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Date : 20060825

Dossier : IMM‑5693‑05

Référence : 2006 CF 1025

Ottawa (Ontario), le 25 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

ENTRE :

GUO ZHONG LIU

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En juin 2004, M. Liu a demandé son admission au Canada à titre de résident permanent de la catégorie des investisseurs. Lors de l’examen, la demande de M. Liu a soulevé deux questions : si M. Liu respectait la définition d’investisseur et si la source des fonds dont il disposait influait sur son admissibilité. En mars 2005, l’ambassade du Canada à Beijing a décidé qu’il était nécessaire d’interviewer M. Liu et il a été inscrit à son dossier qu’il fallait lui demander d’apporter les documents qu’il est habituel d’exiger dans un dossier concernant des gens d’affaires, c’est‑à‑dire des documents originaux pouvant établir la source des fonds et leur accumulation ainsi que des documents originaux établissant les éléments d’actif mentionnés dans la déclaration de la valeur nette personnelle. Il était également mentionné dans les renseignements consignés au dossier que M. Liu avait déjà déposé une demande de sélection au Québec en janvier 2003 et que sa demande avait été refusée.

 

[2]               Le 21 avril 2005, la demande de M. Liu a été examinée de nouveau. D’autres renseignements consignés au dossier ont été pris en compte et il a été décidé qu’il fallait néanmoins interviewer M. Liu puisque tous les documents qu’il avait fournis étaient des photocopies. Le Québec a fourni des renseignements mentionnant qu’on avait des doutes au sujet des pièces comptables que M. Liu avait soumis en 2003. Il était donc demandé à M. Liu dans l’avis de convocation à l’entrevue d’apporter les documents originaux.

 

[3]               M. Liu a été interviewé le 20 juillet 2005. L’entrevue a duré une heure et 15 minutes et un interprète était présent. Dans ses notes, l’agent des visas mentionnait qu’il soupçonnait que les pièces comptables que M. Liu avait soumises au Québec étaient frauduleuses et qu’il avait demandé à M. Liu de s’expliquer. Plus précisément, M. Liu devait expliquer les raisons pour lesquelles il avait demandé à un deuxième cabinet de vérification comptable de produire les pièces comptables dont il avait besoin pour sa demande au Québec plutôt que de présenter une lettre ou un état financier vérifié provenant du cabinet initial. L’agent a en outre mentionné à M. Liu qu’apparemment, le Québec avait constaté que le même rapport de vérification avait été présenté dans d’autres dossiers, ce qui donnait à penser que le rapport de vérification était sans doute faux. M. Liu a répondu que le rapport était authentique et que le problème était dû au fait que le Québec connaissait mal les rapports de M. Liu avec l’ancien cabinet de vérification.

 

[4]               Pendant l’entrevue, l’agent a demandé à M. Liu d’obtenir des pièces originales qui établiraient les numéros d’entreprise indiqués dans son formulaire de demande. Au lieu de pièces originales, M. Liu a fourni des photocopies de reçus d’impôt et il a confirmé qu’il n’avait pas apporté les originaux, notamment les états financiers des trois dernières années, comme on le lui avait demandé.

 

[5]               À la fin de l’entrevue, l’agent des visas a avisé M. Liu que son bureau avait des doutes parce que M. Liu n’avait pas fourni des documents originaux. En outre, l’agent a dit à M. Liu que les originaux fournis comportaient des anomalies et qu’il n’était donc pas convaincu que les renseignements qui s’y trouvaient fussent fiables et exacts. L’agent s’est étonné plus particulièrement du taux de change utilisé pour convertir en dollars canadiens l’actif net qui apparaissait sur le bilan remis aux fins du formulaire de demande. L’agent a dit à M. Liu qu’il ne satisfaisait pas à la définition d’investisseur et qu’il était impossible d’établir que M. Liu avait obtenu ses fonds par des moyens légaux. M. Liu a été invité à s’exprimer au sujet des doutes de l’agent, mais sa réponse n’a pas dissipé ceux‑ci et sa demande a été rejetée.

 

[6]               M. Liu conteste la décision de l’agent des visas en alléguant qu’elle était déraisonnable. Premièrement, il prétend avoir fourni tous les documents dont l’agent avait raisonnablement besoin pour prendre une décision. Il prétend également que la lettre de refus n’établissait pas explicitement les anomalies alléguées et que s’il y avait de telles anomalies, il s’agissait d’erreurs d’écriture et de fautes mineures qui n’influaient pas sur le fondement de sa demande. Enfin, il soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de conclure que la preuve était insuffisante et ne lui permettait pas de prendre une décision sur l’admissibilité de M. Liu en tant qu’investisseur au Canada, et que la décision selon laquelle les renseignements financiers n’étaient ni crédibles ni authentiques était également déraisonnable.

 

[7]               La première question que la Cour doit trancher est celle de la norme de contrôle applicable. Il est bien établi en droit que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à l'égard des décisions discrétionnaires des agents des visas en ce qui concerne les demandes d'immigration est celle de la décision manifestement déraisonnable. Par conséquent, lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, et qu’on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, la Cour n’interviendra pas. Voir, par exemple, Chalaby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 66 (C.F. 1re inst.) (QL); To c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (C.A.F.) (QL); Sarkissian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 789, [2002] A.C.F. no 1070 (C.F. 1re inst.) (QL).

 

[8]               D’ailleurs, il me semble que dans la présente affaire, les faits ressemblent beaucoup à ceux qui ont donné lieu à la récente décision de ma collègue, la juge Snider, Shi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1224, [2005] A.C.F. no 1490. Dans cette affaire, le demandeur avait demandé d’immigrer au Canada à titre d’investisseur appartenant à la catégorie des gens d’affaires, mais l’agent des visas, qui n’était pas certain de la manière dont M. Shi avait accumulé son avoir net personnel, avait rejeté sa demande. En parlant de la norme de contrôle applicable, la juge Snider a écrit (au paragraphe 3) :

[...] En ce qui concerne la deuxième question cependant, la décision discrétionnaire de l’agent des visas devrait faire l’objet de la plus grande retenue de la part de la Cour. Dans la décision Hua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2106, où les faits et la décision contestée étaient très semblables à ceux de la présente affaire, le juge Teitelbaum a conclu que la norme de contrôle qui s’appliquait était celle de la décision manifestement déraisonnable. À tout le moins, la Cour ne devrait pas intervenir, sauf s’il peut être démontré que l’agent des visas a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents ou s’est fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères (Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, et To c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 696, au paragraphe 3 (C.A.F.)).

 

 

[9]               Après avoir dûment tenu compte de la preuve documentaire fournie par le demandeur, ainsi que des observations orales et écrites des deux parties, je suis d’avis que la décision de l’agent des visas de refuser la demande de visa d’immigrant de M. Liu était raisonnable. Elle n’était certainement pas manifestement déraisonnable. Conformément au paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), il appartenait à M. Liu de convaincre l’agent des visas, au moyen d’une preuve, qu’il se conformait à la Loi (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), 2001 CFPI 837, [2001] A.C.F. no 1204 (C.F. 1re inst.) (QL); Shi c. Canada, précitée).

 

[10]           Dans une lettre au demandeur datée du 21 juillet 2005 l’avisant que sa demande avait été refusée, l’agent des visas a écrit :

[traduction]

 

Vous ne m’avez pas convaincu que vous possédez de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise et un avoir net obtenu licitement d’au moins 800 000 $ parce que vous n’avez pas, conformément à ma demande, présenté des documents originaux susceptibles d’établir vos opérations d’affaires et le revenu gagné. Lors de l’entrevue, vous avez fourni quelques‑uns des documents originaux demandés. Les données financières que contiennent ces documents sont incompatibles avec les renseignements fournis dans votre formulaire de demande d’immigration. Cela soulève un doute sur la crédibilité et l’authenticité des renseignements financiers que vous avez fournis. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de décider si vous respectez la définition d’investisseur prévue par le Règlement ni de déterminer votre avoir net personnel. Vous ne répondez donc pas aux exigences du paragraphe 90(2).

 

 

[11]           Les notes de l’agent révèlent clairement que l’ambassade du Canada à Beijing où M. Liu avait déposé sa demande avait qualifié de problématique la source des fonds de M. Liu et qu’il fallait donc l’interviewer. L’ambassade a demandé une liste des documents originaux et une preuve de l’avoir net personnel de M. Liu afin de vérifier certaines exigences de nature financière et commerciale, notamment ses ressources financières. Puis, au début de l’entrevue du 20 juillet 2005, l’agent des visas a expliqué à M. Liu que l’entrevue avait pour objet de déterminer s’il satisfaisait aux exigences de la loi pour émigrer au Canada en tant qu’investisseur.

 

[12]           Le paragraphe 12(2) de la LIPR prévoit qu’un étranger peut être sélectionné en tant que membre de la catégorie « immigration économique » en fonction de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada. Pour l’application de cette disposition, le paragraphe 90(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) prévoit que la catégorie des investisseurs est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des investisseurs au sens du paragraphe 88(1) du Règlement. Enfin, un investisseur au sens du paragraphe 88(1) du Règlement est un étranger qui, à la fois a) a de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise; b) a un avoir net d’au moins 800 000 $ obtenu licitement; c) a indiqué par écrit à l’agent qu’il a l’intention de faire ou a fait un placement.

 

[13]           Cela étant, il était bien entendu essentiel que M. Liu établisse non seulement son avoir net mais également l’obtention licite de ces fonds. Malgré les demandes répétées de l’agent des visas pour qu’il fournisse les documents originaux établissant le respect de ces exigences, M. Liu n’a pas obtempéré et ses explications n’ont pas su convaincre l’agent. Cette situation a effectivement empêché l’agent d’évaluer l’avoir net de M. Liu et de déterminer si ces fonds avaient été obtenus licitement.

 

[14]           Il n’appartient pas au demandeur, ni à son consultant en immigration, de décider quels documents doivent être produits dans une demande. À défaut de pouvoir établir clairement que les exigences de l’agent des visas sont déraisonnables, le demandeur doit fournir les renseignements demandés et convaincre l’agent qu’il respecte la définition de sa catégorie. Eu égard aux doutes légitimes entretenus par l’agent des visas relativement à l’authenticité des photocopies, le fait que M. Liu ait, par le passé, soumis des pièces comptables apparemment frauduleuses au Québec et eu égard également à l’absence de renseignements fiables produits, l’agent avait le droit d’insister et d’exiger la production de tous les documents originaux mentionnés dans la lettre de convocation.

 

[15]           Contrairement aux allégations de M. Liu, il appert de l’affidavit et des notes de l’agent des visas que M. Liu a été avisé des écarts entre les états financiers et les bilans, d’une part, et son formulaire de demande, d’autre part. Il a également eu l’occasion de dissiper les doutes de l’agent des visas qui ne visaient pas des erreurs d’écriture ou mineures. Les réponses de M. Liu n’ont pas été satisfaisantes.

 

[16]           Il me semble que l’agent des visas a fait plus que son devoir. L’agent n’avait aucune obligation d’aviser M. Liu de ses doutes qui découlaient directement de la preuve produite par M. Liu lui‑même ainsi que des exigences de la Loi et du Règlement. Lorsque la personne qui demande un visa d’immigrant omet de fournir une preuve adéquate, suffisante ou crédible, l’agent des visas n'est nullement tenu de lui demander une preuve supplémentaire susceptible d’invalider les conclusions de l’agent concernant le caractère insuffisant, inadéquat ou peu crédible de la preuve du demandeur : Oei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 466, 221 F.T.R. 112, [2002] A.C.F. no 600 (C.F. 1re inst.) (QL); Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 272, [2003] A.C.F. no 377 (C.F.) (QL); Naghashian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 504, [2003] A.C.F. no 654 (C.F. 1re inst.) (QL); Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 472 (C.F. 1re inst.) (QL); Yu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 176, [1990] A.C.F. no 704 (C.F. 1re inst.) (QL); Ashgar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1091 (C.F. 1re inst.) (QL); Heer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1357, 215 F.T.R. 57, [2001] A.C.F. 1853 (C.F. 1re inst.) (QL); Bashir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 868, [2002] A.C.F. no 1144 (C.F. 1re inst.) (QL).

 

[17]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’agent des visas n’a commis aucune erreur de droit ou de fait, et qu’il n’a pas non plus omis d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. L’agent a rejeté la demande de M. Liu parce que les documents et le témoignage de ce dernier n’établissaient pas clairement son avoir net et l’accumulation de cet avoir par des moyens légitimes et légaux. Ainsi, l’agent n’était pas en mesure de décider si l’admission de M. Liu au Canada était contraire à la LIPR ou au Règlement.

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les avocats n’ont soumis aucune question pour certification et aucune question ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les avocats n’ont soumis aucune question pour certification et aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM‑5693‑05

 

 

INTITULÉ :                                                            GUO ZHONG LIU

                                                                                 c.

                                                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                 ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 24 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                   LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 25 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen Fogarty                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Sylviane Foy                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stephen Fogarty                                                        POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

Sous‑procureur général du Canada                            POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)

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