Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20060824

Dossier : IMM-346-06

Référence :  2006 CF 1003

Ottawa (Ontario), le 24 août 2006

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

CESAR AUGUSTO SALOMON HERRADA

CARMEN LUZ RAZETO SILVA

ERICKA PAOLO SALOMON RAZETO

CESAR ABDEL SALOMON RAZETO

CESAR NAIF SALOMON RAZETO

demandeurs

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               « Pour ce qui est de la prétention des demandeurs selon laquelle l'agent n'a pas bien soupesé certains éléments de preuve, je répète ce que la Cour a dit dans Agot c. Canada, précité : la pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel. Par conséquent, la question de la pondération relève exclusivement de l'agent d'immigration si celui-ci a examiné correctement tous les éléments de preuve. [...]

 

Je tiens à répéter encore une fois que la Cour ne peut intervenir à la légère dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire des agents d'immigration. La décision concernant une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire doit reposer sur une analyse des faits et sur la pondération de nombreux facteurs. J'estime que l'agent a pris en considération tous les facteurs pertinents au regard des motifs d'ordre humanitaire et qu'il n'a commis aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour. »

 

(Comme spécifié dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, [2005] A.C.F. no 507 (QL), aux paragraphes 10 et 13, par le juge Pierre Blais.)

 

(Voir aussi Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 436, [2003] A.C.F. no 607 (QL), au paragraphe 8, où la juge Carolyn Layden-Stevenson a révisé plusieurs principes se rapportant aux demandes pour motifs humanitaires, dont celui affirmant que cette Cour ne doit pas réévaluer les facteurs dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision discrétionnaire.)

 

NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), de la décision d’un agent d’immigration datée du 13 décembre 2005, par laquelle la demande de résidence permanente basée sur des considérations humanitaires des demandeurs, déposée selon l’article 25 de la Loi, a été refusée.

 

 

 

 

FAITS

[3]               Les demandeurs, M. Cesar Augusto Salomon Herrada, son épouse, Mme Carmen Luz Razeto Silva, et leurs trois enfants, Ericka Paola Salomon Razeto, Cesar Abdel Salomon Razeto et Cesar Naif Salomon Razeto, sont tous citoyens du Pérou.

 

[4]               Ils sont venus au Canada le 22 septembre 2002 pour revendiquer le statut de réfugiés puisqu’ils allèguent avoir été persécutés au Pérou par les membres du « Sentier Lumineux ». Mme Razeto Silva et leurs enfants basent leur demande sur celle de M. Salomon Herrada.

 

[5]               M. Salomon Herrada travaillait comme avocat et conseiller juridique dans deux Universités au Pérou. Mme Razeto Silva est psychologue de formation. Leur fille, Ericka, est médecin chirurgien et travaillait dans un hôpital au Pérou. Leurs fils étaient tous les deux aux études avant leur départ pour le Canada, Abdel étudiant le droit et Naif terminait ses études secondaires.

 

[6]               En juin 2002, un étudiant de la faculté de droit à l’Université San Martin de Porres (où M. Salomon Herrada travaillait) aurait été arrêté, étant accusé d’être membre du Sentier Lumineux. L’étudiant en question (Carlos Garcia Robles) aurait avoué avoir participé au meurtre en 2000 d’un comptable travaillant à la faculté de comptabilité, en complicité avec deux autres étudiants de la même faculté (soit Willy Martinez Ramos et Moïses Begazo Malpartida).

 

[7]               Le recteur de l’Université, M. Antonio Chang Escobedo aurait chargé M. Salomon Herrada d’étudier le dossier pénal de M. Garcia Robles afin de découvrir s’il y avait d’autres participants actifs du Sentier Lumineux au sein de l’Université San Martin de Porres.

 

[8]               Dans ses recherches, M. Salomon Herrada aurait constaté que les noms de Willy Martinez Ramos et Moïses Begazo Malpartida apparaissaient dans le dossier criminel de M. Garcia Robles et il en aurait informé le recteur de l’Université.

 

[9]               Vers 19h00 le 28 juin 2002, Willy Martinez Ramos et Moïses Begazo Malpartida et trois autres individus seraient présentés chez M. Salomon Herrada et seraient entrés dans la maison. M. Martinez Ramos aurait pointé une arme à feu sur M. Salomon Herrada et l’aurait menacé de mort, lui et sa famille, s’il poursuivait ses recherches sur le Sentier Lumineux.

 

[10]           Le lendemain, M. Salomon Herrada aurait déposé une plainte à la police et aurait demandé des garanties personnelles pour sa famille et lui-même. Il aurait aussi raconté l’incident au recteur de l’Université qui lui laissa le choix de continuer ou d’abandonner l’étude du dossier. M. Salomon Herrada allègue avoir décidé de continuer ses recherches mais il aurait pris un congé de son emploi à l’Université et aurait engagé un garde du corps et chauffeur pour le protéger.

 

[11]           Le 6 septembre 2002, alors qu’il sortait de la maison pour aller au travail, un coup de feu aurait atteint son garde du corps qui serait mort en essayant de protéger M. Salomon Herrada d’une attaque. Plus tard le même jour, M. Salomon Herrada allègue avoir reçu un appel téléphonique lui disant qu’il était l’objectif et non le chauffeur et que le Sentier Lumineux les tuerait lui et sa famille.

 

[12]           Suite à la mort de son garde du corps, M. Salomon Herrada aurait déposé une seconde plainte auprès de la police.

 

[13]           Le 16 septembre 2002, M. Salomon Herrada allègue avoir trouvé sous sa porte une lettre le menaçant de mort s’il ne retirait pas les plaintes qu’il avait déposées.

 

[14]           Vu la mort de son garde du corps et les menaces qu’il avait reçues, M. Salomon Herrada aurait décidé de quitter le Pérou. Il aurait retiré ses deux fils des centres de formation professionnelle où ils étudiaient et aurait demandé à sa fille d’abandonner son travail. Toute la famille quitta le Pérou et arriva à Montréal le 22 septembre 2002, en passant par les États-Unis. Ils ont revendiqué le statut de réfugié immédiatement en arrivant au Canada.

 

[15]           Le 15 octobre 2003, leur demande d’asile a été refusée; la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission d’immigration et des réfugiés a conclu que leur récit n’était pas crédible et que la protection de l’État leur était disponible au Pérou. Leur demande d’autorisation pour une demande de contrôle judiciaire a été rejetée le 4 mars 2004.

 

[16]           Le 21 février, M. Salomon Herrada et sa famille ont présenté une demande d’Examen des risques avant le renvoi (ERAR). Le 25 février, ils ont présenté une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi. Ces deux demandes ont été refusées par le même agent d’immigration le 13 décembre 2005. La présente demande de contrôle judiciaire vise le rejet de la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. M. Salomon Herrada et sa famille ont aussi déposé une demande de contrôle judiciaire visant le rejet de la demande d’ERAR (dossier IMM-347-06).

 

[17]           En février 2006, M. Salomon Herrada et sa famille ont présenté une deuxième demande d’ERAR. Cette demande a été rejetée le 8 mars 2006. Le 5 avril 2006, ils ont présenté une requête en sursis devant la Cour fédérale qui fut rejetée également. En juin 2006, M. Salomon Herrada et sa famille ont quitté le Canada.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[18]           L’agent d’immigration a refusé la demande de résidence permanente en vertu de considérations humanitaires puisqu’il était d’avis qu’il n’existait pas suffisamment de motifs humanitaires pour justifier d’accorder une exemption de l’obligation de se procurer un visa hors du Canada.

 

[19]           L’agent d’immigration a déterminé que l’établissement et l’intégration de la famille au Canada étaient minimaux. Malgré le fait que la famille avait démontré une certaine volonté et une certaine capacité d’établissement, d’intégration et d’adaptation au Canada, ce n’était pas suffisant aux yeux de l’agent d’immigration.

 

[20]           L’agent d’immigration ne croyait pas que la famille serait à risque si elle devait retourner au Pérou pour déposer une demande de résidence permanente. M. Salomon Herrada n’avait pas démontré que lui ou sa famille étaient personnellement à risque et même si tel était le cas, il n’avait pas démontré qu’ils ne pourraient obtenir la protection des autorités péruviennes. De plus, la famille n’avait pas démontré que le fait de devoir déposer une demande de l’extérieur du Canada leur causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[21]           L’agent d’immigration semblait d’avis que la famille tentait d’utiliser la demande d’exemption et de résidence permanente pour motifs humanitaires comme moyen d’immigrer au Canada sans devoir passer par les chemins mandatés par la législation. Dans les motifs de sa décision, il a affirmé que le comportement de la famille semblait incompatible avec le comportement de personnes alléguant avoir décidé de fuir leur pays d’une façon hâtive suite à une menace à leur vie puisque certains documents présentés en preuve ont été obtenus avant la lettre de menace.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[22]           La seule question en litige en l’espèce est la suivante :

1. L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur susceptible de révision en rejetant la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires de M. Salomon Herrada et sa famille?

 

ANALYSE

 

            Cadre législatif

[23]           Le paragraphe 25(1) de la Loi énonce que le Ministre peut accorder la résidence permanente ou une exemption d’une obligation de la Loi s’il est satisfait qu’il existe des motifs humanitaires ou d’intérêt public qui justifient cette décision :

25.      (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – ou l’intérêt public le justifient.

25.      (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

Norme de contrôle

[24]           À l’aide de la méthode pragmatique et fonctionnelle, la Cour Suprême du Canada a déterminé, dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL), aux paragraphes 57-62, que la norme de contrôle appropriée pour les demandes basées sur des considérations humanitaires est celle de la décision raisonnable simpliciter :

Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d'en arriver à la norme d'examen appropriée. Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable ». Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter. (Baker, ci-dessus, au paragraphe 62)

[25]           Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, [1996] A.C.S. no 116 (QL), au paragraphe 56, le juge Frank Iacobucci a énoncé ce qui constitue une décision déraisonnable :

[...] Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

 

 

[26]           De plus, tel qu’énoncé par le juge François Lemieux dans I.G. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1704 (QL), au paragraphe 39 :

Non seulement l'arrêt Baker exige-t-il que les agents d'immigration aient une démarche plus ciblée, mais il confère également une nouvelle responsabilité, plus « pratique », au juge de révision. Le juge de révision doit considérer « en profondeur » la décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et déterminer si elle est raisonnable, en examinant les motifs pour voir s'ils résistent à l'examen assez poussé sur le fondement de la preuve.

 

 

            Remarques préliminaires

[27]           M. Salomon Herrada et sa famille ont déposé plusieurs documents en preuve qui n’étaient pas devant l’agent d’immigration, des documents plus récents ou qu’ils ont obtenu récemment. Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, cette Cour ne peut considérer que la preuve qui était devant l’agent d’immigration. Si ces documents étaient pertinents à leur demande, M. Salomon Herrada et sa famille auraient dû les acheminer à l’agent d’immigration dès leur réception, avant que la décision soit prise, afin qu’il puisse en tenir compte dans son examen de la demande.

 

[28]           M. Salomon Herrada et sa famille allèguent que puisqu’une lettre leur avait été envoyée les convoquant à une rencontre le 10 janvier 2006 pour mettre leur dossier à jour, ils s’attendaient à pouvoir déposer, lors de cette rencontre, de la preuve additionnelle qu’ils venaient de recevoir. Par contre, la décision avait déjà été prise le 13 décembre 2005. Malgré l’importance que cette lettre aurait revêtue pour M. Salomon Herrada et sa famille, celle-ci n’est pas incluse ni dans le Dossier des demandeurs ni dans le Dossier du tribunal. Cette Cour n’est donc pas en mesure de déterminer s’il y aurait eu une violation de justice naturelle à ce sujet.

 

L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur susceptible de révision en rejetant la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires de M. Salomon Herrada et sa famille?

 

 

[29]           L’examen d’une demande au sens du paragraphe 25(1) de la Loi comprend deux évaluations distinctes. Dans le cadre de la première évaluation, le décideur doit déterminer si le demandeur l’a convaincu qu’une dispense d’obtenir sa demande de résidence permanente de l’extérieur est justifiée. Une dispense est justifiée lorsque le demandeur démontre que ses circonstances personnelles sont telles qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, s’il était tenu de présenter sa demande de résidence permanente hors du Canada.

 

[30]           La seconde évaluation consiste à déterminer si le demandeur est admissible à la résidence permanente au Canada.

 

[31]           Dans le présent cas, M. Salomon Herrada et sa famille n’ont pas réussi à démontrer qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, s’ils devaient présenter leur demande hors du Canada.

 

[32]           Dans leur demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires, M. Salomon Herrada et sa famille soulevaient deux sources de difficultés.

 

[33]           D’abord, M. Salomon Herrada et sa famille allèguent qu’ils éprouveraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives du fait qu’ils sont en danger dans leur pays.

 

[34]           Toutefois, la SPR et les deux agents chargés de l’ERAR ont étudié les risques de retour au Pérou et tous les trois décideurs administratifs ont conclu de façon unanime que M. Salomon Herrada et sa famille ne subiraient aucun risque s’ils devaient retourner dans leur pays. De plus, la Cour fédérale s’est penchée sur les risques de retour à deux reprises.

 

[35]           La première fois, la Cour a examiné les risques de retour lors de la demande d’autorisation à l’encontre de la décision de la SPR. La Cour a refusé d’intervenir parce qu’elle était d’avis que la décision de la SPR n’était pas erronée.

 

[36]           La deuxième fois, la Cour a dû examiner de nouveau les risques de retour lors de l’audition de la requête en sursis, où la demande sous-jacente visait à contester la deuxième demande d’ERAR.

 

[37]           M. Salomon Herrada et sa famille semblent croire que s’ils ajoutent des documents au dossier, au stade de leur demande pour des motifs humanitaires, les conclusions de la SPR, de la Cour fédérale et de l’agent d’ERAR quant à leur crédibilité seront infirmées ou oubliées. De même, ils semblent croire que la conclusion quant à la protection de l’État au Pérou sera également infirmée s’ils déposent de la preuve documentaire sur la situation au Pérou.

 

[38]           Par contre, tel qu’il ressort de la décision Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 483, [2000] A.C.F. no 1365 (QL), au paragraphe 27, l’agent qui traite une demande pour motifs humanitaires ne siège ni en appel, ni en contrôle de la décision de la SPR :

Selon moi, le processus d'attribution de la qualité de DNRSRC est de nature administrative. De ce fait, le rôle de l'agent se limite à un examen de la preuve versée au dossier, y compris les nouveaux documents et les nouvelles observations présentés par les demandeurs. L'agent n'est donc pas libre de procéder à une nouvelle évaluation de la crédibilité du demandeur et d'infirmer les conclusions sur la crédibilité tirées par la Section du statut de réfugié. Le juge Nadon a affirmé, dans l'affaire Hussain c. Canada (M.C.I.), (31 mai 2000), IMM-5423-99 (C.F. 1re inst.), au par. 12,qu'un agent d'immigration saisi d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, dont le but n'est pas de plaider à nouveau les faits présentés à l'origine devant la Commission du statut de réfugié, ne siège ni en appel ni en contrôle de la décision de la Commission; je crois que cela vaut aussi en ce qui concerne les DNRSRC.

(Voir aussi : Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 751 (C.F. 1ère inst.) (QL), au paragraphe 12.)

 

[39]           Par conséquent, en traitant la demande pour motifs humanitaires, l’agent d’immigration n’était pas libre de procéder à une nouvelle évaluation de la crédibilité de M. Salomon Herrada et sa famille et d’infirmer les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR. L’agent d’immigration ne pouvait non plus infirmer la conclusion de la SPR quant à la protection adéquate de l’État au Pérou.  Plus particulièrement, l’agent d’immigration ne pouvait se fonder sur le fait que M. Salomon Herrada et sa famille auraient été visés par le Sentier Lumineux, étant donné les conclusions de la SPR sur cette question.

 

[40]           De plus, dans l’affaire Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.), [1990] A.C.F. no 604 (QL), la Cour d’appel fédérale a souligné que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l’égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n’est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu’il n’existe aucun élément crédible.

 

[41]           Ainsi, l’agent d’immigration pouvait raisonnablement faire abstraction de la preuve qui n’était aucunement liée à M. Salomon Herrada et sa famille, même si cette preuve était à l’effet que le Sentier Lumineux est une organisation puissante. M. Salomon Herrada et sa famille n’ont jamais réussi à convaincre aucun tribunal qu’ils étaient vraiment visés par le Sentier Lumineux.

 

[42]           De toute façon, l’agent d’immigration a reconnu que le Sentier Lumineux était une organisation puissante, mais il a noté que la preuve documentaire n’indiquait pas que l’Était était incapable de protéger ses citoyens.

 

[43]           En second lieu, M. Salomon Herrada et sa famille allèguent également qu’ils éprouveraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives du fait qu’ils ont développé un lien d’attache avec le Canada et la société canadienne.

 

[44]           Cependant, l’agent d’immigration a conclu que M. Salomon Herrada et sa famille n’éprouveraient pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter une demande hors du Canada à cause de leur séjour au Canada. À la page 4 de ses motifs, l’agent d’immigration explique clairement que le degré d’établissement au Canada est minimal.

 

[45]           L’agent d’immigration est arrivé à cette conclusion en tenant compte de la courte durée de leur séjour au Canada, de leur courte expérience de travail, de leurs efforts relativement minimes pour apprendre les langues officielles et d’un manque de certaines preuves justificatives, telles des factures, un bail ou des preuves portant sur leur bénévolat. Pour ce faire, l’agent d’immigration a considéré toutes les preuves justificatives devant lui.

 

[46]           Ainsi, selon la jurisprudence, cette Cour ne devrait pas intervenir lorsqu’il appert que le décideur a apprécié tous les éléments de preuve dont il disposait et qu’il conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que les facteurs qui militent contre l’accueil de la demande fondée sur des raisons humanitaires l’emportaient sur ceux qui le favorisaient (Dilmohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 9 (C.F. 1ère inst.), [2002] A.C.F. no 22 (QL), au paragraphe 11).

 

[47]           Dans la décision Vidal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 63 (QL), au paragraphe 10, le juge Barry Strayer a déclaré qu’il n’appartient pas à la Cour de siéger en appel pour trancher sur les conclusions de fait de l’agent d’immigration ou la manière dont il a pondéré les différents facteurs.

 

[48]           Ayant conclu qu’une dispense d’obtenir le visa hors du Canada n’était pas justifiée, l’agent d’immigration n’était pas tenu de procéder à la deuxième étape de l’évaluation, laquelle consiste à déterminer l’admissibilité de M. Salomon Herrada et sa famille.

 

CONCLUSION

[49]           Il appartient à l’agent d’immigration d’évaluer les facteurs pertinents dans une demande pour motifs humanitaires et, lorsque toutes les questions ont été adéquatement examinées par le décideur de faits, cette Cour ne doit pas réévaluer la preuve. En effet, la décision dans une demande pour motifs humanitaires est une décision largement discrétionnaire et cette discrétion a été confiée au Ministre ou son délégué par le Parlement.

 

[50]           Dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, [2005] A.C.F. no 507 (QL), aux paragraphes 10 et 13, le juge Pierre Blais a affirmé ce qui suit :

Pour ce qui est de la prétention des demandeurs selon laquelle l'agent n'a pas bien soupesé certains éléments de preuve, je répète ce que la Cour a dit dans Agot c. Canada, précité : la pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel. Par conséquent, la question de la pondération relève exclusivement de l'agent d'immigration si celui-ci a examiné correctement tous les éléments de preuve. [...]

Je tiens à répéter encore une fois que la Cour ne peut intervenir à la légère dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire des agents d'immigration. La décision concernant une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire doit reposer sur une analyse des faits et sur la pondération de nombreux facteurs. J'estime que l'agent a pris en considération tous les facteurs pertinents au regard des motifs d'ordre humanitaire et qu'il n'a commis aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour.

 

(Voir aussi Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 436, [2003] A.C.F. no 607 (QL), au paragraphe 8, où la juge Carolyn Layden-Stevenson a révisé plusieurs principes se rapportant aux demandes pour motifs humanitaires, dont celui affirmant que cette Cour ne doit pas réévaluer les facteurs dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision discrétionnaire.)

 

[51]           Puisque la décision de l’agent d’immigration est raisonnable et qu’il n’a commis aucune erreur justifiant l’intervention de cette Cour, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale soit certifiée. Les parties n’ont préposé aucune question à la certification et la Cour estime que la présente affaire repose uniquement sur ses propres faits.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                         IMM-346-06

 

INTITULÉ :                                        CESAR AUGUSTO SALOMON HERRADA

CARMEN LUZ RAZETO SILVA

ERICKA PAOLO SALOMON RAZETO

CESAR ABDEL SALOMON RAZETO

CESAR NAIF SALOMON RAZETO

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                le 15 août 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 24 août 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-François Fiset

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Alexandre Tavadian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JEAN-FRANÇOIS FISET, Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.