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Date : 20060907

 

Dossier : IMM-6335-05

 

Référence : 2006 CF 1066      

 

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2006

En présence de monsieur le juge de Montigny 

 

ENTRE :

MANJIT KAUR

HARPREET KAUR

ARASHDEEP SINGH

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire se rapporte à une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 28 septembre 2005, au terme de laquelle les demandeurs ont été considérés ne pas être des réfugiés ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR).

 

[2]               La demanderesse principale, Manjit Kaur, est âgée de vingt-six ans et originaire de l’Inde. Elle a revendiqué le statut de réfugié en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier, soit celui des femmes en Inde. Elle dit également craindre pour sa vie si elle devait retourner dans son pays, et s’estime menacée de torture. Elle représente également ses enfants mineurs Harpreet Kaur et Arashdeep Singh, qui réclament le statut de réfugiés pour les mêmes motifs que leur mère même s’ils sont citoyens américains.

 

[3]               Le frère de la demanderesse était apparemment membre de l’association étudiante All India Sikh Student Federation (AISSF); il aurait été arrêté, détenu et torturé au moins trois fois en raison de ses activités au sein de cette association. Suite à sa dernière remise en liberté, en janvier 1999, il aurait quitté la maison et n’aurait jamais été retrouvé; les autorités soupçonnent qu’il a rejoint d’autres militants.

 

[4]               Le 14 janvier 1999, la demanderesse et sa mère auraient assisté à une assemblée organisée par l’AISSF. Un ami du frère de la demanderesse l’a reconnue et lui a demandé de s’adresser aux participants pour leur expliquer le sort que les autorités ont réservé à elle et sa famille. Elle s’est exécutée et a décrit les démêlés qu’ils ont eus avec la police.

 

[5]               Le lendemain, la police aurait effectué une descente chez la demanderesse. On lui aurait reproché d’avoir pris la parole la veille, et elle a été amenée au poste de police, tandis que sa mère aurait été battue. Au poste de police, le policier chargé de l’enquête l’aurait violée. Grâce à un pot-de-vin fourni par sa famille, elle aurait été relâchée le lendemain, après avoir été avertie de ne jamais parler de ce qui s’était passé au poste de police et s’être engagée à travailler avec les policiers pour retrouver son frère.

 

[6]               Suite à ces événements, la demanderesse a quitté son pays pour se rendre aux États-Unis, où elle est arrivée le 27 mars 1999. L’oncle chez qui elle vivait s’est occupé de lui trouver un mari, et elle s’est donc mariée peu de temps après son arrivée aux États-Unis. Deux enfants sont nés de cette union et réclament maintenant le statut de réfugié au Canada avec leur mère, bien qu’ils soient citoyens américains.

 

[7]               Un an après son arrivée aux États-Unis, la demanderesse et son époux ont fait une demande d’asile. La demande de l’époux a été rejetée. Par conséquent, ce dernier a dû quitter le territoire américain. Il est alors venu au Canada, où il a également revendiqué le statut de réfugié. Quant à la demanderesse, elle n’a pas donné suite à une demande d’entrevue et a préféré suivre son mari au Canada, où elle a réclamé l’asile le 21 mars 2005.

 

[8]               Après avoir illégalement traversé la frontière sans se rapporter aux autorités de l’immigration, elle a été arrêtée et accusée d’être illégalement entrée au Canada. Le lendemain de son arrestation, l’agent d’immigration s’est rendu au poste de police où elle était détenue afin de la rencontrer. Elle a alors fait un certain nombre de déclarations qui ne concordent pas avec la preuve présentée ultérieurement. Un agent de la GRC assistait à cette rencontre, mais on ne lui a pas fait lecture de ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (Charte canadienne). Lorsque l’avocat mandaté par l’époux de la demanderesse s’est présenté au poste de police, la demanderesse a été relâchée aux mêmes conditions que son mari.

 

[9]               La demanderesse vit maintenant séparée de son mari, après avoir découvert à son arrivée au Canada que ce dernier vivait avec une autre femme. Ses deux enfants résident avec elle à Montréal.

 

[10]           Dans sa décision, la SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible en raison des nombreuses contradictions et invraisemblances relevées dans son témoignage. Le tribunal a aussi jugé que le témoignage de la demanderesse contredisait ce qu’elle avait déclaré lors de son entrevue au point d’entrée. Enfin, la SPR a conclu que la demanderesse avait fait preuve d’un comportement incompatible avec une crainte réelle de retourner dans son pays d’origine; non seulement avait-elle renouvelé son permis de travail aux États-Unis, mais elle avait omis de se présenter à l’audience au cours de laquelle devait être entendue sa demande d’asile. Pour tous ces motifs, le tribunal a conclu que le comportement de la demanderesse n’était pas compatible avec celui d’une personne qui se réfugie à l’extérieur de son pays par crainte de persécution ou d’atteinte à sa personne.

 

[11]           Dans ses représentations écrites et orales, l’avocat de la demanderesse soulève devant cette Cour plusieurs arguments au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. Tout d’abord, il prétend que dans son analyse de la demande d’asile, la SPR a omis de tenir compte des Directives nº4 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives du président), 13 novembre 1996 (les Directives). En second lieu, il fait valoir que la SPR ne pouvait se fonder sur les notes prises par l’agent d’immigration au point d’entrée parce que la demanderesse était alors détenue et qu’elle a fait ses déclarations sans pouvoir consulter un avocat et dans l’ignorance de ses droits. De plus, il allègue que la SPR a erré en ne joignant pas la revendication de la demanderesse et de ses enfants à celle de son mari. Enfin, l’avocat de la demanderesse prétend que le tribunal a mal apprécié les faits soumis par sa cliente et en a abusivement tiré des conclusions négatives quant à sa crédibilité. J’examinerai maintenant chacun de ces reproches.

 

[12]           S’agissant d’abord des Directives, il est exact que la SPR n’y réfère pas explicitement dans ses motifs. Cela n’est cependant pas fatal en soi, puisque le silence du commissaire à cet égard ne permet pas de tirer la conclusion que les Directives n’ont pas été considérées dans son analyse du dossier. De la même façon, la seule mention exécutée de manière rituelle à l’effet que les Directives ont été considérées ne suffira pas toujours à établir que le tribunal s’y est conformé. Ce qui importe, c’est que les motifs de la décision témoignent de la sensibilité du décideur à la situation particulière des femmes lorsque le fondement de leur revendication est relié à leur vulnérabilité. Bien que les Directives ne lient pas la SPR, elles doivent néanmoins être considérées dans les cas appropriés (Fouchong c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 88 F.T.R. 37 au paragr. 10-11 (C.F.), [1994] A.C.F. no. 1727 (QL); Khon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 143, (2004), 36 Imm. L.R. (3e) 55 au paragr. 18 (C.F.), [2004] A.C.F. no. 173 (QL)).

 

[13]           En l’occurrence, je ne suis pas convaincu que le commissaire a fait preuve du degré de compréhension et de sensibilité requise dans son analyse des allégations de viol soumises par la demanderesse. Il a d’abord considéré que le certificat médical déposé en preuve n’était pas suffisamment explicite pour corroborer ses dires. Pourtant, ce certificat mentionne que la demanderesse a été hospitalisée le jour même où elle aurait été relâchée par les policiers, et fait état de sa condition et des traitements reçus dans les termes suivants :

 

She was suffering from pain in her body, scratches bruises, contusions and other injury marks over her body. She was in depression. She was thoroughly examined and treated with intravenous, fluids, ointments, antibiotics, anti-inflammatory and anti[-]depression medications.

She was discharged after satisfactory reports of blood and urine. She was further treated, at home till 26 January 1999. She was advised to come after one week for medical check up.

She was further advised come after three weeks for Pregnancy test and after three months for H.I.V. tests. Nevertheless [s]he did not come. 

 

 

[14]           À la lecture d’un tel rapport, il n’est pas nécessaire de faire preuve d’une grande imagination pour conclure que la demanderesse a été violée. Le fait que le médecin ne soit pas plus explicite peut certainement s’expliquer par des considérations de nature culturelle. Quant au fait que l’affidavit du Sarpanch réfère explicitement au viol de la demanderesse, alors que cette dernière avait affirmé n’avoir révélé cet événement qu’à sa mère et à son médecin étant donné l’infamie qui pourrait en résulter pour elle et sa famille, cela peut s’expliquer. Le Sarpanch était apparemment très près de la famille de la demanderesse, et il a d’ailleurs accompagné son père au poste de police pour obtenir sa libération. Il n’est donc pas impossible qu’il ait été mis au courant de la situation, comme le prétend la demanderesse dans son affidavit. D’autre part, la demanderesse a indiqué au cours de son témoignage que toute la famille a finalement appris ce qui s’était passé, même si la demanderesse a fait preuve d’une très grande discrétion à ce sujet. Ce sont là des explications tout à fait raisonnables dans un contexte comme celui de l’Inde où le viol est sans doute abordé avec beaucoup plus de pudeur et de retenue que dans un pays comme le Canada. Il me semble donc que le commissaire n’a pas fait preuve de toute la sensibilité et la compréhension requises dans son analyse de cet aspect de la revendication.

 

[15]           Est-ce à dire que cette erreur est fatale?  Je ne le crois pas. Compte tenu des autres motifs invoqués par la SPR pour conclure que la demanderesse n’était pas crédible et que son comportement était incompatible avec une crainte réelle de persécution, lesquels n’avaient rien à voir avec le fait qu’elle est une femme, l’application des Directives n’aurait rien changé au sort de la revendication de la demanderesse. Cette Cour a souvent réitéré que la décision de la SPR ne sera pas infirmée en pareilles circonstances si la preuve était par ailleurs suffisante pour soutenir sa conclusion. Comme l’écrivait Mme la juge Judith A. Snider dans une décision de cette même Cour aux paragraphes 17 et 19, Sy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379, (2005), 271 F.T.R. 242 (C.F.), [2005] A.C.F. no. 462 (QL):

 

Néanmoins, une demande de contrôle judiciaire ne sera pas nécessairement accueillie parce que la Commission a omis d’examiner les Directives dans un cas approprié.

[(…)]

 La Commission n’en est pas arrivée à la conclusion que les déclarations de la demanderesse au sujet d’un mariage forcé n’étaient pas dignes de foi en s’appuyant uniquement sur le fait qu’elle était incapable de fournir des détails au sujet de son futur mari. Elle s’est également appuyée sur la preuve documentaire qui indiquait que le consentement de la demanderesse serait requis pour qu’il y ait mariage en bonne et due forme, que la plupart des mariages forcés ont lieu lorsque les femmes sont plus jeunes et que les mariages forcés ne sont pas communs dans les familles instruites. La Commission a également souligné qu’entre 1995 et 2000, la demanderesse n’a eu aucun problème avec son oncle qui a pris en charge la gestion des affaires de la famille après le décès de son père. Par conséquent, bien que la Commission ait commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la preuve était suffisante pour lui permettre de conclure comme elle l’a fait et l’erreur n’est pas suffisante pour annuler sa décision.

 

Voir aussi : Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1301, (2004), 136 A.C.W.S. (3e) 727 (C.F.), [2004] A.C.F. no. 1567 (QL); Siket c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1666, (2005), 144 A.C.W.S. (3e) 710 (C.F.), [2005] A.C.F. no. 2068 (QL); Begum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 59, (2001), 20 Imm. L.R. (3e) 258 (C.F.), [2001] A.C.F. no. 205 (QL).

 

[16]           Il ne me sera par ailleurs pas nécessaire de m’attarder longuement sur la prétendue violation des droits constitutionnels de la demanderesse lors de son interrogatoire par l’agent d’immigration au poste de police. Il se peut bien qu’elle ait alors été détenue au sens de l’article 10 de la Charte canadienne et que la situation dans laquelle elle se trouvait puisse être distinguée d’un interrogatoire de routine au point d’entrée, dans le cadre duquel il a été décidé qu’une personne n’a pas le droit d’être informé du droit de retenir les services d’un avocat : voir Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, [1993] A.C.S. no. 38 (QL). Mais je n’ai pas à me prononcer sur cette question dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[17]           Il est en effet bien établi qu’une question qui n’a pas été soulevée devant un tribunal administratif ne peut être examinée dans le cadre du contrôle judiciaire de cette décision. S’il en va ainsi, c’est d’abord et avant tout parce qu’il est de l’essence même du contrôle judiciaire de se prononcer sur les questions qui ont été portées à l’attention de l’autorité administrative et sur les seuls motifs qui ont été invoqués au soutien de la décision prononcée. Comme le rappelait M. le juge Louis Marceau dans la décision Poirier c. Canada (Ministre des Anciens combattants), [1989] 3 F.C. 233 à la p. 247 (C.A.F), [1989] A.C.F. no. 240 (QL) :

 

Les pouvoirs de la Cour, dans l’exercice du rôle de surveillance et de contrôle de la légalité des décisions administratives que lui attribue l’article 28 [de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7], sont uniquement ceux d’annuler la décision qui lui paraîtrait ne pas avoir été rendue selon les exigences légales et de demander au tribunal de reconsidérer l’affaire en lui donnant les directives appropriées. La Cour ne peut pas se prononcer sur une question qui ne se posait pas à l’autorité administrative, ni ordonner à celle-ci de répondre de telle façon à une question qui ne la concerne pas.

 

 

[18]           Les mêmes principes s’appliquent évidemment à cette Cour lorsqu’elle exerce les pouvoirs que lui confère l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 197 F.T.R. 307 (C.F.), [2000] A.C.F. no. 1954 (QL)). Ils s’appliquent d’ailleurs avec d’autant plus de force lorsque la question soulevée est de nature constitutionnelle. Dans un tel cas, la Cour doit se garder d’intervenir si la prétendue violation d’un droit fondamental n’a pas fait l’objet d’un débat devant l’instance administrative;  une telle pratique est non seulement dictée par la nature même du contrôle judiciaire, mais s’explique également par l’absence totale de contexte factuel nécessaire à la détermination d’une question aussi importante. Nous ne savons pas, par exemple, si la demanderesse était toujours effectivement détenue au moment de sa rencontre avec l’agent d’immigration; cette question, pourtant cruciale dans le contexte de l’application de l’article 10 de la Charte canadienne, n’a pas été abordée par les parties devant la SPR. Comme le rappelait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357 à la p. 361, [1989] A.C.S. no. 88 (QL) :

 

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte.

 

Voir aussi Suchit c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 800, (2005), 139 A.C.W.S. (3e) 1055 (C.F.), [2005] A.C.F. no. 1004 (QL); Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), ci-dessus.

 

 

[19]           En ce qui concerne la prétention de la demanderesse à l’effet que la SPR aurait erré en ne joignant pas sa demande d’asile et celles de ses enfants à la revendication de son mari, elle m’apparaît sans fondement. D’abord, je note que cette demande n’a jamais été faite par la demanderesse ou son avocat lors de l’audience devant la SPR. Il est vrai que le dossier révélait l’existence du mari. Par contre, le dossier permet également de constater que la demanderesse vivait séparée de son mari depuis son arrivée au Canada et qu’elle ne savait pas où il était. Qui plus est, nous ne savons rien de sa demande de statut de réfugié, et tout indique que les faits pouvant justifier une crainte de persécution ou une crainte pour sa vie ou son intégrité physique n’ont rien à voir avec la situation dans laquelle se trouvait la demanderesse, cette dernière ne l’ayant rencontré qu’après avoir quitté l’Inde. Dans ces circonstances, la jonction des demandes ne pouvait aller de soi et il revenait à la demanderesse d’en faire la demande.

 

[20]           Quant aux enfants, citoyens américains faut-il le rappeler, le tribunal a eu raison de conclure qu’ils ne pouvaient réclamer le statut de réfugiés en l’absence de preuve qu’ils craignent d’être persécutés aux États-Unis. Même si leur demande avait été jointe à celle de leur père, ils n’auraient pu se voir reconnaître le statut de réfugiés sur la base des faits qu’auraient pu invoquer ce dernier, puisqu’ils n’ont pas la même citoyenneté que lui. En effet, il est admis qu’une personne ne peut acquérir le statut de réfugié ou de personne à protéger à l’encontre d’un pays dont elle n’a pas la nationalité, à moins d’être apatride, ce qui n’est évidemment pas le cas ici.

 

[21]           En tout état de cause, la Cour d’appel fédérale et cette Cour ont rappelé à de nombreuses reprises que le fait de joindre des instances ne changeait pas le principe voulant que chaque demande doive être étudiée individuellement et selon son propre mérite : voir Retnem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1991), 13 Imm. L.R. (2e) 317 (C.A.F.), [1991] A.C.F. no. 428 (QL); Zewedu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000), 193 F.T.R. 152 (C.F.), [2000] A.C.F. no. 1369 (QL); Khorasani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 FTC 936, (2002), 116 A.C.W.S. (3e) 724 (C.F.), [2002] A.C.F. no. 1219 (QL). Sans doute est-ce l’une des raisons pour lesquelles cette Cour a toujours refusé d’intervenir lorsqu’aucune injustice n’avait été créée à la suite d’une décision du tribunal de joindre ou de séparer des instances (Asfaw c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 98 A.C.W.S. (3e) 880 (C.F.), [2000] A.C.F. no. 1157 (QL); Zewedu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), ci-dessus; Amin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 448, [2001] A.C.F. no. 716 (QL); Khorasani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), ci-dessus; Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1517, (2004), 134 A.C.W.S. (3e) 863 (C.F.), [2004] A.C.F. no. 1825 (QL); Hayek c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 848, (2005), 140 A.C.W.S. (3e) 345 (C.F.), [2005] A.C.F. no. 1055 (QL). Dans la présente affaire, on n’a présenté aucun élément de preuve permettant de conclure que la demanderesse et ses enfants ont été désavantagés du fait que leur demande d’asile n’a pas été examinée conjointement avec celle de son mari.

 

[22]           Reste la conclusion de la SPR à l’effet que la demanderesse n’est pas crédible, conclusion qu’elle assoit sur son comportement et sur certaines contradictions entre ses déclarations au point d’entrée et son formulaire de renseignements personnels. Pour avoir gain de cause, la demanderesse devait convaincre la Cour que le tribunal a rendu une décision manifestement déraisonnable, c’est-à-dire une décision qui ne peut s’appuyer sur aucun raisonnement ou qui ne trouve aucune assise dans la preuve : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, [2005] A.C.S. no. 39 (QL); Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), [1993] A.C.F. no. 732 (QL); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, [2002] A.C.S. no. 3 (QL). Il s’agit là d’un lourd fardeau dont la demanderesse ne s’est pas déchargée.

 

[23]           Bien que je sois disposé à admettre que certaines des contradictions relevées par la SPR entre le témoignage de la demanderesse et son Formulaire de renseignements personnels (FRP) sont peut-être plus apparentes que réelles, je ne crois pas que cela suffise pour annuler sa décision. Ainsi, je ne suis pas convaincu qu’il y ait incompatibilité entre le fait de déclarer dans son FRP que des leaders du mouvement de l’AISSF ont pris la parole lors de l’assemblée du 14 janvier 1999 et l’affirmation de la demanderesse lors de l’audition devant la SPR qu’elle avait été la seule à s’adresser à la foule. L’explication de la demanderesse à l’effet qu’elle a été la seule participante à parler des problèmes qu’elle et sa famille ont eus avec la police peut apparaître raisonnable. Dans la même veine, je serais porté à penser que la SPR a erré en considérant que la demanderesse n’était pas crédible lorsqu’elle a affirmé lors de l’audition avoir été inconsciente pendant vingt minutes après avoir été battu par les policiers lors de sa détention le 15 janvier 1999. Il était en effet loisible à la demanderesse d’indiquer le temps approximatif pendant lequel elle croyait avoir perdu conscience; quant au fait que l’on ne retrouve pas cette information dans son FRP, je note qu’il peut tout simplement y avoir eu un problème de traduction dans la mesure où la demanderesse y mentionne qu’elle a été battue « until exhausted ». Enfin, je n’ai pas à revenir sur ce que j’ai déjà dit à propos du certificat médical.

 

[24]           Cependant, il est important de rappeler que la décision de la SPR doit être considérée dans son ensemble, et dans le présent dossier, d’autres motifs l’ont amené à conclure que la demanderesse n’était pas crédible. D’abord, la SPR s’est appuyée sur les déclarations de la demanderesse au point d’entrée dans lesquelles cette dernière a affirmé au moins à deux reprises qu’elle ne craignait pas de retourner en Inde, et qu’elle était venue au Canada pour rejoindre son mari. Quant aux explications de la demanderesse à l’effet qu’elle craignait alors d’être détenue à la frontière et retournée dans son pays, et que les événements relatés avaient eu lieu plusieurs années auparavant, elles n’ont pas été jugées plausibles par le commissaire dans la mesure où la demanderesse avait l’expérience du processus d’immigration aux États-Unis, que son entrée au Canada avait été organisée avec l’aide d’un passeur et que son mari était déjà entré au Canada avant elle sans être refoulé à la frontière ou retourné dans son pays. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la décision de la SPR est également fondée sur le comportement de la demanderesse qui dit avoir quitté son pays en 1999 parce qu’elle craignait pour sa vie, alors qu’elle a attendu jusqu’en 2001 pour faire une demande d’asile aux États-Unis, demande à laquelle elle n’a d’ailleurs pas donné suite.

 

[25]           Compte tenu de ces éléments de preuve ainsi que de l’attitude générale de la demanderesse lors de l’audition, la SPR pouvait en arriver à la conclusion que la demanderesse n’était pas crédible et que son comportement n’était pas compatible avec celui d’une personne qui cherche refuge par crainte de persécution ou d’atteinte à sa personne. Cela ne signifie pas que j’en serais nécessairement venu à la même conclusion, mais telle n’est pas la question à laquelle je dois répondre. Comme l’écrivait M. le juge John Sopinka au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada à la page 340 dans l’arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, [1993] A.C.S. no. 56 (QL) :

 

L’erreur manifestement déraisonnable se définit plus aisément en fonction de ce qu’elle n’est pas plutôt que de ce qu’elle est. Notre Cour a dit qu’une conclusion ou une décision d’un tribunal n’est pas manifestement déraisonnable s’il existe des éléments de preuve susceptibles de la justifier, même si elle ne correspond pas à la conclusion qu’aurait tirée la cour chargée de procéder à l’examen (Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, aux pp. 687 et 688), ou, dans le contexte d’une convention collective, dans la mesure où les termes de celle-ci n’ont pas été interprétés d’une façon inacceptable (Bradburn, précité, le juge en chef Laskin, à la p. 849). Ces affirmations signifient, selon moi, que la cour de justice fera preuve de retenue même si, à son avis, l’interprétation qu’a donnée le tribunal à la convention collective n’est pas la « bonne » ni même la « meilleure » de deux interprétations possibles, pourvu qu’il s’agisse d’une interprétation que peut raisonnablement souffrir le texte de la convention.

 

[26]           Pour tous ces motifs, j’en arrive à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse doit être rejetée. L’avocat de la demanderesse a formulé deux questions pour fins de certification, mais je suis d’avis que compte tenu des faits de cette affaire, ces questions ne se posent pas et que la réponse qui leur serait apportée ne serait pas déterminante pour l’issue du présent litige.

 


JUGEMENT

 

                        LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1- La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.

2- Aucune question ne sera certifiée. L’avocat de la demanderesse a formulé deux questions pour fins de certification, mais je suis d’avis que compte tenu des faits de cette affaire, ces questions ne se posent pas et que la réponse qui leur serait apportée ne serait pas déterminante pour l’issue du présent litige.

 

 

 

          « Yves de Montigny »

Juge 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6335-05

 

INTITULÉ :                                       Manjit Kaur, Harpreet Kaur, Arashdeep Singh c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 24 mai 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de Montigny    

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 septembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michel Lebrun

 

POUR LES DEMANDEURS

Martine Valois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Lebrun

Lasalle, Québec

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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