Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060817

Dossier : IMM-7339-05

Référence : 2006 CF 992

Québec (Québec), le 17 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

AHCENE CHOUGUI

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et visant la décision du 16 novembre 2005 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié – section de la protection des réfugiés (la Commission) – a conclu que M. Ahcene Chougui (le demandeur) était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention et de la qualité de personne à protéger en vertu des articles 1Fa) et 1Fc) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.

 

FAITS PERTINENTS

 

[2]               Le demandeur est citoyen de l’Algérie. Il allègue d’être persécuté en Algérie par les groupes de sécurité ainsi que par le Groupe islamique armée (GIA) car il était membre et sympathisant du Front islamique du salut (FIS).

 

[3]               Le demandeur allègue qu’il a collé des affiches et a mis des graffitis sur les murs de sa cité protestant contre l’arrêt des élections. Il admet avoir été, dans le passé, un membre et sympathisant du FIS. En janvier 1992, il a été arrêté pour la première fois et libéré après six heures. Début juillet 1993, son fils a été kidnappé et ce dernier est rentré à la maison après trois jours.

 

[4]               Au début du mois d’août 1993, le demandeur allègue avoir été arrêté par les forces de sécurité algériennes. Il aurait été envoyé au centre de détention de Cavaignac. À cet endroit, il aurait été frappé et il aurait perdu connaissance. Après avoir été interrogé et torturé, le demandeur a admis avoir fait parti du FIS. Il aurait été envoyé dans un camp d’internement dans le sud du pays à Ouargla.

 

[5]               En 1996, le demandeur allègue qu’il a été approché par le FIS, mais n’a pas donné suite. Il y a eu de nombreuses menaces contre les membres de sa famille. Il aurait eu également des problèmes avec la sécurité militaire à la fin de l’année 1996. La sécurité militaire est venue l’interroger à de nombreuses reprises. Il y aurait eu également au début de l’année 1997 deux introductions par effraction dans sa résidence.

 

[6]               Le demandeur a quitté son pays le 15 janvier 1997 avec un visa des États-Unis. Il a résidé aux États-Unis du 15 janvier 1997 au 19 septembre 2002 où il a requis la protection des autorités américaines. Le demandeur a obtenu un renouvellement de son passeport, valide pour cinq ans, à Washington, le 18 septembre 2002. Le lendemain, le demandeur est arrivé au Canada pour revendiquer la protection.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[7]   Est-ce que la Commission a erré en excluant le demandeur de l’application de la définition de réfugié au sens de la Convention?

 

ANALYSE

[8]                L'article 98 de la Loi se lit comme suit :

98. La personne visée aux sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

[9]               Les alinéas a) et c) de la section F de l'article premier de la Convention se lisent comme suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
 

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that.

 

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

(c) He has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

 

[10]           La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission selon laquelle certains actes sont compris dans la définition de « crimes contre l'humanité » est la norme de la décision correcte (Mendez-Levya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 523; Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 229). La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission selon laquelle certains actes ont été commis est la décision manifestement déraisonnable (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1292, 2003 CAF 325).

 

[11]           La Cour d'appel fédérale a adopté à maintes reprises la définition de crimes contre l'humanité que l'on retrouve à l'article 6 du Statut du tribunal militaire international. L’article 6 comprend :

Les crimes contre l'humanité: c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

 

Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433;  Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646; Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66.).

 

 

[12]           La section 1(F) de la Convention exige que l'on ait « des raisons sérieuses de penser » qu'un individu a commis un crime contre l'humanité. Dans Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, la Cour a dit que cette norme constituait une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités. Il appartient au gouvernement de présenter une preuve qui répond à cette norme (Srour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), [1995] A.C.F. no 133).

 

[13]           Des complices, de même que des auteurs principaux, peuvent être considérés comme ayant commis des crimes internationaux. Le concept de complicité a été défini comme une participation personnelle et consciente ou une association par laquelle des individus peuvent être tenus responsables d'actes commis par d'autres en raison de leur association étroite avec les auteurs principaux. La complicité dépend de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause peuvent en avoir (voir Ramirez ci-dessus; Sivakuma ci-dessus). Dans la décision Bazargan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [1996] A.C.F. no 1209, aux paragraphes 12 et 13, la Cour d’appel fédérale a conclu que la détermination de complicité est une question de fait:

Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une "participation personnelle et consciente" puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées.  Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles.  Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur.  La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 318, "dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont". Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

Cela dit, tout devient question de faits.  Le Ministre n'a pas à prouver la culpabilité de l'intimé.  Il n'a qu'à démontrer - et la norme de preuve qu'il doit satisfaire est "moindre que la prépondérance des probabilités"…

 

[14]           En l’espèce, pour être exclu de l’application de la définition de réfugié au sens de la Convention, il fallait démontrer que des crimes contre l’humanité ont eu lieu. De plus, pour démontrer que le demandeur agissait comme complice de ces crimes, il fallait démontrer que ce dernier en avait connaissance et une intention commune avec ceux qui les avaient commis.

 

[15]           Dans sa décision, la Commission a procédé à une analyse détaillée du FIS et a conclu que ce dernier était l’auteur de crimes contre l’humanité. À la page 7 de la décision, la Commission cite un extrait d’un rapport du Human Rights Watch :

Meanwhile, an underground Islamist movement, whose structure and links to the overt political leadership of the FIS remained nebulous, took up arms against the regime. Most of its operations consisted of hit-and-run ambushes targeting police and gendarmes, and acts of sabotage against state property. These attacks began to occur on an almost-daily basis in 1992 and intensified in 1993.

 

FIS leaders did, however, give their clear blessing to the armed struggle, even though the party did not claim responsibility for specific attacks. In an interview published on February 26, 1993 in the Paris-based daily Libération, exiled FIS leader Rabah Kebir said: "The violence stems from the dictatorship, which has left us no alternative to reciprocal violence." Asked about the first killings of foreigners in Algeria by armed groups in September and October, Kebir told Radio France Internationale, "The FIS has no policy of killing foreigners, but there is a popular movement that is difficult to control."

 

[16]           Dans sa décision à la page 5, la Commission indique que selon la preuve documentaire, le FIS est « un mouvement islamiste qui utilise la violence et qui a commis de nombreux actes de brutalité, de cruauté et d’inhumanité ». Le demandeur allègue que la Commission n’a pas précisé sur quels documents elle s’appuie afin de tirer cette conclusion. En relisant la décision, la phrase mentionnée par le demandeur est une phrase introductive pour ce qui va suivre. Tel que mentionné ci-haut,  la Commission cite un extrait du Human Rights Watch. Les conclusions qui se trouvent dans la phrase soulevée par le demandeur sont supportées par l’extrait du rapport.

 

[17]           Le demandeur mentionne qu’aux pages 8 et 11 de sa décision, la Commission ne cite aucune preuve à l’appui de ses conclusions. Les paragraphes mentionnés par le demandeur qui se trouvent aux pages 8 et 11 sont des résumés des conclusions faites par rapport à la preuve documentaire déjà citée dans la décision. C'est-à-dire, le rapport du Human Rights Watch mentionné ci-dessus.

 

[18]           Le demandeur allègue que la Commission, dans ses motifs, ne cite aucun exemple précis d’actes de violences qui auraient été commis par le FIS. Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Le fait qu’il y a un lien entre le FIS et ceux qui commettent des actes de violence est abordé par l’extrait du Human Rights Watch qui mentionne les  « hit-and-run ambushes targeting police and gendarmes and acts of sabotage against the state property ».

 

[19]           Le demandeur allègue que dans ses motifs, la Commission n’a pas précisé les crimes qu’il aurait commis. Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. À la page 11 de la décision, la Commission cite ce qui suit :

Toutefois, avec les mois et les années qui ont suivi, et avec la radicalisation du mouvement du FIS et de sa branche armée au pays en Algérie, le demandeur a poursuivi son travail au sein de la communauté tentant de rapprocher les gens de son quartier avec l’idéologie du FIS. Comme nous l’avons mentionné plus haut, tant dans la preuve documentaire que selon la connaissance spécialisée du tribunal, des exactions en moult cas où des centaines, des milliers de personnes ont trouvé la mort dans ces affrontements, nous croyons que le demandeur par son action depuis 1988 jusqu’à 1994 à tout le moins, s’est associé directement au Front islamique du salut.

 

Le tribunal est d’avis que durant les nombreuses années où le demandeur a participé aux activités associées au FIS, il est à tout le moins complice des actions que ce groupe a commises en Algérie.  

 

[20]           La Commission a conclu que par ses gestes, le demandeur démontre une certaine complicité avec le FIS. Dans la décision El-Kachi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 554, au paragraphe 18, le juge Edmond P. Blanchard a fait un survol de la jurisprudence reliée à la complicité et l’exclusion de la définition de réfugié dans la Convention :

La question de la complicité a aussi été considérée par le juge Reed dans l'arrêt Penate c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79. Suite à une analyse des arrêts Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433, le juge Reed a conclu aux pages 84-85 :

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération. [Je souligne.]

 

[21]           Je suis satisfait que la preuve documentaire démontre que des crimes contre l'humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ont eu lieu. La preuve démontre aussi que le demandeur était conscient que des crimes contre l'humanité étaient commis. Le demandeur agissait comme complice de ces crimes contre l’humanité en raison d’une intention commune avec les auteurs de ces actes. De plus, le demandeur ne s’est pas dissocié du FIS à la première occasion. Je suis d’avis que la décision de la Commission d’exclure le demandeur de la définition de réfugié au sens de la Convention n’était pas déraisonnable.

 

[22]           Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en omettant de confronter le demandeur à la preuve documentaire. Je ne suis pas d’accord avec l’argument du demandeur et j’adopte le raisonnement du juge Marc Noël dans la décision A.V. c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration  [1995] A.C.F. no 900, au paragraphe 10 :

Je rejette aussi la prétention des requérants qui reprochent au tribunal de ne pas les avoir confrontés avec la preuve documentaire qui a servi à atténuer leur crédibilité.  Les documents retenus par le tribunal étaient inclus parmi ceux qui furent soumis par l'agent d'audition au début de l'audition et étaient énumérés dans l'index du cartable sur l'État d'Israël reçu par les requérants avant l'audition.  Les requérants ont présenté leur propre preuve documentaire.  Le tribunal était en droit de puiser à même cette preuve celle qui, à son point de vue, se conjuguait le mieux avec la réalité.  C'est ce qu'il a fait.

 

[23]           Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en omettant d’analyser toute la preuve documentaire. Dans la décision Florea c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1993] A.C.F. no 598, le juge James Hugessen mentionne ce qui suit :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte;  au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire.  

 

[24]           Il existe une présomption selon laquelle le tribunal a examiné l'ensemble de la preuve dont il dispose. De plus, la Commission n’a pas l’obligation de commenter toute la preuve documentaire et testimoniale (Tameh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [2003] A.C.F. no 1859). Le demandeur n’a pas réussi à renverser la présomption que la Commission avait consulté la totalité de la preuve soumise en l’espèce, et que l’intervention de la Cour soit justifiée dans les circonstances.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question pour certification.

 

 

 

 

 

 

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7339-05

 

INTITULÉ :                                       AHCENE CHOUGUI c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 juin 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                   M. le juge Blais

 

DATE DES MOTIFS :                      17 août 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphane Handfield

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Lisa Maziade

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stéphane Handfield

Montréal (Québec)

No télécopieur : (514)845-5546

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

No télécopieur : (514)496-7876

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.