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Date : 20060816

Dossier : IMM‑6910‑05

Référence : 2006 CF 990

Québec (Québec), le 16 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

TRACY‑ANN SPENCER

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée sous le régime de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision rendue par un agent d’immigration, Ron Legault (l’agent), datée du 31 octobre 2005, dans laquelle l’agent a refusé de réexaminer le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi (rapport établi en vertu du paragraphe 44(1)) et de le retirer.

 

LES FAITS

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Jamaïque qui est entrée au Canada en 1993. Elle a le statut de résident permanent au Canada et elle est mère célibataire de trois enfants. Le 13 septembre 2002, le juge Mossip, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a déclaré la demanderesse coupable d’importation de cocaïne. Le 26 mars 2003, la demanderesse a été condamnée à une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour. Pendant les 20 premiers mois de sa peine, la demanderesse était assignée à résidence sous certaines conditions précises. Pour le reste de la peine, le juge a remplacé l’assignation à résidence par des heures de rentrée obligatoires. La Couronne a interjeté appel de la peine et, le 3 août 2004, la Cour d’appel de l’Ontario a remplacé la peine d’emprisonnement avec sursis par une peine d’emprisonnement de 20 mois en tenant compte du fait que la demanderesse avait purgé 16 mois de la peine initiale.

 

[3]               L’agent a interviewé la demanderesse le 27 juillet 2005 au Centre Vanier pour les femmes de Milton (Ontario). L’entrevue avait pour objet de déterminer si la demanderesse était interdite de territoire et si l’agent devait établir un rapport en conformité avec le paragraphe 44(1) de la Loi.

 

[4]               Dans une décision datée du 31 août 2005, l’agent a établi, en vertu du paragraphe 44(1), un rapport mentionnant que la demanderesse était interdite de territoire pour grande criminalité sous le régime de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) a ensuite été examiné et, dans une décision datée du 14 septembre 2005, le gestionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) à Kichener, M. K. Mustakas, a déféré l’affaire pour enquête en conformité avec le paragraphe 44(2).

 

[5]               La demanderesse a reçu une copie du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) lors de l’enquête, le 29 septembre 2005. L’enquête ne s’est pas déroulée à cette date, la demanderesse ayant demandé d’être représentée par un avocat. L’enquête a été reportée d’une semaine et devait avoir lieu le 6 octobre 2005. À la date en question, l’avocat a demandé le report de l’enquête pour s’y préparer. L’affaire a été entendue le 8 novembre 2005.

 

[6]               Dans une lettre datée du 4 octobre 2005 et dans une autre datée du 31 octobre 2005, l’avocat de la demanderesse a demandé que le gestionnaire revienne sur sa décision de déférer l’affaire pour enquête au motif que la décision avait été prise illégalement.

 

[7]               Dans une décision datée du 31 octobre 2005, l’agent, M. Legault, qui était le gestionnaire par intérim à l’époque, a décidé de maintenir la décision.

 

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[8]               1. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 44(1) de la Loi?

           

            2. Le droit à l’équité de la demanderesse a‑t‑il été respecté?

            3. L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte de toute la preuve?

            4. L’agent a‑t‑il suscité une crainte raisonnable de partialité?

 

 

ANALYSE

 

[9]               Les questions relatives à la portée de l’obligation d’équité et à la portée, le cas échéant, du pouvoir discrétionnaire de l’agent en vertu de la Loi doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte (Awed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 469, au paragraphe 8).

 

1. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 44(1) de la Loi?

 

[10]           La demanderesse prétend que le pouvoir discrétionnaire que confère à l’agent le paragraphe 44(1) est suffisamment large pour qu’il examine les facteurs décrits dans les parties pertinentes du Guide des politiques de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) (le Guide des politiques), y compris les diverses questions d’ordre humanitaire. En réalité, la demanderesse prétend que l’agent avait l’obligation d’examiner un grand nombre de facteurs pertinents énumérés dans le Guide des politiques. La demanderesse prétend que l’agent ne s’est pas acquitté de cette obligation et qu’il n’a examiné que la seule question de savoir si un crime avait été commis et si ce crime constituait de la grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. La demanderesse prétend que l’agent ne devait pas s’en tenir à une simple détermination de la gravité de l’infraction reprochée et de l’opportunité de la peine, mais qu’il lui fallait également se demander s’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire au profit de la demanderesse.

 

[11]           Dans Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, au paragraphe 42, la juge Judith A. Snider examine la portée du pouvoir discrétionnaire dont jouit l’agent sous le régime du paragraphe 44(1) :

En dépit de cette préoccupation réelle, je conclus que l’agent d’immigration, sous le régime du paragraphe 44(1), et le représentant du ministre, sous celui du paragraphe 44(2), jouissent d’un pouvoir discrétionnaire suffisant pour leur permettre d’examiner les facteurs énumérés dans les sections applicables du Guide de CIC. Dans la mesure où ces facteurs peuvent faire intervenir des questions d’ordre humanitaire, je ne vois pas de problème.

 

[12]           La juge Snider a conclu que la portée du pouvoir discrétionnaire des agents d’immigration est suffisamment large pour leur permettre d’examiner les facteurs énumérés dans le Guide des politiques, mais elle ne dit pas que les agents sont tenus d’exercer ce pouvoir.

 

[13]           Dans la décision Awed, susmentionnée, le juge Richard Mosley adopte une position différente de celle de la juge Snider. Le juge Mosley n’insiste pas sur la possibilité qu’a l’agent d’examiner les facteurs décrits dans le Guide des politiques. Le juge Mosley estime que le pouvoir discrétionnaire de l’agent prévu au paragraphe 44(1) est très limité. Il dit que ce qui suit aux paragraphes 16, 18 et 19 de la décision :

L’article 44 est applicable à tous les motifs d’interdiction du territoire des ressortissants étrangers et des résidents permanents. En ce qui concerne l’exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 44(2), son étendue peut varier en fonction des motifs allégués ou du statut de l’intéressé (résident permanent ou ressortissant étranger). Comme l’a signalé le juge Décary au paragraphe 46 de l’arrêt, les résidents permanents ont sans doute la possibilité de contester devant la Section de l’immigration tant le rapport de l’agent d’immigration que la décision du représentant du ministre. Cependant, dans l’un ou l’autre cas, lorsqu’il est allégué que l’intéressé a commis des agissements criminels, l’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré à l’agent et au ministre est très étroite, ce qui traduit l’intention du législateur : les non‑citoyens qui commettent certains types de crimes ne doivent pas rester au Canada.

 

[…]

 

Je suis d’avis que, lorsqu’une entrevue est tenue en application du paragraphe 44(1), elle a pour objet de simplement confirmer les faits qui peuvent éventuellement amener l’agent à conclure que le résident permanent ou ressortissant étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire. Le terme « peut » dans le paragraphe 44(1) ne connote pas un pouvoir discrétionnaire; il indique simplement que l’agent est autorisé à remplir une fonction administrative : Ruby c. Canada (Solliciteur général) (C.A.), [2000] 3 C.F. 589, aux pages 623 à 626, 187 D.L.R. (4th) 675 (C.A.F.).

 

On ne peut rejeter d’emblée la thèse du demandeur, selon lequel il serait plus efficace de permettre à l’agent d’exercer son pouvoir discrétionnaire à ce stade du processus, par exemple s’il doit décider de ne pas tenir compte d’une déclaration de culpabilité en raison de la maladie mentale de l’intéressé; cependant, le texte légal ne donne pas à l’agent le pouvoir d’agir de cette manière. Lorsque l’agent se forme une opinion, cela déclenche simplement un processus qui peut éventuellement, mais pas forcément, aboutir au renvoi de l’intéressé. Dans tous les cas, le demandeur a toujours le droit de demander une dispense pour des considérations humanitaires ou l’examen des risques avant renvoi.

[Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Dans Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Jung Woo Cha, 2006 CAF 126, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit, au paragraphe 41, concernant le pouvoir discrétionnaire de l’agent :

Je sais que, devant le Comité permanent, le ministre et des hauts fonctionnaires ont exprimé l’avis que la situation personnelle du contrevenant serait prise en compte au stade initial du processus avant que soit prise la décision de le renvoyer du Canada (Hernandez, au paragraphe 18). Je sais également que certaines déclarations allant dans le même sens figurent dans le Guide (Hernandez, aux paragraphes 20 à 23). Ces avis et déclarations n’avaient trait, toutefois, qu’aux résidents permanents déclarés coupables de graves infractions au Canada. On n’a donné aucune assurance de même ordre visant spécifiquement les autres étrangers. Je n’ai donc pas à décider quel poids, le cas échéant, j’aurais donné à de telles assurances en l’espèce. Quant à savoir si on a accordé le poids approprié aux assurances données dans la décision Hernandez (où la question en litige était la portée du pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre de déférer à la Section de l’immigration une affaire concernant un résident permanent), il vaut mieux laisser cette question à trancher une autre fois. Je signale que des questions ont été certifiées dans la décision Hernandez, mais qu’il y a eu abandon d’appel (A‑197‑05).

 

[15]           La jurisprudence n’est pas concluante quant à l’influence des facteurs décrits dans le Guide des politiques sur le pouvoir discrétionnaire de l’agent. Néanmoins, je suis d’avis que les agents peuvent tenir compte des facteurs décrits dans le Guide des politiques en prenant une décision conformément au paragraphe 44(1) de la Loi, mais qu’ils ne sont pas tenus de le faire.

 

[16]           En l’espèce, contrairement aux affirmations de la demanderesse, je suis d’avis que l’agent a bien tenu compte de facteurs d’ordre humanitaire et que sa décision n’était pas seulement fondée sur les actes criminels de la demanderesse. L’agent a écrit ce qui suit :

[traduction]

 

Le rédacteur est sensible à l’intérêt supérieur des enfants de la partie intéressée nés au Canada puisque cette partie n’aura pas le droit d’interjeter appel si une mesure d’expulsion du Canada est prise contre elle. Le rédacteur estime que la gravité de l’infraction l’emporte et de loin, sur toute considération relativement aux enfants. Le rédacteur constate que le père des enfants est lui‑même retourné en Jamaïque et qu’il serait apparemment capable de continuer de les aider financièrement comme il le fait. Pendant que la partie était incarcérée, les enfants ont été pris en charge par la mère de la partie. Ces conclusions sont appuyées par les paragraphes 46 et 47 de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario annexée aux présentes.

 

(rapport circonstancié de l’agent, dossier du tribunal aux pages 3 et 4)

 

[17]           Par conséquent, j’estime que l’agent n’a pas commis d’erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Les notes de l’agent, sur lesquelles les motifs sont fondés, révèlent que tous les facteurs pertinents ont été pris en compte avant que l’affaire ne soit déférée pour enquête.

 

2. Le droit à l’équité de la demanderesse a‑t‑il été respecté?

[18]           Dans Hernandez, précité, aux paragraphes 70 et 71, la juge Snider a examiné l’obligation d’équité à laquelle a droit la demanderesse aux fins du paragraphe 44(1) de la Loi :

 

Après examen de tous ces facteurs, j’estime qu’ils indiquent une l’obligation d’équité moins stricte, analogue à celle qui a été décrite dans l’arrêt Baker. À mon avis, l’obligation d’équité implicitement assumée par CIC en ce qui concerne le rapport prévu au paragraphe 44(1) est adéquate. Bien qu’elles soient de nature administrative (et non quasi‑judiciaire) et que les intéressés disposent de recours pour demeurer au Canada, il s’agit de décisions graves ayant des incidences sur leurs droits. CIC, dont le choix en matière de procédure doit être respecté, a décidé de donner aux intéressés le droit de présenter des observations, oralement ou par écrit, et d’obtenir copie du rapport. L’obtention du rapport permet à l’intéressé de décider s’il allait demander le contrôle judiciaire du rapport de l’agent d’immigration. Je conclus que, relativement au rapport de l’agent d’immigration, il s’agit là de l’obligation d’équité que CIC assume envers le demandeur et les autres personnes se trouvant dans sa situation.

 

Cette obligation comprend nécessairement l’exigence que l’agent d’immigration informe la personne qu’il rencontre de l’objet de l’entrevue de façon qu’elle puisse valablement exercer son droit de présenter des observations. Elle comprend également, selon moi, l’exigence que l’agent d’immigration transmette à l’intéressé tout renseignement dont il dispose que l’intéressé n’a vraisemblablement pas en sa possession. Elle comporterait aussi l’exigence d’offrir à l’intéressé la possibilité d’être assisté d’un conseil lors d’une entrevue ou pour la préparation d’observations écrites. Tous ces éléments font partie de ce que CIC a reconnu comme nécessaire pour que l’intéressé comprenne parfaitement « les allégations faites contre [lui] et la nature et les objectifs du rapport ».

 

[19]           Par conséquent, l’obligation d’équité prévue au paragraphe 44(1) de la Loi exige que l’agent avise la personne qu’il rencontre de l’objet de l’entrevue et de ses conséquences possibles. L’agent doit transmettre à la personne tous les renseignements dont il dispose et que l’intéressée n’a vraisemblablement pas en sa possession. De plus, la personne doit avoir la possibilité d’être représentée par un conseil lors d’une entrevue ou pour la préparation d’observations écrites.

 

[20]           La demanderesse prétend qu’il y a eu violation de l’obligation d’équité parce qu’elle n’a pas reçu une copie du rapport avant l’enquête. Je ne suis pas d’accord. La juge Snider a décidé que l’obligation d’équité n’exige pas que le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) soit remis à un demandeur avant que l’affaire ne soit déférée en vertu du paragraphe 44(2) (Hernandez, précité, au paragraphe 72). La demanderesse a reçu le rapport le 29 septembre 2005 lors de la première séance de l’enquête la concernant. Elle avait toujours le droit de demander le contrôle judiciaire du rapport. En outre, pour ce qui concerne l’enquête, le commissaire l’a ajournée afin de permettre à la demanderesse d’être représentée par un avocat. Lors de la deuxième séance, le commissaire a de nouveau reporté l’enquête afin de satisfaire à la demande de l’avocat de se préparer. Il n’y a eu aucune violation du droit de la demanderesse de recevoir une copie du rapport.

 

[21]           La demanderesse a subi une entrevue orale, mais elle prétend qu’elle a été informée ni des critères d’évaluation de son dossier, ni du résultat possible de l’examen, et elle n’a pas eu la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires. Elle affirme que, puisqu’elle ignorait les conséquences, elle n’a pas demandé à son avocat de soumettre des renseignements supplémentaires. Même si les notes prises pendant l’entrevue indiquent que l’agent savait que la demanderesse avait joint le cabinet de « Barb Jackman », la demanderesse affirme que l’avocat n’a pas eu l’occasion de fournir des renseignements supplémentaires.

 

[22]           À la suite de la décision de l’agent, datée du 31 octobre 2005, de ne pas revenir sur sa décision d’établir le rapport en vertu du paragraphe 44(1) et de déférer l’affaire, l’affaire a été déférée pour enquête. Pendant l’enquête, tant la demanderesse que l’agent ont témoigné devant la Commission. Comme l’a indiqué le défendeur, la Commission a déterminé que le témoignage de l’agent était plus crédible que celui de la demanderesse. L’agent a déclaré qu’en règle générale, pendant ce type d’entrevue, il se présente, décrit l’objet de la rencontre, vérifie que l’intéressé n’est pas un citoyen canadien et tente d’obtenir des renseignements. Il a ajouté qu’au moment de l’entrevue, aucune décision n’est prise sur la question de savoir si un rapport sera établi, mais il avise la personne des répercussions possibles, y compris la possibilité d’une mesure d’expulsion. Il a également demandé à la demanderesse si elle avait des renseignements à ajouter et si elle était représentée par un avocat.

 

[23]           La Commission a décidé que l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle ignorait qu’elle pouvait être expulsée n’était pas véridique. La Commission a conclu que la demanderesse savait très bien qu’elle pouvait faire l’objet d’une mesure d’expulsion contre laquelle la loi ne prévoyait aucun droit d’appel avant son entrevue avec les agents d’immigration. La possibilité d’expulsion a été abordée au cours du processus de détermination de la peine, tant à son procès que pendant l’appel (voir l’affidavit de Katie Lynch, pièce A, décision de la Section de l’immigration, aux pages 9 et 10). Le fait que la demanderesse ait dit à l’agent qu’elle était représentée par le cabinet de Mme Barbara Jackman témoigne en outre du fait qu’elle s’attendait à ce qu’une mesure d’expulsion soit prise contre elle.

 

[24]           Comme l’a mentionné le défendeur, la Commission a conclu que la demanderesse avait été pleinement avisée de l’objet de l’entrevue et qu’elle en était parfaitement consciente. La demanderesse a eu l’occasion de fournir d’autres renseignements. Elle était représentée par un avocat et avait eu l’occasion de communiquer avec celui‑ci entre l’entrevue d’immigration et la rédaction du rapport en vertu du paragraphe 44(1).

 

[25]           Par conséquent, j’estime que l’agent a bel et bien expliqué l’objet de l’entrevue à la demanderesse ainsi que le résultat possible. J’estime également que la demanderesse a eu l’occasion de présenter des observations pour contester son renvoi du Canada.

 

3. L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte de toute la preuve?

[26]           La demanderesse prétend que l’agent a commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas tenu compte d’une preuve pertinente en prenant sa décision et que la décision était fondée sur des conclusions de fait erronées.

 

[27]           Dans les motifs détaillés de la décision Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605, au paragraphe 15, le juge Mosley a dit ce qui suit au sujet des agents administratifs :

La décision relative à une demande humanitaire doit être motivée (voir l’arrêt Baker, précité), mais il n’est pas approprié d’obliger les agents administratifs à motiver leurs décisions de façon aussi détaillée que doit le faire un tribunal administratif qui rend ses décisions après une audience : Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 282 N.R. 394 , 2001 CAF 331; Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003) 232 F.T.R. 101, 2003 CFPI 436 (C.F. 1re inst.).

 

 

[28]           En l’espèce, j’estime que les motifs de l’agent expliquent adéquatement le fondement de sa décision et ne permettent pas de conclure qu’il n’a pas examiné tous les éléments dont il était saisi, y compris l’intérêt supérieur des enfants. À l’examen, il appert clairement que l’agent a examiné les remarques faites par la Cour d’appel de l’Ontario au sujet de la demanderesse lors de son audience de détermination de la peine. Comme l’a mentionné le défendeur, ces renseignements étaient assez complets et comprenaient des détails concernant la demanderesse, ses enfants, ses relations familiales ici et en Jamaïque, sa scolarité, sa situation financière, ses emplois antérieurs, son établissement au Canada ainsi que son dossier d’immigration et les détails de son crime (voir l’exposé circonstancié de l’agent, dossier du tribunal aux pages 3 et 4).

 

[29]           Le défendeur reconnaît que l’agent a, à tort, affirmé que les trois enfants étaient tous nés d’un seul père alors qu’en réalité, le troisième enfant est né d’un père différent. Toutefois, j’estime que cette erreur ne porte pas à conséquence parce qu’elle ne cause pas préjudice à la demanderesse et ne change pas l’issue de la procédure.

 

4. L’agent a‑t‑il suscité une crainte raisonnable de partialité?

[30]           La demanderesse affirme que la décision de l’agent de ne pas revenir sur sa décision de déférer l’affaire alors qu’il avait lui‑même rédigé le rapport suscite une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la demanderesse.

 

[31]           Au paragraphe 12 de la décision Bhallu c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1324, le juge Yvon Pinard a décrit les conditions nécessaires pour démontrer une crainte raisonnable de partialité :

Pour avoir gain de cause quant à une allégation de crainte raisonnable de partialité dans le traitement de sa demande, le demandeur doit démontrer qu’une personne informée qui verrait l’affaire d’une façon réaliste et pratique et qui prendrait le temps de réfléchir conclurait qu’il est probable que le décideur n’a pas pris sa décision en toute équité (Committee for Justice and Liberty et al. c. L’Office national de l’énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369). En l’absence d’une preuve contraire, il faut présumer qu’un décideur agit équitablement. Pour combattre cette présomption, le demandeur doit présenter plus que de vagues allégations de partialité, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce. Le demandeur admet que le fait que la même agente ait traité ses deux dossiers ne suffit pas pour engendrer une crainte raisonnable de partialité. Par ailleurs, je ne crois pas que le fait que les deux décisions aient été prises le même jour les invalide. Les motifs de l’agente ne laissent rien au hasard. Elle a pris en considération toute la preuve présentée et elle arrive à une conclusion raisonnable dans les deux cas.

 

[32]           En l’espèce, j’estime que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer une crainte raisonnable de partialité. Compte tenu de la gravité de l’allégation, il faudrait une preuve claire et cohérente pour que la Cour tienne compte d’une allégation de partialité. Aucune preuve de ce genre n’a été produite en l’espèce. La demanderesse n’a pas démontré qu’une personne informée qui verrait l’affaire d’une façon réaliste et pratique et qui prendrait le temps de réfléchir conclurait qu’il est probable que le décideur n’a pas pris sa décision en toute équité.

 

 

JUGEMENT

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑6910‑05

 

 

INTITULÉ :                                       TRACY‑ANN SPENCER

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 AOÛT 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Timothy Wichert                                   POUR LA DEMANDERESSE

 

Negar Hashemi                                     POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates                          POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LES DÉFENDEURS

Sous‑procureur général du Canada

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