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Date : 20060810

Dossier : IMM‑5000‑05

Référence : 2006 CF 962

Ottawa (Ontario), le 10 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

DOLORES AMORIM MARQUES GONTIJO

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               La demanderesse, une Brésilienne âgée de cinquante ans, a revendiqué le statut de réfugié en tant que femme maltraitée par son conjoint de fait. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la revendication au motif que l’intéressée n’avait pas une crainte subjective et que, en tout état de cause, elle bénéficiait de la protection de l’État au Brésil. Il est question en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision défavorable.

 

II.         Les faits

[2]               La demanderesse a vécu en union de fait pendant trois ans avec un ressortissant du Portugal vivant illégalement au Canada. Elle aussi se trouvait illégalement au Canada.

 

[3]               L’union de fait a été marquée par la violence – un fait que la Commission a admis. La violence physique a commencé en avril 2003, a eu lieu à sept occasions différentes et a atteint son paroxysme lors d’un incident survenu les 20 et 21 janvier 2005. À la suite de cet incident, la police a été appelée, et le conjoint de fait arrêté. C’est l’intervention de la police qui a mis les autorités de l’immigration au courant du statut illégal de la demanderesse. Celle‑ci a réagi en demandant l’asile.

 

III.       Analyse

[4]               La Commission avait peut‑être bien des motifs de considérer que la crainte subjective de la demanderesse était douteuse, mais il faut qu’une telle conclusion, même d’après la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, soit étayée par les faits mis en preuve.

 

[5]               En rejetant l’élément de la crainte subjective, la Commission, minant la prétention de la demanderesse selon laquelle c’était par amour qu’elle avait supporté la relation de violence, a statué que cette dernière était très instruite, qu’elle avait demandé l’aide d’un centre communautaire après le premier incident de violence physique et qu’elle avait remis son passeport au centre pour éviter que son conjoint le brûle.

 

[6]               La demande d’aide au centre communautaire et le moment où cela a été fait, [traduction] « après le tout premier incident de violence physique », ont été considérés comme un fait important. Cela était toutefois inexact. La demanderesse s’est adressée au centre en janvier 2003, et non en avril. La preuve exacte pourrait donner à penser que la demanderesse tentait de régulariser son statut, ce qui aurait une incidence sur l’évaluation de la crédibilité.

 

[7]               Dans les circonstances, vu l’importance que la Commission a accordée au fait de demander l’aide du centre, cette erreur de fait touche au cœur de la conclusion relative à la crédibilité, qui, de ce fait, ne peut être maintenue.

 

[8]               La Commission a également conclu que l’existence de la protection de l’État au Brésil était un fait déterminant. Bien que la question de savoir si la norme de contrôle à cet égard est la « décision raisonnable » ou la « décision manifestement déraisonnable » puisse susciter quelque débat [Larenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 159, [2006] A.C.F. no 218 (QL); Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232 (QL); Nawaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1255; [2003] A.C.F. no 1584 (QL); Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1449, [2004] A.C.F. no 1755 (QL)], même si l’on retient la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui appelle une plus grande retenue, cette conclusion ne peut être maintenue.

 

[9]               La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur dans son application du critère juridique en adoptant le critère consistant à savoir si le Brésil faisait [traduction] « des efforts sérieux » au sujet de la violence conjugale ou de la protection de l’État. Elle fait valoir que le critère devrait consister à savoir si l’État a assuré cette protection de manière [traduction] « efficace ».

 

[10]           Pour les besoins de la présente espèce, les différents critères importent peu. Même celui des [traduction] « efforts sérieux » requiert un certain élément de réalisme lorsque l’on traite du problème particulier de cet aspect‑là de la protection de l’État. Le critère de [traduction] « l’efficacité » amène à se demander quelles sont les normes qu’il convient d’appliquer et suscite une série d’autres préoccupations dont il n’est pas nécessaire de traiter en l’espèce.

 

[11]           La Commission a émis l’hypothèse que la demanderesse n’avait pas de raison de craindre que son conjoint la retrouve au Brésil, car ce dernier, avec un éventuel casier judiciaire canadien, aurait de la difficulté à franchir l’obstacle des autorités de l’immigration brésiliennes. Étant donné que cet homme était un ressortissant portugais qui risquait d’être expulsé à cause de l’illégalité de son statut et de sa conduite, la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la probabilité qu’il entre au Brésil à partir du Portugal plutôt que du Canada. En outre, il n’y avait aucune preuve de formalités d’immigration au Brésil qui justifieraient cette conclusion.

 

[12]           La Commission a reconnu que les preuves selon lesquelles, au Brésil, l’État protégeait les femmes victimes de violence étaient partagées, mais que le gouvernement avait pris des mesures pour lutter contre la violence faite aux femmes. Elle s’est fondée sur un document intitulé 2004 U.S. Department of State Country Report on Human Rights Practices in Brazil (« le rapport du Département d’État ») à l’appui de sa conclusion selon laquelle la protection de l’État était disponible. Cela va à l’encontre de la conclusion de ce rapport :

[traduction]

Selon des représentants du gouvernement et des travailleurs d’ONG, la majorité des plaintes criminelles pour violence conjugale ont été suspendues sans être réglées.

 

[13]           Il est peut‑être loisible à la Commission de conclure à l’existence de la protection de l’État, mais il est impossible de comprendre comment elle y est arrivée en l’espèce, compte tenu de la preuve relative à cette protection et du fait qu’elle ait souscrit et se soit fiée au rapport du Département d’État sans traiter de l’aveu susmentionné de représentants du gouvernement brésilien.

 

[14]           En conséquence, la conclusion relative à la protection de l’État est manifestement déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Commission annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci.

 

[15]           Pour des raisons dont j’ai traité plus tôt dans la présente décision, je ne certifierai pas de question concernant le critère des « efforts sérieux » et de l’« efficacité ».

 

 

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision de la Commission annulée, et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5000‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   DOLORES AMORIM MARQUES GONTIJO

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 1er JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 10 AOÛT 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maureen Silcoff

 

    POUR LA DEMANDERESSE

Linda Chen

 

    POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maureen Silcoff

Avocate

Toronto (Ontario)

 

    POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

    POUR LE DÉFENDEUR

 

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