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Date : 20060811

Dossier : IMM‑5326‑05

Référence : 2006 CF 970

Ottawa (Ontario), le 11 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

ENTRE :

ALICIA SHEDENE SIMPSON

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

LA DEMANDE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 11 août 2005 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse, Alicia Shedene Simpson, est une citoyenne de la Jamaïque actuellement âgée de 22 ans. Sa demande d’asile est fondée sur son appartenance à un groupe social particulier, à savoir les femmes qui font l’objet de violence familiale à la Jamaïque.

 

[3]               Mme Simpson soutient que son beau-père l’a agressée sexuellement de l’âge de 11 ans jusqu’à l’âge de 19 ans (en 2001). Lorsqu’elle a eu 19 ans, elle a finalement parlé à sa mère des agressions que lui avait fait subir son beau-père, et sa mère a demandé des explications à ce dernier. Le beau-père a soi-disant jeté les effets personnels de la demanderesse et de la mère et a menacé de tuer la demanderesse. Les deux femmes sont allées vivre chez la grand-mère de la demanderesse.

 

[4]               La demanderesse affirme dans son affidavit que son beau-père a tué le chat avec lequel elle dormait et qu’il a laissé une note disant que si elle ne se donnait pas à lui, il l’aurait de force.

 

[5]               La demanderesse dit que, après cet incident, elle a pris contact avec la police pour faire un rapport, mais que les policiers n’ont à aucun moment fait quoi que ce soit et qu’ils n’ont même pas fait d’enquête.

 

[6]               Deux jours plus tard, le beau-père se serait rendu chez elles et aurait demandé à la mère de retourner vivre avec lui. La mère a refusé et il a une fois de plus menacé de les tuer. La demanderesse dit que sa mère a de nouveau pris contact avec les policiers et a signalé le fait que le beau-père menaçait de les tuer, mais on lui a dit qu’il n’y avait personne au bureau à ce moment et que dès qu’un policier serait de retour on l’enverrait chez elles. Toutefois, aucun policier ne s’est rendu chez elles.

 

[7]               La demanderesse dit que sa mère et elle ont pris contact avec les policiers à une troisième reprise et ont demandé si des accusations d’agressions sexuelles seraient portées contre le beau-père. À cette occasion, le policier a dit que la police ne pouvait rien faire. Lorsqu’elles lui ont demandé pourquoi, le policier aurait dit qu’il s’agissait d’une affaire de famille et d’une affaire civile et que la demanderesse et sa mère devraient prendre contact avec la Direction des enquêtes criminelles (DEC) où on leur dirait quoi faire.

 

[8]               Elles ont pris contact avec la DEC et on leur a dit de nouveau que la police ne pouvait rien faire parce qu’il n’y avait pas de preuve que le beau-père avait agressé la demanderesse. La DEC a même insinué que la demanderesse avait permis que les agressions soient commises. On leur a dit de retourner chez elles et d’oublier cela.

 

[9]               La demanderesse dit que le même jour elles ont pris contact avec un avocat afin de se renseigner quant à la possibilité de poursuivre en justice le beau-père pour agressions sexuelles. Lorsque l’avocat a appris qu’elles avaient déjà pris contact avec les policiers et que le beau-père n’avait pas été arrêté, il a dit qu’il ne pouvait rien faire à moins que le beau-père soit arrêté.

 

[10]           La demanderesse dit que le beau-père a continué à proférer des menaces contre elle et sa mère; il se rendait constamment chez elles et il frappait à la porte avec le poing à n’importe quelle heure. Elle dit qu’elle n’avait pas d’autre choix que de quitter la Jamaïque; elle avait même peur de sortir de chez elle pour aller acheter de la nourriture.

 

[11]           Elle est entrée au Canada le 2 octobre 2003 en détenant un visa d’étudiant, délivré par l’Ambassade du Canada à la Jamaïque, qui expirait le 30 mai 2004. Elle a déposé une demande pour prolonger son visa d’étudiant, mais sa demande a été rejetée. Elle a présenté sa demande d’asile le 1er décembre 2004. Elle dit qu’elle craint de retourner à la Jamaïque parce que son beau-père s’intéresse encore à elle et parce que l’État n’offre pas de protection.

 

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

 

[12]           La Commission a établi que la demanderesse était un témoin digne de foi et elle a conclu qu’elle était effectivement une citoyenne de la Jamaïque. La question déterminante dans la présente demande était la protection de l’État.

 

[13]           La Commission a déclaré qu’elle n’était pas convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que l’État ne ferait raisonnablement pas d’efforts sérieux pour protéger la demanderesse si elle devait retourner à la Jamaïque.

 

[14]           La Commission estimait que la demanderesse et sa mère avaient effectivement pris contact avec la police à trois reprises en 2001. La Commission semble avoir accepté le fait qu’elles avaient communiqué à deux reprises avec le poste de police de Clarkstown et qu’on les avait envoyées au bureau de la DEC. La Commission mentionne de plus que la demanderesse a témoigné que lorsqu’elle a communiqué avec le bureau de la DEC on lui a dit qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour donner suite à l’affaire. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas parlé à un superviseur de service au poste de police, ou communiqué avec le quartier général de la police à Kingston, elle a dit qu’elle ne croyait pas que cela aurait changé quoi que ce soit si elle était allée à Kingston. Si elle l’avait fait, on ne lui aurait pas permis, de toute façon, de parler au Commissaire.

 

[15]           La Commission cite ensuite la décision Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 3, au paragraphe 31, dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit :

Les omissions locales de maintenir l’ordre d’une façon efficace n’équivalent pas à une absence de protection étatique. […] Le refus de fournir une protection à l’échelle locale ne constitue pas un refus de l’État en l’absence d’une preuve de l’existence d’une politique plus générale selon laquelle la protection de l’État ne s’étend pas au groupe visé.

 

[16]           La Commission cite de plus la preuve documentaire qui établit que la Jamaïque est une démocratie et a un service de police.

 

[17]           La Commission a ensuite conclu que, sauf dans des situations d’effondrement complet, il faut présumer qu’un État est capable d’offrir une protection. Cette présomption peut être réfutée par une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État à offrir une protection. La Commission a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de ce fardeau.

 

[18]           La Commission a en outre mentionné que la demanderesse a déclaré dans son témoignage que c’est en 2001 qu’elle a été pour la dernière fois en contact avec son beau-père et qu’elle n’avait pas eu d’autres contacts avec lui pendant qu’elle vivait encore à la Jamaïque jusqu’en octobre 2003. Cela signifiait qu’elle n’avait eu aucun contact avec son beau-père depuis quatre ans.

 

[19]           La Commission a conclu, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, les observations de l’avocat, les Directives de la présidente concernant la persécution fondée sur le sexe, les dispositions pertinentes de loi et la jurisprudence applicable, que la demande d’asile devrait être rejetée.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[20]           La demanderesse soulève deux questions connexes, à savoir :

 

1.      La Commission a-t-elle omis de prendre en compte des éléments de preuve dont elle disposait à l’égard de la violence généralisée exercée contre les femmes à la Jamaïque?

 

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la disponibilité de la protection de l’État?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[21]           Les parties ne s’entendent pas quant à la norme de contrôle applicable dans la présente affaire. La demanderesse, se fondant sur la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 232, prétend que la norme de contrôle à l’égard de la protection de l’État est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, le défendeur cite la récente décision Velazquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 663, 2006 CF 532, rendue par M. le juge Phelan, et avance que c’est la décision faisant autorité pour appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable. Le juge Phelan a déclaré ce qui suit au paragraphe 5 :

Quant à la question de la protection de l’État, il incombe au demandeur de réfuter la présomption en faveur de la protection de l’État. Il a été jugé que la norme de contrôle applicable à cette question, en fonction de l’aspect particulier de la protection de l’État qui est en cause, est la décision manifestement déraisonnable ou la décision raisonnable simpliciter [Voir Note 1 ci‑dessous]. Bien qu’il ne soit pas nécessaire en l’espèce de trancher entre ce qui semble être deux normes divergentes, il est clair que la décision manifestement déraisonnable est la norme applicable à la question de l’existence de protection de l’État et que la décision raisonnable simpliciter est applicable à la question de savoir si un demandeur a usé adéquatement de la protection de l’État.

 

Note 1 : Nawaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1584 (QL), 2003 CF 1255; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1755 (QL), 2004 CF 1449; Nosakhare c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1120 (QL), 2001 CFPI 772; Umuhoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1374 (QL); Larenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 218, 2006 CF 159; Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 232 (QL), 2005 CF 193; Danquah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1331 (QL), 2004 CF 1104.

 

 

[22]           La décision dont je suis saisi se rapporte à la conclusion selon laquelle il existe à la Jamaïque une protection de l’État pouvant être offerte à la demanderesse et à celle selon laquelle cette dernière ne s’est pas réclamée adéquatement de la protection que l’État offre. Cependant, indépendamment de la norme que j’applique, je conclus que la décision ne peut pas être maintenue et qu’elle doit être renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

 

LES OBSERVATIONS

 

            La demanderesse

 

                        L’omission d’avoir pris en compte des éléments de preuve

 

[23]           La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur de droit en omettant de prendre en compte des éléments de preuve documentaire se rapportant à la violence exercée contre les femmes à la Jamaïque et à l’absence de protection de l’État. Elle dit que les policiers à la Jamaïque ne protègent pas les individus et qu’ils leur laissent le soin de se protéger eux-mêmes. La demanderesse mentionne que les policiers ne procèdent à une arrestation que lorsqu’il y a un décès. Bien que les policiers soient tenus de faire des rapports lorsqu’ils se rendent sur les lieux d’un crime, de tels rapports ne sont jamais rédigés. Elle affirme de plus que les policiers à la Jamaïque ne se préoccupent de personne et qu’il existe des éléments de preuve documentaire établissant qu’il y a de la corruption au sein des policiers lors de situations d’urgence (on mentionne en particulier la période d’urgence après l’ouragan Ivan en 2004).

 

 

 

 

                        La protection de l’État

 

[24]           La demanderesse prétend que bien que la Jamaïque soit effectivement un pays démocratique, et qu’il y ait un service de police, lorsque la police et le gouvernement refusent de faire appliquer les lois, il y a effondrement de la protection de l’État. Elle dit que la Commission a refusé d’en tenir compte lorsqu’elle a rendu sa décision quant à sa demande d’asile et qu’elle s’est plutôt simplement appuyée sur le fait qu’il existe des lois sans examiner la question de savoir si ces lois sont appliquées par les autorités.

 

Le défendeur

 

            La protection de l’État

 

[25]           Le défendeur prétend que le fardeau imposé à la demanderesse qui consiste à prouver qu’il y a absence de protection est un lourd fardeau étant donné que la Jamaïque est une démocratie qui a un système politique et un système judiciaire efficaces. Le défendeur mentionne que la violence familiale est illégale à la Jamaïque et que des efforts sont faits sous plusieurs plans pour régler la question des femmes qui font l’objet de violence, notamment des efforts pour imposer des sanctions et offrir des réparations.

 

[26]           Le défendeur soutient de plus que l’expérience que la demanderesse a vécue avec les policiers était un incident localisé et ne mettait pas en cause la politique d’État de la Jamaïque. En outre, la Commission pouvait tirer des conclusions à l’égard de la disponibilité de la protection de l’État en faisant référence à des organismes autres que la police ou l’appareil judiciaire étant donné qu’il existe des groupes actifs de défense des droits des femmes qui se préoccupent entre autres principalement de la protection des victimes d’agressions sexuelles. Il n’y avait pas d’éléments de preuve démontrant que la demanderesse avait demandé l’aide de l’un ou l’autre de ces groupes.

 

[27]           Le défendeur prétend que la Commission, compte tenu du dossier dont elle disposait, pouvait raisonnablement tirer les conclusions qu’elle a tirées à l’égard de la question de la protection de l’État.

 

La crainte non fondée

 

[28]           Le défendeur prétend en outre que la crainte que la demanderesse éprouve à l’endroit de son beau-père n’est pas une crainte bien fondée. Premièrement, le défendeur mentionne que la demanderesse a continué à vivre à la Jamaïque pendant deux ans et qu’elle a témoigné qu’au cours de cette période de deux ans elle a vu son beau-père sans qu’il lui fasse du mal. En outre, le défendeur mentionne que, au moment de l’audience en août 2005, cela faisait deux ans que la demanderesse n’avait eu aucun contact avec son beau-père et au moins quatre ans depuis qu’elle avait vécu avec lui pour la dernière fois. Le défendeur dit qu’il est par conséquent improbable que le beau-père de la demanderesse lui fasse du mal un jour.

 

[29]           Le défendeur prétend que la Commission pouvait, compte tenu de la preuve dont elle disposait, tirer la conclusion qu’elle a tirée.

 

 

L’ANALYSE

 

[30]           De façon générale, la décision est hautement insatisfaisante étant donné qu’elle ne comporte aucune analyse significative des points soulevés par la demanderesse et des aspects importants de la preuve.

 

[31]           La décision elle-même énonce que la « question déterminante dans cette demande d’asile était la protection de l’État ». L’avocate du défendeur, cependant, dit que la Commission a de plus conclu que la demanderesse n’était exposée à aucun risque futur si elle était renvoyée à la Jamaïque et elle dit que cette conclusion n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[32]           Les commentaires de la Commission à l’égard du risque futur semblent être une réflexion après coup à la fin de la décision :

La demandeure d’asile a dit que le dernier contact qu’elle a eu avec son beau-père remontait à 2001. Elle n’a eu aucun autre contact avec lui pendant qu’elle continuait de vivre en Jamaïque jusqu’en octobre 2002, au moment de son départ pour le Canada. La demandeure d’asile a maintenant 22 ans et elle n’a eu aucun contact avec son beau-père depuis quatre ans.

 

[33]           La signification qu’ont ces commentaires dans une décision dans laquelle la Commission nous dit que la « question déterminante » était la protection de l’État n’est pas claire. Le dictionnaire Shorter Oxford English Dictionary définit le mot « déterminant » comme signifiant [traduction] « servant à trancher, décider ou établir ou tendant à le faire ». À mon avis, la « question déterminante » est la question qui règle ou tranche la demande d’asile, et si la Commission avait en outre fondé sa décision sur l’autre motif qui est le risque futur, cela serait alors également une question déterminante. Si la Commission a rendu la décision en se fondant sur d’autres motifs, elle aurait dû l’énoncer.

 

[34]           De toute façon, même si on tient pour acquis que la Commission avait l’intention de fonder sa décision sur un autre motif qui est le risque futur, son analyse de cette question était manifestement déraisonnable. La demanderesse a témoigné que même si elle avait réussi à éviter un réel contact avec son beau-père pendant un certain temps, ce dernier se rendait néanmoins à la maison, la menaçait et frappait violemment à la porte avec le poing. Elle a de plus déclaré qu’il disait à des gens qu’il allait la tuer. Et on parle d’un homme qui avait commencé à l’agresser alors qu’elle était très jeune. La Commission a dit de la demanderesse qu’elle était « un témoin crédible et digne de foi ». Il n’y avait alors aucune raison de mettre en doute les menaces et les actes du beau-père. Toutefois, la Commission rejette toute la question avec une affirmation de routine selon laquelle il n’y a pas eu de contact pendant un certain temps.

 

[35]           Si la Commission avait voulu faire de l’absence d’un risque futur un motif de rejet de la demande d’asile, elle avait l’obligation d’établir clairement dans ses motifs que c’est ce qu’elle faisait. En outre, elle avait également une obligation de traiter de la preuve réelle fournie par la demanderesse quant à cette question. L’omission de la Commission de faire l’une ou l’autre de ces choses était manifestement déraisonnable.

 

[36]           La Commission, lorsqu’elle a traité de la question déterminante de la protection de l’État, a conclu que puisque la demanderesse n’avait pas demandé à parler au commissaire de police, les efforts qu’elle et sa mère avaient entrepris n’étaient pas suffisants pour réfuter la présomption de la protection de l’État. La jurisprudence établit clairement que la protection de l’État n’a pas à être parfaite, mais il a de plus été décidé qu’un demandeur ne doit faire que des efforts raisonnables compte tenu des circonstances afin de surmonter la présomption selon laquelle il n’a pas épuisé toutes les possibilités : voir par exemple L.G.S. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 874, 2004 CF 731, au paragraphe 22, et Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1331, 2002 CFPI 989, au paragraphe 18.  Dans la présente affaire, on a admis que la demanderesse ou sa mère ont pris contact avec la police à trois reprises au moins. En outre, lorsqu’on leur a dit qu’elles devaient se rendre à la DEC, elles l’ont fait et on leur a dit une fois de plus que rien ne pouvait être fait. Lorsqu’on lui a demandé la raison pour laquelle elle n’avait pas tenté de parler au commissaire ou la raison pour laquelle elle n’était pas allée au quartier général à Kingston, la demanderesse a dit qu’on ne lui aurait d’aucune façon permis de voir le commissaire. Cela aurait été une quête inutile pour quiconque dans une position comme la sienne. L’avocate du défendeur a reconnu lors de l’audience tenue devant moi à l’égard de cette question qu’il n’y avait rien au dossier donnant à penser que la preuve de la demanderesse sur cette question était de quelque manière erronée ou douteuse. La Commission a simplement affirmé sans raison qu’elle aurait dû prendre contact avec le commissaire. Rien ne donnait à penser que, si elle l’avait fait, cela aurait donné quoi que ce soit.

 

[37]           Comme il a été déclaré dans Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1508, 2005 CF 1249, au paragraphe 23, lorsque les expériences vécues dans le passé avec les policiers se sont révélées inefficaces et lorsque la documentation sur le pays établit clairement que les policiers sont indifférents et inactifs quant à la violence familiale, « il me semble qu’il faut être moins exigeant pour reconnaître l’incapacité de l’État de protéger ses citoyens ». La Cour, dans la décision Franklyn, a ensuite déclaré que « le simple fait que le gouvernement a pris des mesures en vue de supprimer le problème de la violence familiale ne veut pas dire que le sort des femmes battues s’est amélioré ».

 

[38]           De façon se rapportant plus particulièrement à la situation à la Jamaïque, la Cour a récemment déclaré dans la décision Mitchell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 185, 2006 CF 133, au paragraphe 10, que « la capacité réelle de la Jamaïque à protéger les femmes » doit être prise en compte. La Cour a déclaré qu’il n’était pas suffisant de simplement relever les « bonnes intentions de la Jamaïque visant à améliorer la situation en formant les policiers »; il faut traiter de la réalité à laquelle les femmes doivent faire face là‑bas, où la violence conjugale est la deuxième cause d’homicide.   

 

[39]           En adoptant la même conclusion, la Cour dans la décision Robinson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 588, 2006 CF 402, aux paragraphes 12 et 13, a déclaré que les mêmes documents qui font état du fait que la Jamaïque commence à établir un cadre judiciaire, du fait que les choses commencent à s’améliorer et du fait que l’attitude des policiers commence à changer, parlent des « niveaux élevés de violence conjugale et d’interventions en général affreusement inadéquates quand la protection de l’État est demandée ».

 

[40]           La preuve documentaire présentée par la demanderesse à la Commission dans la présente affaire semble appuyer le point de vue selon lequel même si des efforts sont faits à la Jamaïque afin de dissuader les individus d’exercer de la violence familiale, les « attitudes traditionnelles » des policiers envers les femmes n’ont pas changé :

 

[traduction]

Selon la CISR canadienne, bien qu’il existe des lois pour protéger les femmes, ces lois ne sont pas appliquées. Ce fait est principalement attribuable aux « attitudes traditionnelles » des policiers envers les femmes. 

 

 

 

[41]           La même preuve établit que la manière selon laquelle les policiers traiteront un dossier variera selon la gravité, mais qu’en fin de compte ils dirigent simplement les femmes vers un centre appelé le « Women Inc Crisis Centre for Women » pour des services de consultation.

 

[42]           La réalité dans la présente affaire est que la demanderesse a essayé à quatre reprises d’obtenir de l’aide et qu’on lui a dit que rien ne pouvait être fait. Elle a de plus demandé, sans succès, l’aide d’un avocat. Il n’était pas déraisonnable pour elle de ne pas prendre contact avec le commissaire, en particulier après qu’on lui a dit à la DEC qu’on ne pouvait pas l’aider.

 

[43]           En outre, la preuve dont la Commission disposait mentionne également que la violence familiale est encore très répandue à la Jamaïque et est responsable d’un grand nombre d’admissions à l’hôpital.

 

[44]           Bien qu’il soit exact qu’il existe une présomption que la Commission a examiné toute la preuve, et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle mentionne tous les éléments de preuve documentaire dont elle disposait, lorsqu’il existe dans le dossier des éléments de preuve importants qui contredisent la conclusion de fait de la Commission, une déclaration générale dans la décision selon laquelle la Commission a examiné toute la preuve ne sera pas suffisante. La Commission doit fournir les motifs pour lesquels la preuve contradictoire n’a pas été jugée pertinente ou digne de foi : Voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.), et Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.). Dans la présente affaire, la Commission ne l’a pas fait. Dans sa décision, elle s’appuie simplement sur la déclaration selon laquelle la Jamaïque est une démocratie qui a un service de police, devant ainsi être présumée capable de fournir une protection, et qu’aucune preuve claire et convaincante n’a été présentée par la demanderesse afin de réfuter la présomption de la protection de l’État. Cependant, elle n’a pas traité de la preuve contradictoire précédemment mentionnée et des circonstances précises de la présente affaire. La demanderesse a présenté une preuve convaincante selon laquelle à la Jamaïque l’État n’offre pas une protection aux femmes comme la demanderesse qui sont constamment exposées à des risques et qui n’ont pas de protection efficace. Il s’agissait de quelque chose de plus qu’une absence de protection locale. La demanderesse a effectivement fourni une preuve claire et convaincante que la réalité était autre et, bien que je ne dise pas que la Commission était tenue d’accepter la preuve de la demanderesse, elle était de façon certaine tenue de traiter de cette preuve et de fournir des motifs adéquats pour rejeter ce que la demanderesse avait à dire à l’égard de sa propre situation et de l’incapacité de l’État de protéger les femmes contre la violence familiale à la Jamaïque.

 

[45]           Pour les motifs énoncés, je pense que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la disponibilité de la protection de l’État et qu’elle n’a pas correctement pris en compte la preuve dont elle disposait. Cela était manifestement déraisonnable. L’affaire devrait être renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5326‑05

 

INTITULÉ :                                       ALICIA SHEDENE SIMPSON

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 AOÛT 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LA DEMANDERESSE

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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