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Date : 20060831

Dossier : IMM‑6441‑05

Référence : 2006 CF 1047

Ottawa (Ontario), le 31 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

NEIMAT ABDELI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 11 octobre 2005 par laquelle une agente des visas, J. Siaflekis, a décidé que le demandeur est interdit de territoire au Canada.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur, citoyen iranien, a servi dans les forces armées iraniennes entre les mois de février 1985 et de mai 1989, et il a été cantonné dans le village iranien de Sanandaj à l’époque où le gouvernement réprimait violemment la population irano‑kurde. Le demandeur est arrivé au Canada en 1989 et a demandé l’asile.

 

[3]               Le 9 février 1996, la Section du statut de réfugié (la SSR) a jugé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire, en se fondant sur les activités de l’armée qui [traduction] « visaient principalement des fins limitées et brutales », que le demandeur avait aidé l’armée iranienne à commettre des crimes contre l’humanité, au sens de l’article 6 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24. Il a donc été exclu de la protection de la Convention par suite de l’application de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Le demandeur n’a pas cherché à soumettre à un contrôle judiciaire la décision relative à son exclusion. La SSR a conclu notamment ce qui suit :

[traduction]

i.          Il ressort de la preuve documentaire que les éléments de l’armée présents au même endroit que le demandeur ont commis des atrocités et des violations des droits de la personne dans le but de décimer la population kurde de souche;

 

ii.          Dans les mois qui sont suivi son cantonnement à Sanandaj, le demandeur a été mis au courant des atrocités commises, du nombre de victimes et du nombre de Kurdes arrêtés et envoyés par l’armée à Téhéran;

 

iii.         Le demandeur savait que le gouvernement iranien avaient l’intention d’éliminer la population kurde là où il était cantonné, dans le nord‑ouest de l’Iran;

 

iv.         Les fonctions du demandeur étaient telles qu’il était informé quotidiennement des atrocités commises à l’endroit des Kurdes, et son travail consistait à diffuser cette information de manière chiffrée au sein de l’armée;

 

v.         En Iran, le service militaire obligatoire est de 2 ans, mais le demandeur a volontairement consenti à s’enrôler pour une période de 28 ans;

 

vi.         Il a fallu quatre ans au demandeur pour se dissocier des militaires après avoir été mis au courant des atrocités.

 

[4]               Des extraits des conclusions de la SSR sont joints en tant qu’annexe « A » au présent jugement.

 

[5]               En 1994, le demandeur a demandé le statut de résident permanent pour des raisons d’ordre humanitaire. Il a été autorisé à présenter sa demande en sol canadien et a été dispensé de l’obligation d’établir une demande d’asile relative à son inclusion, mais il est demeuré assujetti aux dispositions en matière d’admissibilité de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, aujourd’hui abrogée, et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

LA DÉCISION À L’ÉTUDE

[6]               En évaluant la demande de résidence permanente du demandeur, le ministre a vérifié si ce dernier n’était pas interdit de territoire au sens de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR pour avoir commis, hors du Canada, des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Par une lettre datée du 11 octobre 2005, l’agente des visas a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada, en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, dont le texte est le suivant :

 

SECTION 4

INTERDICTIONS DE TERRITOIRE

 

DIVISION 4

INADMISSIBILITY

 

[…]

 

[…]

 

Atteinte aux droits humains ou internationaux

 

Human or international rights violations

 

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

 

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

 

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the

Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]               Deux questions sont soulevées dans la présente demande :

1.         L’agente des visas a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de motiver convenablement sa décision?

 

2.         L’agente des visas a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR?

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[8]               La première question en est une d’équité procédurale que la Cour doit trancher en tant que question de droit selon la norme de la décision correcte. Voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100. Pour ce qui est de la seconde question, la Cour examinera cette question mixte de fait et de droit selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

ANALYSE

[9]               Un ressortissant étranger ne peut être admis comme résident permanent du Canada s’il a porté atteinte aux droits humains ou internationaux en ayant commis, hors du Canada, l’une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (alinéa 35(1)a) de la LIPR). La Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre dispose, au paragraphe 6(1), que quiconque commet :

a)                  un génocide,

b)                  un crime contre l’humanité

c)                  ou un crime de guerre

est coupable d’un acte criminel. Le crime contre l’humanité, le génocide et le crime de guerre sont définis au paragraphe 6(3). La décision du 11 octobre 2005 qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire est fondée sur des conclusions de fait que la SSR a tirées le 9 février 1996. Cette dernière avait à juger si le demandeur était exclu du régime de protection des réfugiés par l’application de l’alinéa 1Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

Question no 1 :      L’agente des visas a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de motiver convenablement sa décision?

 

 

[10]           Le demandeur fait valoir que le défendeur n’a pas motivé sa décision de manière suffisante.

 

[11]           Le demandeur déclare qu’aucun motif n’a été fourni. Dans sa lettre de décision, l’agente Siaflekis a simplement déclaré que le demandeur avait été jugé interdit de territoire en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, et cette lettre n’était assortie d’aucun « motif ». Une demande de motifs a été présentée en vertu de l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, à la suite de quoi Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a répondu que [traduction] « la décision n’a été accompagnée d’aucun motif ». Toutefois, conformément à l’ordonnance par laquelle la Cour a donné son accord à la demande dont il est question en l’espèce, CIC a produit le dossier du demandeur, qui comporte une note de service de Cynthia Noseworthy, de l’Unité des crimes de guerre et de la sécurité publique, ainsi que les notes et le rapport d’une agente d’immigration, Anne Dello.

 

[12]           Le défendeur allègue, et la Cour souscrit à cet argument, que ces documents constituent les motifs de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 44, la Cour suprême du Canada a conclu que l’on pouvait considérer que les notes d’un agent de réexamen constituaient les motifs de la décision du ministre. Le raisonnement formulé dans Baker dépendait en partie de la nature administrative de la décision à l’étude. Dans la présente espèce, la décision est elle aussi de nature administrative. Voir également la décision Yassin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 1354, où j’ai indiqué ce qui suit au paragraphe 18 :

 

[traduction]

Caractère adéquat des motifs de l’agent

 

18. Le demandeur fait valoir que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne fournissant pas des motifs adéquats. La décision de l’agent d’immigration figure dans une lettre de deux pages adressée au demandeur le 21 septembre 2001. Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a décrété que la note de service qu’un agent d’immigration verse au dossier peut constituer les motifs de la décision de cet agent. La note de service de six pages comporte des motifs détaillés et adéquats, en plus de la lettre de deux pages envoyée au demandeur à la même date.

 

[13]           En l’espèce, il ressort clairement des notes de service, des notes et des rapports figurant dans le dossier que les deux agentes, Cynthia Noseworthy et Anne Dello :

[traduction]

i.          ont passé en revue les antécédents factuels du demandeur et les observations faites à CIC, de même que la décision de la SSR ainsi que les notes sténographiques et l’enregistrement audio de l’audience de celle‑ci;

 

ii.          ont conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire, en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR;

 

iii.                  n’ont pas simplement entériné la conclusion de la SSR, mais réexaminé les conclusions de fait de cette dernière qui proviennent de la décision relative au statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Ces conclusions figurent dans le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR et joint à la note de service d’Anne Dello, datée du 11 décembre 2003. Ces conclusions de fait sont les suivantes :

 

•           Les atrocités et les violations des droits humains ont été commises par l’armée iranienne à l’endroit où le demandeur était cantonné dans le but d’éliminer la population kurde;

 

•           Le demandeur était au courant, dans les mois suivant son arrivée en 1985, que la population kurde était victime de ces atrocités;

 

•           Le demandeur savait que le gouvernement iranien voulait éliminer les Kurdes vivant au Kurdistan;

 

•           Le demandeur a été tenu au courant quotidiennement du nombre de Kurdes tués, arrêtés ou envoyés dans un centre de détention;

 

•           Le demandeur a signé de son plein gré un contrat d’engagement dans l’armée pour une période de 28 ans, et ce, même si la période obligatoire n’est que de deux ans;

 

•           Il a fallu quatre ans au demandeur pour se dissocier de la situation, et la SSR a conclu que le demandeur n’a pas fait preuve de diligence à cet égard;

 

•           Le demandeur n’a jamais demandé à être muté de son affectation au Kurdistan, où les atrocités avaient lieu;

 

•           Le demandeur, grâce à son père fortuné, avait les moyens d’éviter le service militaire, ce qu’il n’a pas fait.

 

 

[14]           La Cour comprend la raison pour laquelle le demandeur soutient que les motifs étaient insuffisants. CIC a initialement répondu à la Cour que [traduction] « la décision n’a été assortie d’aucun motif ». Ce n’est qu’après le dépôt de la demande auprès de la Cour que l’agente des visas Siaflekis a produit les documents internes de l’Immigration que l’on peut considérer comme étant les motifs de la décision. Ces documents ont été déposés le 13 février 2006, ce qui fait que le demandeur a eu suffisamment de temps pour prendre connaissance des motifs de la décision avant la présente audience.

 

[15]           Par ailleurs, le demandeur a reçu du défendeur le 17 septembre 2002 une lettre détaillée exposant les motifs pour lesquels il risquait de se voir refuser le statut de résident permanent, étant interdit de territoire en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Cette lettre fait état des allégations portées contre le demandeur, et le demandeur a fourni une réponse complète, que le défendeur a prise en considération avant qu’il soit décidé que le demandeur était interdit de territoire.

 

[16]           La norme qui permet de savoir si les motifs fournis dans une affaire donnée sont suffisants a été énoncée par le juge Sexton, au nom de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office national de transports), [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), aux paragraphes 21 et 22 :

 

[21] L’obligation de motiver une décision n’est remplie que lorsque les motifs fournis sont suffisants. Ce qui constitue des motifs suffisants est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce. Toutefois, en règle générale, des motifs sont suffisants lorsqu’ils remplissent les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée. Pour reprendre les termes utilisés par mon collègue le juge d’appel Evans [traduction] : « [t]oute tentative pour formuler une norme permettant d’établir le caractère suffisant auquel doit satisfaire un tribunal afin de s’acquitter de son obligation de motiver sa décision doit en fin de compte traduire les fins visées par l’obligation de motiver la décision ».

[22] On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

 

[Renvois omis.]

 

Le raisonnement formulé dans les rapports de Cynthia Noseworthy et d’Anne Dello constitue des motifs qui sont suffisants pour satisfaire à l’obligation d’équité procédurale. Le demandeur n’a pas été laissé dans l’incertitude quant à la preuve principale qui a servi à conclure qu’il était interdit de territoire. Le défendeur soutient, et la Cour souscrit à cet argument, que le demandeur savait la raison pour laquelle le ministre faisait enquête sur ses activités en tant que membre de l’armée iranienne. CIC l’a interrogé à deux reprises, en 1998 et en 2002, et il a été questionné au sujet de sa complicité à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité. Il était pleinement conscient des points qui militaient contre son admissibilité, ainsi que des faits qui les sous‑tendaient.

 

[17]           Compte tenu de ce qui précède, il est impossible que le demandeur se soit encore posé des questions au sujet des motifs de son inadmissibilité. Les motifs révélaient à la fois les conclusions de fait adoptées par les agentes d’immigration, ainsi qu’une explication de la manière dont les faits avaient amené ces dernières à conclure que le demandeur était interdit de territoire au Canada.

 

Question no 2 :      L’agente des visas a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR?

 

 

[18]           Le demandeur soutient que l’agente des visas a commis une erreur en concluant qu’il était interdit de territoire parce qu’elle a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en entérinant la conclusion antérieure de la SSR selon laquelle le demandeur était exclu aux termes de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

[19]           Une exclusion aux termes de l’alinéa 1(F)a) de la Convention relative au statut des réfugiés ne constitue pas en soi un motif d’exclusion du territoire au titre de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Le défendeur doit plutôt tirer la conclusion de fait que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité. Ces conclusions factuelles sont différentes de n’importe quelle conclusion que la Commission peut avoir tirée au sujet de l’exclusion - ou non - d’une personne.

 

[20]           Dans la présente affaire, l’agente des visas était tenue par l’alinéa 15b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, de considérer comme concluantes les conclusions de fait de la SSR. Le texte de l’alinéa 15b) est le suivant :

 

PARTIE 3

PART 3

INTERDICTIONS DE TERRITOIRE

 

INADMISSIBILITY

 

[…]

 

[…]

 

Application de l’alinéa 35(1)a) de la Loi

 

Application of par. 35(1)(a) of the Act

 

15. Les décisions ci‑après ont, quant aux faits, force de chose jugée pour le constat de l’interdiction de territoire d’un étranger ou d’un résident permanent au titre de l’alinéa 35(1)a) de la Loi :

 

15. For the purpose of determining whether a foreign national or permanent resident is inadmissible under paragraph 35(1)(a) of the Act, if any of the following decisions or the following determination has been rendered, the findings of fact set out in that decision or determination shall be considered as conclusive findings of fact :

 

[…]

 

[…]

 

b) toute décision de la Commission, fondée sur les conclusions que l’intéressé a commis un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, qu’il est visé par la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

(b) a determination by the Board, based on findings that the foreign national or permanent resident has committed a war crime or a crime against humanity, that the foreign national or permanent resident is a person referred to in section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

Le paragraphe 2(1) de la LIPR définit la Commission en ces termes :

Définitions

 

Definitions

 

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

2. (1) The definitions in this subsection apply in this Act.

 

« Commission » La Commission de l’immigration et du statut de réfugié, composée de la Section de la protection des réfugiés, de la Section d’appel des réfugiés, de la Section de l’immigration et de la Section d’appel de l’immigration.

"Board" means the Immigration and Refugee Board, which consists of the Refugee Protection Division, Refugee Appeal Division, Immigration Division and Immigration Appeal Division.

 

La SSR tombe sous le coup de la définition du paragraphe 2(1) de la LIPR. Sous le régime de la Loi sur l’immigration précédente, la « Commission » englobait la SSR. Le législateur voulait que l’alinéa 15b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés s’applique aux conclusions tirées par la SSR tant sous le régime de la LIPR que sous celui de l’ancienne Loi sur l’immigration. Voir à cet effet l’article 190 de la LIPR :

 

190. La présente loi s’applique, dès l’entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu’aux autres questions soulevées, dans le cadre de l’ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n’a été prise.

190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.

 

 

[21]           Le demandeur soutient que ce ne peut pas être le cas parce que cela amène l’agente à entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à l’égard d’une décision antérieure prise par un tribunal différent. À l’appui de son argument, le demandeur cite la décision Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 123 A.C.W.S. (3d) 734 (C.F. 1re inst.), rév. par (2005) 339 N.R. 201 (C.A.F.), ainsi que la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Varela, [2002] 4 C.F. 144 (1re inst.), conf. par (2003) 300 N.R. 183 (C.A.F.). Dans ces deux décisions, la Cour a décrété que la Section d’arbitrage de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié constituée en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration entravait l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en adoptant une décision d’exclusion rendue antérieurement soit par la Cour, soit par la SSR. Cependant, les décisions Zazai et Varela sont à distinguer de la présente espèce car l’alinéa 15b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, n’a pas trouvé application d’après les faits. Dans Zazai, la Cour a cité les motifs donnés par le juge Frederick Gibson dans la décision Varela, où celui‑ci a déclaré ce qui suit au paragraphe 23 :

[23] Je suis convaincu qu’il est certain que ni l’ancien alinéa 19(1)j) de la Loi ni la nouvelle disposition qui a été édictée à ce sujet n’indiquent à l’arbitre qu’une décision antérieure de la section du statut de réfugié d’exclure une personne du statut de réfugié au sens de la Convention […] est déterminante en ce qui concerne la question dont l’arbitre est saisi […] Si le législateur avait voulu qu’une décision antérieure de la SSR lie l’arbitre, il aurait facilement pu le dire. La Loi sur l’immigration prévoit un certain nombre de cas dans lesquels le législateur est arrivé à un résultat similaire.

 

[22]           En l’espèce, nous avons affaire à une décision ultérieure pour laquelle le législateur voulait que l’agent d’immigration adopte les conclusions de fait antérieures de la SSR. De ce fait, l’agente Siaflekis a été tenue d’accepter comme concluantes les conclusions de la SSR selon lesquelles le demandeur avait servi dans l’armée iranienne à une époque où celle‑ci commettait des activités [traduction] « qui visaient principalement des fins limitées et brutales » et que le demandeur avait [traduction] « participé personnellement et sciemment » à ces activités. En résumé, l’agente était tenue d’accepter comme un fait les agissements pour lesquels le demandeur avait été jugé complice de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.

 

[23]           L’agente n’a donc pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en s’en tenant aux conclusions de fait tirées par la SSR à l’audience relative à l’exclusion du demandeur.

 

CONCLUSION

[24]           La Cour conclut que l’agente des visas :

1.         a motivé convenablement la décision portant que le demandeur est interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR;

 

2.                  n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en décidant que le demandeur était interdit de territoire d’après les conclusions de fait de la SSR.

 

Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

[25]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé une question de portée générale à certifier, et il n’est est certifié aucune.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


Annexe « A »

 

Motifs de la décision de la SSR datés du 9 février 1996 concernant la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur

 

 

Page 8 des motifs :

 

[traduction] Néanmoins, un examen détaillé de la preuve documentaire concernant les pratiques de l’armée nationale iranienne au Kurdistan au cours de la période d’affectation du demandeur révèle que des atrocités et des violations des droits humains ont été commises dans le but d’éliminer la population kurde.

 

 

Page 9 des motifs :

 

[traduction] Le demandeur a déclaré qu’après son arrivée au Kurdistan en 1985, il a pris conscience, dans les quelques mois qui ont suivi, des atrocités commises par l’armée iranienne à l’endroit de la population kurde. Il a dit s’être rendu compte que l’on se servait de l’armée iranienne pour tuer des frères (kurdes). Il a aussi déclaré avoir découvert que le gouvernement iranien voulait éliminer la population kurde vivant au Kurdistan. Il a indiqué de vive voix qu’il était tenu quotidiennement au courant de la situation relative à la population kurde.

 

 

Page 9 des motifs :

 

[traduction] Par conséquent, il ressort clairement de la preuve du demandeur que celui‑ci participait « personnellement et sciemment » à la lutte armée contre la population kurde de l’Iran.

 

 

Page 12 des motifs :

 

[traduction] Après avoir examiné en détail tous les éléments de preuve, les membres du tribunal concluent que le demandeur a fait partie de l’armée iranienne du mois de février 1985 jusqu’au mois de mai 1989. À titre d’employé des militaires, il a été affecté au Kurdistan, où le but premier de l’armée était d’engager le combat contre les Kurdes, qui cherchaient à obtenir l’autonomie pour la population. Les activités de l’armée iranienne au cours de cette période « visaient principalement des fins limitées et brutales ». Le demandeur a reconnu avoir participé « personnellement et sciemment » aux activités de l’armée. Les allégations du demandeur selon lesquelles il n’a jamais commis lui‑même un acte inhumain importent peu. Toutefois, le demandeur a bel et bien reconnu que ses activités au sein de l’armée aidaient les militaires à atteindre leurs objectifs. Les membres du tribunal concluent que le demandeur « a omis de se dissocier des activités de l’armée iranienne dès qu’il a pu le faire sans danger ».

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                IMM‑6441‑05

 

INTITULÉ :                                               NEIMAT ABDELI

                                                                    c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       LE 23 AOÛT 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                     LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                             LE 31 AOÛT 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

POUR LE DEMANDEUR

Stephen H. Gold

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee and Company

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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