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Date : 20060809

Dossier : IMM-6670-05

Référence : 2006 CF 957

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 AOÛT 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

AZHAR MAHMOOD

NICOLE COLLEEN HOUSTON

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU

[1]       …Dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, à la p. 237, la Cour suprême du Canada a appliqué la norme du caractère manifestement déraisonnable et a donné des précisions sur le sens à lui attribuer :

 

[…] l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire?

 

Dans l'arrêt Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, à la p. 487, le juge Lamer a cité l'arrêt SCFP et a qualifié la question ci-dessus formulée d'« énoncé classique de l'approche de cette Cour ». Il a ajouté que « [c]'est là un test très sévère et qui marque une approche restrictive en ce qui concerne le contrôle judiciaire », ibid., à la p. 493. Dans l'arrêt Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, à la p. 669, Madame le juge McLachlin a réaffirmé le critère du caractère manifestement déraisonnable, en disant ceci :

 

Les cours de justice devraient faire preuve de circonspection et de retenue dans l'examen des décisions de tribunaux administratifs spécialisés comme la Commission en l'espèce. Cette retenue s'étend à la fois à la constatation des faits et à l'interprétation de la loi. Ce n'est que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal, ou que l'interprétation donnée aux dispositions législatives est manifestement déraisonnable que la cour de justice peut intervenir.

 

Dans l'arrêt AFPC no 2, le juge Cory a formulé d'une autre façon le critère du « caractère manifestement déraisonnable » :

 

Eu égard donc à ces définitions des mots « manifeste » et « déraisonnable », il appert que si la décision qu'a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n'est pas clairement irrationnelle, c'est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu'il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s'agit là d'un critère très strict.

 

[...]

 

Il ne suffit pas que la décision de la Commission soit erronée aux yeux de la cour de justice; pour qu'elle soit manifestement déraisonnable, cette cour doit la juger clairement irrationnelle (précité, note 13, aux p. 963 et 964).

 

 

(Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (C.F. 1re inst.), [1994] A.C.F. no 2018 (QL)).

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]        La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d'une décision en date du 12 octobre 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

CONTEXTE

[3]        Les demandeurs sont M. Azhar Mahmood, un citoyen du Pakistan, et sa femme, Mme Nicole Colleen Houston, une citoyenne d'Afrique du Sud. Ils se sont rencontrés en septembre 2001 alors qu'ils résidaient tous les deux aux États-Unis, elle en tant que visiteur et lui, en tant que résident illégal. Ils se sont mariés en avril 2003 et sont arrivés au Canada, où ils ont demandé l'asile en septembre 2004. Leurs demandes ont été instruites conjointement, mais comme ils invoquaient des motifs différents pour justifier leur crainte d'être persécutés dans le pays dont ils avaient la nationalité, ils ont fait l'objet de motifs distincts dans la même décision.

 

M. Azhar Mahmood

[4]        M. Mahmood affirme que, du fait de ses opinions politiques, il est exposé au risque d'être persécuté ou d'être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités entre les mains de ses adversaires politiques.

 

[5]        Il explique qu'en décembre 1993, il a joint les rangs de la Ligue musulmane du Pakistan (PML), pour laquelle il a travaillé comme organisateur régional. Au bout d'un certain temps, il a perdu ses illusions en constatant les tactiques utilisées par le PML et il a quitté le parti. Des membres du PML l'ont harcelé et ont tenté de le convaincre de réintégrer le parti.

 

[6]        En octobre 1995, il a adhéré au Parti du peuple pakistanais (le PPP). Des membres du PML ont menacé le père de M. Mahmood. M. Mahmood avait parfois l'impression d'être suivi et il craignait d'être enlevé. On a malmené son frère et on lui a adressé des menaces en guise d'avertissement pour inciter M. Mahmood à quitter les rangs du PPP.

 

[7]        Après son accession au pouvoir en février 1997, le PML a commencé à cibler des membres du PPP. M. Mahmood affirme que, le 21 mai 1998, il a été enlevé par des membres du PML qui l'ont brutalisé. Il a été détenu par le PML pendant une période qu'il estime à deux jours et il a été éjecté d'une voiture près d'un arrêt d'autobus. Quelqu'un l'a trouvé et l'a conduit à l'hôpital. Il a signalé l'incident à la police, qui n'a rien fait.

 

[8]        Lui et sa famille craignaient pour sa sécurité. Ils ont donc contacté un passeur, qui a pris des dispositions pour permettre à M. Mahmood de quitter le Pakistan le 16 juin 1998. Suivant son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il est arrivé aux États-Unis une vingtaine de jours plus tard. Il s'est ensuite rendu en Pennsylvanie, où il a vécu et travaillé jusqu'en septembre 2004.

 

Mme Nicole Colleen Houston

[9]        Mme Houston affirme craindre de retourner en Afrique du Sud parce qu'elle s'est convertie à l'islam. Elle craint d'être persécutée du fait de sa religion.

 

[10]      Mme Houston est arrivée aux États-Unis en provenance d'Afrique du Sud en juillet 2001. Des amis l'ont présentée à M. Mahmood le 13 septembre 2001. Ils se sont épousés le 10 avril 2003.

 

[11]      Mme Houston provient d'un milieu catholique strict et sa famille n'a accepté ni son mariage ni sa conversion à l'islam. Elle a appris que des gens de son village avaient été impolis envers sa mère et qu'ils lui avaient reproché ses actes.

 

[12]      Elle affirme qu'il n'existe en Afrique du Sud aucun endroit où elle pourrait vivre en sûreté. Elle a ajouté au cours de l'audience qu'elle croyait que les membres de sa famille pouvaient la tuer.

 

DÉCISION À L'EXAMEN

            M. Azhar Mahmood

[13]      La Commission a accepté que M. Mahmood s'était livré à des activités politiques au Pakistan de 1993 à 1997. Elle a également accepté qu'il avait eu des difficultés avec des membres du PML après avoir quitté le PML pour joindre les rangs du PPP.

[14]      La Commission a conclu que M. Mahmood disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Karachi, dans la province du Sindh, ou encore dans une autre grande agglomération du Sindh, très loin de Rawalpindi, la région où il avait habité auparavant.

 

[15]      La Commission a estimé qu'il n'existait pas de possibilité raisonnable que M. Mahmood soit persécuté à Karachi ou dans une autre grande agglomération du Sindh ou qu'il soit exposé au risque d'être persécuté ou d'être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. La Commission a également estimé qu'il n'était pas déraisonnable de la part de M. Mahmood, compte tenu de l'ensemble des circonstances, de se rendre là où il disposait d'une possibilité de refuge intérieur.

 

Mme Nicole Colleen Houston

[16]      La Commission a conclu que Mme Houston pouvait se réclamer de la protection de l'État en Afrique du Sud. Mme Houston n'a pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l'État au moyen d'éléments de preuve « clairs et convaincants ».

 

[17]      La Commission a constaté que l'Afrique du Sud affirmait respecter les valeurs démocratiques et protéger les droits de la personne. Il n'existe ni guerre civile, ni invasion, ni effondrement total de l'ordre au pays et le gouvernement a par ailleurs le contrôle de son territoire. La Commission a également conclu qu'il existe en Afrique du Sud des lois, des mesures, des politiques et des mécanismes adéquats pour assurer la protection des citoyens. Suivant la Commission, il ressort de la preuve documentaire que l'Afrique du Sud fait des efforts sérieux pour protéger ses citoyens.

 

[18]      La mère de Mme Houston a réussi à obtenir une ordonnance de protection contre sa tante, qui lui avait proféré des menaces, ce qui indique que les autorités de l'Afrique du Sud sont disposées à s'occuper des problèmes familiaux. La Commission a par ailleurs constaté que Mme Houston pourrait obtenir le même service et la même protection si les menaces provenaient de toute autre personne, y compris les membres de sa propre famille.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[19]      Suivant le ministre, la présente demande soulève deux questions litigieuses :

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Mahmood disposerait d'une PRI s'il retournait au Pakistan?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Houston pourrait se réclamer de la protection de l'État si elle retournait en Afrique du Sud?

 

ANALYSE

            Régime législatif

[20]      Selon l'article 96 de la LIPR, a qualité de réfugié la personne qui craint d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 96.     A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96.     A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[21]      Le paragraphe 97(1) de la LIPR dispose :

97.     (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i)                  elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii)                elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii)               la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnées par elles,

 

(iv)              la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97.     (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i)                  the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country;

 

(ii)                the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country;

 

(iii)               the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards; and

 

 

(iv)              the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Norme de contrôle

[22]      La question de l'existence d'une possibilité raisonnable de trouver refuge dans une autre partie du pays est une question de fait, ce qui signifie que la norme appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable (Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 999, [2003] A.C.F. no 1263 (QL), aux paragraphes 5 à 11; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1283 (QL), aux paragraphes 10 à 15).

 

[23]      Pour ce qui est de la possibilité d'obtenir la protection de l'État, cette question suppose l'application, à un ensemble de faits, d'une norme de droit, celle de savoir si les faits « confirme[nt] d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer [la] protection [du demandeur] » (Ward c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] J.C.S. no 74 (QL), au paragraphe 50). Il s'agit d'une question mixte de fait et de droit, de sorte que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. n232 (QL), aux paragraphes 9 à 12).

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Mahmood disposerait d'une PRI s'il retournait au Pakistan?

 

 

[24]      En concluant que M. Mahmood disposerait d'une PRI, la Commission a convenablement analysé le critère permettant de vérifier l'existence d'une PRI et elle a raisonnablement examiné les éléments de preuve que M. Mahmood lui avait soumis, y compris ses éléments de preuve documentaires.

 

[25]      La Commission devait être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse que M. Mahmood soit persécuté à Karachi ou dans une autre grande agglomération de la province du Sindh et que, compte tenu de l'ensemble des circonstances, y compris de celles qui lui étaient particulières, la situation qui existait à l'endroit suggéré comme PRI faisait en sorte qu'il n'aurait pas été déraisonnable de sa part d'y chercher refuge (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.), [1991] A.C.F. n1256 (QL), au paragraphe 10).

 

[26]      Dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), [1993] A.C.F. n1172 (QL), aux paragraphes 12 à 15, la Cour d'appel fédérale a expliqué le critère permettant de déterminer si un demandeur d'asile dispose d'une PRI raisonnable :

Le juge Mahoney, J.C.A., a donné une explication plus exacte dans l'arrêt Rasaratnam, précité, à la page 711 :

À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.

Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s'agit d'un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C'est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s'en prévaloir à moins qu'ils puissent démontrer qu'il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire.

Permettez-moi de préciser. Pour savoir si c'est raisonnable, il ne s'agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d'un tel déménagement. Il ne s'agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu'un nouveau pays. Il s'agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci: serait-ce trop sévère de s'attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger?

La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu'ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu'il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu'ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s'offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié.

En conclusion, il ne s'agit pas de savoir si l'autre partie du pays plaît ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s'attendre à ce qu'il puisse se débrouiller dans ce lieu avant d'aller chercher refuge dans un autre pays à l'autre bout du monde. Ainsi, la norme objective que j'ai proposée pour déterminer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est celle qui se conforme le mieux à la définition de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de cette définition, il faut que les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu'ils craignent d'être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d'origine et ce, dans n'importe quelle partie de ce pays. Les conditions préalables de cette définition ne peuvent être respectées que s'il n'est pas raisonnable pour le demandeur de chercher et d'obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays.

 

[27]      La question juridique de savoir si un demandeur d'asile dispose d'une PRI raisonnable est une question qui relève carrément de la compétence spécialisée de la Commission et qui commande une grande retenue judiciaire si le critère légal applicable est respecté (Sivasamboo, précité, au paragraphe 26).

 

[28]      Le ministre conteste l'allégation que la Commission [traduction] « n'a pas cité d'éléments de preuve, notamment d'éléments de preuve documentaires tendant à démontrer que le demandeur d'asile serait en sûreté à l'endroit suggéré comme PRI ». La Commission a cité des éléments de preuve documentaire suivant lesquels seuls les militants les plus connus n'ont pas la possibilité d'aller s'installer dans une autre partie du pays. (Dossier du Tribunal, pièce R-2, Pakistan Country Report, Home Office, Royaume-Uni, octobre 2004, point 6.100, à la page 381)

 

[29]      M. Mahmood soutient dans son mémoire que la Commission a commis une erreur en estimant qu'il ne courrait aucun risque dans la région suggérée comme PRI parce que, selon ce qu'il avait lui-même expliqué, « il s'occuperait de nouveau de politique ».

 

[30]      À l'audience, l'avocat de M. Mahmood a demandé à ce dernier s'il entendait s'occuper de politique à son retour au Pakistan. M. Mahmood n'a pas répondu de façon catégorique; il s'est contenté de laisser entendre que c'était là une [traduction] « question difficile » et une « possibilité ». (Dossier du Tribunal, transcription, aux pages 482 et 483)

 

[31]      La Commission a expressément abordé la question de savoir si M. Mahmood reprendrait ses activités politiques à son retour au Pakistan. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il ne les reprendrait pas. Vu l'affirmation précitée de M. Mahmood suivant laquelle il ne s'agissait que d'une « possibilité », la conclusion de la Commission n'était pas manifestement déraisonnable et elle reposait sur la preuve, et notamment sur son absence prolongée de la scène politique, son profil politique précédent, son retrait antérieur de la politique et sa réponse évasive à la question de savoir s'il reprendrait ses activités politiques.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Houston pourrait se réclamer de la protection de l'État si elle retournait en Afrique du Sud?

 

 

[32]      Dans l'arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F.), [1991] A.C.F. no 341 (QL), aux paragraphes 20 à 23, la Cour d'appel fédérale explique ce qui suit :

Il existe vraisemblablement plusieurs raisons indépendantes de sa volonté pour lesquelles une personne ne pourrait se réclamer de la protection de l'État, l'une d'elle, et c'est l'évidence même, étant la non-existence d'un gouvernement auquel cette personne pourrait s'adresser. Il est des cas, et le cas sous étude en est un, où la situation politique et militaire dans un pays est telle, à un moment précis, qu'on ne peut tout simplement pas parler de gouvernement ayant contrôle du territoire et étant en mesure d'offrir une protection efficace. De même qu'une situation de guerre civile ne fait point obstacle à une demande de statut, de même la non‑existence d'un gouvernement ne saurait  non plus y faire obstacle. La position de l'intimé, en l'espèce, conduirait tout droit à ce résultat absurde, que plus grand serait le chaos dans un pays donné, moins les actes de persécution seraient susceptibles de donner ouverture à une demande de statut de réfugié.

Je n'ai pas ici à décider ce qu'il faut entendre par « gouvernement ». Je sais qu'en principe une persécution dans une région donnée ne sera pas une persécution au sens de la Convention si le gouvernement du pays est en mesure, ailleurs sur son territoire, d'assurer la protection voulue, mais encore faut-il qu'on puisse raisonnablement attendre des victimes, compte tenu de toutes les circonstances,  qu'elles se déplacent vers cette partie du territoire où elles seraient protégées. Je sais aussi que la Convention parle de la protection du « pays dont (la personne) a la nationalité », que le professeur Hathaway, dans les extraits de son ouvrage auxquels j'ai déjà référé, parle plutôt en termes de « gouvernement légitime » et que le juge MacGuigan, dans Ward, a parlé de « gouvernement nominal ». Ce « pays », ce « gouvernement national », ce « gouvernement légitime », ce « gouvernement nominal », varieront vraisemblablement au gré des circonstances et de la preuve et il serait présomptueux d'en vouloir donner une définition générale. Je veux simplement signaler ici que je n'écarte pas d'entrée de jeu la possibilité qu'il y ait, dans un même pays, plusieurs autorités établies qui soient chacune en mesure, sur une partie qu'elles contrôlent du territoire, de fournir une protection qui, sans être nécessairement parfaite, soit adéquate.

La conclusion à laquelle j'en arrive emporte, par ailleurs, l'obligation de modifier certains principes établis en d'autres circonstances. En effet, là où il n'existe aucune autorité établie, il ne sera pas possible d'appliquer intégralement les principes énoncés relativement à la persécution pour cause d'opinion politique, puisqu'il n'y a pas à proprement parler d'état qui puisse connaître l'opinion politique du demandeur de statut ou lui en imputer une. Dans ce cas, le tribunal d'accès et la section du statut devront, à la lumière de toutes les circonstances mises en preuve, décider si ceux-là qui persécutent le demandeur de statut le font en raison d'opinions politiques qu'il a ou qu'ils lui imputent.

Dans le cas présent, la Section du statut a reproché à l'appelant de n'avoir pas essayé d'obtenir la protection de l'armée libanaise. Or, la preuve est à l'effet qu'aucune autorité établie n'était en mesure de fournir à l'appelant la protection souhaitée. L'appelant ne pouvait donc pas, dans les circonstances, se réclamer de la protection de son pays, ce qui, loin de le disqualifier, lui permettait au contraire de remplir l'une des conditions imposées dans la définition de réfugié.

 

 

 

[33]      Qui plus est, dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.) (QL), la Cour d'appel fédérale a expliqué qu'il n'est pas nécessaire que la protection de l'État soit parfaite. Il faut toutefois que l'État ait le contrôle efficient de son territoire et qu'il soit en mesure d'offrir une protection à ses citoyens : 

Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver que l'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement (ce n'est clairement pas le cas ici) ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d'une quelconque idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd'hui de nombreuses sociétés; ses victimes, bien qu'elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal. Toutefois, lorsque l'État se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l'ensemble de son territoire est si ténue qu'il n'est qu'un gouvernement nominal, comme cette Cour a trouvé que c'était le cas dans l'arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l'effondrement total de l'ordre au pays. Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre des activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

 

[34]      L'Afrique du Sud est un État démocratique et son gouvernement a effectivement le contrôle de son territoire. Elle est en principe en mesure d'assurer la protection de ses citoyens. En fait, dans le cas qui nous occupe, les autorités ont effectivement fourni une protection à la mère de Mme Houston, qui semble se trouver dans une situation semblable, en prononçant une ordonnance de protection et en lançant un mandat d'arrestation contre sa tante.

 

[35]      Mme Houston affirme avoir déclaré dans son témoignage que l'on ignore où sa mère se trouve présentement. Elle soutient que ce fait démontre que l'État n'est pas en mesure de protéger une personne se trouvant dans une situation semblable et que l'ordonnance de protection est inefficace. Mme Houston soutient, en conséquence, que la Commission a commis une erreur en se fondant sur le succès de l'ordonnance de protection pour conclure qu'elle pouvait bénéficier d'une protection suffisante de l'État.

 

[36]      On a demandé à Mme Houston si sa mère habitait toujours avec un membre de la famille (une autre tante). Voici ce qu'elle a répondu :

 

[traduction] Non, elle n'habite plus avec elle. En fait, ma mère est en colère contre moi à cause de ce qui lui arrive. Je ne sais donc pas vraiment où elle se trouve (dossier du Tribunal, transcription, à la page 494).

 

 

 

[37]      Il ressort de la preuve soumise à la Commission non pas que la mère de Mme Houston a disparu, mais bien qu'elle ne lui parle plus parce qu'elle est en colère contre elle. Le fait que Mme Houston ignore où se trouve sa mère ne permet pas de conclure que l'ordonnance de protection s'est avérée inefficace. Il n'existe pas de lien de causalité entre le fait que Mme Houston ignore où se trouve sa mère et l'efficacité de l'ordonnance de protection.

 

[38]      En l'espèce, c'est à bon droit que la Commission a conclu que Mme Houston bénéficierait d'une protection adéquate de l'État. Cette conclusion n'était pas déraisonnable et elle reposait sur les éléments de preuve portés à la connaissance de la Commission tant dans la documentation sur la situation au Pakistan que dans les éléments de preuve suivant lesquels la mère de Mme Houston était réputée être dans la même situation que sa fille.

 

 

 

CONCLUSION

[39]      La conclusion tirée par la Commission au sujet de la possibilité de refuge intérieur de M. Mahmood n'était pas manifestement déraisonnable. La conclusion relative à la possibilité pour Mme Houston de se prévaloir de la protection de l'État n'était pas non plus déraisonnable. Ces deux conclusions reposaient sur la preuve dont la Commission disposait, en l'occurrence la documentation sur la situation au pays ainsi que la preuve subjective présentée dans les deux cas.

 

[40]      La Cour refuse de modifier ces décisions. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6670-05

 

INTITULÉ :                                       AZHAR MAHMOOD

                                                            NICOLE COLLEEN HOUSTON

                                                            c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 19 JUILLET 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 AOÛT 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Peter Wuebolt

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Bridget A. O’Leary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Salvatore Campese

Browns Line, Etobicoke

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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