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Date : 20060811

Dossier : IMM-6203-05

Référence : 2006 CF 973

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 AOÛT 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

ANDREA ANGELINA DEL

CARMEN BARRERA JARA

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LA DEMANDE

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d'une décision en date du 1er septembre 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger.

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Chili. Elle affirme avoir subi de mauvais traitements sur le plan émotionnel, psychologique et, parfois, physique de la part de son ex-fiancé.

 

[3]               Comme elle l'a expliqué dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse a décidé, en raison de ces violences, de venir au Canada en août 2004 [traduction] « dans l'espoir que, si je m'éloignais pendant un certain temps, il cesse de s'intéresser à moi et arrête de me persécuter ». La demanderesse est demeurée au Canada environ un  mois et demi.

 

[4]               La demanderesse affirme qu'à son retour au Chili, les violences se sont poursuivies. Elle raconte dans son FRP que [traduction] « mes parents et moi avons décidé que je devais retourner au Canada ».

 

[5]               La demanderesse est revenue au Canada le 15 décembre 2004. Elle explique qu'elle est venue ici avec « le même objectif » que lors de son premier séjour, en l'occurrence, [traduction] « pour me détendre et essayer d'oublier un peu ». La demanderesse affirme qu'elle n'a [traduction] « découvert qu'[elle] pouvai[t] demander l'asile qu'environ une semaine après [son] arrivée ». Ce sont des amis de ses parents chez qui elle habitait qui lui ont suggéré de présenter une demande d'asile.

 

[6]               La demanderesse a demandé l'asile en janvier 2005.

 

DÉCISION À L'EXAMEN

 

[7]               La Commission a rejeté la demande d'asile de la demanderesse. Tout en acceptant que la demanderesse avait été victime de violences de la part de son ex-fiancé, la Commission n'a pas jugé raisonnable l'explication de la demanderesse suivant laquelle elle n'avait pas entrepris de démarches en vue de se réclamer de la protection de l'État au Chili « en raison du conservatisme du pays et de l’attitude machiste de la société en général, notamment de la police ». La Commission a conclu que la demanderesse ne s'était « pas acquittée du fardeau de prouver de manière claire et convaincante que l’État ne pouvait ou ne voulait pas [la] protéger ».

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               La demanderesse affirme que la Commission a commis deux erreurs dans son analyse de la question de la protection de l'État : tout d'abord, en ne tenant pas compte d'éléments de preuve documentaires [traduction] « qui contredisaient la perception de la Commission au sujet de la situation qui existe au Chili » et, en second lieu, [traduction] « en n'appliquant pas le bon critère », c'est-à-dire celui de savoir si l'État fait des efforts sérieux, plutôt que celui de savoir [traduction] « si les femmes bénéficient d'une protection suffisante ».

 

ANALYSE

            Principes fondamentaux

[9]               Ainsi que la Commission l'a rappelé, d'entrée de jeu, dans ses motifs : « les États sont censés pouvoir protéger leurs citoyens » (voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 725). Cette présomption joue « [e]n l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique », de sorte que « il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » (arrêt Ward, aux pages 724 et 725).

 

[10]           Toujours dans l'arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a expliqué que le demandeur d'asile doit s'adresser à l'État pour obtenir sa protection lorsque la protection de l'État « aurait pu raisonnablement être assurée » (à la page 724). Le défaut du demandeur d'asile de chercher à obtenir la protection de l'État fera échouer sa revendication en pareil cas.

 

[11]           Le jugement Torres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 660, au paragraphe 10, consacre le principe suivant :

À défaut d'un effondrement complet de l'appareil étatique [...] le demandeur ne doit pas se contenter de démontrer qu'il s'est adressé en vain à certains membres des forces policières. Plus les institutions de l'État sont démocratiques, plus grande est la responsabilité du demandeur d'épuiser tous les recours dont il dispose.

 

[12]           De même, ainsi que la Cour d'appel fédéral l'a expliqué dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, (1992), 99 D.L.R. (4th) 334, à la page 337 : « [...] il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation ».

 

[13]           En général, il est difficile de reprocher à la Commission d'avoir conclu que le demandeur d'asile n'a pas réfuté la présomption de disponibilité de la protection de l'État dans sa situation au motif qu'il « n'a fait aucun effort pour se réclamer de la protection de l'État » (Skelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1244, au paragraphe 51).

Preuve documentaire

 

[14]           À la lumière de ces principes fondamentaux, la demanderesse signale certains éléments de preuve documentaires dont la Commission n'aurait pas tenu compte et qui, suivant la demanderesse, [traduction] « révèlent que la protection effectivement offerte est insuffisante ».

 

[15]           Tout en reconnaissant qu'il existe « de sérieux cas de violence conjugale concernant les femmes au Chili », la Commission a signalé que « le droit chilien en matière de violence conjugale, c’est‑à‑dire la Domestic Violence Law [Loi sur la violence conjugale] de 1994, interdit à la police de procéder à une arrestation pour violence conjugale à moins qu’elle ne soit témoin d’un acte de violence ».

 

[16]           La Commission a néanmoins conclu qu'il était « raisonnable de considérer que la demandeure d’asile aurait dû faire de sérieux efforts pour signaler aux autorités chiliennes les menaces dont elle était l’objet avant de s’adresser à la communauté internationale ». Voici en quels termes la Commission a exprimé sa conclusion :

 

[...] Il ressort de la preuve documentaire que la loi chilienne prévoit que toute personne victime de violence conjugale peut porter plainte auprès des carabineros, qui sont des policiers en uniforme, ou à des policiers enquêteurs, qui sont des agents en civil. La police doit ensuite déférer la plainte aux tribunaux civils.

 

Les cas de blessures graves, de tentative de meurtre, de viol ou de menaces sont ensuite déférés aux tribunaux pénaux dans la localité où les faits reprochés se seraient produits.

 

D'autres mesures de précaution peuvent être prises et l'agresseur peut se voir interdire l'accès au domicile ou au lieu de travail de la victime.

 

Celui qui fait défaut d'obtempérer est passible d'une peine de maximale de cinq ans d'emprisonnement. Je me réfère à la demande de renseignements CHL36926.

 

[...]

 

… Bien que la protection offerte par le Chili ne soit pas parfaite, ce pays fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyennes et la jurisprudence précise aussi que l'État n'est pas obligé d'assurer une protection parfaite [Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, (1992), 18 IMM. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).] [Renvois omis.]

 

[17]           La Commission a le droit de préférer certains éléments de preuve documentaires à d'autres. Par ailleurs, la Commission n'a pas à reprendre dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés (voir le jugement Gomez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 406, au paragraphe 16). Il ne s'agit pas, à mon avis, d'un cas dans lequel on serait justifié de conclure que la Commission a ignoré ou mal interprété la preuve dont elle disposait parce qu'elle aurait omis d'examiner certains éléments de preuve « contradictoires ».

 

[18]           À mon sens, la question essentielle qui se pose en l'espèce est celle de savoir si, compte tenu du fait qu'elle n'a même pas tenté d'obtenir la protection de l'État, la demanderesse a présenté des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que, si elle s'était effectivement réclamée de la protection du Chili, elle n'aurait pu, selon ce que l'on peut raisonnablement penser, obtenir cette protection, étant donné que l'État ne peut pas ou ne veut pas protéger les personnes se trouvant dans sa situation. Comme la Cour suprême le souligne dans l'arrêt Ward, aux pages 723 à 725 :

Le demandeur doit‑il d'abord solliciter la protection de l'État, lorsque sa revendication est fondée sur le volet « ne veut » dans le cas où l'État est incapable de le protéger? La Commission d'appel de l'immigration a conclu qu'en l'absence de preuve de complicité de l'État, la simple apparence d'inefficacité de l'État ne suffit pas à justifier une revendication. Comme le professeur Hathaway, op. cit., l'affirme, à la p. 130 :

 

[traduction]  De toute évidence, on ne saurait dire que l'État ne fournit pas de protection si le gouvernement n'a pas eu l'occasion de réparer une forme de préjudice dans des circonstances où la protection aurait pu raisonnablement être assurée :

 

Un réfugié peut prouver une crainte bien fondée d'être persécuté lorsque les autorités officielles ne le persécutent pas, mais qu'elles refusent ou sont incapables de lui offrir une protection adéquate contre ses persécuteurs [. . .] toutefois, il doit démontrer qu'il a demandé leur protection une fois convaincu, comme c'est le cas en l'espèce, que les autorités officielles ─ lorsqu'elles étaient accessibles ─ n'avaient rien à voir ─ de façon directe ou indirecte, officielle ou non officielle ─ dans la persécution dont il faisait l'objet. (José Maria da Silva Moreira, décision T86‑10370 de la Commission d'appel de l'immigration, 8 avril 1987, aux pp. 4 et 5, V. Fatsis.)

 

Ce n'est pas vrai dans tous les cas. La plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective a établi qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement. En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale.

 

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit : l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée ». En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

 

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

 

[19]           Suivant la demanderesse, les éléments de preuve suivants démontrent de façon claire et convaincante que la Commission n'a pas tenu compte du fait que le Chili ne protège pas les personnes se trouvant dans sa situation :

1.                  Le résumé fourni à la Commission que l'on trouve à la page 49B du dossier du Tribunal et, en particulier, le passage suivant :

[traduction] En janvier 2001, Delpiano signalait que la capacité de l'État chilien de traiter le volume d'affaires portant sur la violence conjugale était « nettement insuffisante » et que les services sociaux existants n'étaient en mesure de répondre qu'à environ cinq pour cent des besoins des victimes de violence conjugale (Santiago Times, 21 janvier 2001). Le service national de la femme du Chili (le SERNAM) espère créer d'ici la fin de 2001 des centres d'accueil qui offriraient des services aux victimes dans toutes les capitales régionales du Chili et d'ouvrir par la suite d'autres centres dans les provinces (ibid.). Les centres seraient gérés par les gouvernements municipaux et par des sociétés privées (ibid.). Selon Delpiano, la mise sur pied du réseau national de centres d'accueil commencerait en mars 2001 (Boletin, oct.-déc. 2000, 23). On ne trouve dans les sources consultées aucun renseignement permettant de savoir si l'on a commencé à implanter ce réseau.

 

 

2.                  Le cas précis mentionné dans le même document, à la page 49A du dossier du Tribunal :

Suivant un article paru dans le Santiago Times Marcela Valdes, une ancienne lieutenante des carabineros, a porté plainte pour violence au Costa Rica devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme contre son conjoint, Claudio Vasquez Cardinalli, un capitaine de carabineros, après avoir épuisé tous ses recours judiciaires au Chili (15 nov. 2000). Valdes a d'abord exercé un recours interne au sein de la police contre Vasquez en mai 1999 (ibid.). Les autorités chargées d'examiner cette affaire à l'interne ont conclu, en janvier 2000 que : [traduction] « En raison de son comportement laxiste, Valdes a provoqué des conflits avec son mari » et qu'en conséquence, elle serait condamnée, de même qu'un de ses amis, à une peine de dix jours d'emprisonnement et que Vasquez serait condamné à une peine de quatre jours d'emprisonnement ». Valdes a tenté de faire réviser et infirmer cette décision par les Carabineros de la neuvième zone de Valdivia, mais cette autorité a ratifié la décision du tribunal inférieur (ibid.). Valdes a ensuite interjeté appel devant la Direction générale de l'ordre public et de la sécurité des Carabineros, qui a porté à quinze jours la peine d'emprisonnement (ibid.). Elle a de nouveau interjeté appel de la décision, cette fois-ci devant la Cour d'appel de Valdivia. Pendant l'instruction de son appel, Valdes a été congédiée par les Carabineros pour avoir enfreint [traduction] « les normes éthiques et morales ». La Cour d'appel a estimé que, compte tenu de ses agissements contraires aux normes de comportement des Carabineros, la peine infligée à Valdes ne porterait que sur des questions de procédure (ibid.). Elle s'est ensuite adressée à l'Institut de la femme, une ONG chilienne, qui l'a aidée à porter sa cause devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme en octobre 2000 (ibid.). On n'a pu trouver dans les sources consultées par la Direction générale de la recherche aucun renseignement permettant de corroborer ces faits, notamment en ce qui concerne l'issue de cette affaire.

 

 

3.                  Section 5 du U.S. Department of State Report citée à la page 60 du dossier du Tribunal :

Les femmes

 

La violence conjugale est un grave problème. Suivant une étude réalisée en 2001 par l'université du Chili (l'étude la plus récente ayant été publiée), plus de la moitié des femmes chiliennes ont été victimes de violences de la part de leur conjoint. L'étude estimait à 34 pour 100 le nombre de femmes ayant subi des actes de violence physique (dont 15 pour 100 étaient constitués de violences sexuelles) et à 16 pour 100 le nombre de femmes victimes de violences psychologiques.

 

Les tribunaux peuvent obliger les conjoints violents à suivre une thérapie. À la fin de l'année, on comptait 17 centres publics et huit centres privés accueillant les victimes de violence intrafamiliale. Un programme de sensibilisation visant à prévenir la violence au sein des familles dans les 13 régions du pays a atteint 3 000 travailleurs sociaux, 2 000 familles et 2 500 jeunes adultes. Au cours de l'année, le Service national de la femme (SERNAM) a organisé, en collaboration avec d'autres ONG, des cours portant sur les aspects juridiques, médicaux et psychologiques de la violence conjugale à l'intention des agents de police et des autorités judiciaires et municipales.

 

Le viol est un acte criminel. L'âge nubile a été porté de 12 à 14 ans. La loi protège la vie privée et la sécurité de la personne qui porte les accusations. Suivant les statistiques les plus récentes du SERNAM, 859 cas de viol ont été signalés à la police au cours des six premiers mois de 2003. Ce chiffre ne tient pas compte des autres formes de violence, notamment des violences sexuelles. Les experts croient que la plupart des cas de viol ne sont pas signalés.

 

Le ministère de la Justice et la Police d'enquête ont ouvert plusieurs bureaux destinés expressément à fournir de l'aide et des conseils aux victimes de viol. Plusieurs ONG, dont l'Association la Morada pour les femmes, offrent un service de prise en charge psychologique aux victimes de viol.

 

La prostitution adulte est légale, mais il arrive souvent que la police arrête des prostituées pour « attentat aux mœurs » (habituellement à la suite de plaintes portées par des résidents du quartier), ce qui les rend passibles d'une amende de 70 $ (50 000 pesos) ou d'une peine d'emprisonnement de cinq jours. Le proxénétisme est illégal et est réprimé par la loi. Inciter un mineur (une personne âgée de moins de 18 ans) à se livrer à des rapports sexuels en échange d'argent ou d'autres faveurs est une activité illégale sanctionnée par des peines de trois à 20 ans d'emprisonnement et par une amende de 1 000 $ (612 000 pesos), selon l'âge du mineur.

 

Le législateur chilien a adopté en décembre 2003 des lois visant spécifiquement la pornographie juvénile et la cyberporno et prévoyant des peines beaucoup plus sévères pour ces activités. La Police d'enquête dispose d'une brigade des crimes sexuels chargée d'enquêter sur les cas de pédophilie et de pornographie juvénile et d'intenter des poursuites.

 

Il n'y a pas de lois interdisant le harcèlement sexuel, même si l'existence de ce problème est généralement admise. Une étude menée par le SERNAM dans le Grand Santiago estime à 11,8 le pourcentage d'employées victimes d'une forme ou d'une autre de harcèlement sexuel. Dans le secteur industriel et dans celui des services, plus de 20 pour 100 des employés de sexe féminin ont signalé des actes de harcèlement sexuel et le tiers des employées de bureau se disent également victimes de harcèlement. Plus de la moitié des personnes des deux sexes qui ont été interrogées dans le cadre de cette étude ont affirmé que le harcèlement sexuel au travail était fréquent ou très fréquent. À la fin de l'année, un projet de loi prévoyant des mesures de protection spécifiques contre le harcèlement sexuel était toujours à l'étude au Congrès.

 

La loi reconnaît aux femmes les mêmes droits que ceux dont jouissent les hommes. En novembre, une loi sur le mariage civil autorisant le divorce civil est entrée en vigueur. Elle impose toutefois une très longue période d'attente entre la présentation de la demande de divorce et le prononcé du jugement irrévocable de divorce.

 

Suivant une étude menée en 2001 par le SERNAM, le revenu moyen des femmes correspondait, en 1999, à 77 pour 100 de celui des hommes chefs du ménage. Le salaire minimum des employées de maison, qui représentent probablement la plus importante catégorie de travailleuses, équivalait à seulement 75 pour 100 du salaire minimum moyen (voir la Section 6.e.). Les femmes ayant une formation universitaire avaient un revenu correspondant à 60 pour 100 de celui de leurs homologues masculins. Une étude réalisée au cours de l'année suggérait que l'écart général des revenus s'établissait encore à 24 pour 100 en 2003. Le Code du travail accorde des avantages précis aux travailleuses enceintes et à celles qui viennent d'accoucher et il interdit notamment leur congédiement. Ces dispositions valent aussi par les employées de maison. Un employeur ne peut obliger une femme à subir un test de grossesse avant de l'engager. La Morada a toutefois appris que certaines compagnies recouraient encore à cette pratique.

 

Il y a 25 ONG enregistrées qui s'occupent de la condition de la femme. Les cinq principales sont La Morada, le Centre d'études pour l'intégration des femmes au développement (CEDEM), l'Institut de la femme (Instituto de la Mujer), le Mouvement pour l'émancipation de la femme chilienne (MEMCH) et le Service féminin international d'information et de communication (ISIS International). La Morada pratique le militantisme en vue d'enrayer la discrimination sexuelle en faisant évoluer les mentalités et en modifiant les politiques sexistes. Le CEDEM œuvre en régions rurales et offre de la formation et des services de consultation à divers groupes de femmes en vue d'instaurer des programmes de développement social et économique. L'Institut de la femme défend les droits des femmes et fait campagne pour favoriser leur participation à la politique. Le MEMCH encourage l'épanouissement personnel des femmes. ISIS International coordonne un réseau d'organisations féminines vouées à la défense et à la promotion des droits des femmes.

 

 

[20]           La demanderesse affirme par ailleurs que la Commission n'a pas tenu compte du contexte social et culturel du Chili comme elle était tenue de le faire selon les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Si elle l'avait fait, elle aurait constaté que le Chili est une société extrêmement phallocrate où les femmes sont constamment en danger et ce, avec la bénédiction de l'État et de ses institutions et en dépit de l'existence de lois réprimant la violence conjugale.

 

[21]           J'estime que la façon dont il convient d'aborder les questions soulevées par la demanderesse a récemment été exposée par la juge Dawson dans le jugement Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1075, aux paragraphes 6 à 9 :

6. Je suis d'avis que, en l'occurrence, la question déterminante a été la protection de l'État, et la Commission a conclu que M. Muszynski n'avait pas établi qu'il ne pourrait pas l'obtenir en Pologne; elle a signalé qu'aucun élément de preuve n'indiquait que M. Muszynski se soit jamais adressé à la police ou à d'autres autorités afin de demander à être protégé. La Commission a signalé le fait que la Pologne était un pays démocratique dont les institutions et l'infrastructure confirmaient la présomption que l'État assurait une protection suffisante aux personnes, que M. Muszynski n'a pas réfutée. Plus précisément, la Commission a mentionné la preuve documentaire indiquant que, s'il y avait certains problèmes de criminalité en Pologne, l'État faisait de sérieux efforts dans sa lutte contre le crime, et que les victimes d'extorsion pouvaient obtenir sa protection.

7. Lorsque la Commission doit se prononcer sur le caractère adéquat de la protection de l'État, elle doit tirer certaines conclusions de fait, qui ne peuvent être annulées par la Cour que si la Commission a agi de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Voir : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 38.

8. Lorsque ces conclusions de fait sont tirées, elles doivent être évaluées selon le critère juridique formulé par la Cour suprême dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724 : les faits confirment-ils « d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » et réfutent-ils donc la présomption que l'État protège les personnes? C'est une question mixte de droit et de fait. Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 232, je conviens que la norme de contrôle de la décision relative au caractère adéquat de la protection de l'État applicable est la décision raisonnable simpliciter.

9. La preuve documentaire produite devant la Commission indique, en effet, que le crime organisé est un problème en Pologne, et que le nombre d'« affaires de vol par extorsion » a augmenté de 1997 à 2000. Cependant, la preuve documentaire établit aussi que la Pologne a pris des mesures légales afin de lutter contre le crime, notamment l'extorsion. Si la preuve documentaire indique l'existence de problèmes et de faiblesses dans la manière dont la Pologne réagit à différentes activités criminelles, je suis d'avis qu'il est impossible de dire que la Commission n'a pas pris en compte ou a rejeté des éléments de preuve portant sur cette question ou qu'elle a soupesé la preuve de manière abusive ou arbitraire. Au regard du critère juridique formulé par la Cour suprême dans l'arrêt Ward, l'interprétation que la Commission a donnée aux faits qu'elle a constatés était raisonnable. Par conséquent, rien ne justifie l'intervention de la Cour.

 

[22]           Si j'applique le raisonnement suivi par la juge Dawson à la décision en cause dans l'affaire dont je suis saisi, je conviens que la Commission disposait d'éléments de preuve en ce qui a trait aux points suivants :

a)                  la capacité de l'État chilien de traiter le volume d'affaires portant sur la violence conjugale est « nettement insuffisante »;

b)                  L'exemple donné au sujet des démarches qu'a entreprises une femme (Marcela Waldes) pour amener la police et les tribunaux à réagir face à son conjoint violent et qui se sont soldées par un échec retentissant selon les renseignements fournis (mais qui sont tirés du Santiago Times) n'a pas été corroboré et on ignore comment le tout s'est terminé;

c)                  Un Country Report publié par l'U.S. Department of State pour l'année 2004 confirme que [traduction] « la violence conjugale est un grave problème ».

[23]           Dans l'ensemble, je ne puis affirmer que la demanderesse a soumis à la Commission des éléments de preuve démontrant de façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection des personnes se trouvant dans sa situation. Le passage qu'elle cite pour étayer sa thèse figure avec d'autres éléments de preuve documentaires qui appuient les conclusions de la Commission, et la demanderesse ne m'a pas convaincu qu'elle n'aurait pas à tout le moins dû donner à l'État la possibilité de prendre des mesures relativement aux risques auxquels elle était exposée. Il ressort de la preuve que les parents de la demanderesse estimaient qu'elle devait s'adresser à la police, une démarche qui serait illogique si l'on ne pouvait raisonnablement s'attendre à obtenir une réponse. De surcroît, je ne saurais affirmer, vu l'ensemble des faits portés à ma connaissance, que la Commission n'a pas abordé la question de l'efficacité de la protection offerte par l'État au Chili. La situation obligeait la demanderesse à démontrer, par des éléments de preuve clairs et convaincants, que l'État ne pouvait pas ou ne voulait pas protéger les personnes se trouvant dans sa situation. Or, elle n'a pas selon moi apporté cette preuve.

[24]           Vu ma conclusion, je ne puis dire que la décision était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

 

 

JUGEMENT

 

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Il n'y a pas de question à certifier.

 

 

   « James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-6203-05

 

 

INTITULÉ :                                       ANDREA ANGELINA DEL CARMEN

                                                                        BARRERA JARA c. MCI                                                        

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 18 JUILLET 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 AOÛT 2006     

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Maureen Silcoff                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Bernard Assan                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Me Maureen Silcoff                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada 

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

Toronto (Ontario)

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