333, [2006] A.C.F. no 402 (QL) à l’appui de l’argument selon lequel l’agent des visas ne s’est pas renseigné comme il faut sur le rang supérieur d’Abbas.

 

[20]           Cependant, dans Lutfi, la conclusion selon laquelle il n’y avait pas lieu de déterminer que le demandeur occupait un poste de rang supérieur est fondée sur le fait que l’on n’était pas arrivé à la conclusion exacte au sujet de son grade. Il était en réalité lieutenant‑colonel (et non colonel) et, sur le plan hiérarchique, se situait dans la moitié inférieure des grades de l’armée.

 

[21]           Dans Hamidi, les demandeurs ont interprété cette décision de manière large. Cependant, dans cette affaire, il n’était nullement question d’établir le grade de la personne dans le contexte du régime militaire pertinent.

 

[22]           En l’espèce, l’agent des visas avait une preuve du grade militaire officiel, l’équivalent de ce dernier dans des régimes militaires similaires au régime canadien, l’historique précis des promotions d’Abbas ainsi qu’une preuve de ses fonctions et de ses états de service au sein de l’armée irakienne.

 

[23]           Au vu du dossier en l’espèce, il était raisonnable que l’agent des visas conclue qu’Abbas était une personne qui occupait un « poste de rang supérieur ».

 

[24]           Il faut garder à l’esprit que c’est au demandeur qu’incombe l’obligation de produire une preuve d’admissibilité. Abbas était au courant de cette question fondamentale dans la demande de visa. Dans les circonstances, il lui appartenait de réfuter la conclusion raisonnable selon laquelle il occupait un poste de rang supérieur – au sens du règlement – au sein d’un gouvernement.

 

[25]           Le demandeur demande à la Cour de certifier une question relative au sens des mots « occuper un poste de rang supérieur ». Cette demande est en grande partie d’ordre factuel et il n’y a pas lieu en l’espèce d’effectuer une telle certification.

 

[26]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

            IL EST ORDONNÉ QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                       IMM‑5108‑05

 

 

INTITULÉ :                                                      WAFFA AZIZ ISMAIL,

                                                                           SAMIR ABDULHADI ABBAS,

                                                                           MURAD SAMIR ABDULHADI ABBAS,

                                                                           AWS SAMIR ABDULHADI ABBAS,

                                                                           MANAR S. ABDULHADI

                                                                           c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 10 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 16 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Umesh I. Vyas

 

POUR LES DEMANDEURS

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Umesh Vyas Law Office

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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