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Date : 20060825

Dossier : T-388-05

Référence : 2006 CF 1029

Montréal (Québec), le 25 août 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

 

ENTRE :

 

CHERYLYNN HUNT

 

demanderesse

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Mme Cherylynn Hunt, une capitaine des Forces canadiennes (FC), sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions[1] rendues par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal) qui a conclu que les trois problèmes de santé distincts pour lesquels elle a demandé une pension ne donnaient pas droit à une pension aussi élevée qu’elle le croyait.

 

I.          Décisions

[2]               Dans sa décision no 100000851403 (la décision 403), le Tribunal a confirmé la décision rendue par le comité de révision (évaluation) (le CR) qui avait augmenté l’évaluation combinée faite par le ministre de la discopathie lombaire et de l’arthrose à la colonne lombaire dont souffrait la demanderesse, la faisant passer de 5 % à 10 %, à partir du 4 mai 2004 (date de la nouvelle preuve médicale sur laquelle s’était fondé le CR pour justifier cette augmentation). Selon la demanderesse, le CR n’aurait pas compris que la preuve médicale du 4 mai 2004 n’était pas la première faisant état de la douleur constante dont elle souffrait; elle ne faisait que clarifier la nature de sa douleur. Elle a également prétendu devant le Tribunal que le motif de son appel devant le CR avait été mal compris, car elle n’avait jamais soutenu que l’état du bas de son dos avait empiré. En fait, elle disait simplement que son état aurait dû être évalué à 10 % dès la date d’admissibilité en 2002.

 

[3]               Le Tribunal indique qu’il n’a pas été convaincu que le CR avait eu raison d’augmenter le niveau d’évaluation de 5 % parce que la demanderesse était enceinte au moment de l’audience, [traduction] « ce qui accroîtrait presque à coup sûr la douleur due à sa discopathie lombaire, particulièrement à la fin de sa grossesse ». Dans sa brève décision, le Tribunal a également pris note que la plainte de la demanderesse portait principalement sur la douleur. En tenant compte des critères énumérés dans le tableau 1 de l’article 19.04 de la Table des invalidités d’Anciens Combattants Canada, il a conclu : 

[traduction]

Bien que ses « symptômes » aient pu être classés dans la catégorie 20 % à 30 % au moment de l’audience de révision, les « médicaments » n’auraient pu être évalués à plus de 10 %, car, à l’époque, « elle ne prenait que du Tylenol en raison de sa grossesse ». Il n’y a pas de conclusions défavorables dans les catégories posture, manœuvre de lasegue, réflexes, atrophie, marche sur le talon et la pointe du pied et orthèse du dos, et « l’amplitude des mouvements » est presque totale, une perte d’extension de 20 degrés constituant la seule mesure négative. En tenant compte de ces conclusions, le Tribunal aurait laissé l’évaluation à 5 % et suggéré que soit fait plus tard un nouvel examen médical aux fins de pension quand l’état de la demanderesse serait stabilisé, après sa grossesse.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Selon le Tribunal, le CR, en se fondant sur le rapport du 4 mai 2004, a conclu que son état avait empiré et, compte tenu de cette conclusion, a eu raison de faire commencer l’augmentation rétroactive le 4 mai 2004. Pour ce motif, la décision a été confirmée. 

 

[4]               Dans sa décision no 100000866640 (la décision 640), le Tribunal s’est penché sur deux problèmes de santé : la chondromalacie de la rotule aux genoux droit et gauche ainsi que la dermatite aux mains droite et gauche. 

 

[5]               En ce qui concerne le problème aux genoux, le Tribunal a confirmé la décision du CR selon laquelle, d’après la preuve médicale au dossier, le problème de la demanderesse ne pouvait être lié à son service militaire, particulièrement parce que rien ne faisait état d’un traumatisme aux genoux se rapportant au service.

 

[6]               Le Tribunal a pris en considération la dernière lettre de la demanderesse, laquelle renvoyait à un résumé des faits indiquant que son problème avait été diagnostiqué pour la première fois en 1984 et découlait des exigences de son service, particulièrement lors de l’instruction de base, de l’instruction des recrues et de sa première année en tant que cadette. La demanderesse a également soutenu devant le Tribunal que la détérioration de l’état de ses genoux était consécutive à des microtraumatismes répétitifs s’étant produits au cours de ses quatre ou cinq premières années de service (phases II et III de son instruction). 

 

[7]               Le Tribunal a pris note que la demanderesse n’avait présenté aucune nouvelle preuve médicale qui relierait suffisamment le présumé problème et les traumatismes articulaires répétitifs pour établir un lien de cause à effet et il a confirmé la décision du CR.  

 

[8]               Pour ce qui est de la dermatite, le CR a jugé qu’un cinquième de son problème était dû au service. Il s’agissait d’une augmentation par rapport à la décision du ministre, qui avait jugé que le problème ne donnait pas droit à une pension.  

 

[9]               Il n’est pas contesté que cette maladie est provoquée ou aggravée par le stress. Cependant, contrairement à ce que prétend la demanderesse, le CR a conclu que le problème (ou le facteur de stress) principal semblait être ses difficultés à devenir enceinte (problèmes de fécondité). Il affirme expressément avoir laissé le bénéfice du doute à la demanderesse en lui accordant un cinquième, car, à son avis, les nombreux déménagements et autres questions relatives au service énumérés par la demanderesse dans la pièce ER-H5 ont eu des répercussions minimes sur son état. Le CR fait expressément référence au rapport du Dr Christensen, daté du 8 mars 2004. Ce rapport mentionne non seulement les déménagements fréquents de la demanderesse, mais encore [traduction] « d’autres événements stressants ayant eu lieu au cours des quatre à six dernières années ». 

 

[10]           Le Tribunal a exprimé certains doutes quant à savoir si les événements décrits par la demanderesse dans sa déclaration (ER‑H5) étaient effectivement liés à son service militaire, mais il a conclu que le CR avait le droit de lui laisser le bénéfice du moindre doute raisonnable et qu’il l’avait fait. Le Tribunal a donc confirmé la décision. 

 

[11]           La Cour remarque que le Tribunal a accepté d’évaluer de nouveau la demande de pension de la demanderesse relativement à son problème aux genoux, mais que cette évaluation a été suspendue jusqu’à ce que la présente demande soit tranchée.

 

[12]           Pour les motifs exposés ci‑dessous, la Cour conclut que la décision 403 doit être annulée et que la décision 640 ne contient aucune erreur susceptible de contrôle.

 

II.         Questions

A.        La décision 403

[13]           La demanderesse soutient que le Tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle en considérant que sa grossesse avait eu des répercussions injustifiées sur l’évaluation par le CR de l’état du bas de son dos. En conséquence, le Tribunal n’a jamais examiné correctement l’interprétation la plus favorable de la preuve médicale moins récente à son dossier. Il n’a pas non plus expliqué pourquoi on ne lui avait pas laissé le bénéfice du doute à cet égard.    

 

[14]           Le défendeur soutient qu’il faut présumer que le Tribunal a examiné tous les arguments et les éléments de preuve qui lui ont été soumis et que sa décision est fondée sur une interprétation raisonnable de la preuve au dossier. Selon lui, compte tenu de la norme de contrôle applicable à cette conclusion, la Cour ne devrait pas intervenir. 

 

B.         La décision 640

[15]           La demanderesse soutient que le Tribunal n’a pas tenu compte d’événements à son dossier s’étant produits durant sa carrière militaire qui auraient causé un traumatisme majeur à ses genoux droit et gauche. Pour cette raison, le Tribunal ne lui a jamais laissé le bénéfice du doute auquel elle a droit. 

 

[16]           Selon le défendeur, le dossier contenait une preuve contraire que le Tribunal était tenu d’évaluer. En particulier, les lignes directrices médicales applicables contredisaient la théorie selon laquelle le problème aurait pu être causé ou aggravé par des microtraumatismes répétitifs. De plus, il n’y avait aucune preuve démontrant que l’un des coups inscrits au dossier de la demanderesse aurait pu causer un traumatisme pouvant justifier médicalement son problème.  

 

[17]           Pour ce qui est de sa dermatite, en substance, la demanderesse conteste la valeur que le CR et le Tribunal ont accordé aux différents facteurs de stress dans sa vie à l’époque en cause. Elle convient que les seuls éléments de preuve médicale au dossier sont ceux provenant du Dr Ringwald (page 151) et du Dr Christensen (page 90). Elle prétend que l’opinion du Tribunal selon laquelle les différents déménagements imposés à son mari et à elle au cours de la période pertinente n’étaient pas liés au service a eu une incidence défavorable sur sa décision. 

 

[18]           Le défendeur soutient que, en l’absence de preuve médicale ou psychologique évaluant l’importance relative des facteurs de stress dans la vie de la demanderesse, le CR et le Tribunal avaient le droit d’accorder à ces facteurs la valeur qu’ils jugeaient appropriée. Il est clair qu’ils ont laissé le bénéfice du doute à la demanderesse et que, malgré d’autres remarques formulées par le Tribunal, en fin de compte, celui‑ci a convenu que les déplacements effectués dans le cadre du service militaire étaient liés au service et il a accordé une pension pour ce motif.

 

III.       Analyse

[19]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch P‑6, sont reproduites à l’annexe I.

 

[20]           Parce qu’elles sont particulièrement pertinentes dans le cadre des questions soulevées, les dispositions suivantes de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, sont reproduites :

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

 

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

[…]

 

 

31. La décision de la majorité des membres du comité d’appel vaut décision du Tribunal; elle est définitive et exécutoire.

 

31. A decision of the majority of members of an appeal panel is a decision of the Board and is final and binding.

 

[…]

 

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui‑ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

[21]           Dans l’arrêt Frye c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 264, aux paragraphes 11 et 12, la Cour d’appel fédérale a adopté l’analyse pragmatique et fonctionnelle utilisée par le juge John M. Evans dans la décision McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647. Elle a jugé que les décisions du Tribunal sur la question de savoir si une blessure était consécutive ou rattachée directement au service militaire pour l’application de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Les questions purement factuelles, qui comprennent, selon McTague, précitée, « l'évaluation ou l'interprétation par le Tribunal d'éléments de preuve médicaux souvent contradictoires ou peu concluants et la conclusion qu'il en a tiré quant à savoir si l'invalidité du demandeur a été en fait causée ou aggravée par le service militaire », font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Quand l’interprétation qu’a fait le Tribunal d’une loi est en cause, ses conclusions doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte. 

 

[22]           De toute évidence, le Tribunal est tenu de se conformer aux obligations que lui impose la Loi, particulièrement aux articles 3 et 39. Comme l’a indiqué le juge Andrew MacKay dans la décision Wood c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. n52 (QL), au paragraphe 24, ces dispositions, cependant, ne libèrent pas le demandeur de l’obligation de prouver que son état est consécutif ou se rattache au service militaire. Le demandeur doit néanmoins établir selon la prépondérance des probabilités, la preuve étant examinée sous l'angle le plus favorable possible, que son invalidité est liée au service. Cette norme civile doit être interprétée conjointement avec la disposition donnant droit à une pension figurant à l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions.

 

[23]           La Cour d’appel fédérale a décrit les circonstances où il convient d’appliquer l’article 39 dans l’arrêt Elliot c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 298, au paragraphe 46, où le juge Marc Nadon a affirmé que « [p]our que la prescription enjoignant de tirer les conclusions les plus favorables possible ait un sens, elle doit s'appliquer dans les cas où une déduction ne serait pas tirée par prépondérance des probabilités. Une déduction raisonnable est donc celle qui n'est pas nécessairement probable mais qui est néanmoins davantage qu'une simple possibilité. »

 

[24]           Dans une autre décision du juge Nadon, King c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel), 2001 CFPI 535, le juge a adopté l’avis du juge Bud Cullen dans MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. n346 (QL), où il a affirmé au paragraphe 22 :

[22]      Il est de jurisprudence constante qu'un tribunal n'est pas tenu de formuler une conclusion explicite par écrit sur chaque élément qui l'amène à sa conclusion ultime; de fait, il existe une présomption selon laquelle le tribunal a examiné tous les documents qui lui ont été soumis : Henderson c. Canada (Procureur général) (1998), 144 F.T.R. 71 (1re inst.). Toutefois, cette présomption est tempérée par l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui dispose que si le Tribunal est saisi de nouveaux éléments de preuve vraisemblables dans le cadre d'une demande de révision, il doit examiner et apprécier la preuve et tirer les conclusions les plus favorables possible au demandeur. Cela ne veut pas dire que le Tribunal doit automatiquement accepter les prétentions d'un ancien combattant; il doit plutôt accepter la preuve si elle est vraisemblable et non contredite.

 

[25]           Il est clair que le Tribunal doit accepter tout élément de preuve soumis par le demandeur à moins qu’il ne conclue à un manque de crédibilité de cet élément de preuve où à moins que l’élément de preuve soit contredit par un autre élément de preuve soumis.

 

[26]           Finalement, comme l’a indiqué le juge MacKay dans Wood c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. n52, quand le Tribunal rejette la preuve soumise par le demandeur sans fournir d’explication, il commet une erreur justifiant l’annulation de la décision.  

 

[27]           En gardant ces principes à l’esprit, la Cour examinera maintenant les décisions du Tribunal.

 

A.        La décision 403

[28]           Après avoir examiné les observations écrites supplémentaires du défendeur au sujet de la Table des invalidités (tableau 1 de l’article 19.04) utilisée à l’audience, la Cour est convaincue que ce document a été pris en compte et utilisé par le Tribunal même s’il n’est pas inclus dans le dossier certifié fourni à la Cour.

 

[29]           Dans sa décision, le Tribunal a clairement fait savoir qu’il croyait que les symptômes et d’autres éléments utilisés par le CR pour évaluer de nouveau le problème au dos de la demanderesse n’étaient pas représentatifs de son état [traduction] « normal » ou [traduction] « stabilisé » parce qu’elle était enceinte au moment de l’audience devant le CR.

 

[30]           La Cour est convaincue que le Tribunal a mal interprété le fondement de la décision rendue par le CR et qu’il a lui‑même fondé sa décision, du moins en partie, sur une considération non pertinente, soit l’état de la demanderesse au moment de l’audience devant le CR. Le fait que le Tribunal ait cru que l’état de la demanderesse avait empiré temporairement a de toute évidence influé sur sa conclusion. Pour cette raison, le Tribunal n’a pas examiné la question véritablement soulevée par la demanderesse, soit celle de savoir si l’évaluation de 10 % du CR aurait ou non dû être appliquée rétroactivement jusqu’au 7 février 2002. 

 

[31]           Il est clair que le CR savait que la demanderesse était enceinte de quatre mois quand elle a comparu devant lui et que pour cette raison, entre autres, elle ne prenait que du Tylenol plutôt que les médicaments décrits par le Dr Ross dans son rapport du 4 mai 2004.

 

[32]           Le CR savait également, par le rapport du Dr Ross, que la demanderesse avait fait savoir à ce dernier que la douleur augmentait pendant la grossesse[2], mais le fait que la douleur de la demanderesse était constante et que l’amplitude de ses mouvements était affectée par le degré de douleur, qui allait de la douleur légère à la douleur aiguë, n’a pas été communiqué à l’audience de juillet. Il en était question dans le rapport médical du Dr Ross, établi pendant la sixième semaine de grossesse de la demanderesse. Cette dernière souligne que, à cette étape, sa grossesse ne constituait pas un facteur pertinent. La Cour est d’accord.  

 

[33]           L’évaluation du CR était clairement fondée sur l’état décrit dans le rapport de mai 2004, car le CR n’a tenu compte que des médicaments décrits dans ce rapport. Comme il a été indiqué plus tôt, le CR savait parfaitement que, à cette époque, le traitement et la prise de médicaments prescrits avaient été interrompus en raison de la grossesse.

 

[34]           Il faut également noter que les autres rapports médicaux au dossier (pages 254 et 255), qui ne sont abordés nulle part dans la décision malgré le fait qu’ils étaient essentiels à l’argument avancé par la demanderesse, sont datés du 15 janvier 2002 (Dr Vadeboncoeur) et de juin 2003 (Dr Kenny).

 

[35]           La demanderesse est devenue enceinte pour la première fois en juin 2002[3]. Sa grossesse était donc avancée (7 mois) quand le Dr Vadeboncoeur l’a examinée. Elle n’était pas enceinte en juin 2003.

 

[36]           Néanmoins, la douleur décrite dans le rapport médical de juin 2003 ([traduction] « la douleur varie de mal → douleur aiguë ») ressemble beaucoup à celle décrite dans le rapport du Dr Ross en mai 2004 ([traduction] « le degré de douleur augmente selon les diverses activités et durant la grossesse, de douleur légère à aiguë »). Par ailleurs, le Dr Vadeboncoeur décrit la douleur ressentie en janvier 2003 simplement ainsi : [traduction] « douleur au bas du dos pire après le soulèvement d’objets et le jardinage, mieux après des étirements et du yoga ». 

 

[37]           Selon l’évaluation du Tribunal, fondée sur la Table des invalidités, si la douleur décrite par la demanderesse n’avait pas été [traduction] « temporaire », elle aurait pu avoir des répercussions réelles sur sa pension. 

 

[38]           Finalement, il ne fait aucune doute que, même si le Tribunal n’a pas à traiter en détail de tous les éléments de preuve et de tous les arguments soumis par le demandeur, il doit au moins indiquer sur quoi il se fonde pour rejeter le principal motif d’appel invoqué par le demandeur. En l’espèce, comme je l’ai dit, il n’est fait absolument aucune mention de l’état du bas du dos de la demanderesse avant le 4 mai 2004, même si le principal motif de son appel était que son état le 4 mai 2004 ne différait pas de celui de 2002.

 

[39]           La Cour conclut que la décision était manifestement déraisonnable et doit être annulée.

 

[40]           Dans le cadre du nouvel examen de l’affaire, la demanderesse doit obtenir la possibilité d’inclure dans le mémoire différents questionnaires médicaux apparaissant à son dossier médical mais qui, pour une raison quelconque, n’ont été inclus que dans le mémoire relatif à la décision 640.

 

B.         La décision 640

            (1)        Problème aux genoux

[41]           La demanderesse convient que le Tribunal ne disposait pas d’une preuve établissant clairement le lien de cause à effet entre son service militaire et ses problèmes aux genoux, mais elle soutient que, puisque son problème a été diagnostiqué pour la première fois en 1984, le Tribunal disposait d’une preuve faisant état d’incidents liés à son service militaire qui auraient très bien pu causer ce problème si les conclusions les plus favorables avaient été tirées en application de l’article 39.

 

[42]           Les lignes directrices médicales des Forces canadiennes concernant la chondromalacie de la rotule (dossier certifié, à la page 170) indiquent clairement qu’il n’existe aucunes données médicales prouvant que ce problème est plus fréquent chez les militaires que chez les civils. Elles indiquent également qu’il n’y a aucune raison de croire que des traumatismes répétitifs mineurs subis pendant le service jouent un rôle quelconque dans l’apparition de ce problème.  

 

[43]           Il est également convenu que, entre 1986 et 2003, le dossier de la demanderesse ne comporte aucun rapport faisant état de blessures aux genoux et que la preuve médicale produite par la demanderesse décrit le problème sans en établir la cause.

 

[44]           Pour ce qui est de la théorie selon laquelle la chondromalacie de la rotule de la demanderesse aurait été causée ou aggravée par des microtraumatismes répétitifs subis durant son instruction, le Tribunal avait de toute évidence le droit de préférer les lignes directrices médicales aux arguments soumis par la demanderesse.

 

[45]           Le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pensions donne à ces lignes directrices un effet légal et il est bien établi que le Tribunal peut, de manière tout à fait convenable, être influencé par elles dans sa décision. Le juge William P. McKeown a traité expressément de cette question dans la décision Gavin c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. n676 (QL), aux paragraphes 10 et 11.  

 

[46]           Cependant, cela ne tranche pas la question. La demanderesse a insisté particulièrement sur le fait que son dossier médical fait état d’une blessure au genou droit subie alors qu’elle pratiquait l’escrime en février 1983 ainsi qu’une autre à son genou gauche subie quand elle est tombée en mars 1984 (voir les pages 32, 33 et 35 du dossier du défendeur). Selon elle, ces incidents peuvent être considérés comme des [traduction] « traumatismes » qui auraient pu causer son problème et justifier une conclusion en sa faveur. À ces deux dates, la demanderesse fréquentait le Collège militaire royal.   

 

[47]           La Cour prend note que la chondromalacie de la rotule aux deux genoux a été diagnostiquée pour la première fois chez la demanderesse en février 1984, c’est‑à‑dire un an après l’incident relatif à l’escrime et un mois avant la chute sur son genou gauche inscrite au dossier. Ce dernier ne fait état d’aucun autre incident relativement au genou droit indiquant que le problème diagnostiqué en février 1986 aurait été causé par un traumatisme s’étant produit entre 1984 et 1986. Les observations du 5 février 1986 indiquent qu’il n’y a pas eu de traumatisme par le passé. 

 

[48]           Le diagnostic de février 1984 est mentionné dans les deux rapports médicaux récents rédigés par le Dr Kenny, datés du 11 et du 13 mars 2004 (aux pages 103 et 89 du dossier du défendeur). Le Dr Kenny croit que le problème aux genoux de la demanderesse, comme en font état les radiographies de 2003, concorde avec le problème décelé en 1984. Cependant, il ne précise pas comment ce problème aurait pu apparaître. D’autres observations médicales, datées du 2 juin 2003, et prises en note dans la décision du CR, passent en revue le dossier de la demanderesse depuis 1982 et révèlent qu’elle n’a subi aucune blessure particulière à l’un ou l’autre des genoux.  

 

[49]           Dans ces circonstances, la Cour est convaincue que le Tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en statuant qu’il ne pouvait conclure sur le fondement de la preuve soumise que le service militaire de la demanderesse avait causé ou aggravé son état. L’explication de la demanderesse fondée sur les observations inscrites à son dossier en février 1983 et en mars 1984 ne sont rien de plus qu’une simple possibilité. La demanderesse n’a simplement pas produit de preuve suffisante pour justifier qu’une conclusion favorable soit tirée en l’espèce. Comme il a été indiqué plus tôt, elle aura l’occasion de produire des éléments de preuve supplémentaires devant le Tribunal, qui a accepté d’évaluer de nouveau sa demande. 

 

(2)        Dermatite

[50]           En ce qui concerne la dermatite, il s’avère qu’il y avait des éléments de preuve médicale contradictoires. Le Dr Haber a affirmé que la dermatite était idiopathique (c’est‑à‑dire que sa cause était inconnue), tandis que le Dr Christensen a déclaré que la demanderesse avait une tendance latente à souffrir de cette maladie qui [traduction] « avait pu » être aggravée par ses déménagements et d’autres événements stressants s’étant produits au cours des 4 à 6 dernières années. Il ne les nomme pas expressément, mais nous savons par le dossier que la demanderesse a dû composer avec, entre autres, des problèmes avec ses ovaires et le sperme de son mari, de nombreuses tentatives infructueuses de devenir enceinte depuis 1991, les problèmes de son mari aux prises avec une plainte de harcèlement, etc. La preuve médicale au dossier n’indique pas dans quelle proportion ces différents événements stressants ont pu influencer ou aggraver l’état de la demanderesse.   

 

[51]           Il y avait également quelques éléments de preuve contradictoires relativement au moment où l’eczéma est apparu. Dans ses observations devant le comité, la demanderesse a indiqué que la maladie était apparue en 1999, alors que, dans le rapport médical du Dr Ringwald, il est écrit que la maladie aurait commencé vers mai ou juin 2001. Le défendeur établit un lien entre l’apparition de l’eczéma et les tentatives de fécondation in vitro de la demanderesse.  

 

[52]           La Cour conclut que les remarques formulées par le Tribunal sur la question de savoir si les déménagements à différentes bases militaires étaient ou non liés au service militaire ne sont pas importantes puisqu’il a finalement accepté la conclusion du CR à cet égard. 

 

[53]           La Cour est convaincue qu’il n’était pas déraisonnable, et encore moins manifestement déraisonnable, pour le Tribunal de conclure que le service militaire n’était pas responsable de plus d’un cinquième de son état.

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande est accueillie en partie. Seule la décision no 100000851403 rendue par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est annulée et l’appel de la demanderesse dans ce dossier sera examiné de nouveau.  

2.      La demanderesse a droit à la moitié de ses dépens taxables.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross

 

 


ANNEXE I

 

Loi sur les pensions

Pension Act

2. Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

 

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

 

[…]

 

 

21.(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

 

21.(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

 

[…]

 

 

(5) En plus de toute pension accordée au titre des paragraphes (1) ou (2), une pension est accordée conformément aux taux indiqués à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, sur demande, à un membre des forces, relativement au degré d’invalidité supplémentaire qui résulte de son état, dans le cas où :

 

(5) In addition to any pension awarded under subsection (1) or (2), a member of the forces who

 

a) d’une part, il est admissible à une pension au titre des alinéas (1)a) ou (2)a) ou du présent paragraphe, ou a subi une blessure ou une maladie — ou une aggravation de celle-ci — qui aurait donné droit à une pension à ce titre si elle avait entraîné une invalidité;

 

(a) is eligible for a pension under paragraph (1)(a) or (2)(a) or this subsection in respect of an injury or disease or an aggravation thereof, or has suffered an injury or disease or an aggravation thereof that would be pensionable under that provision if it had resulted in a disability, and

 

b) d’autre part, il est frappé d’une invalidité supplémentaire résultant, en tout ou en partie, de la blessure, maladie ou aggravation qui donne ou aurait donné droit à la pension.

 

(b) is suffering an additional disability that is in whole or in part a consequence of the injury or disease or the aggravation referred to in paragraph (a)

 

shall, on application, be awarded a pension in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I in respect of that part of the additional disability that is a consequence of that injury or disease or aggravation thereof.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-388-05

 

INTITULÉ :                                                   CHERYLYNN HUNT

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 12 JUILLET 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE               

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 25 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cherylynn Hunt

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Ward Bansley

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] La demanderesse a reçu l’autorisation de contester ces deux décisions dans le cadre de sa demande, car le Tribunal les a traitées simultanément par le passé.

 

 

[2] Elle le savait à cause d’une grossesse précédente (de juin 2002 à mars 2003). Il ressort de la lettre du Dr  Konczak, datée du 29 juin 2004, qu’au cours de ces mois, elle n’a pas voulu ou pu recevoir ses traitements chiropratiques habituels. 

[3]  À l’audience, la demanderesse a affirmé que son enfant était né le 28 décembre 2004. Le dossier du Tribunal relatif à la décision 403 ne contient aucun détail de cette grossesse, parce que, à l’époque, la demanderesse ne croyait pas que c’était pertinent. Le Tribunal a pris l’initiative d’en faire une question. Il était tenu de bien s’informer. Le dossier de la décision 640 contenait bien des renseignements relatifs à la première grossesse de la demanderesse; voir par exemple la page 158. 

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