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Date : 20060825

Dossier : IMM-4890-05

Référence : 2006 CF 1020

Ottawa (Ontario), le 25 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE de MONTIGNY

 

ENTRE :

ABUDUAZEEZ ADETUNJI KESHIRO

(alias Abudu-Azeez Ade Keshiro)

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

[1]                    Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]                    Le demandeur allègue être un citoyen du Nigéria et il soutient qu’il y a été victime de persécution en raison de son homosexualité. Il affirme que sa relation homosexuelle avec son partenaire, Lukmon, a débuté vers 1994. Il déclare que la petite amie de Lukmon les a surpris au cours de rapports intimes en 2004, qu’elle a par la suite usé de chantage contre eux et qu’elle a signalé leur relation à un groupe de musulmans extrémistes. Le demandeur ajoute que Lukmon a été assassiné le 10 août 2004 ou vers cette date et qu’il avait lui-même reçu des menaces de mort de la part du même groupe. Le demandeur mentionne aussi que des policiers se sont présentés à son domicile le 29 août 2004 et qu’ils ont déclaré qu’il était recherché pour [traduction] « homosexualité et complicité relativement à un meurtre ». Il s’est donc enfui au Canada le 1er novembre 2004 et a demandé l’asile peu après son arrivée. Dans sa décision du 20 juillet 2005, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur.

 

[3]                    La Commission a d’abord examiné plusieurs documents que le demandeur avait présentés en vue d’établir son identité. Le certificat de naissance du demandeur a été rejeté parce qu’il ne faisait aucunement mention du poids et de la taille à la naissance et que les noms de ses parents biologiques n’étaient pas inscrits. Lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet, le demandeur a été incapable d’expliquer les omissions. La Commission a aussi examiné deux permis de conduire que le demandeur avait présentés. Elle les a rejetés en raison de divergences inexpliquées au sujet de la taille du demandeur et de l’adresse du bureau émetteur qui sont restées inexpliquées. La Commission a également mis en doute le fait que les deux permis aient été valides pendant la même période. Finalement, la Commission a rejeté le passeport déposé par le demandeur, au motif qu’il n’avait pas mentionné ce document dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et que les explications du demandeur au sujet de la façon dont il avait obtenu le passeport (c’est-à-dire que son frère au Nigéria avait réussi à l’obtenir pour lui, malgré les accusations de meurtre en instance contre le demandeur) n’étaient pas défendables. Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas présenté de documents d’identité originaux dignes de foi et qu’il ne s’était donc pas déchargé du fardeau, prévu à l’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), d’établir son identité.

 

[4]                    La Commission a ensuite examiné la crainte de persécution du demandeur. Elle a d’abord examiné un document censé être le certificat de décès du présumé partenaire du demandeur, Lukmon. La Commission a rejeté ce certificat au motif qu’il ne concordait pas avec le témoignage du demandeur au sujet de la taille, de l’âge, de l’emploi et de la date du décès de Lukmon. Selon la Commission, cette conclusion était étayée par le fait qu’au cours de son témoignage, le demandeur avait été incapable de donner l’adresse de son partenaire. Elle a aussi examiné une notice nécrologique (en anglais « obituary ») censée établir le décès de Lukmon. La Commission a rejeté ce document parce qu’il contenait diverses fautes d’orthographe, y compris dans le mot « obituary » même. La Commission a conclu que l’explication du demandeur pour ces fautes, selon laquelle [traduction] « tout est corrompu », n’était pas satisfaisante. Finalement, la Commission a noté qu’il y avait des fautes d’orthographe et des incohérences dans l’extrait du rapport de police, et que les dates auxquelles le groupe d’extrémistes se serait rendu au domicile du demandeur ne coïncidaient pas avec le témoignage du demandeur. Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi le bien‑fondé de sa crainte de persécution et elle a rejeté sa demande d’asile.

 

[5]                    La seule question à trancher par le contrôle judiciaire est la suivante : la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas réussi à établir son identité ni les éléments importants de sa demande?

 

[6]                    Dans la mesure où la décision contestée s’appuie sur des conclusions de crédibilité, elle bénéficie d’un degré de déférence élevé et la décision manifestement déraisonnable devrait lui être appliquée comme norme de contrôle : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.) (1993), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (QL). Comme la Cour suprême du Canada l’a statué, cette norme ne permet à la Cour d’intervenir que si « aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l’a fait sur la base de la preuve soumise » : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, [2003] A.C.S. no 17 (QL). Dans Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 896, mon collègue le juge Phelan a énoncé les conséquences de l’application de cette norme de contrôle :

La norme applicable au contrôle judiciaire des conclusions sur les faits de l'agente est celle de la décision manifestement déraisonnable, qui est définie comme étant la décision « déraisonnable à première vue, non étayée par la preuve ou viciée par l'omission de tenir compte des facteurs pertinents ou d'appliquer la procédure appropriée ». La décision est jugée manifestement déraisonnable si elle est « prise arbitrairement ou de mauvaise foi, [si elle] n'est pas étayée par la preuve ou [si] le ministre a omis de tenir compte des facteurs pertinents »; voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, paragraphes 41 et 29.

 

 

[7]                    La même norme de contrôle devrait être appliquée aux conclusions de la Commission en matière de preuve d’identité et d’authenticité des documents. La Cour a en effet tiré cette conclusion dans un certain nombre de décisions récentes, notamment Ogiriki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 342, [2006] A.C.F. no 420 (QL); Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 296, [2006] A.C.F. no 368 (QL); Egbokheo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 163, [2006] A.C.F. no 285 (QL).

 

[8]                    En l’espèce, après un examen attentif du dossier et des observations des parties, je ne suis pas convaincu que la Commission ait commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de l’article 96 et de l’alinéa 97(1)a) de la LIPR. Certaines des incohérences soulignées par la Commission étaient mineures, mais dans l’ensemble et compte tenu des documents d’identité déficients, elles étaient suffisantes pour permettre à la Commission de douter de la crédibilité du demandeur.

 

[9]                    La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’a pas établi son identité n’est pas manifestement déraisonnable, compte tenu des nombreuses omissions, incohérences et improbabilités au sujet des documents d’identité. Il n’y avait pas de date, de poids à la naissance ni de noms des parents sur le certificat de naissance du demandeur. Les deux permis de conduire présentaient des renseignements incompatibles au sujet de la taille du demandeur, ils ont été émis dans différentes régions du pays et le deuxième permis a été émis avant la date d’expiration du premier. Quant au passeport, le demandeur a présenté des renseignements contradictoires au sujet de son existence. Dans son témoignage, il a déclaré qu’il s’agissait en fait d’un deuxième passeport, émis après qu’il eut quitté le Nigéria et qu’il eut rempli son FRP, mais il n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas mentionné l’existence de quelque passeport que ce soit dans son FRP (transcription, page 11). La Commission a aussi conclu que les circonstances entourant l’émission de ce second passeport n’étaient pas vraisemblables.

 

[10]                Le demandeur a cité l’affaire Ngoyi c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 272 (QL), à l’appui de l’argument selon lequel la Commission ne peut pas fonder ses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité sur des incohérences mineures dans les documents. Je note qu’au paragraphe 14 de cette décision, la juge Tremblay-Lamer a affirmé que certaines anomalies dans les documents étaient « faibles eu égard aux explications tout à fait plausibles du demandeur ». En l’espèce, on a interrogé le demandeur, entre autres, au sujet des incohérences dans son témoignage quant aux permis de conduire (transcription, pages 13 et 14), au passeport (transcription, page 17) et au rapport de police (transcription, page 25).

 

[11]                La Commission a aussi interrogé le demandeur au sujet d’incohérences dans des documents qu’il avait présentés à l’appui de son allégation qu’il craignait avec raison d’être persécuté du fait de son homosexualité. Par exemple, on l’a interrogé au sujet des différences entre les renseignements qu’il a donnés au sujet de Lukmon et les renseignements inscrits sur le certificat de décès, entre autres ceux portant sur les caractéristiques physiques générales, l’adresse, l’occupation et la date du décès de Lukmon (transcription, pages 19 à 22). Le demandeur n’a pas réussi à expliquer de façon plausible ces incohérences.

 

[12]                Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne demandant pas une analyse d’expert des documents produits en preuve. Bien qu’une analyse d’expert puisse être souhaitable ou nécessaire dans certains cas, la Commission n’a pas l’obligation d’ordonner une analyse d’expert lorsqu’il y a suffisamment de preuves discréditant l’authenticité des documents. Comme mon collègue le juge Barnes l’a expliqué dans l’affaire Jin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 126, [2006] A.C.F. no 181 (QL), au paragraphe 19 :

Bien qu'il soit juste de dire que la Commission n'est pas qualifiée pour faire des analyses d'expert, elle n'a pas non plus l'obligation de faire expertiser les documents douteux si elle dispose de suffisamment d'éléments de preuve pour mettre en question leur authenticité : voir Culinescu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1200; Ibnmogdad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 321, et Kashif c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 179.

 

[13]           À mon avis, la Commission disposait de suffisamment de preuves qui discréditaient l’authenticité des documents à l’appui de la demande d’asile du demandeur et on ne peut certainement pas dire que les conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables.

 

[14]           Pour tous les motifs susmentionnés, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a énoncé une question pour la certification et aucune question ne sera certifiée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a énoncé de question pour la certification et aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4890-05

 

INTITULÉ :                                       Abuduazeez Adetunji Keshiro

                                                            (alias Abudu-Azeez Ade Keshiro) c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 mai 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 août 2006          

 

 

COMPARUTIONS :

 

Loftus Cuddy

 

POUR LE DEMANDEUR

Aviva Basman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Gertler

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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