Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20060817

Dossier : T‑560‑04

Référence : 2006 CF 993

Ottawa (Ontario), le 17 août 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

 

et

 

 

JOSEF FURMAN

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]        M. Josef Furman, le défendeur, est âgé de 87 ans. Originaire d’Ukraine, il est arrivé au Canada en juillet 1949 en provenance de l’Allemagne, où il avait vécu depuis 1942. M. Furman est devenu citoyen canadien en 1957. Il habite actuellement à Edmonton dans un foyer de soins de longue durée et souffre de démence.

 

[2]        Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), qui est le demandeur, veut révoquer la citoyenneté canadienne de M. Furman au motif qu’il a été admis au Canada et a obtenu sa citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration, ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Plus précisément, le ministre dit que M. Furman n’a pas révélé la modification de son patronyme, ni les activités suivantes exercées par lui durant la Deuxième Guerre mondiale :

 

a)      sa collaboration avec l’occupant allemand;

 

b)      son rôle dans le camp d’entraînement SS de Trawniki;

 

c)      ses activités, à titre de gardien de Trawniki, au ghetto de Varsovie en avril et mai 1943, et au ghetto de Bialystok en août 1943; et

 

d)      ses activités à titre de gardien du camp de concentration de Flossenbürg en 1943 et 1944.

 

[3]        S’agissant de la procédure, la présente instance a débuté par un avis, daté du 13 novembre 2003, dans lequel le ministre de l’époque (l’honorable Denis Coderre) informait M. Furman qu’il songeait à prier le gouverneur en conseil de révoquer sa citoyenneté canadienne sur la foi des allégations susmentionnées. M. Furman a exercé son droit de demander le renvoi de l’affaire à la Cour fédérale. L’affaire a alors été renvoyée à la Cour fédérale par déclaration déposée par le ministre.

 

[4]        L’instruction de cette affaire s’est déroulée en même temps que celle de l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Jura Skomatchuk (n° du greffe T‑440‑04) en raison de la similitude des faits dans les deux cas. Toutefois, les présents motifs et la décision qui en résulte ne se rapportent qu’à M. Furman.

 

[5]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis, selon la prépondérance de la preuve, que M. Furman était un gardien SS du Troisième Reich, participant au nettoyage des ghettos de Varsovie et de Bialystok, et investi des fonctions de gardien de camp de concentration. Il n’a pas révélé ces faits aux fonctionnaires de l’immigration lorsqu’il a immigré au Canada. Autrement dit, M. Furman a obtenu sa citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration, ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Cependant, le ministre ne m’a pas persuadée que M. Furman n’a pas révélé la modification de son patronyme, de Furmanchuk à Furman. Vu ces conclusions, il n’est pas nécessaire de statuer sur l’allégation de collaboration.

 

II.  Méthode d’analyse

[6]        Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, il est demandé ici à la Cour de dire si M. Furman a obtenu sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration, ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels (alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi sur la citoyenneté de 1985)). Après avoir entendu et examiné les preuves présentées dans la présente instance, je suis arrivée à la conclusion que ma décision m’oblige à tirer une série de conclusions de fait portant sur les questions suivantes :

 

  1. M. Furman est‑il né « Iosef Furmanchuk »?

 

  1. Une personne du nom de « Furmantschuk » a‑t‑elle suivi une formation de gardien SS de Trawniki et a‑t‑elle participé, en tant que gardien, à des activités dans les ghettos juifs de Varsovie et de Bialystok et au camp de concentration de Flossenbürg?

 

  1. Quelles étaient les activités de M. Furman durant la Deuxième Guerre mondiale? Le ministre soutient que M. Furman était le gardien « Furmantschuk » évoqué dans l’alinéa 2 ci‑dessus. M. Furman dit qu’il a été emmené en Allemagne le 1er mai 1942 pour faire, sous la contrainte, des travaux agricoles à Eltheim, en Allemagne, jusqu’à la fin de la guerre.

 

  1. Les fonctionnaires canadiens de l’immigration avaient‑ils interrogé M. Furman et obtenu des renseignements sur ses activités durant la Deuxième Guerre mondiale? Comme il n’y a aucun témoignage direct d’un fonctionnaire de l’immigration ayant interrogé M. Furman, la réponse à cette question requiert un examen des procédures canadiennes d’immigration et de sécurité qui étaient en vigueur à l’époque pertinente.

 

  1. S’il est prouvé que M. Furman est le gardien « Furmantschuk » évoqué dans l’alinéa 2 ci‑dessus, M. Furman a‑t‑il dissimulé ces activités de temps de guerre aux fonctionnaires canadiens de l’immigration avant d’arriver au Canada?

 

  1. Si je suis d’avis que M. Furman n’a pas révélé aux fonctionnaires canadiens de l’immigration son véritable patronyme, son statut de prisonnier de guerre soviétique ou son poste de gardien auprès des SS allemands durant la guerre, quel effet cela a‑t‑il pu avoir sur son immigration au Canada et sur son acquisition ultérieure de la citoyenneté canadienne?

 

  1. Si M. Furman n’a pas révélé son changement de patronyme lorsqu’il a demandé la citoyenneté canadienne, quel effet cela a‑t‑il pu avoir sur sa citoyenneté?

 

[7]        Avant de répondre à ces questions, il serait utile pour le lecteur de comprendre le cadre juridique qui a présidé à l’introduction de la présente instance. De plus, puisque les accusations les plus graves du ministre portent sur des activités de gardien de camp de concentration, il serait sans doute utile aussi d’avoir une vue d’ensemble du système des camps de concentration et camps de travail établis dans les territoires annexés par le Troisième Reich. Plus précisément, puisque les présumées activités se rapportent au camp d’entraînement SS de Trawniki, j’ajouterai une vue d’ensemble de l’historique des gardiens de Trawniki, et des méthodes employées pour leur formation et leur emploi.

 

[8]        Les présents motifs sont structurés comme il suit, chacune des sections débutant par le paragraphe indiqué.

I.     Introduction ................................................................................................................... [1]

II.   Méthode d’analyse ......................................................................................................... [6]

III.  Cadre juridique .............................................................................................................. [9]

A.  Droits procéduraux .................................................................................................. [9]

(1)     Le paragraphe 10(1) de la Loi de 1985 sur la citoyenneté .............................. [10]

(2)     La présomption énoncée par le paragraphe 10(2) de la Loi de 1985 sur la citoyenneté          [12]

(3)     L’avis prévu par l’article 18 ............................................................................. [13]

(4)     L’effet de la décision rendue par la Cour en vertu de l’article 18 ....................... [15]

B.  Droits matériels ...................................................................................................... [16]

(1)     Le paragraphe 10(1) de la Loi de 1948 sur la citoyenneté .............................. [17]

(2)     Le sens de l’expression « licitement admis » ...................................................... [18]

C.  Charge de la preuve et norme de preuve ................................................................ [21]

IV.  Contexte historique ...................................................................................................... [26]

A.  Témoins ................................................................................................................ [26]

B.  Le système des camps de concentration et camps de travail du Troisième Reich ...... [32]

(1) Le système des camps de concentration en général ............................................ [32]

(2) L’administration des camps au sein du Gouvernement général ............................. [38]

(3) Le système des camps dans la région de Lublin du Gouvernement général .......... [44]

(4) Le camp d’entraînement de Trawniki et le recours aux prisonniers de guerre soviétiques            [47]

(5) La réception des gardiens en formation à Trawniki et les documents qui leur étaient remis          [53]

(6) Le rôle des gardiens .......................................................................................... [58]

(7) Leur intégration dans les Unités SS « Tête de mort » .......................................... [66]

V.   Changement présumé de patronyme ............................................................................. [69]

VI.  Antécédents et rôle de M. Furman durant la Deuxième Guerre mondiale ....................... [78]

A.  Les faits incontestés ............................................................................................... [78]

B.  La preuve de M. Furman ....................................................................................... [81]

C.  Le gardien Furmantschuk ....................................................................................... [95]

D.  L’identité du gardien Furmantschuk ...................................................................... [121]

E.  Conclusion ........................................................................................................... [129]

VII. Immigration de M. Furman au Canada ....................................................................... [130]

A.     M. Furman dans l’Allemagne d’après‑guerre ........................................................ [136]

B.     Évolution de la politique canadienne d’immigration ................................................ [140]

C.     Le rôle de la GRC ............................................................................................... [143]

D.     La procédure des contrôles de sécurité de la GRC ............................................... [153]

E.      Motifs de refoulement .......................................................................................... [158]

F.      Conclusion .......................................................................................................... [168]

VIII. Contrôle de sécurité de M. Furman .......................................................................... [170]

IX.    Non‑révélation du patronyme véritable reçu à la naissance ........................................ [175]

X.     Acquisition de la citoyenneté .................................................................................... [180]

XI.    Arguments de M. Furman fondés sur la décision Dueck ............................................ [186]

XII.   Exercice de son pouvoir discrétionnaire par le membre de la GRC ............................ [201]

XIII.  Sommaire des conclusions ....................................................................................... [205]

XIV.  Dispositif ................................................................................................................ [207]

III.  Cadre juridique

A.  Droits procéduraux

 

[9]        S’agissant de la législation qui régit la présente instance, les droits procéduraux de M. Furman sont régis par les textes en vigueur à l’époque où est lancée la procédure de révocation de la citoyenneté. En l’espèce, les dispositions applicables sont les articles 10 et 18 de la Loi de 1985 sur la citoyenneté. Ces dispositions sont reproduites intégralement à l’appendice A des présents motifs.

 

            (1)  Le paragraphe 10(1) de la Loi de 1985 sur la citoyenneté

[10]      Conformément au paragraphe 10(1) de cette Loi, le ministre peut présenter au gouverneur en conseil un rapport selon lequel l’acquisition de la citoyenneté est intervenue « sous le régime de la présente loi » par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Si le gouverneur en conseil est alors convaincu que la citoyenneté a été acquise de cette manière, l’intéressé « perd sa citoyenneté ».

 

[11]      Il est bien établi que l’expression « sous le régime de la présente loi », qui apparaît au paragraphe 10(1) de la Loi de 1985 sur la citoyenneté, doit être interprétée comme une expression signifiant « sous le régime de la présente loi, la Loi sur la citoyenneté, telle qu’elle a été adoptée au fil des ans » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fast, 2003 CF 1139, [2003] A.C.F. n° 1428 (QL), au paragraphe 113). Plus exactement, une fausse déclaration faite à l’époque d’une ancienne Loi sur la citoyenneté tombe sous le coup du paragraphe 10(1) de la Loi de 1985 sur la citoyenneté.

 

            (2)  La présomption énoncée par le paragraphe 10(2) de la Loi de 1985 sur la citoyenneté

[12]      Il se peut que l’intéressé n’ait pas directement menti ou dissimulé des renseignements au moment d’acquérir la citoyenneté canadienne, mais qu’il ait menti, ou dissimulé des renseignements, à l’agent d’immigration à l’étranger qui a approuvé son admission au Canada. Ce cas est résolu par le paragraphe 10(2). Selon cette disposition, est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l’a acquise « à raison d’une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l’un de ces trois moyens ».

 

            (3)  L’avis prévu par l’article 18

[13]      L’article 18 de la Loi prévoit que le ministre ne peut présenter un rapport au gouverneur en conseil qu’après avoir donné avis de son intention en ce sens à l’intéressé. L’intéressé peut alors demander que soit renvoyée à la Cour fédérale la question de savoir s’il a acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Si la Cour répond par l’affirmative, sa décision constituera le fondement du rapport du ministre.

 

[14]      Dans la présente instance, l’avis prévu par l’article 18 a été signé par le ministre le 13 novembre 2003 et communiqué à M. Furman. Par avis signifié le 13 décembre 2003, M. Furman a demandé au ministre de renvoyer cette affaire à la Cour fédérale.

 

            (4)  L’effet de la décision rendue par la Cour en vertu de l’article 18

[15]      La décision de la Cour ne constitue pas en tant que telle une décision de révoquer ou d’annuler la citoyenneté d’une personne. Elle donne plutôt au ministre un fondement factuel pour le rapport et peut constituer la base de la décision du gouverneur en conseil. Seul le gouverneur en conseil a le pouvoir de révoquer la citoyenneté d’une personne. La décision rendue par la Cour en vertu de l’article 18 est définitive et non susceptible d’appel (Loi de 1985 sur la citoyenneté, paragraphe 18(3)), mais la décision du gouverneur en conseil est susceptible de contrôle judiciaire (voir par exemple l’arrêt Oberlander c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 213, [2004] A.C.F. n° 920 (QL)).

 

B.  Droits matériels

[16]      S’agissant des droits matériels afférents à l’acquisition de la citoyenneté, je dois examiner la législation qui était en vigueur à l’époque où la citoyenneté a été acquise. En l’espèce, la citoyenneté a été acquise en 1957. Par conséquent, les deux textes applicables sont la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, entrée en vigueur en 1948 (la Loi de 1948 sur la citoyenneté) et la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, ch. 325, elle aussi entrée en vigueur en 1948 (la Loi de 1948 sur l’immigration).

 

            (1)  Le paragraphe 10(1) de la Loi de 1948 sur la citoyenneté

[17]      Le paragraphe 10(1) de la Loi de 1948 sur la citoyenneté exposait les conditions qu’il fallait remplir, en 1957, pour obtenir un certificat de citoyenneté. La disposition est reproduite intégralement à l’appendice A. Fait important dans la présente instance, M. Furman devait convaincre le ministre qu’il avait été « licitement admis au Canada pour y résider en permanence » (alinéa 10(1)b)) et qu’il avait « une bonne moralité » (alinéa 10(1)d)). Évidemment, il y a d’autres conditions, par exemple avoir une connaissance suffisante de l’anglais ou du français et avoir une connaissance suffisante des responsabilités et privilèges de la citoyenneté canadienne; ces conditions ne sont pas en cause ici. C’est la licéité de l’admission au Canada qui est le préalable à l’acquisition de la citoyenneté canadienne.

 

            (2)  Le sens de l’expression « licitement admis »

[18]      Pour savoir ce que signifie l’expression « licitement admis », je dois m’en rapporter à la Loi de 1948 sur l’immigration. Dans son alinéa 2n), le mot « réception » s’entend de « l’admission légale d’un immigrant au Canada aux fins de résidence permanente ».

 

[19]      Pour être admis au Canada, l’intéressé devait paraître devant un fonctionnaire de l’immigration, pour un examen permettant de déterminer « s’il est admissible ou non au Canada » (Loi de 1948 sur l’immigration, paragraphe 20(1)). Le paragraphe 20(2) dispose que l’intéressé « doit donner des réponses véridiques à toutes les questions que lui pose… un fonctionnaire… et tout défaut de ce faire… constitue, en soi, un motif d’expulsion suffisant ». Il faut aussi signaler l’alinéa 50f), selon lequel était coupable d’une infraction à la Loi de 1948 sur l’immigration quiconque « sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse au cours d’un examen ou d’une enquête prévue par la présente loi ou à l’égard de l’admission d’une personne au Canada ou de la demande d’admission de qui que ce soit ».

 

[20]      En somme, le régime en vigueur en 1957 était clair; une fausse déclaration faite durant l’examen en vue d’une réception ne pouvait pas être excusée. Celui qui mentait, ou qui dissimulait des faits essentiels, aux fonctionnaires de l’immigration devant lesquels il se présentait pour un examen n’était pas « licitement admis » au Canada (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bogutin [1998] A.C.F. n° 211 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 126) et contrevenait donc à la Loi de 1948 sur la citoyenneté.

 

C.  Charge de la preuve et norme de preuve

[21]      C’est manifestement sur le ministre demandeur que repose la charge de la preuve.

 

[22]      Pour définir la norme de preuve à appliquer, il importe de noter qu’il s’agit ici d’une procédure civile et non d’une procédure criminelle.

 

[23]      Dans l’une des premières affaires de ce genre (Canada (Secrétaire d’État) c. Luitjens (1991), 40 F.T.R. 267, [1991] A.C.F. n° 1041 (C.F. 1re inst.)), la Cour a jugé que la norme de preuve à laquelle devait satisfaire le demandeur était ce que la Cour appelait un « niveau élevé de probabilité ». Cette notion a été rejetée dans la jurisprudence ultérieure, et la norme de preuve à laquelle doit satisfaire le demandeur est aujourd’hui celle de la prépondérance de la preuve : Bogutin, précité, paragraphe 110; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Obodzinsky, 2003 CF 1080, [2003] A.C.F. n° 1344 (QL), paragraphe 7; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Baumgartner, 2001 CFPI 970, [2001] A.C.F. n° 1351 (QL), paragraphe 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Odynsky, 2001 CFPI 138, [2001] A.C.F. n° 286 (QL), paragraphe 13; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Oberlander, [2000] A.C.F. n° 229 (QL) (C.F. 1re inst.), paragraphe 187; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kisluk (1999), 169 F.T.R. 161, [1999] A.C.F. n° 824 (QL) (C.F. 1re inst.), paragraphe 5; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Katriuk (1999), 156 F.T.R. 161, [1999] A.C.F. n° 90 (QL) (C.F. 1re inst.), paragraphe 38).

 

[24]      Il est donc bien établi que, pour une instance de cette nature, la norme de preuve est la norme civile de la prépondérance de la preuve. Dans un cas comme celui‑ci, cependant, où la conduite alléguée est moralement répréhensible et comporte de graves conséquences pour le défendeur, la jurisprudence m’impose de montrer beaucoup de circonspection dans l’appréciation de la preuve (voir par exemple la décision Odynsky, précitée, au paragraphe 13).

 

[25]      La norme de la prépondérance de la preuve sera respectée si la Cour est persuadée, d’après la preuve, qu’un fait contesté est plausible. Autrement dit, compte tenu de la preuve présentée à la Cour, je dois conclure que l’événement ou le fait contesté est non seulement possible, mais probable (décision Obodzinsky, précitée, aux paragraphes 8 et 9). Dans le contexte présent, où sont allégués des faits sérieux et où les conséquences possibles pour leur auteur sont graves, la probabilité ou l’improbabilité intrinsèque d’un fait est elle‑même un point à prendre en considération (Re H (minors), [1996] A.C. 563 (C.L.)).

 

IV. Contexte historique

A.  Témoins

[26]      Deux témoins produits par le ministre ont été particulièrement utiles pour la compréhension du contexte historique de la présente instance.

 

[27]      Le premier de ces témoins était le Dr Johannes Tuchel, un historien. Dans la présente instance, il était qualifié comme témoin expert et a déposé à propos de ce qui suit :

 

·        l’appareil de terreur du Troisième Reich;

 

·        l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale;

 

·        le contexte général des camps de concentration et le système des camps de concentration, notamment les camps de Trawniki, de Poniatowa, de Flossenbürg, de Sachsenhausen et de Mauthausen, ainsi que les camps satellites qui leur étaient rattachés;

 

·        le rôle des gardiens de Trawniki dans le Troisième Reich; et

 

·        la liquidation ou « purification » des ghettos de Varsovie et de Bialystok.

 

[28]      Outre le témoignage oral du Dr Tuchel, le ministre a produit comme preuve un document intitulé [traduction] « Le déploiement des gardiens SS (SS‑Wachmänner) de Trawniki dans les camps de concentration nationaux‑socialistes, plus particulièrement sur le camp de concentration de Flossenbürg », document daté de novembre 2005 et rédigé par le Dr Tuchel (le rapport Tuchel).

 

[29]      Le deuxième témoin était le Dr Jack Terry. Le Dr Terry est né le 10 mars 1930 à Belzyce, en Pologne, à environ 20 kilomètres de Lublin. Il a témoigné à propos des conditions de vie dans les camps de travail et camps de concentration du Troisième Reich, et à propos du rôle des gardiens ukrainiens.

 

[30]      Le Dr Terry est juif. Le 8 mai 1943, les habitants restants de sa localité furent rassemblés par une escouade comprenant un membre des SS du nom de Reinhold Feix, et 24 gardiens ukrainiens. Ceux qui n’étaient pas aptes au travail, par exemple les femmes âgées et les enfants, furent exécutés sur‑le‑champ. Les autres furent contraints de creuser leurs tombes et envoyés vers des camps de travail. Le Dr Terry fut envoyé à Budzyn, où il est resté jusqu’en avril 1944. Il fut alors transféré à Wieliczka, une mine de sel située près de Cracovie, où il travaillait par 600 mètres de fond dans une fabrique d’avions nazie. Sa dernière destination fut le camp de concentration de Flossenbürg, où il est arrivé le 4 août 1944. Au camp de Flossenbürg, il a travaillé durant deux semaines dans une carrière de pierre, et ensuite dans une fabrique souterraine de Messerschmitt. Quand le camp fut libéré le 23 avril 1945 par l’armée américaine, il semble que le Dr Terry était le seul Juif survivant du camp; tous les autres avaient été évacués et « emmenés dans la marche de la mort » durant les jours qui précédèrent la Libération.

 

[31]      Le témoignage direct et convaincant du Dr Terry a confirmé l’idée généralement admise selon laquelle, durant la Deuxième Guerre mondiale, les détenus des camps de concentration étaient traités avec brutalité. Son témoignage nous rappelle aussi pourquoi ceux qui avaient participé à l’administration des camps n’étaient pas les bienvenus au Canada.

 

B.  Le système des camps de concentration et camps de travail du Troisième Reich

            (1)  Le système des camps de concentration en général

[32]      Le Dr Tuchel a relaté avec conviction l’objet et la structure du système des camps de concentration du Troisième Reich et a appelé l’attention de la Cour sur la distinction à faire entre le système principal des camps, à l’intérieur des frontières en expansion de l’Allemagne elle‑même (le Reich allemand), et un système distinct se trouvant dans une région de Pologne occupée par l’Allemagne et appelée « Gouvernement général » (Generalgouvernement). Le pouvoir nazi a utilisé les camps de concentration, à partir du début des années 30 et par la suite, comme instrument de contrôle et d’oppression. Dès février 1933, le deuxième commandant du camp de concentration de Dachau, Theodor Eicke, avait établi [traduction] « un système banalisé de violence… pour garantir un maximum de brutalité systématique contre les détenus » (rapport Tuchel, page 52).

 

[33]      Il y avait en général trois types de camps durant la guerre :

 

·      Les camps de travail – Les Juifs effectuaient des travaux forcés dans ces camps, pour soutenir l’industrie allemande, mais ils n’étaient pas nécessairement confinés aux camps. Au début, ces camps ne faisaient pas partie du réseau des camps de concentration. Deux camps de travail, ceux de Poniatowa et de Trawniki, dans la Pologne occupée, intéressent la présente instance.

 

  • Les camps de concentration – Il s’agissait de camps d’incarcération. Une foule de prisonniers étaient confinés à ces camps, notamment des Juifs, des Polonais, des Russes et des Allemands. En 1942, le travail forcé fut institué dans ces camps. De nombreux détenus y sont morts d’épuisement et de maladies, quand ils n’étaient pas assassinés. Le camp de concentration situé à Flossenbürg, en Bavière, près de la frontière tchèque, intéresse particulièrement la présente affaire.

 

  • Les camps d’extermination – L’unique objet de ces camps était l’extermination de tous les Juifs qui franchissaient leurs portails. Ces camps se distinguaient des camps de concentration par leur unique objet, qui était le génocide. Les camps d’extermination étaient situés à l’intérieur du Gouvernement général (la Pologne occupée).

 

[34]      Les ghettos étaient un quatrième genre de confinement réservé aux Juifs de la région du Gouvernement général. Dans ce système, les Juifs étaient limités à une section relativement modeste d’une ville. Les ghettos constituaient un réservoir d’esclaves pour les industries allemandes, mais aussi un moyen de regrouper les Juifs et de faciliter leur transport vers les camps de travail, de concentration ou d’extermination.

 

[35]      Durant la période d’avant‑guerre, et jusqu’en 1942, l’objectif des camps était d’éliminer les ennemis politiques et l’opposition dans les pays occupés. En 1942, les camps de concentration sont également devenus des camps de travail, et les détenus étaient forcés de travailler pour l’industrie allemande de l’armement. Le Dr Terry a témoigné que les « conditions de vie » n’étaient pas la bonne expression pour décrire la vie dans les camps de concentration; les conditions n’étaient absolument pas propices à la vie. La famine était la norme et l’hygiène y était impossible. Le Dr Terry a expliqué que la politique des camps allemands était « l’extermination par le travail ».

 

[36]      À partir de 1942, la population des camps continua de croître avec l’arrivée de prisonniers d’Europe de l’Est. Les principaux camps croissaient en taille, et un réseau de « camps satellites » fit son apparition; ces camps plus modestes se trouvaient près d’un important camp de concentration et tombaient sous son administration.

 

[37]      Il appert du témoignage du Dr Tuchel et de celui du Dr Terry que l’anéantissement était l’objet ultime de l’univers concentrationnaire. Selon le témoignage du Dr Tuchel, les camps d’extermination n’avaient « qu’un seul objet, tuer les gens ». Les documents SS récupérés après la guerre attestent la brutalité délibérée de cet univers; les travaux exécutés par les Juifs devaient être « littéralement épuisants… Les heures de travail n’ont aucune limite » (rapport Tuchel, page 55).

 

            (2)  L’administration des camps dans le Gouvernement général

[38]      Tous les camps situés en Allemagne et dans les territoires sous occupation allemande tombaient sous la responsabilité de Heinrich Himmler, Reichsführer SS et chef de la police allemande et de la Gestapo (la police secrète).

 

[39]      Au sein du Gouvernement général, le chef suprême de la police et des SS (le HSSPF) avait autorité sur l’exploitation du travail forcé juif en général et sur les camps de travail et de concentration de cette région. Le Gouvernement général était réparti en plusieurs districts administratifs, dont l’un était le district de Lublin. Chaque district était contrôlé par un SSPF (chef de la police et des SS). Les SSPF surveillaient directement les camps de leurs régions et relevaient du HSSPF et, après lui, de Heinrich Himmler.

 

[40]      Au sein du Gouvernement général, entre 1939 et 1941, les Juifs étaient rassemblés en groupes de travail forcé et en ghettos, et conduits vers un réseau grandissant de camps de travail et de concentration. À la fin de 1941, des camps d’extermination furent aussi installés dans cette région. Le Gouvernement général avait été choisi comme région chargée de mener à bien les objectifs génocides des chefs nazis et SS. Comme les exécutions de masse se révélaient trop difficiles et trop publiques, la « Solution finale de la question juive » fut décidée à la conférence de Wannsee le 31 juillet 1941 : évacuer les Juifs vers la Pologne orientale occupée, où ils pourraient tous être tués dans les camps.

 

[41]      Cette « Solution finale » fut mise à exécution sous le nom de code Opération Reinhard (« Aktion Reinhard »). Cette opération vit la construction, entre autres, des trois camps d’extermination de la région de Lublin – Belzec, Sobibor et Treblinka – et l’élimination de plus de 1,7 million de Juifs. L’Opération Reinhard a commencé à la fin de 1941 et s’est poursuivie jusqu’en octobre 1943. Par la suite, les camps d’extermination de la région de Lublin furent définitivement fermés et camouflés en fermes, et une garde réduite au strict minimum fut laissée à ces endroits.

 

[42]      Il importe de noter que les camps de concentration dispersés en Allemagne et dans les territoires occupés étaient entièrement sous la surveillance et le commandement de Heinrich Himmler, et donc des SS et de la police allemande. À l’automne de 1943, l’administration des camps passa des SSPF à une instance nouvellement formée, l’Office principal SS de l’administration et de l’économie (SS‑WVHA, ou « SS‑Wirtschafts‑Verwaltungshauptamt »), Groupe administratif D. Ce changement administratif faisait ressortir l’importance croissante du travail forcé pour le Troisième Reich et annonçait l’escalade du génocide.

 

[43]      Les unités de la garde allemande, dans les camps, furent appelées « Totenkopfverbande » ou « Unités SS Tête de mort » (et plus tard « Bataillons SS Tête de mort »), sur l’ordre de Himmler lui‑même. Les Unités SS Tête de mort étaient expressément séparées des Forces armées et de la police; elles allaient devenir le cœur d’une troupe d’élite SS. Les membres allemands initiaux de ces formations portaient des tatouages « de sang », qui indiquaient leurs groupes sanguins.

 

            (3)  Le système des camps dans la région de Lublin du Gouvernement général

[44]      La région de Lublin avait les trois types de camps, jusqu’à la fin de 1943. Il y avait des camps de travail tels que Poniatowa, Budzyn, et le camp de travail de Trawniki (voir ci‑après; ce camp de travail était rattaché au camp d’entraînement des gardiens de Trawniki). Il y avait aussi des camps de concentration, par exemple celui de Lublin. Finalement, il y avait des camps d’extermination, comme Belzec, Sobibor et Treblinka. Tous ces camps étaient sous le commandement du SSPF de Lublin.

 

[45]      La période allant de 1942 jusqu’à la première moitié de 1943 a vu l’évacuation ou la « purification » des ghettos juifs, y compris les principaux, ceux des villes de Varsovie et de Bialystok. Les Juifs étaient rassemblés de force et sortis des ghettos, puis envoyés vers l’un de plusieurs camps de concentration ou d’extermination, notamment le camp de concentration de Lublin et le camp d’extermination de Treblinka.

 

[46]      En septembre 1943, l’administration des camps de concentration du Gouvernement général fut placée sous le commandement du SS‑WVHA. À cette époque, nombreux sont les habitants des territoires occupés qui durent quitter leurs foyers et furent contraints de travailler pour les Allemands dans d’autres régions d’Europe; ceux qui protestaient ou qui ne travaillaient pas assez dur étaient envoyés vers les camps de concentration. Ce changement élimina aussi tous les camps de travail; seuls devaient désormais exister les camps de concentration et camps d’extermination. Tous les camps de travail de la région de Lublin, y compris celui de Trawniki, furent donc transformés en camps de concentration et placés sous l’administration du principal camp de concentration, celui de Lublin.

 

            (4)  Le camp d’entraînement de Trawniki et le recours aux prisonniers de guerre soviétiques

[47]      J’examinerai maintenant le camp allemand qui intéresse particulièrement la présente instance. Parmi les divers camps situés dans le Gouvernement général, un camp particulier à double vocation se trouvait à Trawniki, à environ 35 kilomètres de la ville de Lublin, près de la frontière avec l’Ukraine. Il y avait à cet endroit un camp de travail et de concentration (le camp de travail de Trawniki) ainsi qu’un camp d’entraînement attenant pour les gardes non allemands (le camp d’entraînement SS de Trawniki). Comme les autres camps de la région de Lublin (celui de Poniatowa par exemple), les camps de Trawniki furent d’abord placés sous la supervision du SSPF de Lublin et, à partir de septembre 1943, ils relevèrent du SS‑WVHA (c’est alors que le camp de travail devint un camp de concentration).

 

[48]      Les gardiens en formation venaient à Trawniki de diverses façons. Certains étaient des volontaires allemands. Cependant, fait particulièrement intéressant pour la présente affaire, nombre d’entre eux étaient des prisonniers de guerre qui avaient été capturés par les Allemands.

 

[49]      Au début de 1941, les premiers prisonniers de guerre soviétiques choisis arrivèrent à Trawniki et commencèrent plusieurs semaines d’entraînement comme gardiens. Ces recrues étaient choisis dans les camps de prisonniers de guerre, d’abord ceux des districts de Cracovie et de Lublin et, un peu plus tard, ceux d’Ukraine. Pour ces prisonniers de guerre, les conditions de vie dans les camps de prisonniers étaient difficiles; nombre d’entre eux n’y ont pas survécu. Ainsi, selon le Dr Tuchel, environ 22 000 prisonniers de guerre soviétiques internés à Poniatowa ont succombé durant l’hiver 1941‑1942. De plus, nombre d’Européens de l’Est, dont des Ukrainiens, avaient souffert sous le régime soviétique; cela était vrai des anciens conscrits soviétiques comme de n’importe qui d’autre. On peut donc comprendre pourquoi ces hommes étaient vus comme une source possible de main‑d’œuvre pour la machine de guerre allemande et pourquoi ils n’allaient pas refuser de s’entraîner et de servir.

 

[50]      La preuve documentaire et le commentaire du Dr Tuchel dans son rapport expliquent comment les nazis allemands exploitèrent les prisonniers de guerre soviétiques après l’attaque menée contre l’URSS en 1941. Le 25 juillet 1941, face à une grave pénurie de main‑d’œuvre dans les vastes territoires nouvellement conquis d’Europe de l’Est, Heinrich Himmler donna aux chefs de la police et des SS, y compris au SSPF Globocnik (le premier commandant du camp d’entraînement de Trawniki) l’ordre d’établir :

[TRADUCTION] . . . des formations de protection composées des populations des territoires occupés qui sont bien disposées envers nous, comme cela a déjà été fait dans certains cas par les Groupes d’intervention (Einsatzgruppen) de la police de sécurité. Ces formations de protection devraient être constituées surtout d’Ukrainiens, d’habitants des pays baltes et de Biélorusses. Ils devraient être choisis parmi les hommes qui vivent encore dans ces régions, et parmi les prisonniers de guerre non communistes. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[51]      La mise en place de ces forces non allemandes était si nécessaire pour l’effort de guerre allemand que les possibles liens communistes ne devaient pas être un obstacle sauf si l’on avait affaire à [traduction] « des Bolcheviks aux inclinations fanatiques, des commissaires politiques et autres éléments dangereux » (selon l’ordre opérationnel n° 8 donné par Reinhard Heydrich, chef des SD (services de sécurité), le 17 juillet 1941; voir la note 40, page 16 du rapport Tuchel). En bref, les Allemands n’étaient pas très difficiles dans leurs choix, et les prisonniers de guerre retenus ne soutenaient pas nécessairement le régime nazi.

 

[52]      La preuve montre aussi que les prisonniers de guerre soviétiques ne se portaient pas volontaires pour servir dans les unités allemandes, du moins pas dans tous les cas. L’ordre opérationnel n° 8 de Heydrich, par exemple, établissait deux fonctions pour les unités SD affectées aux camps de prisonniers de guerre : (i) choisir des prisonniers de guerre présentant des caractéristiques « intolérables » en vue de leur exécution; et (ii) choisir des prisonniers de guerre pour qu’ils servent dans les troupes auxiliaires. Je n’ai aucun détail sur la procédure de sélection, mais je n’ai aucune hésitation à en déduire que l’unique choix viable donné aux appelés était le service. D’ailleurs, le Dr Tuchel a expressément et énergiquement affirmé au procès qu’il ne qualifierait jamais de « volontaires » les prisonniers de guerre soviétiques qui se sont joints au camp d’entraînement de Trawniki.

 

            (5)  La réception des gardiens en formation à Trawniki et les documents qui leur étaient remis

[53]      À leur arrivée à Trawniki, les nouvelles recrues étaient photographiées. Au bureau du camp, on conservait pour chacun d’eux une fiche de personnel (Personalbogen) et une carte de personnel (Personalkarte). Chaque recrue recevait un numéro matricule qui [traduction] « était conservé par la recrue et le futur gardien tant et aussi longtemps qu’il servait dans le camp de Trawniki ou dans un lieu ou commando auquel il serait affecté par la suite » (rapport Tuchel, page 24).

 

[54]      Le Dr Tuchel a précisé que ce numéro matricule était une particularité du camp d’entraînement de Trawniki qui distinguait cet endroit des autres dans le système des camps de concentration allemands. Le numéro matricule d’un gardien lui était propre. Aucun numéro n’était jamais attribué à quelqu’un d’autre, même au décès du gardien. Après que des hommes de Trawniki étaient transférés hors du système des camps de Trawniki pour joindre le système des camps de concentration allemands, leurs numéros matricule ne servaient plus à l’identification. Fort de cette information, le Dr Tuchel a dit qu’il pouvait retrouver la trace de tel ou tel gardien parmi les documents du camp, par exemple les listes de transferts (dont il sera question en détail plus loin).

 

[55]      Le Dr Tuchel a témoigné aussi que les numéros matricules étaient attribués par ordre numérique au moment du recrutement, d’abord le chiffre 1, et ainsi de suite. Environ 5 000 gardiens ont été formés à Trawniki. Le Dr Tuchel a aussi expliqué comment il pouvait estimer la date à laquelle une recrue était arrivée au camp. En examinant les quelques Personalbogen et Personalkartes restants de gardiens de Trawniki, documents qui indiquent leur date d’arrivée, et en les confrontant aux numéros matricules apparaissant sur diverses listes de transferts, qui elles aussi sont datées, le Dr Tuchel pouvait dire vers quel moment un gardien portant tel ou tel numéro matricule avait dû arriver au camp d’entraînement.

 

[56]      Chacune des recrues signait un engagement de service (Dienstverpflichtung), qui prouve que les gardiens étaient considérés comme partie intégrante des SS. Au printemps de 1942, l’engagement était formulé ainsi :

[TRADUCTION] . . . Je déclare par la présente que je m’engage à servir dans les formations de gardiens du chef des SS et de la police du district de Lublin pour la durée de la guerre, et que je me soumets aux règlements existants régissant le service et la discipline.

 

 

[57]      Le Dr Tuchel a témoigné que, lorsqu’un gardien était transféré en dehors du district de Lublin (par exemple vers un camp de concentration au sein du Reich allemand lui‑même), il emportait avec lui ses documents d’identité. Ainsi, la Personalbogen et la Personalkarte d’un gardien envoyé vers un camp extérieur au district de Lublin ne restaient pas à Trawniki. Ce point a son importance ici puisqu’aucune pièce d’identité personnelle n’a été trouvée pour le gardien Furmantschuk, numéro matricule 1538. Il n’existe donc aucune preuve directe de la date à laquelle cette personne est arrivée à Trawniki, ni aucune photographie qui puisse la rattacher au défendeur, M. Furman.

 

            (6)  Le rôle des gardiens

[58]      Comme l’a expliqué le Dr Tuchel dans son rapport et durant son témoignage, les gardiens de Trawniki servaient à de nombreuses fins. Ils tinrent lieu de gardes dans les camps de travail, de concentration ou d’extermination; ils aidèrent à surveiller d’importants emplacements non militaires, par exemple les scieries; et ils participèrent à l’évacuation des ghettos juifs. Plus tard, ils furent mêlés aux formations de gardes allemands et certains furent transférés vers les camps de concentration du Reich allemand. Chacun des gardiens de Trawniki recevait un simple fusil et une baïonnette pour l’accomplissement de ses tâches.

 

[59]      Les gardiens de Trawniki commençaient leur formation en gardant le camp de travail de Trawniki. Leur rôle consistait à surveiller les prisonniers juifs, à les escorter vers et depuis leur lieu de travail et à fusiller ceux qui tentaient de s’échapper. Les gardiens accomplissaient ces mêmes tâches lorsqu’ils étaient envoyés vers d’autres camps de travail, notamment celui de Poniatowa.

 

[60]      Le Dr Tuchel a dit que, selon des comptes rendus provenant des camps, les gardiens de Trawniki interagissaient aussi avec les prisonniers en les battant, ou en forçant les prisonniers à s’agresser mutuellement. Les gardes de Poniatowa prenaient parfois l’argent des Juifs en échange de minces privilèges, par exemple la possibilité de communiquer avec des proches à travers la haie de barbelés entourant le camp, et celle d’obtenir de la nourriture, mais cette pratique variait en fonction de la sévérité du commandant du camp. Le Dr Terry a témoigné que, à Flossenbürg, les gardes ukrainiens (qui très probablement étaient des hommes de Trawniki) incitaient les prisonniers à tenter de s’échapper, pour ensuite les fusiller; les gardes étaient souvent récompensés pour avoir tué des « évadés ».

 

[61]      Selon la preuve documentaire examinée par le Dr Tuchel, les gardiens de Trawniki sont intervenus dans l’évacuation des ghettos de Varsovie et de Bialystok et autres ghettos de la région de Lublin.

 

[62]      Au ghetto de Varsovie, entre 200 et 250 gardiens de Trawniki ont participé à la déportation de Juifs vers le camp d’extermination de Treblinka en 1942 et 1943. Heinrich Himmler ordonna l’évacuation complète du ghetto de Varsovie à la fin de 1942, mais la première tentative d’évacuation du ghetto en janvier 1943 échoua. Une résistance juive parvint à repousser la manœuvre allemande, même si plusieurs milliers de Juifs furent quand même à l’époque déportés à Treblinka. En avril 1943, les Allemands constituèrent une force plus considérable composée d’unités de la Waffen‑SS, de membres de la police de sécurité et de trois compagnies de gardiens de Trawniki. Ils parvinrent à faire évacuer le ghetto tout entier, après un mois entier de combats. Les hommes de Trawniki envoyés à Varsovie furent incorporés dans le commandement de Varsovie (en allemand le « Kommando Warschau ») pour la durée de l’opération et jouèrent un rôle actif dans l’évacuation. Un rapport du SS‑Brigadefuhrer Jurgen Stroop, dont le titre peut être traduit par « Le quartier juif de Varsovie n’est plus! » (le rapport Stroop), précise que nombre des gardiens furent blessés ou tués durant l’opération. Les gardiens de Trawniki étaient souvent déployés de manière à former un cordon autour des murs du ghetto, afin d’empêcher les Juifs de s’échapper. Ils procédaient aussi à des perquisitions à l’intérieur du ghetto, rassemblaient les Juifs pour leur déportation et gardaient les trains dont les destinations étaient les camps de concentration ou d’extermination. Selon d’autres documents, les gardiens étaient très souvent impliqués dans des violences lorsqu’ils accomplissaient ces tâches.

 

[63]      L’évacuation du ghetto de Bialystok suivit l’évacuation de celui de Varsovie. Une force importante fut mobilisée dès le début, qui comprenait environ 200 hommes de Trawniki. L’évacuation se heurta à une moindre résistance qu’à Varsovie et se fit en cinq jours. Les gardiens de Trawniki exerçaient le même rôle qu’auparavant et furent impliqués dans plusieurs épisodes attestés de violence contre les Juifs.

 

[64]      Les Juifs rassemblés durant l’évacuation de ces ghettos étaient envoyés directement vers des camps d’extermination ou vers des camps de travail ou de concentration. Parmi les Juifs évacués des ghettos de Varsovie et de Bialystok, très peu ont survécu jusqu’à la fin de la guerre.

 

[65]      Certains hommes de Trawniki ont également servi dans les camps d’extermination. Ils assuraient un service de garde, encerclaient les convois à leur arrivée, déchargeaient les wagons transportant des Juifs et escortaient les Juifs vers les chambres à gaz. Selon la preuve documentaire, des hommes de Trawniki ont participé aux opérations de gazage à Treblinka, en démarrant les moteurs qui envoyaient le gaz dans les chambres de la mort.

 

            (7)  Leur intégration dans les Unités SS « Tête de mort »

[66]      En 1943, les gardiens de Trawniki se composaient d’anciens prisonniers de guerre soviétiques et de volontaires. Jusqu’à cette date, les hommes de Trawniki avaient été assez peu fiables; il y avait eu un nombre important de tentatives de désertion. Pour régler ce problème, le SSPF de Lublin suggéra à Himmler que les hommes de Trawniki soient intégrés dans les unités régulières de gardes allemands, appelées Bataillons SS Tête de mort. À partir de 1943, des hommes de Trawniki furent échangés avec des gardiens allemands venant de camps de concentration de l’intérieur de l’Allemagne elle‑même. Les registres allemands révèlent que tout fut fait pour que les gardiens de Trawniki soient considérés comme des membres du Bataillon SS des gardes Tête de mort : ils devaient être traités comme des camarades; ils recevaient la même solde et les mêmes avantages que les soldats allemands; et leurs fonctions étaient les mêmes que celles des gardes allemands.

 

[67]      Les registres allemands, notamment deux des listes de transferts qui sont capitales pour la présente instruction, attestent le transfert de centaines de gardiens de Trawniki vers les camps de concentration allemands tels que Flossenbürg et Sachsenhausen. Selon le rapport du Dr Tuchel, [traduction] « environ 870 gardiens SS de Trawniki pouvant être identifiés par leurs noms ont été transférés de Trawniki vers les Bataillons SS des gardes Tête de mort, dans les camps de concentration, entre avril et novembre 1943 » (rapport Tuchel, page 72). Le Dr Tuchel a précisé dans son témoignage que, une fois arrivés en Allemagne, les hommes de Trawniki étaient résolument séparés de leur compagnie, puis répartis parmi les Unités Tête de mort.

 

[68]      À mon avis, il fait peu de doute que les gardiens de Trawniki étaient non seulement membres des SS, mais, à compter de 1943, membres également des Unités SS Tête de mort. Il semble qu’ils n’arboraient pas le tatouage de groupe sanguin que portaient les membres allemands, mais, à tous autres égards, ils faisaient partie de ces unités.

 

V.  Changement présumé de patronyme

[69]      Sur cette toile de fond, j’examinerai maintenant les circonstances propres aux allégations du ministre. La première question qui se pose, une question fondamentale, est celle du nom de M. Furman. Selon le ministre, M. Furman est né « Furmanchuk », mais il a dit aux fonctionnaires, après la guerre, que son nom était « Furman ». La portée de cette affirmation est que, si elle est véridique, le fait que M. Furman n’ait pas révélé son véritable patronyme a pu constituer une fausse déclaration, à la fois quand il a demandé à immigrer au Canada et quand il a demandé la citoyenneté canadienne en 1957. Par ailleurs, et cela est d’une importance cruciale, si le ministre ne prouve pas cette affirmation, alors rien ne permettra de rattacher M. Furman aux activités d’un gardien de Trawniki appelé « Furmantschuk » dans les registres allemands.

 

[70]      Il est clair, d’après l’ensemble des documents produits après 1945, que M. Furman a toujours utilisé le nom « Furman » à partir de 1945 (même si je relève que, à l’occasion, l’orthographe employée est « Furmann »). Cependant, de quelle preuve disposons‑nous sur le nom de M. Furman à la naissance?

 

[71]      Je commence par l’exposé conjoint des faits, selon lequel M. Furman est né le 8 mars 1919 dans le village de Korochenki, à Chudniv, dans le comté de Zhitomir. La date et le lieu de naissance ont été confirmés au cours d’un interrogatoire préalable restreint de M. Furman. Il avait alors dit que son lieu de naissance était « Korochanki » et que ses parents s’appelaient « Leon » et « Daria ». Il n’a pu produire d’acte de naissance, mais il a reconnu que sa naissance [traduction] « avait dû être enregistrée à l’église ».

 

[72]      Je ne dispose d’aucune autre indication de M. Furman concernant sa naissance, encore qu’il lui fût sans doute possible de tenter de se procurer des documents auprès des autorités de son lieu de naissance. Il ne l’a pas fait.

 

[73]      Le ministre, quant à lui, a produit une preuve fournie par le directeur des Archives publiques du comté de Zhytomyr, en Ukraine. Cette preuve consiste en photocopies de documents pour la période allant de janvier à mars 1919, qui proviennent du registre des naissances de l’Église paroissiale orthodoxe de la Résurrection. D’après les indications données par le directeur, traduites en anglais, cette église [traduction] « se trouve dans la localité de Chudniv, comté de Zhytomyr, à la paroisse de laquelle appartient le village de Korochenki ».

 

[74]      Ce qui apparaît d’emblée, c’est que les registres indiquent la localité et la région, en Ukraine, où est né M. Furman – abstraction faite de variantes orthographiques mineures – ainsi que la période comprenant sa date de naissance. Sur l’extrait n° 4 de ce registre, on trouve les indications suivantes (traduites) à propos d’un enfant de sexe masculin né le 8 mars 1919 :

 

Prénom du nouveau‑né

Profession, prénoms, patronymes, noms et confession religieuse des parents

Iosif

Paysans du village de Korochenki :

Leontii Iosifov[ich] Furmanchuk

et son épouse légitime

Daro[‑]eya Ko[n]drat’[ev]na, tous deux

de religion orthodoxe

 

[75]      M. Furman fait valoir que le registre n’apporte pas la preuve qu’il est né « Furmanchuk ». Je ne partage pas son avis.

 

[76]      Selon moi, le registre des naissances apporte une preuve convaincante de la naissance de M. Furman. Plus précisément, je note ce qui suit :

 

a)      le registre n’est pas contredit par une autre preuve;

 

b)      la date de naissance correspond exactement à celle qu’a indiquée M. Furman;

 

c)      les noms des parents s’accordent également avec les noms donnés par M. Furman durant l’interrogatoire préalable, encore qu’avec des variantes orthographiques;

 

d)      durant l’interrogatoire préalable, M. Furman a dit que son lieu de naissance était Korochenki; ce nom correspond à l’information figurant sur le registre des naissances;

 

e)      dans les documents rédigés avant son arrivée au Canada, il est indiqué que M. Furman est de religion « orthodoxe »;

 

f)        M. Furman a reconnu que sa naissance serait probablement consignée dans les registres de l’église;

 

g)      aucune preuve de l’existence d’un autre village portant ce nom dans un autre endroit n’a été produite; et

 

h)      aucun autre nom semblable à « Furman » ne figure dans le registre pour les mois de janvier, février ou mars 1919.

 

[77]      Selon la preuve qui m’est soumise, il est très improbable que M. Furman et l’enfant nouveau‑né de sexe masculin « Iosef Furmanchuk » soient deux personnes différentes. Je suis d’avis, selon la prépondérance de la preuve, que M. Furman est né « Iosef Furmanchuk ». À une certaine date, il a commencé d’utiliser « Furman » comme nom de famille. Il se faisait appeler « Furman », et cela a eu des effets à deux dates différentes : lorsqu’il a demandé à immigrer au Canada; et lorsqu’il a demandé à devenir citoyen canadien. Ces deux événements sont discutés ci‑dessous.

 

VI.  Antécédents et rôle de M. Furman durant la Deuxième Guerre mondiale

A.  Les faits incontestés

[78]      Plusieurs faits intéressant M. Furman sont décrits dans l’exposé conjoint des faits déposé par les parties et sont confirmés par des documents déposés dans la présente instance. Les renseignements suivants sont admis ou ne sont pas contestés :

 

a)      M. Furman est un Ukrainien de souche, né le 8 mars 1919 dans le village de Korochenki, à Chudniv, comté de Zhitomir. Ce comté est devenu partie de l’Union soviétique en 1921. Il est tombé sous la mainmise du Troisième Reich durant certaines périodes de la Deuxième Guerre mondiale et il fait aujourd’hui partie de l’Ukraine.

 

b)      En 1940, il a été conscrit dans l’armée soviétique.

 

c)      En 1942, il a été fait prisonnier par les Allemands.

 

d)      Entre 1946 et juillet 1949, année où il est arrivé au Canada, M. Furman a vécu en Europe en tant que personne déplacée. À cette époque, il comptait parmi les milliers d’Ukrainiens de souche qui ne vivaient pas dans un camp de réfugiés; il était plutôt décrit comme « personne déplacée et libre » qui s’efforçait de gagner sa vie directement dans l’économie allemande.

 

[79]      La question cruciale est la suivante : que faisait M. Furman entre 1942 et 1945? M. Furman dit qu’il était travailleur agricole durant cette période. Le ministre prétend que M. Furman était garde dans les unités allemandes SS et qu’il avait été utilisé, du moins au cours d’une partie de cette période, comme garde de camp de concentration. Il est évident que seule l’une ou l’autre de ces versions correspond à la réalité.

 

[80]      Je commencerai par évaluer la preuve de M. Furman.

 

B.  La preuve de M. Furman

[81]      M. Furman n’a pas témoigné, en raison de son état de santé. Cependant, il soutient que certaines preuves documentaires établissent que, durant la période allant de 1942 à 1945, il effectuait un travail agricole forcé en Allemagne.

 

[82]      L’un des documents produits par M. Furman est une déclaration établie sous la foi du serment le 27 novembre 1947 par Peter Sikora et Iwan Relonok. On peut y lire ce qui suit :

[TRADUCTION] M. Furman Josef, né le 8 mars 1919 à Koroczany, un ressortissant ukrainien, a été emmené en Allemagne – joignant un convoi sous garde policière – le 1er mai 1942, sur ordre du Bureau de l’emploi et du travail de Tschudnow. Comme il était un ouvrier de l’Est, le bureau de placement de Ratisbonne l’a envoyé faire des travaux agricoles pour l’agriculteur Theo Schumacher, plus précisément à Eltheim, où il a travaillé durant toute la période. Après la libération par les Américains, il a quitté son lieu de travail et il vit maintenant en Basse‑Bavière.

 

 

[83]      M. Furman ne dit pas pourquoi cette déclaration était nécessaire, mais il me demande de l’accepter comme déclaration fiable et crédible parce qu’elle a été établie sous la foi du serment. Selon lui, cette déclaration atteste absolument qu’il a été emmené en Allemagne en mai 1942 pour y effectuer, sous la contrainte, des travaux agricoles jusqu’à la fin de la guerre, à la ferme de M. Theo Schumacher.

 

[84]      Je ne doute pas que de nombreux ressortissants étrangers furent emmenés de force en Allemagne, ou dans les régions qu’elle occupait, pour y fournir une main‑d’œuvre agricole durant la Deuxième Guerre mondiale. La question est de savoir si ce document établit que M. Furman était l’un d’eux. Selon moi, la réponse est négative.

 

[85]      J’ai de sérieuses réserves sur la véracité et la fiabilité de ce document, même s’il semble avoir été établi sous la foi du serment. M. Furman n’a absolument pas expliqué comment ni pourquoi ce document fut établi en 1947, et à quelle fin il l’a été. Je ne puis qu’imaginer, d’après le contexte, qu’il fut établi aux fins de quelque demande d’aide sociale ou économique, ou d’émigration vers un pays tiers. Je ne sais pas non plus qui étaient Peter Sikora et Iwan Relonok, ni quel était leur lien avec M. Furman. Comment ces individus ont‑ils pu connaître les circonstances de la vie de M. Furman? Pourquoi la déclaration n’a‑t‑elle pas été établie sous la foi du serment par M. Schumacher, qui était bien placé pour connaître M. Furman?

 

[86]      Je note aussi une incohérence dans la déclaration. Le document précise que M. Furman « a été emmené en Allemagne – joignant un convoi sous garde policière – le 1er mai 1942 sur ordre du Bureau de l’emploi et du travail de Tschudnow ». M. Furman admet aujourd’hui qu’il a été conscrit dans l’armée soviétique en 1940 et capturé par les Allemands en 1942. Il n’est pas venu en Allemagne « sur ordre du Bureau de l’emploi et du travail de Tschudnow » contrairement à ce qu’indique la déclaration. Cette incohérence jette le doute sur tout le document.

 

[87]      Compte tenu de ces difficultés, je suis d’avis que la déclaration ne constitue pas une preuve crédible ou digne de foi selon laquelle M. Furman a passé les années 1942 à 1945 à faire un travail forcé à la ferme de M. Schumacher.

 

[88]      Un autre document semble concerner les activités de M. Furman de 1942 à 1945. Il s’agit d’une demande d’assistance présentée à la PCIRO le 5 décembre 1947. Sous la rubrique « Lieux de résidence au cours des 12 dernières années », M. Furman (ou quelqu’un d’autre en son nom) a inscrit « Eltheim, près de Ratisbonne/Allemagne », pour la période allant d’une certaine date (illisible) en 1942 jusqu’en août 1945 ». Plus loin, sous la rubrique « Emplois au cours des 12 dernières années, y compris l’emploi actuel », on peut lire ce qui suit :

 

Date

Genre de travail

Employeur

Ville, province et pays

Motifs du changement

35/38

Charpentier

Dans une ferme commune

Korozany/URSS

Volontaire

38/[ ]42

Conducteur (tracteur)

Fabrique de moteurs M.T.S.

Korozany/URSS

Déposé en Allemagne

[ ]42/ v45

Travailleur agricole

Avec l’agriculteur Schumacher

Eltheim/Allemagne

Libération

 

v45/ viii45

Travailleur agricole

Avec l’agriculteur Schumacher

Eltheim/Allemagne

[ ] à un autre agriculteur

viii45/ 47

Travailleur agricole

Avec l’agriculteur Reichl

_____/Allemagne

Foyer disponible

 

[89]      Il y a deux contradictions évidentes entre ce document et les autres preuves déposées dans la présente instance. La première vient de l’admission de M. Furman selon laquelle il servait dans l’armée soviétique entre 1940 et 1942. Dans le document susmentionné, il dit qu’il était conducteur (de tracteur) pour la Fabrique de moteurs M.T.S., à Korozany, au cours de cette période. La deuxième contradiction concerne la période d’après‑guerre. Dans une « confirmation » en date du 5 février 1948, traduite de l’allemand, Georg Reichl (pièce D‑5) écrit que [traduction] « le travailleur agricole Furmann Josef . . . a travaillé à la ferme de Georg Reichl, à Ehring, de mars 1947 jusqu’au 5 février 1948 ». Au contraire, la demande d’assistance mentionne que M. Furman a commencé de travailler pour M. Reichl en août 1945. Vu ces deux contradictions, il est difficile de reconnaître une quelconque valeur à ce qu’il reste des activités censément exercées à cette époque par M. Furman. La demande d’assistance n’établit pas ce que faisait M. Furman ni où il se trouvait durant la période allant de 1942 à 1945.

 

[90]      M. Furman relève que les mentions figurant dans la déclaration établie sous la foi du serment ou dans la demande d’assistance auraient facilement pu être vérifiées à l’époque. Comme il l’a dit dans son argumentation finale, M. Furman [traduction] « aurait été particulièrement stupide de présenter une demande et de donner les noms et les lieux de résidence de gens en Allemagne. Il eût été si simple à ce moment précis pour un agent examinateur de découvrir si, oui ou non, il y avait un agriculteur du nom de Schumacher à [Eltheim], en Allemagne ». L’objet de cet argument, d’après ce que je comprends, est d’établir que l’affirmation de M. Furman selon laquelle il était durant cette période un travailleur agricole est confirmée par des documents dignes de foi. Sachant qu’il serait facile, en communiquant avec M. Schumacher, de vérifier ses activités en temps de guerre, il serait improbable que M. Furman fournisse des documents frauduleux. Ainsi, de l’avis de M. Furman, je devrais en déduire que ces documents sont crédibles.

 

[91]      Je ne trouve pas cet argument convaincant. Vu l’absence d’infrastructures en Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale, je suis certaine que la vérification de renseignements requérait davantage que le fait de saisir un téléphone et appeler M. Schumacher ou M. Reichl. En outre, le nombre de personnes déplacées faisait qu’il serait probablement difficile de faire des recherches détaillées dans les documents existants. Toute personne déplacée qui présentait un document frauduleux et invoquait un tel document savait cela. Dans ces conditions, la présentation d’un document frauduleux attestant un poste inexistant de travailleur agricole n’aurait pas été un acte « stupide »; cela aurait plutôt été un risque calculé.

 

[92]      Finalement, je relève qu’il était loisible à M. Furman de tenter d’obtenir à tout le moins une preuve attestant que M. Schumacher était propriétaire d’une ferme dans la région prétendue. Les registres fonciers de l’époque auraient pu certainement être compulsés. Si ce n’est deux mentions de M. Schumacher – que je n’ai trouvées crédibles ou dignes de foi ni l’une ni l’autre – je n’ai aucune preuve me permettant de dire que M. Schumacher a existé ou qu’il a embauché M. Furman. Je ne dispose d’aucune preuve de nature à dissiper les doutes que suscitent les documents de M. Furman.

 

[93]      À mon avis, il est plausible que la déclaration sous serment et l’épisode du travail agricole ont été fabriqués pour faire croire que M. Furman avait été travailleur agricole durant la guerre.

 

[94]      Je suis donc d’avis, selon la prépondérance de la preuve, que M. Furman n’a pas travaillé à la ferme de M. Schumacher durant la période allant de 1942 à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Naturellement, cela ne constitue pas une conclusion quant à ce que M. Furman a fait entre 1943 et 1945, mais simplement quant à ce qu’il n’a pas fait. J’examinerai donc maintenant la preuve produite par le ministre, selon laquelle M. Furman aurait été un gardien SS durant la guerre.

 

C.  Le gardien Furmantschuk

[95]      L’étape suivante de mon analyse comprend deux parties. D’abord je dois me demander si, d’après la preuve, une personne du nom de Furmantschuk était un gardien de Trawniki qui s’est livré aux activités alléguées par le ministre. La deuxième partie de mon analyse (qui débute au paragraphe 121 ci‑après) portera sur le point de savoir si M. Furman était ce gardien Furmantschuk.

 

[96]      Il faut bien souligner que le ministre n’affirme pas que, durant cette période, M. Furman a commis des actes de violence identifiables. Il dit plutôt que M. Furman s’est vu assigner, et a exercé, les fonctions de gardien de Trawniki.

 

[97]      La preuve présentée par le Dr Tuchel est particulièrement à propos pour les deux parties de l’analyse. Le Dr Tuchel a témoigné, comme je l’ai rapporté plus haut, sur le rôle du camp d’entraînement de Trawniki et sur les gardiens de ce camp. Il s’est aussi exprimé sur les importantes listes de transferts et autres documents qui portent sur le gardien Furmantschuk.

 

[98]      Aucune pièce d’identité provenant du camp d’entraînement de Trawniki n’existe pour le gardien Furmantschuk. Les principales références que nous ayons à propos d’un gardien de ce nom apparaissent sur des documents appelés listes de transferts. Les listes de transferts sont des photocopies de documents originaux conservés dans les Archives centrales du Service fédéral de sécurité (FSB) de la Fédération de Russie, à Moscou. Les photocopies sont de qualité inégale et, dans un cas, deux copies distinctes du même document original ont été produites.

 

[99]      Tous ces documents sont semblables dans leur contenu et leur conception. Ils sont dactylographiés en allemand, et certaines portions sont manuscrites, toujours dans cette langue. Chaque document contient aussi des notations manuscrites en caractères cyrilliques. Les listes font état du transfert de gardiens entre le « camp d’entraînement de Trawniki » et d’autres camps de travail, camps de concentration ou formations SS. Les documents renferment chacun une liste de noms, avec les numéros matricules correspondants, organisés selon le grade. Dans certains cas, les documents indiquent aussi la date de naissance et le lieu de naissance du gardien concerné. Ils sont datés et, dans la plupart des cas, signés. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Skomatchuk, 2006 CF 730, [2006] A.C.F. n° 928 (QL), j’ai conclu, après avoir instruit une requête sur la recevabilité des listes de transferts, que telles listes seraient admises comme preuve dans l’instance. Comme je l’indiquais dans ladite décision, plusieurs indices permettent de conclure à la fiabilité de ces documents :

 

  1. les listes ont été préparées dans le cadre de la gestion des camps de concentration, et de la mutation de gardiens d’un lieu à un autre à l’intérieur du système;

 

  1. les documents renferment des listes de noms et autres renseignements factuels; autrement dit, il s’agit de renseignements objectifs et non d’opinions ou de rapports de caractère subjectif;

 

  1. les listes ont été dressées par des personnes qui n’ont aucun intérêt dans la présente instance; elles ne l’ont pas été en prévision d’un litige;

 

  1. les documents ont été préparés à l’époque des faits, ainsi que l’a dit le Dr Tuchel;

 

  1. les listes présentent toutes des points communs, par exemple une conception, une structure et un objet uniformes; sauf quelques exceptions mineures, elles présentent la même forme et le même contenu;

 

  1. six des sept listes sont signées par des officiers supérieurs des SS ou de la police allemande, qui ont été identifiés par le Dr Tuchel;

 

  1. certains des renseignements figurant dans les listes sont confirmés par d’autres documents d’origine allemande qui ont été examinés par le Dr Tuchel aux Archives du FSB et ailleurs; et

 

  1. les listes de transferts s’accordent avec 30 à 40 listes semblables qui ont été vues par le Dr Tuchel.

 

[100]    J’ai admis ces documents, sous réserve que M. Furman puisse produire d’autres preuves et arguments à propos de leur fiabilité. L’unique objection de M. Furman se rapportait au fait que les documents étaient en possession des autorités soviétiques depuis la fin de la guerre. Il donne à entendre que les documents auraient pu être modifiés de quelque façon. M. Furman n’a pas produit de preuve montrant comment ou pourquoi ils auraient été ainsi modifiés. Le dossier ne renferme rien qui donne à penser que les autorités soviétiques ou russes ont pu modifier le texte allemand dactylographié des listes de transferts. L’objection de M. Furman aux listes de transferts sur ce fondement n’est pas recevable. Par conséquent, je suis d’avis que les listes de transferts constituent une source fiable de renseignements sur l’existence et le mouvement de gardiens SS du camp d’entraînement de Trawniki.

 

[101]    Selon l’opinion d’expert du Dr Tuchel, une personne appelée « Furmantschuk » est arrivée au camp d’entraînement de Trawniki le 13 juin 1942 et y a obtenu le numéro matricule 1538. Évidemment, la preuve directe de l’arrivée de M. Furmantschuk aurait pu être obtenue de l’examen de son Personalbogen. Cependant, aucun Personalbogen ou autre pièce d’identité directe n’existe pour le gardien Furmantschuk. Néanmoins, nous savons que les numéros matricules étaient attribués par ordre numérique, à partir du chiffre 1 et ainsi de suite, jusqu’au chiffre d’environ 5 000, c’est‑à‑dire le nombre de personnes qui finalement furent formées comme gardiens de Trawniki. Durant sa recherche minutieuse, le Dr Tuchel a eu la possibilité d’examiner les Personalbogen d’autres hommes de Trawniki, dont deux ont été produits comme preuve. L’un portait le numéro matricule 1536, et l’autre le numéro matricule 1932, et les deux hommes sont arrivés à Trawniki le 13 juin 1942. Le Dr Tuchel est donc arrivé à la conclusion qu’un gardien à qui fut donné un numéro tombant entre ces deux numéros était arrivé le même jour que les gardiens 1536 et 1932. Sur la foi de cette preuve, je suis d’avis que Josef Furmantschuk est arrivé à Trawniki le 13 juin 1942 avec un groupe d’autres hommes et qu’il a reçu le numéro matricule 1538.

 

[102]    Des renseignements additionnels peuvent être recueillis après examen des Personalbogen des gardiens nos 1536 et 1932. Les Personalbogen de ces gardiens nous apprennent qu’ils avaient servi dans l’Armée rouge. Se fondant sur cette preuve, le Dr Tuchel est arrivé à la conclusion que M. Furmantschuk était lui aussi arrivé à Trawniki comme prisonnier de guerre de l’armée soviétique.

 

[103]    La première liste de transferts (la liste de transferts d’avril 1943) faisant état de Josef Furmantschuk montre que lui‑même et d’autres membres de la 2e Compagnie furent transférés de Trawniki au Kommando Warschau le 7 avril 1943. À la ligne 118 de cette liste de transferts, je remarque la mention « F u r m a n t s c h u k, Josef », et un numéro matricule, le numéro 1538.

 

[104]    Il ne faut pas perdre de vue l’importance de la date du transfert. L’évacuation brutale du ghetto de Varsovie est évoquée plus haut. Selon la preuve du Dr Tuchel, les hommes de Trawniki figurant sur cette liste de transferts d’avril 1943 ont participé à l’évacuation du ghetto (rapport Tuchel, page 35). Le rapport Stroop ne laisse aucun doute sur le rôle des gardiens de Trawniki à Varsovie. Ainsi, le rapport donne la liste des gardiens blessés ou tués. L’un de ceux qui furent tués était le gardien Odartschenko, dont le nom et le numéro matricule 1573 figuraient sur la même liste de transferts d’avril 1943 que le nom et le numéro matricule du gardien Furmantschuk. Durant cette mission, les gardiens combattaient, ils rassemblaient les Juifs et les emmenaient vers des lieux de collecte, ainsi que vers les trains et depuis les trains, et ils gardaient les trains qui emmenaient les Juifs de Varsovie vers le camp d’extermination de Treblinka.

 

[105]    La deuxième liste de transferts (la liste de transferts de mai 1943) renferme la preuve d’un transfert de gardiens le 17 mai 1943. Il s’agit d’une liste qui vient du chef des SS et de la police du camp d’entraînement de Trawniki, à Lublin, pour le transfert d’hommes vers le Kommando Lublin du camp d’entraînement de Trawniki à Lublin. Au numéro 5, dactylographié en allemand, on trouve « Formanziuk, Josef », avec les indications d’une date et d’un lieu de naissance, à savoir le 8.2.19, à Korotschinki/Shitomir; le numéro matricule est 1538.

 

[106]    Cette liste, selon le témoignage du Dr Tuchel, fut établie en vue du transfert d’hommes vers le commandement de Lublin du camp d’entraînement de Trawniki. Elle s’inscrivait totalement dans le système du camp d’entraînement de Trawniki. Le Dr Tuchel a témoigné que Lublin est une ville située en Pologne orientale. À l’époque, il y avait des camps de travail à Lublin, qui étaient gardés par des gardiens SS venant de Trawniki.

 

[107]    La troisième liste de transferts (la liste de transferts d’août 1943) est une liste d’hommes transférés depuis le commandement de Lublin du camp d’entraînement de Trawniki, vers le camp de travail de Bialystok; elle est datée du 14 août 1943. En regard du numéro 65, on trouve le nom « F o r m a n t s c h u k, Josef (1538) ». Le Dr Tuchel a témoigné que le document était important parce que l’on pouvait constater, depuis le bas de la liste, que les hommes étaient non seulement envoyés à Lublin, mais arrivaient aussi à Lublin. Sur un côté, il est écrit « dûment transféré » (traduction); sur l’autre, « dûment accepté » (traduction).

 

[108]    D’après le témoignage du Dr Tuchel, ces gardiens furent envoyés à Bialystok pour aider au nettoyage du ghetto. À la fin d’août 1943, Bialystok était l’un des derniers ghettos restants en Pologne. Les Juifs furent rassemblés, envoyés vers un point de collecte, puis expédiés ensuite vers les camps d’extermination (rapport Tuchel, pages 34 à 41).

 

[109]    La liste de transferts d’août 1943 est accompagnée d’une lettre de couverture. La lettre, datée du 20 août 1943, fut envoyée, avec une copie de la liste, au camp de Trawniki. On peut y lire que M. Basener, chef du commandement de Lublin, envoie une copie de la liste des hommes qui furent transférés le 15 août 1943 du commandement de Lublin vers le commandement du camp de travail de Bialystok.

 

[110]    La dernière liste de transferts (la liste de transferts d’octobre 1943) atteste le transfert de 140 gardiens de Trawniki vers le camp de concentration de Flossenbürg, en Bavière, près de la frontière tchèque, à environ 800 kilomètres de Trawniki. Flossenbürg était l’un des principaux camps de concentration du Reich allemand. Les prisonniers y étaient contraints de travailler gratuitement pour les Nazis, dans de grandes carrières de pierre ou à une grande profondeur sous terre, où des armements étaient assemblés. Le document porte la date du 1er octobre 1943 et indique, au numéro 61 de la liste, le nom « F u r m a n t s c h u k, Nosef », avec une date et un lieu de naissance, à savoir le 8.2.19, à « Korotsch __ki ». Le numéro matricule indiqué est 1538. Le texte imprimé est pâle et difficile à lire, mais je suis persuadée que cette information est une lecture exacte du document. J’ai d’ailleurs la confirmation du Dr Tuchel, qui a vu l’original dans les Archives du FSB, que le numéro matricule est 1538.

 

[111]    Ce transfert semble s’accorder avec la décision nazie de joindre des gardes étrangers aux formations allemandes, dans le dessein d’enrayer la désertion des gardes étrangers, comme je l’expliquais plus haut à partir du paragraphe 66. À Flossenbürg, selon le témoignage du Dr Tuchel, les gardiens de Trawniki évoluaient parmi les gardes des camps de concentration du Reich. Ils servaient à garder les prisonniers dans le camp durant le travail ou au cours des détachements, puis revenaient au camp durant l’appel et veillaient à empêcher les évasions.

 

[112]    Il est clairement établi que ce groupe de gardiens est arrivé au camp à Flossenbürg. Un certificat, signé par le chef des gardes de Flossenbürg, le SS Hauptsturmführer Ludwick Budenziek, confirme la réception de 140 hommes de Trawniki sous le commandement du SS Oberscharführer Majewski. Le convoi est arrivé le 7 octobre 1943.

 

[113]    Le document suivant est le [traduction] « Registre n° 1 des stocks d’armes, Kommandantur, Camp de concentration de Flossenbürg », de l’année 1944. Le registre des stocks d’armes se résume à une liste d’armes et précise à qui elles ont été remises. Dans ce registre, le Dr Tuchel a identifié les noms de 135 des 140 gardiens de Trawniki inscrits dans la liste de transferts d’octobre. La quatrième page énumère les baïonnettes; sur cette page, on peut voir, dans une formation de gardes, le nom « F u r m a n t s c h u k ». Ce gardien a reçu une baïonnette le 8 octobre 1943; dans sa traduction, ce registre précise que « Furmantschuk a reçu une baïonnette le 8 octobre 1943 ». À la page 51 du registre des stocks on peut lire que, au 1er avril 1944, « T u r m a n t s c h u k » est en possession d’un fusil et d’une baïonnette. Le nom qui apparaît est « Turmantschuk », mais ce n’est, semble‑t‑il, qu’une faute de frappe; le nom « Furmantschuk » indiqué à la page 4 du registre et le nom « Turmantschuk », à la page 51, désignent la même personne. Le Dr Tuchel a témoigné qu’il n’y avait dans le registre aucun autre nom se prononçant comme Furmantschuk ou Turmantschuk, ou autre nom phonétiquement apparenté.

 

[114]    En résumé, après lecture de ce registre des stocks, ainsi que des listes de transferts et des documents apparentés qui les confirment, il ressort de cette preuve qu’un certain nombre d’hommes, dont Furmantschuk, numéro matricule 1538, ont quitté Trawniki le 1er octobre 1943, pour arriver au camp de concentration de Flossenbürg le 7 octobre 1943. Le gardien Furmantschuk reçut une baïonnette le 8 octobre 1943, et, au 1er avril 1944, il avait en sa possession un fusil et une baïonnette.

 

[115]    Chacune des listes de transferts indiquait le numéro matricule du gardien, mais aucun numéro du genre n’apparaît dans le registre des stocks d’armes. Le Dr Tuchel a expliqué ce fait d’une manière très logique. Selon lui, si le registre ne faisait nulle part état des numéros matricules de Trawniki, c’était parce que les gardiens concernés faisaient désormais partie du réseau allemand des gardes de camps de concentration. Seule l’administration des gardiens de Trawniki, au sein du Gouvernement général, avait recours aux numéros matricules.

 

[116]    Le Dr Tuchel a aussi expliqué d’une manière convaincante l’absence quasi totale de pièces d’identité concernant le gardien Furmantschuk. Il a témoigné n’avoir jamais vu un Personalbogen venant du camp de concentration de Flossenbürg. Anticipant sa défaite, le régime nazi ne ménageait aucun effort pour détruire des registres qui pouvaient compromettre les soldats et gardes des camps de concentration. Les officiers nazis responsables du camp de Flossenbürg, l’un des derniers camps à être libérés par les Alliés (en l’occurrence les Américains), avaient eu assez de temps pour détruire presque tous les documents et très peu ont subsisté.

 

[117]    Une contradiction interne, dans ces documents, a trait à l’orthographe du nom du gardien qui, selon le ministre, est M. Furman. Les mentions qui apparaissent dans les listes de transferts et dans le registre des stocks d’armes sont les suivantes :

 

Mention

Nom indiqué

N° mat.

Date de naissance

Lieu de naissance

Liste de transferts d’avril 1943

Josef Furmantschuk

1538

Liste de transferts de mai 1943

Josef Furmanziuk

1538

8.2.19

Korotschinki/ Schitomir

Liste de transferts d’août 1943

Josef Formantschuk

1538

Liste de transferts d’octobre 1943

Nosef Furmantschuk

1538

8.2.19

Korotsch ‑ ‑ ki …

Registre des stocks d’armes

Furmantschuk et Turmantschuk

 

 

 

[118]    Interrogé sur la diversité des orthographes employées, le Dr Tuchel a expliqué que les officiers de Trawniki avaient affaire à des gens dont les noms pouvaient venir de quatre langues – l’allemand, le russe, le polonais et l’ukrainien – et de deux alphabets – le cyrillique et le romain. Selon le Dr Tuchel, il y a plusieurs façons de traduire des noms d’une langue à une autre ou d’un alphabet à un autre, et aucune méthode n’est bonne ou mauvaise. Il croit que la diversité des orthographes n’est pas surprenante étant donné que les listes étaient dressées par des Allemands ayant affaire à des gardiens qui ne parlaient pas nécessairement l’allemand. D’après son témoignage, c’est pour cette raison qu’on utilisait le système des numéros matricules au camp de Trawniki. Il permettait aux officiers et fonctionnaires allemands de localiser exactement les hommes de Trawniki sans avoir à se préoccuper de l’orthographe de leurs noms. Le Dr Tuchel a dit aussi que l’inscription des dates et lieux de naissance, sur les dernières listes de transferts, correspond au mouvement des gardes depuis le système de Trawniki vers le système allemand. Dans le système allemand, l’identité d’un garde était vérifiée selon sa date de naissance et son lieu de naissance, non d’après un numéro matricule. Les numéros matricules assignés aux hommes de Trawniki n’avaient aucune signification pour les officiers extérieurs à ce système.

 

[119]    Dans ce contexte, plusieurs autres facteurs concordants compensent la diversité des orthographes. D’abord, les orthographes elles‑mêmes sont phonétiquement similaires. Deuxièmement, le Dr Tuchel a témoigné que, durant son examen de toutes les listes de transferts se rapportant au camp d’entraînement de Trawniki, il n’a pas trouvé un autre patronyme qui soit semblable à Furmantschuk. Troisièmement, et c’est l’aspect le plus important, le numéro matricule 1538 apparaît dans toutes les listes de transferts. Vu l’importance que les officiers allemands de la région de Lublin accordaient au numéro matricule, et vu le témoignage du Dr Tuchel selon lequel aucun numéro matricule n’était jamais attribué à plus d’un gardien, je puis conclure que les noms Josef Furmantschuk, Josef Formanziuk et Nosef Furmantschuk, sur les quatre listes, correspondent à une seule et même personne.

 

[120]    Au‑delà des trois listes de transferts et du registre des stocks d’armes, il n’y a aucune autre mention expresse du gardien Furmantschuk dans les documents historiques. Il m’est donc impossible d’arriver à des conclusions précises sur ce que cette personne a fait entre le 1er avril 1944 et la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Néanmoins, avec l’aide méticuleuse du Dr Tuchel, et après avoir étudié attentivement la preuve, je suis d’avis, selon la prépondérance de la preuve, qu’il y avait un gardien du nom de Josef Furmantschuk qui :

 

a)      était un prisonnier de guerre soviétique;

 

b)      fut formé comme gardien SS au camp d’entraînement SS de Trawniki, à compter d’avril 1942;

 

c)      fut affecté comme gardien au ghetto de Varsovie en avril 1943 et au ghetto de Bialystok en août 1943;

 

d)      fut intégré à compter de 1943 dans les Unités de gardes SS Tête de mort; et

 

e)      fut un garde du camp de concentration de Flossenbürg, en Allemagne, du 7 octobre 1943 jusqu’à au moins le 1er avril 1944.

 

D.  L’identité du gardien Furmanchuk

[121]    Ma conclusion selon laquelle un gardien Furmantschuk fut formé au camp d’entraînement SS de Trawniki et a servi comme garde durant l’épuration des ghettos de Varsovie et de Bialystok, ainsi qu’au camp de concentration de Flossenbürg, ne dispose pas de la présente investigation. La question qu’il faut maintenant se poser est de savoir s’il s’agit bien de la personne qui est aujourd’hui le défendeur dans la présente instance. J’ai conclu que M. Furman est né Iosef Furmanchuk. S’agit‑il du gardien Furmantschuk à qui fut attribué le numéro matricule 1538?

 

[122]    Plusieurs faits permettent d’affirmer que M. Furman était le gardien Furmantschuk, numéro matricule 1538.

 

[123]    Le lien capital, et le plus évident, est le nom. La personne née « Iosef Furmanchuk » porte un nom qui est presque identique à celui du gardien Josef Furmanstchuk. Comme nous l’avons vu plus haut, cette différence orthographique est de peu d’importance.

 

[124]    On constate aussi un rapport étroit entre les lieux de naissance. Dans les listes de transferts de mai 1943 et octobre 1943, nous avons deux mentions d’un lieu de naissance, « Korotschinki/Schitomir » et « Korotsch ‑ ‑ ki … ». D’après l’exposé conjoint des faits, le lieu de naissance de M. Furman est « Korochenki, Chudniv, Zhitomir ». Là encore, les différences orthographiques sont mineures et s’expliquent probablement par la translittération des caractères cyrilliques en caractères romains.

 

[125]    On peut ensuite voir une corrélation entre les antécédents de M. Furman et ceux du gardien Furmantschuk en 1942. De l’aveu de M. Furman, il était un prisonnier de guerre soviétique capturé par les Allemands en 1942. Le gardien Furmantschuk était presque certainement un prisonnier de guerre soviétique. Ce gardien est arrivé au camp d’entraînement de Trawniki le 13 juin 1942 en même temps qu’un grand nombre de recrues qui avaient été faits prisonniers de guerre.

 

[126]    J’ai aussi examiné s’il était vraisemblable qu’un prisonnier de guerre soviétique tel que M. Furman devienne un garde SS. Comme je l’ai dit plus haut, à partir du paragraphe 49, les autorités allemandes recrutaient activement dès 1941 des prisonniers de guerre soviétiques pour en faire des gardes. À mon avis, il est très plausible que M. Furman, un prisonnier de guerre soviétique, ait servi comme garde dans les unités SS allemandes.

 

[127]    À ce stade, la preuve irréfutable démontre que M. Furman et le gardien Furmantschuk sont une seule et même personne. Cependant, il y a un autre point à examiner, la date de naissance. M. Furman a toujours dit que sa date de naissance était le 8 mars 1919. Pour le gardien Furmantschuk, deux listes de transferts indiquent le 8 février 1919 comme date de naissance.

 

[128]    Je ne suis pas persuadée que cette différence d’un mois dans la date de naissance soit si importante. Je reconnais qu’on ne peut l’expliquer aisément. Cependant, l’année 1919 et le 8e jour du mois correspondent à la date de naissance connue de M. Furman. De plus, les registres paroissiaux de Korochenki (évoqués plus haut au paragraphe 74) n’indiquent personne portant un nom semblable qui soit né le 8 février 1919. En conséquence, et compte tenu surtout des autres preuves rattachant M. Furman au gardien Furmantschuk, je suis d’avis qu’il est vraisemblable que la date de naissance du 8 février 1919 indiquée dans les deux listes de transferts soit le résultat d’une erreur.

 

E.  Conclusion

[129]    Pour conclure sur la question des activités de M. Furman durant la Deuxième Guerre mondiale, je ne suis pas persuadée que M. Furman ait été un travailleur agricole en Allemagne durant la période de 1942 à 1945. Je suis d’avis, selon la prépondérance de la preuve, que M. Furman et le gardien Furmantschuk sont une seule et même personne. Plus précisément, M. Furman était un garde SS qui :

 

a)      était un prisonnier de guerre soviétique;

 

b)      fut formé comme gardien SS au camp d’entraînement de Trawniki, à compter d’avril 1942;

 

c)      fut affecté comme gardien au ghetto de Varsovie en avril 1943 et au ghetto de Bialystok en août 1943;

 

d)      fut intégré à compter de 1943 dans les unités de gardes SS Tête de mort; et

 

e)      fut un garde du camp de concentration de Flossenbürg, en Allemagne, du 7 octobre 1943 jusqu’à au moins le 1er avril 1944.

 

VII.  Immigration de M. Furman au Canada

[130]    Le chemin emprunté par M. Furman durant son voyage depuis l’Allemagne d’après‑guerre jusqu’au Canada est d’une importance cruciale pour la présente instance. Pour assister la Cour, le ministre a déposé 1834 pièces, consistant en documents et communications de tous les niveaux de gouvernement. Ce sont les pièces suivantes : Directives du Cabinet; décrets; procès‑verbaux du conseil de sécurité (un conseil consultatif interministériel du Cabinet, spécialement constitué en 1946); des communications internes qui ont circulé au sein des ministères fédéraux compétents, ou dont la source ou l’origine était un ministère fédéral; enfin des notes de service et autres communications reçues ou envoyées par l’administration et les membres de la GRC sur le terrain. Dans les sections suivantes des présents motifs, je ne me réfère qu’à quelques‑uns de ces documents, pour illustrer les points soulevés ou pour appuyer le témoignage du Dr Avery.

 

[131]    Le ministre a aussi présenté le Dr Donald Avery, un historien, pour qu’il expose les politiques et pratiques suivies au Canada en matière d’immigration. Il était qualifié comme témoin expert dans les domaines suivants :

 

  • les politiques d’immigration antérieures et postérieures à la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que les règlements et décrets intéressant lesdites politiques;

 

  • la politique canadienne d’immigration postérieure à la guerre, ainsi que sa mise en œuvre;

 

  • le processus de sélection des immigrants, notamment le rôle de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans les contrôles et vérifications sécuritaires, avant, pendant et après la Deuxième Guerre mondiale; et

 

  • l’interaction des organisations canadiennes et européennes pour les réfugiés, notamment l’Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction (UNRRA), le Comité intergouvernemental des réfugiés, la Commission préparatoire de l’Organisation internationale pour les réfugiés (PCIRO), enfin l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR).

 

[132]    Le Dr Avery a rédigé un rapport intitulé [traduction] « Étude de la politique canadienne d’immigration et des contrôles sécuritaires en la matière, 1945‑1956 : Rapport d’information préparé pour la Section des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, ministère de la Justice (affaire Josef Furman) », daté de mars 2006 (le rapport Avery). Ce rapport a été déposé comme pièce dans la présente instance.

 

[133]    M. Furman n’a pas contesté les dépositions du Dr Avery; son avocat s’est exprimé clairement et sans équivoque sur ce point lorsqu’il a dit [traduction] « en fin de compte, je vais vous demander d’accepter sans réserve son témoignage » (non souligné dans l’original). M. Furman n’a produit ni preuves ni témoins à propos des politiques et pratiques en matière d’immigration.

 

[134]    Je suis arrivée à la conclusion, selon la prépondérance de la preuve, que M. Furman était un garde de camp de concentration. Le ministre fait valoir que ce fait, à lui seul, aurait rendu M. Furman interdit de territoire en 1949. En bref, ce que dit le ministre, c’est que les gardes SS de camps de concentration formaient une catégorie frappée d’interdiction absolue. Selon la preuve du Dr Avery, ces personnes étaient vues comme les individus les plus « odieux » lors de l’examen de leurs activités en temps de guerre. Le ministre dit que, entre 1945 et 1955, l’admission de ces personnes au Canada était absolument proscrite, et un membre de la GRC n’avait pas le pouvoir de les déclarer admissibles pour cause de coercition, pour raisons d’ordre humanitaire ou parce qu’ils avaient pu être d’un grade subalterne. Par conséquent, la position du ministre est que M. Furman avait dû faire des fausses représentations aux fonctionnaires de l’immigration au sujet de ses activités durant la Deuxième Guerre mondiale, et cela afin d’obtenir son admission au Canada en 1949.

 

[135]    Cette conclusion capitale exige l’examen de plusieurs points accessoires :

 

  • Comment la politique canadienne d’immigration s’était‑elle développée jusqu’à l’époque considérée?

 

  • En 1949, M. Furman aurait‑il été, en Allemagne, l’objet d’un contrôle de sécurité de la part d’un membre de la GRC?

 

  • En 1949, le Canada avait‑il pour principe d’exclure de l’admission sur son territoire les gardes de camps de concentration?

 

  • En 1949, les fonctionnaires canadiens de la sécurité observaient‑ils en Allemagne la politique consistant à exclure de l’admission au Canada les gardes de camps de concentration?

 

  • En 1949, aurait‑on interrogé M. Furman en Allemagne sur ses activités en temps de guerre?

 

A.  M. Furman dans l’Allemagne d’après‑guerre

[136]    D’après l’exposé conjoint des faits et d’après une preuve documentaire corroborante, nous savons que, après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, M. Furman vivait dans la région de Ratisbonne, en Allemagne. Ainsi que l’explique le Dr Avery dans son rapport, aux pages 25 à 27, il était sans doute l’un des deux ou trois millions d’Ukrainiens déplacés durant la guerre. Les Nations Unies ont reconnu ces personnes comme « personnes déplacées ». En 1946, année où les États‑Unis et le Royaume‑Uni refusèrent de continuer à coopérer avec l’URSS sur les rapatriements forcés, il restait en Autriche et en Allemagne environ 250 000 personnes déplacées originaires d’Ukraine. Environ les deux tiers d’entre elles vivaient dans des camps de l’UNRRA, surtout ceux qui se trouvaient dans la zone militaire des États‑Unis en Bavière. Les autres – les « personnes déplacées libres » – participaient directement à l’économie allemande ou autrichienne. Une enquête menée en 1948 avait montré que 44 097 Ukrainiens vivaient dans 49 camps de la zone américaine, et 11 165 dans des habitations privées. M. Furman était une « personne déplacée libre », expression qui, je pense, signifie qu’il ne vivait pas dans un camp ni ne recevait un soutien financier substantiel de l’UNNRA ou de l’organisation qui lui a succédé, l’OIR.

 

[137]    Très simplement, l’UNRRA et l’OIR avaient pour objectif de trouver des foyers pour toutes les personnes déplacées. Entre 1947 et 1951, le Canada a accepté plus de 30 000 personnes déplacées ou réfugiées d’origine ukrainienne. La plupart venaient des camps gérés par l’UNRRA ou l’OIR. Pour tous les Ukrainiens qui espéraient venir au Canada, y compris ceux qui vivaient en dehors des camps, la première démarche consistait à obtenir l’approbation de l’OIR. Le Dr Avery a produit le témoignage suivant :

[TRADUCTION] . . . si vous vouliez émigrer, vous deviez passer par le système de l’OIR. Vous deviez avoir une lettre du commandant du camp le plus proche. C’était impératif. Vous deviez vous soumettre au processus d’admissibilité de l’OIR. Même si vous n’étiez pas dans le camp, vous deviez obtenir de l’OIR un permis ou une pièce d’identité, après avoir subi un contrôle.

 

[138]    Ainsi que l’atteste un timbre apposé sur son « Certificat d’identité aux fins d’immigration au Canada », délivré par l’OIR, M. Furman fut approuvé par l’OIR pour immigration au Canada le 27 juin 1949.

 

[139]    Pour obtenir l’autorisation de se rendre au Canada, M. Furman a dû évidemment aussi se soumettre à des formalités auprès des fonctionnaires canadiens de l’immigration. La question qui importe pour la présente instance est la suivante : quelles étaient ces formalités et quels étaient leurs résultats possibles? Par exemple, le fait d’obtenir un certificat d’identité de l’OIR supprimait‑il l’obligation de subir un contrôle canadien de sécurité?

 

B.  Évolution de la politique canadienne d’immigration

[140]    Ainsi que l’attestent plusieurs documents produits par le ministre et évoqués par le Dr Avery, la politique du Canada en matière d’immigration avant la Deuxième Guerre mondiale était simple. À partir de 1931, il s’agissait en fait d’une politique d’exclusion. Seule une catégorie très restreinte d’étrangers était autorisée à venir au Canada (décret C.P. 695, 21 mars 1931).

 

[141]    La fin de la Deuxième Guerre mondiale changea les choses. Le Canada fut appelé à accepter quelques‑unes des personnes déplacées et, à partir de 1946, il répondit à ce besoin. L’examen de la révision progressive de la politique canadienne montre cependant que l’assouplissement de la politique d’exclusion n’eut lieu que d’une manière très limitée. L’un des premiers exemples de l’admissibilité élargie concernait les familles de Canadiens, au titre du « régime des proches parents ». Un autre concernait le « régime du réservoir de main‑d’œuvre », destiné à combler la pénurie de main‑d’œuvre au Canada.

 

[142]    Je peux donc dire avec certitude que la règle appliquée en 1949 était celle de l’admissibilité contrôlée de personnes déplacées. Ce n’est qu’après entente, aux échelons les plus élevés du gouvernement, que telle ou telle catégorie de personnes pouvait être admise à immigrer au Canada. Tout au long de cette ouverture graduelle des frontières du Canada, deux aspects sont restés inchangés. Le premier est que ce sont les membres de la GRC sur le terrain qui étaient chargés du contrôle sécuritaire des personnes déplacées, et ils exerçaient cette fonction en procédant à des interrogatoires individuels. Le deuxième aspect est que certaines catégories de personnes ne devaient pas être admises au Canada. J’examinerai chacun de ces aspects.

 

C.  Le rôle de la GRC

[143]    Le rôle joué par la GRC dans le contrôle sécuritaire de M. Furman doit être défini. Je n’ai pas eu l’avantage d’entendre le témoignage d’un membre de la GRC qui a interrogé M. Furman ou d’autres immigrants en Allemagne en 1949. M. Furman fait valoir que, sans une preuve directe de cette nature, le ministre n’a pas satisfait à son obligation de prouver ses allégations. La difficulté que pose cette affirmation est que M. Furman ignore la preuve documentaire d’où l’on peut tirer des présomptions. Lorsque les faits établis sont clairs et convaincants, il peut être possible de dire, selon la prépondérance de la preuve, quelle procédure de contrôle a été suivie pour M. Furman.

 

[144]    Le Dr Avery a témoigné que, après la guerre, l’ouverture des frontières du Canada aux immigrants fut toujours subordonnée à la condition que seuls ceux qui obtenaient l’approbation de la GRC seraient admis à s’établir au Canada. Ce fait est confirmé par un mémoire au Cabinet en date du 15 octobre 1945, adressé par M. J. Allison Glen, ministre des Mines et des Ressources. Des documents et rapports de la GRC montrent que les membres de la GRC prenaient ce rôle très au sérieux, en insistant sur la rigueur des contrôles, ce qui parfois irritait l’OIR, parce que ses propres contrôles sécuritaires n’étaient pas acceptés, et la Direction générale de l’Immigration du ministère des Mines et des Ressources, qui s’impatientait de l’inefficacité de la GRC.

 

[145]    Les documents ne mettent jamais en doute le rôle exercé par la GRC dans la conduite des enquêtes de sécurité (par exemple, voir le mémoire confidentiel en date du 27 décembre 1946, adressé par le commissaire adjoint Nicholson, de la GRC, au sergent d’état‑major W.W. Hinton, Canada House, Londres; et la Directive du Cabinet, circulaire n° 14, intitulée « Refoulement d’immigrants pour raisons de sécurité », en date du 28 octobre 1949). Le Dr Avery a témoigné qu’il n’avait jamais été question que le gouvernement canadien permette à telle ou telle organisation internationale d’exercer en dernière analyse ses propres responsabilités en matière d’enquêtes de sécurité.

 

[146]    Il n’est absolument pas établi que les fonctionnaires canadiens de l’immigration s’en rapportaient aux enquêtes de sécurité effectuées par l’OIR sur les personnes déplacées. En fait, selon le témoignage du Dr Avery, les fonctionnaires canadiens avaient des doutes sur l’authenticité de plusieurs des documents de l’OIR. À preuve un rapport en date du 30 mars 1948, intitulé [traduction] « Contrôle sécuritaire des futurs immigrants ». Ce rapport, rédigé par la GRC, fut envoyé, en annexe à une note de service, aux membres du conseil de sécurité et faisait état notamment des difficultés que posaient les documents de l’OIR. De nouveau, le 10 mai 1948, une observation était faite par le commissaire Wood, de la GRC, dans une note de service adressée à M. H.L. Keenleyside, sous‑ministre, Direction générale de l’Immigration, au ministère des Mines et des Ressources :

[TRADUCTION] Je crois que les efforts faits par notre personnel à l’étranger pour vérifier aussi rigoureusement que possible les antécédents des candidats sont sans doute le mieux illustrés par de récents rapports que nous avons reçus de nos représentants en Europe. Selon ces rapports, les agents canadiens de la sécurité ne sont pas très aimés par la PCIRO, ni par les personnes déplacées en général, et cela parce qu’ils refusent d’accepter les recommandations de la PCIRO sans avoir fait eux‑mêmes une enquête en règle.

 

[147]    Le système de contrôle appliqué par la GRC n’allait pas sans difficultés ou controverses. Il était paralysé par des arriérés, surtout au bureau de Londres; la situation qui prévalait, sur le continent, dans les camps de personnes déplacées était devenue, en 1949, « satisfaisante » (rapport de la Direction générale de l’immigration intitulé [traduction] « Commissaire à l’étranger : Sécurité », en date du 20 juin 1949). Dès janvier 1947, alors que le système de contrôle venait d’être mis en place, il était évident que la GRC n’avait pas en Europe le matériel et l’effectif requis pour procéder au contrôle du grand nombre prévu de personnes déplacées. Il fut décidé à l’époque qu’il pourrait y avoir dispense de contrôle pour certains immigrants proches parents originaires de pays amis d’Europe de l’Ouest, mais que les contrôles resteraient obligatoires pour tous les autres, et en particulier pour les personnes déplacées venant de l’ancien territoire ennemi (Allemagne, Autriche et Italie) (voir la note de service adressée par le directeur Joliffe au ministre J.A. Glen, en date du 27 janvier 1947; et la note de service adressée par l’inspecteur Parsons au D.C.I, en date du 23 janvier 1947).

 

[148]    S’agissant de la pratique des membres de la GRC, nous savons, d’après plusieurs documents, que les modèles d’intervention étaient communiqués aux membres sur le terrain, puis mis en application. Ainsi, le 10 avril 1947, l’inspecteur Parsons envoya des directives détaillées au sergent Hinton, à Londres, lequel à l’époque supervisait en Europe l’intégralité du système des enquêtes de sécurité. Il était rappelé à Hinton que « les immigrants habitant l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ancien territoire ennemi » verraient leurs demandes d’immigration suspendues « jusqu’à l’approbation de la GRC ».

 

[149]    Les rapports reçus cette même année des bureaux extérieurs révèlent que les membres de la GRC affectés à la sécurité avaient de la difficulté à remplir leur rôle. L’une des raisons était le temps considérable que requérait le travail, mais une autre raison était la rareté des documents de base accessibles au sujet des personnes déplacées. La correspondance du sergent Murray montre que, à cause du manque de documents fiables, les entretiens étaient considérés comme extrêmement importants. Il écrivait ce qui suit, dans un rapport du 12 mars 1947 :

[TRADUCTION] … le sergent Syron et moi‑même pouvons poursuivre le contrôle de toutes les personnes figurant sur les listes approuvées, à mesure qu’elles arrivent dans les camps. Les documents pouvant être consultés à propos de ces personnes sont rares de telle sorte que je fais subir un entretien à chaque personne figurant sur la liste, méthode qui selon moi est le seul moyen de procéder à leur contrôle. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[150]    Un énoncé qui ne laisse aucun doute sur le rôle de la GRC figure dans un rapport en date du 30 mars 1948, intitulé « Contrôle de sécurité des futurs immigrants ». Ce rapport, préparé par la GRC, fut envoyé, en annexe à une note de service, aux membres du conseil de sécurité. Il fait l’historique, jusqu’à cette date, des contrôles de sécurité. On peut y lire clairement que, nonobstant quelques exceptions, toutes [traduction] « les personnes déplacées devaient se soumettre à un entretien dans leurs camps ». Le rapport précise aussi que [traduction] « la décision de l’enquêteur de sécurité d’accepter ou de rejeter un candidat est définitive ».

 

[151]    D’autres rapports établis durant l’été 1949 – l’époque où M. Furman a immigré au Canada – mentionnent que le contrôle obligatoire était encore la règle en Allemagne. Le rapport du 20 juin 1949 de la Direction générale de l’immigration, mentionné plus haut au paragraphe 147, précisait que [traduction] « les futurs immigrants des camps de personnes déplacées sont examinés par les agents de sécurité affectés à nos équipes d’inspection ». Dans une note de service adressée au ministre en date du 7 juillet 1949, le commissaire Wood écrivait ce qui suit :

[TRADUCTION] En Allemagne, ceux de nos hommes qui procèdent au contrôle des personnes déplacées font subir un entretien à l’intéressé. Ils obtiennent certains renseignements d’agences de renseignement, mais doivent compter dans une grande mesure sur leurs entretiens. S’ils ne voient aucun motif de refoulement, ils autorisent l’intéressé à immigrer.

 

[152]    En somme, la preuve est uniforme et non contestée. En 1949, chaque personne déplacée qui demandait à venir au Canada depuis l’Allemagne subissait un contrôle de sécurité auprès d’un membre de la GRC. J’admettrais que quelques‑unes aient pu immigrer sans devoir subir un entretien, mais de telles exceptions étaient probablement rares. Je suis donc d’avis qu’il est plausible (et même presque certain) que M. Furman ait été soumis à un contrôle et à un entretien auprès d’un membre de la GRC.

 

D.  La procédure des contrôles de sécurité de la GRC

[153]    Je me demanderai maintenant quelles questions ont pu être posées à M. Furman par le membre de la GRC en Allemagne.

 

[154]    Prié de dire s’il doutait que l’on ait, durant le contrôle de sécurité, interrogé un candidat à l’immigration à propos de ses activités durant la guerre, le Dr Avery a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION] Les lignes directrices étaient telles qu’il serait presque inconcevable que l’on n’ait pas interrogé cette personne sur ses activités durant la guerre. Comme nous n’avons pas un dossier complet de tous ces entretiens, il m’est impossible, en tant qu’historien, de l’affirmer catégoriquement, mais selon moi ce serait très improbable, extrêmement improbable.

 

 

[155]    Cette réponse s’accorde avec plusieurs des documents produits. Un exemple figure dans une note de service datée du 10 mai 1948, adressée par le commissaire Wood au sous‑ministre, Direction générale de l’immigration, ministère des Mines et des Ressources. Dans ce document, le commissaire Woods s’exprime ainsi :

[TRADUCTION] Nous cherchons principalement à obtenir une réponse satisfaisante aux deux questions suivantes : quelles étaient les affinités et les activités du candidat au cours de la guerre? Et le candidat est‑il sympathique au communisme ou à quelque autre forme d’influence subversive qui va à l’encontre de notre mode de vie démocratique?

 

[156]    Pareillement, une note de service en date du 26 septembre 1947, adressée par le sous‑ministre Keenleyside au Comité du Cabinet sur la politique d’immigration, exposait d’une manière détaillée le problème des candidats à l’immigration qui avaient servi dans les armées de nations ennemies durant la guerre. M. Keenleyside proposait plusieurs directives de sécurité, notamment les suivantes :

[TRADUCTION]

… d) que, s’agissant de personnes autres que des étrangers ennemis cherchant aujourd’hui à immigrer, le fait pour elles d’avoir servi dans les forces armées de leur propre pays durant la guerre ne fasse pas obstacle à leur admission à moins qu’elles ne figurent sur la liste officielle des criminels de guerre et ne soient connues pour avoir contrevenu aux lois internationales de la guerre;

 

e) que, s’agissant des personnes de pays neutres ou alliés cherchant aujourd’hui à immigrer, le fait pour elles d’avoir servi dans les forces armées de pays ennemis de Sa Majesté durant la guerre constitue un motif d’exclusion à moins qu’elles puissent établir qu’elles ont ainsi servi parce qu’elles y étaient contraintes…

 

Ces propositions furent acceptées par le Cabinet le 7 octobre 1947.

 

[157]    Selon les documents susmentionnés, une part importante des contrôles de sécurité consistait à examiner les activités des candidats à l’immigration durant la guerre. Il est difficile, voire impossible, d’imaginer comment un agent de la sécurité aurait pu déceler le risque potentiel que posait un immigrant pour la sécurité (ou l’absence d’un tel risque) sans s’informer sur ses activités au cours des années récentes. Je ne puis faire autrement que conclure que, durant l’entretien, le membre de la GRC s’informait directement des circonstances de la personne déplacée, et des activités qu’elle avait exercées durant la guerre.

 

E.  Motifs de refoulement

[158]    Dès la mise en place, au début de 1947, du système de contrôle à l’étranger, les membres de la GRC affectés à la sécurité reçurent un ensemble de directives orales et écrites de leur quartier général, en même temps que les lignes directrices établies à l’occasion par le Cabinet, ou au moyen de décrets. La politique d’immigration évolua constamment après la guerre, mais il semble que les motifs de refoulement fondés sur la sécurité n’ont pas subi de changements majeurs entre 1947 et 1950. Une définition précise des motifs en question s’est révélée difficile, parce qu’ils étaient rarement consignés, sauf en des termes très généraux. Cette pratique reflétait la ferme conviction de la GRC que les motifs de refoulement ne devaient pas être connus des candidats à l’immigration. La GRC s’opposait à l’idée d’informer les candidats refusés qu’ils avaient été exclus pour des raisons de sécurité, et elle refusa longtemps d’en remettre une liste à la Direction générale de l’immigration (voir par exemple une note de service en date du 22 juillet 1948, adressée par le commissaire adjoint Nicholson, de la GRC, à la Direction spéciale de la GRC).

 

[159]    Cependant, au moins une liste écrite des critères de refoulement fut dressée par le quartier général de la GRC, en consultation avec la Direction générale de l’immigration, puis envoyée aux agents en Europe. Intitulée « Sélection des personnes sollicitant l’admission au Canada », et datée du 20 novembre 1948, la liste faisait état des « groupes interdits » suivants qui :

[TRADUCTION]

… s’ils sont révélés au cours de l’interrogatoire ou de l’enquête, rendront l’intéressé non admissible à l’immigration :

 

[…]

 

b) Membre des unités SS ou de la Wehrmacht allemande. Personne dont on découvre qu’elle porte des marques de groupe sanguin propres aux SS (NON‑Allemands).

 

c) Membre du Parti nazi.

 

[…]

 

h) Réponse évasive ou mensongère durant l’interrogatoire.

 

i) Non‑production de documents reconnaissables et acceptables, au moment de l’admission en Allemagne ou durant sa résidence en Allemagne.

 

j) Fausses déclarations; emploi d’un faux nom ou d’un nom fictif.

 

k) Collaborateurs vivant présentement dans un territoire auparavant occupé.

 

[160]    Au cours de la préparation de la liste, l’inspecteur Parsons s’était exprimé sur l’inclusion du groupe des « collaborateurs », en écrivant que [traduction] « les personnes de cette catégorie sembleraient absolument indésirables comme immigrants, et nous croyons qu’elles devraient figurer sur la liste » (lettre adressée au major Wright, 23 septembre 1948).

 

[161]    Dans les notes issues d’une « réunion ministérielle informelle sur les questions d’immigration », et portant la date du 6 février 1946, la « collaboration avec l’ennemi durant la guerre 1939‑1945 » figure comme « preuve d’antécédents insatisfaisants en matière de sécurité ». Puis les notes précisaient que la liste des exclusions n’était pas définitive ni limitative.

 

[162]    Globalement, l’objectif était de refuser l’admission à toute personne qui [traduction] « d’après ses antécédents connus, serait peu susceptible de s’adapter au mode de vie canadien et à notre système de gouvernement démocratique ». Ces mots eux‑mêmes figuraient dans des [traduction] « ordres à l’usage du personnel employé à l’étranger dans des fonctions de contrôle des visas », ordres qui avaient été envoyés par S.T. Wood, commissaire, au sergent d’état‑major Hinton, le 23 octobre 1946. Ces ordres confirmaient encore une fois le rôle de l’agent examinateur de la GRC dans l’évaluation de l’admissibilité d’un candidat à l’immigration.

 

[163]    Une prise de conscience du rôle des gardes de camps de concentration s’est manifestée durant l’élaboration de lignes directrices du Canada sur la sécurité d’après‑guerre. L’une des premières mentions directes figurant dans la preuve documentaire se trouve dans un document intitulé [traduction] « Le Parti nazi, sa formation et les organismes qui lui sont affiliés ». Ce document fut rédigé par la Section des enquêtes criminelles de la GRC et remis à A.L. Jolliffe, directeur de l’immigration au ministère des Mines et des Ressources. Le rapport lui fut transmis en annexe à une lettre datée du 25 juillet 1946. Dans ce document, la SS Totenkopf‑Verbande (Unité « Tête de mort ») était décrite de la manière suivante :

[TRADUCTION] La SS Totenkopf‑Verbande était une division spéciale de la Waffen SS, dont le rôle se limitait à garder les camps de concentration et à tenir lieu de force policière dans les territoires occupés. Les membres de cette organisation étaient d’un genre particulièrement répugnant et brutal.

 

[164]    La politique canadienne fut fortement influencée, dès le début, par la Directive n° 38 du Comité de coordination de l’Autorité du contrôle allié, datée du 14 octobre 1946 et intitulée [traduction] « Arrestation et punition des criminels de guerre, nazis et militaristes, et internement, contrôle et surveillance des Allemands potentiellement dangereux ». L’Autorité du contrôle allié était l’organe directeur militaire représentant les Puissances alliées qui contrôlaient l’Allemagne après la guerre. Ses directives servaient de politiques et règlements pour notamment le traitement des réfugiés et des personnes déplacées relevant des programmes de l’UNRRA et de l’OIR. Selon la Directive n° 38, les criminels de guerre et les collaborateurs étaient répartis en plusieurs catégories, à savoir : grands délinquants, délinquants, militaristes, trafiquants et autres. Qui plus est, la catégorie des grands délinquants comprenait [traduction] « toute personne qui, d’une manière ou d’une autre, a participé à des massacres, à des tortures ou autres cruautés dans un camp de concentration, un camp de travail ou un institut ou asile médical »; et [traduction] « toute personne qui, pour son profit ou avantage personnel, a collaboré activement avec la Gestapo, la SD, la SS ou des organisations semblables… »

 

[165]    Il y a de nombreuses références à la Directive n° 38 dans les documents canadiens d’immigration, références qui attestent, chez les membres du gouvernement canadien et les représentants de la GRC, une préoccupation persistante à l’égard des criminels de guerre nazis et des collaborateurs. Les grands délinquants, tels que les définissait la Directive n° 38, ne pouvaient pas être admis au Canada. Les gardes de camps de concentration et les collaborateurs étaient de grands délinquants.

 

[166]    Après examen de la preuve documentaire, je suis persuadée qu’il était improbable que quiconque – exerçant un rôle de direction ou un rôle de membre de la GRC sur le terrain – aurait jugé admissible au Canada un garde de camp de concentration. Comme le disait le Dr Avery :

[TRADUCTION] Quiconque était rattaché à une organisation nazie et en particulier avait été garde de camp de concentration aurait été vu à coup sûr comme totalement hostile au mode de vie canadien et au système canadien de gouvernement démocratique.

 

[167]    Selon la correspondance et les documents de l’époque, non seulement s’agissait‑il là de la politique des représentants du Canada, mais cette politique avait été communiquée aux membres de la GRC sur le terrain, et elle était appliquée par eux.

 

F.  Conclusion

[168]    En conclusion, si je considère globalement la preuve documentaire, le rapport Avery et le témoignage du Dr Avery, alors je suis d’avis, et je crois même très probable, que les énoncés suivants résument les éléments d’une enquête de sécurité portant sur une personne telle que M. Furman, en 1949 :

 

  • la politique gouvernementale et la pratique de la GRC étaient qu’un membre de la GRC sur le terrain devait procéder à une enquête de sécurité à l’égard de toute personne déplacée;

 

  • en Allemagne, la GRC ne s’en remettait pas aux enquêtes de l’OIR mais menait ses propres enquêtes, qui comprenaient des entretiens personnels;

 

  • le membre de la GRC posait des questions dans le dessein de vérifier les activités du candidat durant la guerre; et

 

  • le fait d’avoir été un garde SS de camp de concentration conduisait au refoulement du candidat.

 

[169]    Il convient de noter que ces conclusions s’accordent avec les conclusions auxquelles était arrivé le juge McKay, au paragraphe 141 de la décision Odynsky, précitée. Dans cette affaire – qui concernait elle aussi une révocation de citoyenneté – le juge McKay était saisi de faits semblables. Plus précisément, on disait que M. Odynsky, lui aussi arrivé au Canada depuis l’Allemagne en 1949, avait été garde de camp de concentration. S’agissant des procédures d’enquête, le juge McKay s’est exprimé ainsi :

À mon sens, il n’y a aucun doute que, au plus haut niveau du gouvernement, le Cabinet voulait qu’il y ait un contrôle de sécurité des candidats à l’immigration qui voulaient venir au Canada d’Allemagne, y compris des personnes déplacées, dans les années 1945 à 1950, et même par la suite. Cette volonté était mise en œuvre sur le terrain par le moyen d’arrangements intervenus entre les autorités d’immigration et la G.R.C. sous la direction du Cabinet. D’après le témoignage d’anciens agents d’immigration, MM. Martineau, St‑Vincent et Kaarsberg, des arrangements étaient en place pour le contrôle de sécurité des candidats à l’immigration en Allemagne en 1949. Ils comportaient une entrevue effectuée par un agent de la G.R.C., qui s’occupait du contrôle de sécurité, comme première étape dans le traitement d’une demande d’un candidat à l’immigration, y compris une personne déplacée.

 

Je n’ai pas eu l’avantage d’entendre les témoignages d’anciens agents d’immigration, contrairement au juge McKay, mais la preuve documentaire que j’ai devant moi et qui concerne les politiques et procédures en matière d’enquêtes de sécurité n’est pas contestée et elle est convaincante; elle me conduit aux mêmes conclusions.

 

VIII.  Contrôle de sécurité de M. Furman

[170]    Je suis arrivée à la conclusion qu’il est vraisemblable que M. Furman fut soumis à un contrôle de sécurité mené par un membre de la GRC et que ce dernier l’a interrogé sur ses activités en temps de guerre, et je dois maintenant déterminer ce que M. Furman a dit au membre de la GRC. Lui a‑t‑il dit qu’il était né « Iosef Furmanchuk », qu’il avait été prisonnier de guerre soviétique et qu’il avait été garde SS? Ou lui a‑t‑il dit qu’il était resté en Ukraine jusqu’en 1942, après quoi il avait été travailleur agricole dans la région de Ratisbonne en Allemagne? Il n’existe pas de notes permettant de répondre directement à cette question. Cependant, la preuve que j’ai devant moi autorise des présomptions.

 

[171]    Je me réfère d’abord à trois documents qui incontestablement ont été établis peu après la Deuxième Guerre mondiale et qui font état des activités menées par M. Furman durant la guerre. Ce sont les documents suivants :

 

  • la déclaration de Peter Sikora et Iwan Relonok, faite sous serment le 27 novembre 1947, mentionnée ci‑dessus au paragraphe 82;

 

  • la demande d’assistance présentée à la PCIRO le 5 décembre 1947;

 

  • la fiche d’enregistrement de personne déplacée A.E.F., au nom de « Josyf Furman », qui, bien que non datée, fut un document rédigé et utilisé pour la demande d’immigration de M. Furman au Canada.

 

[172]    Chacun de ces documents indique le nom « Furman ». La déclaration sous serment, comme la demande d’assistance, mentionnent que, de 1942 à 1945, M. Furman a été travailleur agricole à la ferme de M. Schumacher. Je suis arrivée à la conclusion que cette version des faits est probablement inventée. Dans le dernier document de ce groupe, la case 18 contient la question suivante : « Prétendez‑vous être un prisonnier de guerre? » La réponse donnée est « non ». M. Furman reconnaît aujourd’hui avoir été prisonnier de guerre. Il est très improbable que, ayant donné ce renseignement dans lesdits documents, M. Furman ait pu présenter une autre version de ses activités en temps de guerre au fonctionnaire qui l’interrogeait dans le cadre de sa demande d’immigration au Canada. S’il avait modifié son récit à ce stade – après s’être fondé sur les documents évoqués – cette version complètement nouvelle aurait certainement suscité des doutes dans l’esprit d’un fonctionnaire de la sécurité ou de l’immigration.

 

[173]    D’ailleurs, M. Furman a été admis au Canada. Il a obtenu du membre de la GRC l’attestation de sécurité requise. Comme l’a dit le Dr Avery, si M. Furman avait reconnu qu’il avait été un garde de camp de concentration, [traduction] « [j]e crois pouvoir dire avec une quasi‑certitude qu’il aurait été refoulé ». Le fait qu’il ait été admis au Canada est la preuve qu’il n’a pas dit la vérité sur ses antécédents au membre de la GRC.

 

[174]    Selon la prépondérance de la preuve, je suis d’avis que M. Furman a dit au membre de la GRC, à propos de ses activités en temps de guerre, qu’il avait été travailleur agricole. Pour les motifs que j’ai exposés ci‑dessus, je ne suis pas persuadée qu’il disait la vérité. Je conclus plutôt que : M. Furman est né « Iosef Furmanchuk », il a servi dans l’armée soviétique jusqu’à ce qu’il soit capturé en 1942, il est devenu un garde SS en 1942, il a participé à l’évacuation des ghettos de Varsovie et de Bialystok et il a été membre de l’Unité SS Tête de mort, au camp de concentration de Flossenbürg. Si ce n’est le changement de son patronyme, aspect que j’examine directement plus loin, je suis d’avis que, selon la prépondérance de la preuve, M. Furman n’a révélé aucun de ces antécédents au membre de la GRC.

 

IX.  Non‑révélation du patronyme véritable reçu à la naissance

[175]    Selon le ministre, il ressort de la preuve que ceux qui voulaient immigrer au Canada à l’époque pertinente étaient refoulés pour « fausses déclarations; emploi d’un faux nom ou d’un nom fictif » (note de service en date du 11 août 1948 adressée par le major J.A. Wright au commissaire de la GRC, concernant la politique du contrôle des visas; note de service en date du 20 novembre 1948, intitulée « Sélection des personnes sollicitant l’admission au Canada »). Dans la Directive du Cabinet, circulaire n° 14, datée du 28 octobre 1949 et signée par N.A. Robertson, secrétaire du Cabinet, on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION] Les personnes déplacées et certaines catégories d’immigrants éventuels qui désirent entrer au Canada font l’objet d’une enquête de la GRC conformément aux procédures établies. Les personnes entrant dans certaines catégories (c.‑à‑d. les communistes, les membres du parti nazi ou d’un parti fasciste ou de tout groupe révolutionnaire, les « collaborateurs » et les personnes qui font usage de noms ou de documents faux ou fictifs) sont considérées inadmissibles au sens de la Loi sur l’immigration et leur demande de visa est rejetée. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[176]    Le ministre dit que M. Furman a fait une fausse déclaration aux autorités de l’immigration quant à son identité, en utilisant le nom « Furman » au lieu de « Furmanchuk ». C’est sans doute vrai. Cependant, contrairement à la dissimulation de son passé de garde de camp de concentration, je ne suis pas persuadée que M. Furman a utilisé « un faux nom ou un nom fictif » ou que le fait de ne pas avoir déclaré que son nom à la naissance était « Furmanchuk » aurait automatiquement conduit à son rejet en tant qu’immigrant.

 

[177]    Le nom « Furmanchuk » (ou une quelconque variation orthographique) peut être facilement rattaché au nom « Furman » ou « Furmann » adopté par M. Furman. L’omission du suffixe « chuk » est l’unique différence. Aucune preuve n’a été présentée sur la signification du suffixe « chuk », à la fin d’un patronyme ukrainien, mais je crois qu’il est tout à fait possible que, en ukrainien, ce suffixe soit un indicateur patronymique (« fils de ») ou un indicateur de nom de famille qui serait utilisé pour un membre de la famille de sexe masculin. Dans l’un ou l’autre cas, il ne m’apparaît pas évident qu’une personne utilisant un patronyme sans le suffixe en question ferait une fausse déclaration sur son patronyme. Rien dans la preuve me dit que l’adjonction du suffixe « chuk » était une importante caractéristique du patronyme. Autrement dit, M. Furman a fort bien pu croire que l’emploi de « chuk » comme adjonction à son patronyme était inutile et que « Furman » et « Furmanchuk » constituaient le même patronyme, en anglais ou en allemand.

 

[178]    De plus, M. Furman n’a nullement tenté de modifier son lieu de naissance ou sa date de naissance. Il ne s’agit pas ici d’une personne tentant de camoufler son identité en modifiant son patronyme de « Smith » à « Jones » (ou de « Katriuk » à « Schpirkas », comme ce fut le cas dans l’affaire Katriuk, précitée). Il est très plausible que le membre de la GRC ait découvert, ou que M. Furman lui ait dit, qu’il était né « Furmanchuk » et que ni l’un ni l’autre n’aient vu une différence entre les deux noms. Si les agents d’immigration n’ont pas mis en doute le fait qu’il ait été un travailleur agricole, il ne va pas nécessairement de soi qu’il aurait été refoulé au seul motif de son nouveau patronyme.

 

[179]    Il m’est impossible de conclure que la non‑révélation, par M. Furman, de son nom de naissance « Furmanchuk » aux fonctionnaires de l’immigration (si effectivement il ne l’a pas révélé) fut quelque chose d’essentiel qui aurait pu justifier son refoulement pour des raisons de sécurité.

 

X.  Acquisition de la citoyenneté

[180]    M. Furman a obtenu la citoyenneté canadienne en 1957. L’une des allégations du ministre (d’après le contenu de l’avis et de la déclaration) est que M. Furman n’a pas révélé la modification de son nom aux fonctionnaires chargés d’accorder la citoyenneté canadienne. À cause de cela, de l’avis du ministre, M. Furman a obtenu sa citoyenneté canadienne par fausse déclaration ou par dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

[181]    La preuve produite par le ministre sur ce point consiste dans la demande de citoyenneté présentée par M. Furman, dont une copie a été produite dans la présente instance. La demande a été présentée sous serment par M. Furman le 11 mars 1957. La question 11 de la demande comporte trois sous‑questions. Les voici, avec les réponses de M. Furman :

Question

Réponse

Si votre nom a été modifié par ordonnance judiciaire, par projet de loi de caractère privé déposé devant un parlement local, ou par enregistrement, selon le cas, produire un certificat ou une copie certifiée conforme de l’ordonnance judiciaire ou du projet de loi. Indiquer la date et le lieu où le changement de patronyme a pris effet.

Aucun changement.

Si votre nom a été modifié par mariage, donner le nom de jeune fille.

Néant.

Si votre nom a été modifié, ou si son orthographe a été modifiée, donner le nom tel qu’il était écrit ou employé auparavant, ainsi que la date à laquelle ce changement est survenu.

Néant.

 

 

[182]    Vu ma conclusion selon laquelle M. Furman est né sous le nom de « Furmanchuk », il semble que ses réponses à deux de ces questions sont fausses. Cependant, je ne suis pas persuadée que le ministre a établi que cette apparente fausse déclaration était essentielle, ni même qu’il s’agissait effectivement d’une fausse déclaration.

 

[183]    Comme je l’ai dit précédemment, dans la section 9, je ne suis pas sûre qu’une personne utilisant son patronyme sans le suffixe « chuk » ferait nécessairement une fausse déclaration. Au moment de présenter sa demande, M. Furman – qui probablement parlait très peu l’anglais – a fort bien pu croire que l’emploi de « chuk » comme suffixe de son patronyme était inutile et que « Furman » et « Furmanchuk » étaient le même nom en anglais.

 

[184]    Je relève aussi que M. Furman a indiqué sa date exacte de naissance et son lieu exact de naissance. Il est très improbable que quelqu’un voulant dissimuler son identité n’ait pas voulu également modifier de tels détails.

 

[185]    Au vu des éléments que j’ai devant moi, je ne suis pas convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que M. Furman n’a pas divulgué aux fonctionnaires chargés d’attribuer la citoyenneté canadienne la modification de son patronyme.

 

XI.  Arguments de M. Furman fondés sur la décision Dueck

[186]    Dans son argumentation finale, M. Furman a fait valoir surtout que le ministre ne s’était pas acquitté de la charge de la preuve quant au fondement factuel de son allégation. Il m’a renvoyé à la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203, [1998] A.C.F. n° 1829 (QL) (C.F. 1re inst.), en affirmant ce qui suit :

[TRADUCTION] Ce précédent porte exactement sur la même période. Il y est question de contrôle de sécurité, d’absence de contrôle de sécurité, et il renvoie à une autre décision intéressante selon laquelle la GRC n’avait pas le pouvoir légal de refouler des immigrants en se fondant sur des motifs de sécurité. Elle n’est pas appuyée par la jurisprudence, mais c’est là sa décision, et la Cour peut s’y rapporter et se prononcer sur les documents pertinents.

 

[187]    M. Furman n’a pas dit précisément quelles parties de cette longue décision devraient s’appliquer. Néanmoins, puisque ce précédent semble avoir constitué le fondement de son argumentation finale, je crois que je devrais examiner la décision Dueck.

 

[188]    Dans cette décision, le juge Marc Noël a estimé notamment que le ministre n’avait pas établi que :

Il existait, en juillet 1948, une procédure uniforme appliquée à tous les immigrants provenant d’Autriche, que cette procédure, si elle était applicable, aurait permis d’obtenir une réponse à toutes les questions relatives aux activités du défendeur pendant la guerre, ou que l’admission au Canada était interdite à la catégorie « générale » des collaborateurs. [paragraphe 154].

 

Il me semble que deux conclusions du juge Noël doivent être étudiées :

 

  • la preuve du ministre n’établissait pas que M. Dueck avait nécessairement été interrogé par un agent examinateur de la GRC; et

 

  • le ministre ou la GRC n’avaient pas le pouvoir légal d’interdire l’immigration de M. Dueck pour des raisons de sécurité en juillet 1949.

 

[189]    Le premier point est une question de fait, et je dois donc me demander si les faits dans Dueck peuvent se comparer à ceux de la présente espèce. J’observe d’abord quelques caractéristiques distinctives importantes qui font qu’à première vue la décision du juge Noël ne s’applique pas dans le cas qui nous occupe :

 

  • dans l’affaire Dueck, les activités menées en temps de guerre dont faisait état l’avis de révocation n’ont pas été prouvées; le ministre n’a pas établi que M. Dueck avait été membre de la « police du district de Selidovo » (un corps policier ukrainien auxiliaire qui relevait de la police allemande dans la région); les arguments avancés contre M. Dueck n’ont donc pas été retenus pour d’autres motifs, avant que le juge Noël n’examine les questions de sécurité et d’immigration au Canada (voir paragraphes 147 à 149);

 

  • M. Dueck avait immigré depuis l’Autriche en 1948, plutôt que depuis l’Allemagne en 1949, et l’analyse du juge Noël a porté sur les méthodes de contrôle appliquées dans cette région‑là et à cette époque‑là;

 

  • dans l’affaire Dueck, le défendeur a témoigné qu’il n’avait pas été contrôlé par un agent de la sécurité; ici, M. Furman, qui n’a pas témoigné, n’a pu confirmer ou nier s’il avait été interrogé; et

 

  • le ministre disait que M. Dueck se serait vu refuser l’admission au Canada parce qu’il était un « collaborateur » et pour aucune autre raison, par exemple l’appartenance aux unités SS, ou le fait d’avoir servi dans un camp de concentration.

 

[190]    Le juge Noël a passé en revue l’historique des politiques et procédures du Canada en matière de contrôle de sécurité, de 1945 à 1950. En bref, il a constaté que le Cabinet établissait les critères d’admissibilité des immigrants, que le ministre des Mines et des Ressources s’occupait des questions d’immigration et que la GRC était seule responsable de la procédure touchant les contrôles de sécurité, avec intervention du conseil de sécurité et de ses sous‑comités. Mes conclusions dans la présente affaire, fondées pour l’essentiel sur les mêmes preuves, sont les mêmes.

 

[191]    Cependant, le juge Noël avait devant lui certains éléments qui montraient que, en 1947, la procédure des contrôles de sécurité était encore à l’état expérimental et n’était pas nécessairement appliquée dans tous les cas. Plus précisément, le juge Noël s’est référé à des dossiers d’immigration qui attestaient certaines failles dans la procédure de contrôle :

Les statistiques préparées pour le Comité Immigration‑Travail indiquent que 8 728 personnes déplacées étaient arrivées au Canada en date du 8 avril 1948. Le défendeur a fait valoir que si l’on compare ce nombre aux 1 611 personnes déplacées qui avaient fait l’objet d’un contrôle par la GRC en date du 30 mars 1948, on constate que cela signifie que seulement 18,45 % des personnes déplacées avaient en fait été contrôlées par la GRC. Un tel calcul s’appuie sur un certain nombre d’hypothèses, mais le demandeur n’a pas contesté ces hypothèses ni la source de ces chiffres, la méthode qui a été utilisée et la conclusion tirée relativement au nombre de personnes déplacées qui avaient fait l’objet d’un contrôle. Ces chiffres soulèvent des doutes sérieux quant à l’application d’une méthode uniforme de contrôle de sécurité pendant la période pertinente. [paragraphe 201; références omises; non souligné dans l’original].

 

[192]    Le juge Noël n’était donc pas convaincu que toutes les personnes déplacées qui étaient venues d’Autriche en 1948 avaient été contrôlées par la GRC. Il est arrivé à cette conclusion en se fondant sur la preuve qu’il avait devant lui. À son avis, cette preuve montrait que la procédure de contrôle pouvait présenter des failles.

 

[193]    Sept ans après la décision Dueck, j’ai devant moi un tout autre ensemble de preuves. M. Furman a évoqué l’affaire Dueck dans son argumentation finale, mais il n’a signalé aucun élément précis susceptible de mettre en doute l’affirmation du Dr Avery, appuyée par la preuve documentaire, selon laquelle la procédure du contrôle de sécurité des personnes déplacées était en 1949 obligatoire et observée dans tous les cas. Au contraire, l’avocat de M. Furman a approuvé l’opinion d’expert du Dr Avery.

 

[194]    Je voudrais souligner le caractère factuel de cette enquête de révocation. Les éléments de preuve et arguments qui me sont soumis témoignent d’événements qui ne sont pas ceux dont était saisi le juge Noël. On ne m’a pas apporté la preuve que les agents examinateurs de la GRC ne parvenaient pas, si ce n’est peut‑être par inadvertance, à interroger toutes les personnes déplacées venant d’Allemagne et je n’ai d’ailleurs moi‑même pas pu trouver une telle preuve durant mon examen des volumineux documents canadiens d’immigration qui m’ont été soumis.

 

[195]    Je passe donc à la deuxième conclusion tirée par le juge Noël dans l’affaire Dueck – le pouvoir légal d’exclure des personnes déplacées européennes, pour des raisons de sécurité. Le juge Noël a estimé que, même si la Loi de 1927 sur l’immigration, qui était en vigueur en 1948, conférait au gouverneur en conseil un large pouvoir de refuser l’admission d’une personne au Canada, la Loi prévoyait que ce pouvoir devait être exercé par décret, et, selon lui, aucun décret du genre n’avait eu pour effet d’interdire l’entrée d’immigrants pour des raisons de sécurité, et cela jusqu’au décret C.P. 2856 de 1950. Avant cela, le ministre ou la GRC n’avaient pas le pouvoir d’exclure des immigrants pour des raisons de sécurité.

 

[196]    Si j’ai raison de penser que M. Furman se référait à la conclusion du juge Noël relative à la compétence, j’observe que des conclusions contraires ont été tirées dans les décisions Kisluk et Odynsky, précitées.

 

[197]    Dans la décision Kisluk, le juge Lutfy est arrivé à la conclusion que le pouvoir légal en question avait existé par le fait de l’interdiction générale d’immigration, et en vertu du pouvoir conféré aux agents d’immigration d’autoriser la réception de certaines catégories d’immigrants, à titre d’exception à cette interdiction (voir paragraphe 173). Ce pouvoir avait été établi par les décrets C.P. 695, C.P. 4849, C.P. 2743 et C.P. 2856. Le juge Lutfy s’est aussi référé à une deuxième série de décrets qui autorisaient la prise de règlements concernant les visas, et il a estimé que ces règlements conféraient également le pouvoir de limiter la réception d’immigrants au Canada pour des raisons de sécurité (paragraphe 179).

 

[198]    Je suis d’avis que le raisonnement exposé par le juge Lutfy dans la décision Kisluk est convaincant.

 

[199]    Je crois donc que le pouvoir légal d’exclure des personnes déplacées européennes pour des raisons de sécurité existait en vertu de plusieurs décrets, notamment les décrets C.P. 695, C.P. 4849, C.P. 2743 et C.P. 2856, qui établissaient l’interdiction générale d’immigration et conféraient au ministre le pouvoir d’autoriser l’admission de certaines personnes au Canada. Ce pouvoir existait dès 1931, année où fut pris le décret C.P. 695, et il était valide en 1949, année où M. Furman est arrivé au Canada.

 

[200]    En somme, la décision Dueck ne vient pas en aide à M. Furman.

 

XII.  Exercice de son pouvoir discrétionnaire par le membre de la GRC

[201]    Il reste la question de savoir si, au vu des faits, M. Furman aurait nécessairement été refusé par le membre de la GRC qui a procédé au contrôle de sécurité. Sans le témoignage direct du membre de la GRC qui avait conduit l’entretien, on en est réduit aux hypothèses. Malgré la directive de ses supérieurs, on pourrait soutenir qu’il peut avoir tenu compte des circonstances dans lesquelles cet ancien prisonnier de guerre soviétique était devenu garde SS, et qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire. Le problème que cela pose, c’est que M. Furman n’a jamais communiqué les renseignements en question au membre de la GRC. En ne reconnaissant pas qu’il avait été un prisonnier de guerre soviétique et un garde de camp de concentration durant la guerre, M. Furman a fait obstacle à toute question qu’aurait pu lui poser le membre de la GRC sur les détails de tels antécédents.

 

[202]    Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration) c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, [1973] A.C.S. n° 112, la Cour suprême du Canada a étudié ce problème. Il s’agissait d’un immigrant arrivé au Canada qui n’avait pas révélé certains renseignements durant la procédure de demande d’immigration. La disposition applicable de la Loi de 1948 sur l’immigration était l’article 19, qui prévoyait que toute personne qui entrait au Canada « par suite de quelque renseignement faux ou trompeur » était « passible d’expulsion ». La révélation des renseignements n’aurait pas nécessairement fait obstacle à la réception de l’intéressé. Néanmoins, la Cour suprême s’est exprimée ainsi :

Afin d’éliminer tout doute à ce sujet résultant des motifs de la Commission, je rejetterais toute prétention ou conclusion selon laquelle, pour qu’il y ait caractère important sous le régime du sous‑al. (viii) de l’al. e) du par. (1) de l’art. 19, la déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur donnés dans une réponse ou des réponses doivent être de nature à avoir caché un motif indépendant d’expulsion. La déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur peuvent ne pas avoir semblable effet et, cependant, avoir été des facteurs qui ont déterminé l’admission. La preuve faite en l’espèce suivant laquelle certaines réponses inexactes n’auraient eu aucun effet sur l’admission d’une personne, est évidemment pertinente quant à la question du caractère important. Mais est aussi pertinente la question de savoir si les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses ont eu pour effet d’exclure ou d’écarter d’autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d’expulsion n’eût été découvert par suite de ces enquêtes. [Non souligné dans l’original]

 

[203]    Le raisonnement exposé par la Cour suprême dans l’arrêt Brooks a été suivi par la Cour fédérale dans des jugements portant sur des instances de cette nature (voir par exemple la décision Bogutin, précitée, paragraphe 124; et la décision Baumgartner, précitée, paragraphe 139).

 

[204]    Il se trouve que les fonctionnaires canadiens chargés de procéder au contrôle de M. Furman furent empêchés de s’enquérir davantage. Il eût été impossible pour le membre de la GRC de l’interroger sur son service au sein de l’armée soviétique ou sur les actes qu’il avait commis en sa qualité de garde de camp de concentration. Il n’importe pas de savoir s’il aurait pu ou non exercer son pouvoir discrétionnaire; il n’a jamais eu l’occasion de le faire.

 

XIII.  Sommaire des conclusions

[205]    Au début des présents motifs, j’ai recensé une série de questions. En résumé, je réponds auxdites questions par les conclusions suivantes, qui toutes sont tirées selon la prépondérance de la preuve, après examen attentif des faits :

 

  1. Josef Furman, le défendeur dans la présente instance, est né « Iosef Furmanchuk »;

 

  1. Une personne nommée « Josef Furmantschuk » a été formée comme gardien SS de Trawniki et a participé, comme gardien SS, à des activités menées dans les ghettos juifs de Varsovie et de Bialystok, ainsi qu’au camp de concentration de Flossenbürg.

 

  1. Josef Furman, né Iosef Furmantschuk, est la même personne que « Josef Furmantschuk », le gardien SS mentionné dans les présents motifs.

 

  1. Josef Furman, connu à l’époque comme gardien Josef Furmantschuk, numéro matricule 1538, a participé, en qualité de garde, aux évacuations de Juifs des ghettos de Varsovie et de Bialystok, en 1943, et il a été garde au camp de concentration de Flossenbürg, du 7 octobre 1943 jusqu’à au moins le 1er avril 1944.

 

  1. Les fonctionnaires canadiens de l’immigration, et en particulier un membre de la GRC, ont interrogé M. Furman pour en savoir davantage sur ses activités durant la Deuxième Guerre mondiale.

 

  1. M. Furman n’a pas révélé ses activités en temps de guerre aux fonctionnaires canadiens de l’immigration (en particulier au membre de la GRC chargé du contrôle le concernant) avant d’arriver au Canada, et il a notamment dissimulé les renseignements selon lesquels il avait été : a) un prisonnier de guerre soviétique; et b) un gardien SS lors de l’évacuation des ghettos de Varsovie et de Bialystok, ainsi qu’au camp de concentration de Flossenbürg.

 

  1. Les renseignements selon lesquels M. Furman avait été un gardien de Trawniki, et en particulier un ancien garde de camp de concentration, auraient, s’ils avaient été révélés, suscité de sérieux doutes dans l’esprit du membre de la GRC qui l’interrogeait et auraient tout probablement conduit à son refoulement pour des raisons de sécurité.

 

[206]    Comme je l’ai dit, le ministre ne m’a pas convaincue que M. Furman avait donné un faux nom lorsqu’il avait eu affaire aux fonctionnaires canadiens de l’immigration, ni au moment de présenter sa demande de citoyenneté canadienne.

 

XIV.  Dispositif

[207]    Je conclus, selon la prépondérance de la preuve, et après avoir examiné attentivement les éléments de preuve qui m’ont été soumis, que, à la date de son immigration au Canada en 1949, M. Furman a faussement déclaré aux fonctionnaires canadiens de l’immigration qu’il avait été, sous la contrainte, un travailleur agricole de 1942 à 1945. Il a intentionnellement dissimulé les liens qu’il avait eus, durant la guerre, avec l’armée soviétique et avec les Unités SS « Tête de mort », y compris sa fonction de garde de camp de concentration.

 

[208]    Cette conclusion suffit selon moi à statuer sur la présente affaire. Il n’est pas nécessaire de se demander s’il a été « licitement admis » au Canada. Cependant, pour plus de sûreté, je conclus également que M. Furman n’a pas été licitement admis au Canada, qu’il n’a pas acquis un domicile canadien et qu’il n’était pas une personne de bonne moralité – tout cela contrairement à ce que prévoyait la Loi de 1948 sur l’immigration.

 

[209]    Pour ces motifs, je suis d’avis que M. Furman a été admis au Canada et a obtenu sa citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

[210]    Le ministre a informé la Cour que, s’il obtenait gain de cause, il ne solliciterait pas de dépens. Par conséquent, il ne sera pas adjugé de dépens.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

    1. Le défendeur, Josef Furman, a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, au sens de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.


APPENDICE « A »

aux

motifs et du jugement portant la date du 17 août 2006

rendus dans l’affaire

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

et

 

JOSEF FURMAN

 

T‑560‑04

 

 

Loi sur la citoyenneté, 1985

 

Citizenship Act, 1985

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu’il est convaincu, sur rapport du ministre, que l’acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle‑ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l’intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

 

10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

a) soit perd sa citoyenneté;

 

(a) the person ceases to be a citizen, or

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

 

(b) the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect, as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l’a acquise à raison d’une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l’un de ces trois moyens.

 

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.

 

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l’établissement du rapport mentionné à l’article 10 sans avoir auparavant avisé l’intéressé de son intention en ce sens et sans que l’une ou l’autre des conditions suivantes ne se soit réalisée :

 

18. (1) The Minister shall not make a report under section 10 unless the Minister has given notice of his intention to do so to the person in respect of whom the report is to be made and

a) l’intéressé n’a pas, dans les trente jours suivant la date d’expédition de l’avis, demandé le renvoi de l’affaire devant la Cour;

 

(a) that person does not, within thirty days after the day on which the notice is sent, request that the Minister refer the case to the Court; or

b) la Cour, saisie de l’affaire, a décidé qu’il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

(b) that person does so request and the Court decides that the person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances.

(2) L’avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu’a l’intéressé, dans les trente jours suivant sa date d’expédition, de demander au ministre le renvoi de l’affaire devant la Cour. La communication de l’avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l’intéressé.

 

(2) The notice referred to in subsection (1) shall state that the person in respect of whom the report is to be made may, within thirty days after the day on which the notice is sent to him, request that the Minister refer the case to the Court, and such notice is sufficient if it is sent by registered mail to the person at his latest known address.

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d’appel.

 

(3) A decision of the Court made under subsection (1) is final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom.

Loi sur la citoyenneté canadienne, 1948

 

Canadian Citizenship Act, 1948

10. (1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un certificat de citoyenneté à toute personne qui n’est pas un citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la satisfaction du tribunal,

 

10. (1) The Minister may, in his discretion grant a certificate of citizenship to any person who is not a Canadian citizen and who makes application for that purpose and satisfies the Court that,

a) qu’elle a produit au greffe du tribunal du district judiciaire où elle réside, au moins un an et au plus cinq ans avant la date de sa demande, une déclaration de son intention de devenir un citoyen canadien, ladite déclaration ayant été produite par cette personne après qu’elle a atteint l’âge de dix‑huit ans; ou qu’elle est le conjoint d’un citoyen canadien et réside avec lui au Canada, ou qu’elle est un sujet britannique;

 

(a) either he has filed in the office of the Clerk of the Court for the judicial district in which he resides, not less than one nor more than five years prior to the date of his application, a declaration of intention to become a Canadian citizen, the said declaration having been filed by him after he attained the age of eighteen years; or he is the spouse of and resides in Canada with a Canadian citizen, or he is a British subject;

(b) qu’elle a été licitement admise au Canada pour y résider en permanence;

 

(b) he has been lawfully admitted to Canada for permanent residence therein;

(c) qu’elle a résidé continûment au Canada pendant un an immédiatement avant la date de sa demande et qu’en outre, sauf si la personne qui présente la demande a servi hors du Canada dans les forces armées du Canada en temps de guerre, ou si elle est l’épouse d’un citoyen canadien et réside avec lui au Canada, elle a résidé au Canada durant une période supplémentaire d’au moins quatre ans au cours des six années qui ont immédiatement précédé la date de la demande;

 

(c) he has resided continuously in Canada for a period of one year immediately preceding the date of the application and, in addition, except where the applicant has served outside of Canada in the armed forces of Canada during time of war or where the applicant is the wife of and resides in Canada with a Canadian citizen, has also resided in Canada for a further period of not less than four years during the six years immediately preceding the date of the application;

d) qu’elle a une bonne moralité;

 

(d) he is of good character;

e) qu’elle possède une connaissance suffisante de l’anglais ou du français, ou, si elle ne possède pas cette connaissance, qu’elle a résidé continûment au Canada pendant plus de vingt ans;

 

(e) he has an adequate knowledge of either the English or the French language, or, if he has not such an adequate knowledge, he has resided continuously in Canada for more than twenty years;

f) qu’elle a une connaissance suffisante des responsabilités et privilèges de la citoyenneté canadienne; et

 

(f) he has an adequate knowledge of the responsibilities and privileges of Canadian citizenship; and

g) qu’elle se propose, une fois sa demande accordée, soit de résider en permanence au Canada, soit d’entrer ou de demeurer au service public du Canada ou de l’une de ses provinces.

 

(g) he intends, if his application is granted, either to reside permanently in Canada or to enter or continue in the public service of Canada or of a province thereof.

Loi sur l’immigration, 1948

 

Immigration Act, 1948

2. Dans la présente loi, l’expression

 

2. In this Act

 

n) « réception » signifie l’admission légale d’un immigrant au Canada aux fins de résidence permanente;

 

(n) “landing” means the lawful admission of an immigrant to Canada for permanent residence;

 

20. (1) Quiconque, y compris un citoyen canadien et une personne ayant un domicile canadien, cherche à entrer au Canada doit, en premier lieu, paraître devant un fonctionnaire à l’immigration, à un port d’entrée ou à tel autre endroit que désigne un fonctionnaire supérieur de l’immigration, pour un examen permettant de déterminer s’il est admissible ou non au Canada ou s’il est une personne pouvant y entrer de droit.

 

20. (1) Every person, including Canadian citizens and persons with Canadian domicile, seeking to come into Canada shall first appear before an immigration officer at a port of entry or at such other place as may be designated by an immigration officer in charge, for examination as to whether he is or is not admissible to Canada or is a person who may come into Canada as of right.

(2) Chaque personne doit donner des réponses véridiques à toutes les questions que lui pose, lors d’un examen, un fonctionnaire à l’immigration, et tout défaut de ce faire doit être signalé par ce dernier à un enquêteur spécial et constitue, en soi, un motif d’expulsion suffisant lorsque l’enquêteur spécial l’ordonne.

 

(2) Every person shall answer truthfully all questions put to him by an immigration officer at an examination and his failure to do so shall be reported by the immigration officer to a Special Inquiry Officer and shall, in itself, be sufficient ground for deportation where so ordered by the Special Inquiry Officer.

(3) Sauf s’il estime qu’il serait ou qu’il peut être contraire à quelque disposition de la présente loi ou des règlements d’accorder à une personne par lui examinée l’admission au Canada, ou de la laisser autrement entrer au Canada, le fonctionnaire examinateur à l’immigration doit, dès qu’il a terminé cet examen, accorder à la personne en cause l’admission au Canada, ou l’y laisser entrer.

 

(3) Unless the examining immigration officer is of opinion that it would or may be contrary to a provision of this Act or the regulations to grant admission to or otherwise let a person examined by him come into Canada, he shall, after such examination, immediately grant admission to or let such person come into Canada.

 

50. Est coupable d’une infraction et encourt, sur déclaration sommaire de culpabilité, pour la première infraction, une amende d’au plus cinq cents dollars et d’au moins cinquante dollars ou un emprisonnement d’au plus six mois et d’au moins un mois ou à la fois l’amende et l’emprisonnement et, pour la deuxième infraction, une amende d’au plus mille dollars et d’au moins cent dollars ou un emprisonnement d’au plus douze mois et d’au moins trois mois ou à la fois l’amende et l’emprisonnement et, pour la troisième infraction ou une infraction subséquente, un emprisonnement d’au plus dix‑huit mois et d’au moins six mois, quiconque

(f) sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse au cours d’un examen ou d’une enquête prévue par la présente loi ou à l’égard de l’admission d’une personne au Canada ou de la demande d’admission de qui que ce soit;

 

50. Every person who

(f) knowingly makes any false or misleading statement at an examination or inquiry under this Act or in connection with the admission of any person to Canada or the application for admission by any person;

is guilty of an offence and is liable on summary conviction, for the first offence to a fine not exceeding five hundred dollars and not less than fifty dollars or to imprisonment for a term not exceeding six months and not less than one month or to both fine and imprisonment, and, for the second offence to a fine not exceeding one thousand dollars and not less than one hundred dollars or to imprisonment for a term not exceeding twelve months and not less than three months or to both fine and imprisonment, and, for the third or a subsequent offence to imprisonment for a term not exceeding eighteen months and not less than six months.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑560‑04

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. JOSEF FURMAN

 

 

LIEUX DE L’AUDIENCE :              St. Catharines (Ontario) et

                                                            Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Les 5, 6, 8, 12, 13, 14, 19, 27 et 28 juin 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Marlene Thomas

Jamie Todd

Angela Marinos

Bruce Hughson

 

POUR LE DEMANDEUR

Eric Hafemann

Paul Williams

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

Eric Hafemann, Esq.,

Waterloo (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.