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Date : 20060830

Dossier : IMM-434-06

Référence : 2006 CF 1040

Ottawa (Ontario), le 30 août 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

HAROON RASHID AWAN

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CIROYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la revendication par M. Awan du statut de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger parce qu’elle n’a pas cru le témoignage de ce dernier et qu’elle a estimé qu’il existait pour lui une possibilité de refuge intérieur. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire de cette décision, M. Awan affirme que la Commission a tiré de façon abusive et arbitraire ses conclusions quant à sa crédibilité et que, sans une telle erreur, elle n’aurait pas conclu qu’il existait pour lui une possibilité de refuge intérieur. Je conclus, pour les motifs qui vont suivre, que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité n’étaient pas manifestement déraisonnables et que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

La demande d’asile

[2]        M. Awan est un citoyen du Pakistan. Selon son témoignage, lorsqu’il a commencé à fréquenter le collège au Pakistan, il a joint les rangs de la Fédération populaire des étudiants (PSF) du Parti du peuple pakistanais (PPP). Il est devenu secrétaire général de l’unité du PPP de son collège et, après ses études collégiales, il a fait carrière en politique. M. Awan affirme que, s’il devait retourner au Pakistan, il subirait un préjudice grave ou il serait tué par les membres de la Ligue des musulmans du Pakistan (PML‑Q), la police ou les représentants du gouvernement militaire actuel au Pakistan, en raison de son affiliation à la PSF et au PPP et de ses activités politiques au sein de ces organisations à Rawalpindi et Karachi, au Pakistan.

 

La décision de la Commission

[3]        La Commission a rejeté pour les motifs qui suivent le témoignage de M. Awan.

 

1.      Il y avait d’importantes omissions dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) original concernant notamment les menaces de mort proférées par la police à l’endroit de M. Awan et les menaces faites contre ce dernier par le président de la PML‑Q pour le district de Karachi. Pour expliquer ces omissions, M. Awan a déclaré qu’il était détenu et bouleversé lorsqu’il a rédigé son FRP, et que l’avocat d’aide juridique qu’on lui avait assigné n’avait passé qu’une heure et demie avec lui. La Commission n’a pas jugé cette explication raisonnable et elle l’a rejetée.

 

2.         Il n’y avait aucune preuve que le profil politique de M. Awan au sein de la PSF et du PPP revêtait une importance nationale ou que ses activités avaient fréquemment été menées ailleurs qu’à Karachi ou Rawalpindi. Selon la preuve documentaire, la PML‑Q ne ciblait pas particulièrement les personnes ayant un profil politique limité en vue de leur infliger des préjudices graves, au‑delà du harcèlement occasionnel aux motifs politiques.

 

3.         Pour ce qui est du traitement aux mains des autorités policières et gouvernementales, la co‑directrice de la Commission des droits de la personne du Pakistan avait informé la Direction des recherches de la Commission de ce qui suit :

Les membres du PPP détenus pour corruption, en raison d’accusations qui ont été quelquefois très difficiles à prouver judiciairement, ont été traités durement en prison, particulièrement durant les premiers mois du régime militaire. Cependant, je répète que ces cas sont très isolés et ne concernent que les personnes détenues en raison d’accusations. D’autres personnes pourraient être arrêtées pour corruption, mais il serait très improbable que ces personnes soient des membres subalternes du PPP. Ce sont principalement les dirigeants qui sont recherchés. Le traitement [de ces personnes] peut varier faiblement, mais non considérablement, dans l’ensemble du pays.

 

[…]

 

[l]es militants du PPP se sont heurtés à des problèmes durant la période précédant les élections générales d’octobre 2002, et ils ont fréquemment été arrêtés, harcelés et détenus alors qu’ils tentaient d’organiser des rassemblements et d’autres activités. Ces actes ont été commis par la police, sur les ordres de l’autorité militaire [...] Quant à moi, depuis les élections d’octobre 2002, le harcèlement a diminué, mais des dirigeants du PPP ont subi des pressions les exhortant à changer de camp politique. Pour ce qui est des militants et des membres du parti, les cas de harcèlement sont moins nombreux; toutefois, des incidents isolés ont continué de se produire.

 

                                                                        [Notes omises.]

 

4.         La Commission n’a reconnu aucune valeur aux copies du procès‑verbal introductif (FIR) daté du 2 novembre 2004, à un mandat d’arrestation et à une lettre datée du 2 août 2005 en provenance d’un avocat de Karachi, pour les motifs suivants :

 

-           le retard important mis par M. Awan pour obtenir les copies de ces documents;

-           le défaut de M. Awan de mentionner les menaces faites par le président de district de la PML‑Q, dans son FRP original ou devant l’agent d’immigration, mettait en question l’authenticité de ces documents;

-           le témoignage de M. Awan selon lequel d’autres représentants du PPP n’avaient pas l’objet de traitements extrêmes ainsi que la preuve documentaire ne cadraient pas avec la délivrance d’un FIR à l’endroit de M. Awan dans les circonstances décrites par ce dernier;

-           la preuve documentaire concernant la facilité d’obtenir des documents frauduleux au Pakistan, y compris des documents de police et des documents judiciaires.

 

5.         Étant donné le traitement réservé à un autre dirigeant du PPP ciblé par les autorités gouvernementales et figurant sur la Liste de contrôle des sorties, il était invraisemblable que M. Awan ait pu être ciblé et faire néanmoins sans aucun problème deux voyages aux Émirats arabes unis, comme il l’a déclaré dans son témoignage.

 

6.         Si le gouvernement s’était réellement intéressé à M. Awan, il était invraisemblable que les autorités de Karachi l’aient mis en liberté tel qu’il l’a prétendu.

 

7.         Lors d’une entrevue avec un agent d’immigration au Canada, M. Awan a déclaré qu’il n’avait jamais été détenu ou emprisonné. Cette déclaration était contraire à son témoignage devant la Commission.

 

8.         La Commission n’a accordé aucune valeur probante à un article de journal relatif à M. Awan en raison de la preuve documentaire selon laquelle il est possible au Pakistan de payer pour faire publier de faux articles décrivant une situation de persécution.

 

Contrôle judiciaire de conclusions quant à la crédibilité

[4]        Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont des conclusions de fait, qu’on ne peut toucher par voie de contrôle judiciaire que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte d’éléments dont la Commission disposait. Cela équivaut à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Un défaut manifestement déraisonnable « peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée ». Une décision qui est manifestement déraisonnable « est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir ». Voir l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphe 52.

 

Application de la norme de contrôle à la décision

[5]        La Commission a donné des motifs détaillés pour ses conclusions quant à la crédibilité, qui sont liés de manière raisonnable avec la preuve dont elle était saisie. On n’a pas allégué que la Commission avait dénaturé cette preuve. Ainsi, on ne m’a ainsi pas persuadée que les conclusions quant à la crédibilité étaient de quelque manière que ce soit déraisonnables.

 

[6]        Tournons-nous maintenant vers les vices les plus importants qui, selon M. Awan, entachent la décision :

 

1.         La Commission pouvait tout à fait tirer une inférence défavorable des omissions dans le FRP. Ces omissions avaient trait à des éléments fondamentaux de la demande et ne concernaient pas de simples points de détail, et la Commission n’avait pas à prêter foi aux explications données par M. Awan relativement à l’omission de renseignements de cette importance dans son FRP original.

 

2.         M. Awan s’oppose particulièrement au rejet par la Commission du FIR, du mandat d’arrestation et de la lettre de l’avocat, au motif que ceux‑ci n’avaient pas été obtenus en temps opportun. La Commission a toutefois donné divers motifs d’importance expliquant pourquoi elle n’avait accordé aucun poids à ces documents. Même si la Commission avait commis une erreur en tirant une inférence défavorable de l’obtention tardive de ces documents, le déni par la Commission de l’authenticité des documents était suffisamment étayé par d’autres motifs. M. Awan soutient qu’aucune inférence défavorable n’aurait dû être tirée du retard, les documents ayant été transmis dans le délai prescrit par l’article 29 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228. Je ne suis toutefois pas persuadée que la Commission a pas commis une erreur à cet égard. Comme toutes les dispositions portant sur la divulgation, l’article 29 des Règles a pour objet d’éviter qu’on tende une embuscade au procès. Le respect de la règle permet la réception en preuve de documents (comme les documents en cause en l’espèce). Le respect de la règle n’empêche cependant pas, en droit, la Commission de décider (sur le fondement d’une preuve valable) qu’il y a lieu de tirer une inférence défavorable du retard important à transmettre un document.

 

3.         Les conclusions de la Commission relativement à des invraisemblances (mentionnées aux points cinq et six ci‑dessus) étaient étayées par des éléments de preuve dont la Commission était saisie et dont elle a expressément fait état dans sa décision.

 

4.         La Commission a signalé que M. Awan parle et comprend l’anglais et qu’il avait eu accès aux services d’un interprète lorsque l’agent d’immigration lui a fait passer une entrevue. Lors de cette entrevue, M. Awan a signé un document où l’on avait coché la case indiquant qu’il avait déclaré n’avoir jamais été détenu ou arrêté. Compte tenu de ces faits, il était loisible à la Commission de conclure à l’existence d’une contradiction entre le document en cause et le témoignage de M. Awan portant qu’il avait été arrêté et détenu. Il n’était pas nécessaire à cet égard que la Commission exige la comparution de l’agent d’immigration qui a fait passer une entrevue à M. Awan.

 

[7]        Dans son mémoire en réplique, M. Awan conteste la prétention du ministre selon laquelle il était possible pour l’avocate du demandeur d’élucider les éléments de preuve contradictoires à l’audience. Selon M. Awan, en effet, les Directives n° 7 du président et le processus d’interrogatoire en sens inversé empêchaient d’élucider ainsi les contradictions. Je ne partage pas cet avis; rien dans les Directives n° 7 n’a pour effet d’empêcher qu’on tente de réhabiliter le témoignage de M. Awan une fois terminé l’interrogatoire de ce dernier par la Commission.

 

[8]        Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[9]        Les avocats n’ont demandé la certification d’aucune question et je suis également d’avis qu’aucune telle question ne se soulève dans la présente affaire.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET DÉCIDE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-434-06

 

INTITULÉ :                                       HAROON RASHID AWAN

demandeur

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 AOÛT 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 30 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

JOLENE M. FAIRBROTHER                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

RICK GARVIN                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SHERRITT GREENE                                                              POUR LE DEMANDEUR

AVOCATS

CALGARY (ALBERTA)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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