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Date : 20060822

Dossier : T‑974‑01

Référence : 2006 CF 1012

ENTRE :

 

ERIC SCHEUNEMAN

 

demandeur

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA)

 

défenderesse

 

 

 

TAXATION DES DÉPENS – MOTIFS

 

 

Charles E. Stinson

Officier taxateur

 

 

[1]               Le demandeur, se représentant lui‑même, a engagé une action en dommages‑intérêts à la suite de prétendues erreurs concernant l’administration de ses prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (le RPC). La Cour fédérale a rejeté son action, refusé la demande de dépens avocat‑client de la défenderesse et accordé à cette dernière les dépens partie‑partie. La Cour d’appel fédérale a rejeté son appel, sans dépens. J’ai fixé un calendrier pour la taxation sur dossier du mémoire de frais de la défenderesse concernant la procédure engagée en Cour fédérale.

I.          La position de la défenderesse

[2]               La défenderesse a fait valoir que le montant total réclamé de 8 985 $ au titre des dépens est raisonnable et juste car la Cour a conclu que l’action était sans fondement légal. La conduite de la défenderesse ne justifie aucune réduction, conformément aux facteurs visés à l’article 409 et au paragraphe 400(3) des Règles, des sommes maximales réclamées pour les honoraires d’avocat. En outre, la Cour a donné des instructions spéciales au sujet de la conduite de l’action afin de tenir compte de l’invalidité du demandeur, c’est‑à‑dire des interrogatoires écrits, la production de preuves au procès sous forme d’affidavits, la communication à l’avance des questions qui seraient posées en contre‑interrogatoire au procès, de même que d’autres dispositions justifiant toutes le maximum demandé. L’approche imprécise dont le demandeur a fait preuve dans la conduite de son dossier, c’est‑à‑dire un acte de procédure modifié et une longue réponse, a compliqué les choses pour la défenderesse. Rien de cela ne peut être interprété comme pénalisant le demandeur du fait de son invalidité car chaque mesure prise était essentielle pour établir la position de la défenderesse. Le présumé manque de ressources du demandeur n’est pas pertinent car l’adjudication de dépens existe déjà, la jurisprudence a fait abstraction de la capacité de payer en tant que facteur, le dossier confirme que le demandeur a plusieurs sources de revenus, les dépens découlent du fait que le demandeur a été débouté au procès et constituent une obligation connexe, et les dépens que prévoit le Tarif sont peu élevés par rapport aux coûts réels du litige. La défenderesse a demandé, conformément au paragraphe 408(3) des Règles, un montant qui se situe au milieu de la fourchette, soit trois unités, pour l’article 26, vu le travail qu’il a fallu faire pour soumettre cette affaire à une taxation de dépens.

 

II.         La position du demandeur

[3]               Le demandeur a fait valoir que l’adjudication de dépens, et le fait que le ministère public insiste sur le paiement de ces derniers, sont discriminatoires à l’égard des personnes invalides et dénuées de ressources. La présumée justification de la réduction du fardeau imposé aux tribunaux renforce simplement l’idée que seuls les biens nantis ont accès aux tribunaux. Le demandeur a plaidé, en vertu de l’article 409 et des alinéas 400(3)c), h) et o) des Règles, une réduction des dépens taxés en raison de l’importance de la présente affaire pour l’accès et les droits des personnes invalides à des prestations du RPC. Il s’est tout de même conformé à la suggestion du juge chargé de la gestion de l’affaire de laisser tomber certains arguments fondés sur la Charte. C’est la défenderesse qui a demandé qu’il modifie son acte de procédure après que cette dernière eut rétabli, sans préavis, ses prestations d’invalidité. Si la conduite du demandeur était imprécise comme on l’alléguait, c’était parce qu’il n’avait pas les moyens de payer un avocat et qu’il devait se représenter lui‑même : il ne faudrait pas le pénaliser en lui imposant des dépens supplémentaires. L’invalidité du demandeur en tant que facteur influençant la durée du procès ne peut justifier que l’on accorde des dépens majorés à la défenderesse car ce résultat entrerait en conflit avec les principes bien établis concernant la prise de mesures d’adaptation en faveur des personnes invalides. Le jugement relatif aux dépens n’a pas restreint le pouvoir discrétionnaire dont je dispose pour fixer le montant des dépens à payer, qui devrait être une somme symbolique de 10 $ ou de 100 $.

 

III.       Taxation

[4]               L’article 4 et le paragraphe 5.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, qui définissent la Cour fédérale, et l’article 2 des Règles des Cours fédérales, qui définit un officier taxateur, signifient que les mots « Cour » (tel qu’employé à l’article 400 des Règles) et « officier taxateur » désignent des entités nettement distinctes. La compétence que j’ai pour ce qui est de traiter la demande que m’a soumise le demandeur, soit en vue d’une adjudication symbolique de dépens, soit en vue d’un rejet des dépens pour des motifs d’ordre humanitaire et constitutionnel pour éviter de déconsidérer l’administration de la justice, est donc exclue car les deux types de redressement relèvent de la Cour aux termes du paragraphe 400(1) des Règles. La Cour est dessaisie relativement aux deux types de redressement, ayant plutôt, ou déjà, adjugé les dépens partie‑partie. L’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 400(1) des Règles a déclenché ma compétence et restreint cette dernière aux paramètres de l’article 407 des Règles, en l’occurrence les dépens visés à la colonne 3 du tableau B, lesquels ne sont ni symboliques ni nuls. Je n’ai donc pas résumé la position du demandeur au sujet du paragraphe 400(1) et des alinéas 6a) et d) des Règles (le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’adjuger ou de refuser d’adjuger les dépens à l’égard d’une question litigieuse ou d’une procédure particulières et de condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause, respectivement) car je ne suis pas la « Cour » au sens où ce mot est employé dans lesdites dispositions des Règles.

 

[5]               Dans la décision Scheunenman c. Canada (Développement des ressources humaines), [2003] A.C.F. no 46 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 4, la Cour a déclaré ce qui suit : « [l]e manque de formation juridique du demandeur ne lui confère pas de droits additionnels et s’il insiste pour agir pour son propre compte, il doit se soumettre aux mêmes règles qui s’appliquent à tous ». Dans Kalevar c. Parti libéral du Canada, [2001] A.C.F. no 1721 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 22 à 24 inclusivement, la Cour s’est exprimée de la même façon. Loin de moi l’idée que la conduite du demandeur était assimilable à un écart non rompu par rapport aux règles, mais je déduis de cette jurisprudence que le simple fait d’agir pour son propre compte ne met personne à l’abri des conséquences d’une conduite qui pourraient s’appliquer à une partie représentée par un avocat au dossier.

 

[6]               Dans la décision Bow Valley Naturalists Society et al. c. Ministre du patrimoine canadien et al., [2002] A.C.F. no 1795 (O.A.), j’ai examiné la pertinence de l’intérêt public à l’égard de la taxation des dépens et j’ai conclu que l’application des facteurs énumérés à l’article 409 et au paragraphe 400(3) des Règles dans un sens opposé à l’intérêt des parties ayant eu gain de cause exigerait l’exercice mûrement réfléchi du pouvoir discrétionnaire. Le fait qu’un jugement relatif aux dépens n’accorde pas à la partie déboutée une considération spéciale par rapport aux dépens en raison de l’intérêt public ne m’empêche pas d’appliquer l’article 409 et l’alinéa 400(3)h) (intérêt public) des Règles. Je ne pense pas qu’en l’absence d’interventions proactives de la part de groupes d’intérêts spéciaux, on puisse présumer que les régimes législatifs et réglementaires ne fonctionnent pas dans l’intérêt public. Le juge du procès, au paragraphe 18, en tranchant les questions du demandeur fondées sur la Charte, a conclu que ses « intérêts étaient principalement économiques ». La Cour d’appel, en examinant et en confirmant la décision du juge du procès, a signalé la preuve évidente dans le dossier que les prestations d’invalidité du demandeur avaient cessé d’être versées à cause d’une erreur administrative et qu’elles avaient ensuite été rétablies à titre de redressement en application du paragraphe 66(4) du RPC, excluant ainsi la compétence des deux cours pour ce qui est de contraindre la défenderesse à revoir ledit redressement. Dans ces circonstances, je refuse de prendre en considération un facteur d’intérêt public pour réduire les dépens que le demandeur doit payer.

 

[7]               J’ai conclu au paragraphe 7 de la décision Starlight c. Canada, [2001] A.C.F. no 1376 (O.A.) qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser le même point des fourchettes dans tout le tarif, car chaque article se rapportant aux services d’un avocat est distinct et doit être considéré en fonction des circonstances qui lui sont propres. En outre, il peut être nécessaire de faire de grandes distinctions entre les niveaux supérieur et inférieur des fourchettes disponibles. Pour dire les choses simplement, une bonne part des informations du demandeur étaient hors de propos. Le fait qu’il se soit fondé sur le paragraphe 400(6) des Règles, en vue d’obtenir un redressement qui déborde nettement le cadre de ma compétence, dénote une mauvaise compréhension du processus de taxation des dépens, qui consiste à traduire une adjudication de dépens en un montant d’argent. En fait, l’absence de toute observation pertinente de la part du demandeur qui pourrait m’aider à cerner les questions et à me prononcer fait en sorte que des montants particuliers du mémoire de dépens ne sont pas contestés. Mon opinion, maintes fois exprimée dans des circonstances comparables, est que les Règles des Cours fédérales n’envisagent pas qu’une partie profite du fait qu’un officier taxateur s’écarte d’une position de neutralité pour agir comme défenseur de cette partie en cas de contestation d’éléments particuliers d’un mémoire de dépens. Cependant, l’officier taxateur ne peut pas certifier d’articles illégaux, c’est‑à‑dire qui se situent au‑delà du cadre du jugement et du tarif. J’ai examiné chacun des articles réclamés dans le mémoire de dépens, de même que les documents à l’appui, à l’intérieur de ces paramètres. Certains éléments justifient une intervention de ma part à cause des paramètres que j’ai exposés plus tôt et compte tenu de ce que je perçois comme une opposition générale au mémoire de dépens. Je pense que la conduite du demandeur, indépendamment de son invalidité, n’était pas précise au point d’empêcher la défenderesse d’avoir à faire du travail inutile. Je ne modifierai donc pas la demande licite et défendable de la défenderesse des montants maximums que prévoit le tarif pour les honoraires d’avocat, à part supprimer la réclamation prévue à l’alinéa 14b) pour un second avocat, la Cour n’ayant manifestement pas autorisé les dépens en question, comme l’exige le libellé de cette disposition.

 

[8]               À mon avis, que j’ai souvent exprimé à la suite de l’approche que j’ai adoptée dans Carlile c. Sa Majesté la Reine (1997), 97 D.T.C. 5284 (O.T.), et vu les remarques que le lord juge Russell a formulées dans Re Eastwood (deceased) (1974), 3 All. E.R. 603, à la page 608, selon lesquelles, en matière de taxation des dépens, [traduction] « la justice est rendue de façon sommaire, en ce sens que de nombreuses approximations sensées sont faites », il est permis d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’en arriver à un résultat raisonnable et équitable pour les deux parties au sujet des dépens. Je pense que mon avis est renforcé par les commentaires [voir : L’honorable James J. Carthy, W.A. Derry Millar & Jeffrey G. Gowan, Ontario Annual Practice 2005‑2006 (Aurora (Ontario) : Canada Law Book, 2005)] concernant les articles 57 et 58 des Règles, qui prévoient qu’une taxation des dépens participe davantage d’une forme d’art que d’une application de règles et de principes en fonction de l’importance générale du dossier et des questions litigieuses et de l’impression qui s’en dégagent, de même que du jugement et de l’expérience de l’officier taxateur devant exécuter la tâche difficile de mettre en équilibre ce qui peut être vu comme des facteurs subjectifs et objectifs. Dans Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd., [2003] A.C.F. no 1649 (O.A.) au paragraphe 31, j’ai trouvé que certains commentaires figurant dans la preuve, bien qu’intéressés, étaient néanmoins pragmatiques et sensibles à propos de la réalité d’une longue série de débours essentiels dont les frais de preuve excéderaient ou pourraient excéder le montant. Cependant, cela ne veut pas dire que les parties peuvent s’en tirer sans fournir de preuve quelconque, en se fondant simplement sur le pouvoir discrétionnaire et l’expérience de l’officier taxateur. En l’espèce, la preuve n’est pas absolue. À cause du peu de preuves au sujet des circonstances qui sous‑tendent chacune des dépenses, il est difficile pour le défendeur, lors de la taxation des dépens, et pour l’officier taxateur de se convaincre que chaque dépense a été engagée parce qu’elle était raisonnablement nécessaire. Moins il y a de preuves disponibles, plus la partie qui demande la taxation est liée par le pouvoir discrétionnaire de l’officier taxateur, dont l’exercice devrait être conservateur, une certaine discipline devant imprégner la question des dépens, pour éviter de porter préjudice à leur payeur. Cependant, de réelles dépenses sont nécessaires pour faire avancer un procès : un résultat de zéro dollar dans une taxation de dépens serait absurde.

 

[9]               Les débours réclamés comprennent la somme de 15 $ pour la signification d’un avis de désistement d’une requête. Il y a vraisemblablement d’autres frais inclus dans le débours total réclamé de 1 911 $ qui est associé à des ordonnances interlocutoires muettes quant à la question des dépens. Selon les décisions Balisky c. Canada (Ministre des Ressource naturelles), [2004] A.C.F. no 536 (O.A.), au paragraphe 6, et Aird c. Country Park Village Properties (Mainland) Ltd., [2005] A.C.F. no 1426 (O.A.), au paragraphe 10, je ne suis pas habilité à taxer des dépens lorsqu’une ordonnance est muette à ce sujet. Je ne suis pas convaincu que le total des débours demandés exclut les coûts associés à certains événements interlocutoires. Les frais réclamés pour les recherches faites en ligne par ordinateur comprennent des travaux qui ont été faits après le procès. Contrairement à la pratique habituelle, le demandeur a obtenu une copie électronique et une copie imprimée des notes sténographiques du procès afin de l’aider à préparer certaines observations postérieures à l’audience. Même si les paramètres de ce travail n’ont pas été indiqués, j’estime que l’avocat de la défenderesse a fait preuve de prudence en se préparant, au cas où il aurait à fournir une réponse après l’audience. J’accorde un total réduit de 1 625 $ au titre des débours. La présente taxation n’a pas été difficile pour la défenderesse : j’accorde le minimum de deux unités au titre de l’article 26. Les dépens de 8 985 $ réclamés par la défenderesse dans son mémoire sont taxés et accordés au montant de 8 381 $.

 

 

 

« Charles E. Stinson »

Officier taxateur

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                           T‑974‑01

 

                                                               ERIC SCHEUNEMAN

                                                               c.

SA MAJESTÉ LA REINE (MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES)

 

 

 

TAXATION SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

 

MOTIFS DE LA TAXATION DES DÉPENS :       CHARLES E. STINSON

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 22 AOÛT 2006

 

 

 

OBSERVATION ÉCRITES :

 

Eric Scheuneman

                  POUR SON PROPRE COMPTE

 

R. Jeff Anderson

 

                  POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S.O.

 

                  POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice

 

                  POUR LA DÉFENDERESSE

 

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