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Date : 20060907

Dossier : T-729-05

Référence : 2006 CF 1074

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2006

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

Entre :

sa majesté la reine

demanderesse

et

 

Douglas Bernard

défendeur

 

 

motifs du jugement et jugement

 

 

 

[1]               Il s’agit d’une requête de Sa Majesté la Reine (demanderesse) pour obtenir un jugement sommaire contre Douglas Bernard (défendeur), conformément aux articles 213 à 219 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

 

 

 

I.  Contexte

 

[2]               Le 22 octobre 1993, Douglas Earl Bernard (défendeur) a présenté une demande par écrit à la Commission canadienne du blé (CCB) pour obtenir une avance en vertu de la Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prairies, L.R.C. 1985, ch. P‑18, abr. par la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, L.C. 1997, ch. 20, art. 46, (LPAGP). En réponse à cette demande, le 1er décembre 1993, le défendeur a reçu une avance de 50 012 $ au comptant.

 

[3]               En 1994, après des récoltes insuffisantes en 1991, 1992 et 1993 en raison respectivement du gel, de la pluie et d’une infestation de moucherons, le défendeur a mis fin à ses activités agricoles. Vu les mauvaises récoltes, le défendeur n’a pas pu rembourser son avance le 23 août 1994. À cette date, le solde impayé de l’avance, intérêts compris, était de 50 834,92 $.

 

[4]               Malgré ses difficultés financières, le défendeur n’a pas demandé la protection de la loi sur les faillites. Au contraire, il a choisi de négocier des règlements avec la plupart de ses créanciers. En ce qui a trait à son avance en vertu de la LPAGP, le défendeur a conclu avec la demanderesse un accord de règlement à l’amiable le 16 septembre 1998. Selon les termes de cet accord, le défendeur s’engageait à payer 30 000 $ à la demanderesse par un paiement d’acompte de 2 000 $ et des versements échelonnés mensuellement de 500 $ à partir du 1er juin 1998 et jusqu’au 1er février 2004, au taux d’intérêt de 0 %, au lieu de 69 836,27 $, soit la somme due, intérêts compris, à ce moment‑là.

 

[5]               Le défendeur a fait des paiements pour un montant total de 18 000 $, en vertu de l’accord de règlement à l’amiable, jusqu’à ce qu’il perde son emploi en janvier 2002. Par conséquent, le 1er février 2002, le défendeur a omis de faire le versement exigible selon l’accord de règlement à l’amiable, et il a été considéré en défaut.

 

[6]               Après avoir manqué à ses obligations de remboursement le 1er février 2002, le défendeur aurait contacté Christine Doe de la CCB à plusieurs reprises; il lui aurait laissé des messages vocaux afin de convenir d’arrangements pour reprendre les paiements lorsque sa situation financière le lui permettrait. Le défendeur déclare n’avoir reçu aucune réponse de la CCB, ce qui l’a amené à croire que la CCB avait accepté son remboursement de 18 000 $ en vertu de l’accord de règlement à l’amiable comme étant un règlement complet de sa dette et que la CCB avait fermé son dossier.

 

[7]               Le 17 février 2004, la demanderesse a envoyé au défendeur une demande finale de paiement. N’ayant pas reçu de réponse à cette demande, la demanderesse a déposé une déclaration contre le défendeur à la Cour fédérale le 21 avril 2005.

 

[8]               Le défendeur a signifié une défense à la demanderesse le 7 juin 2005, mais n’en a pas déposé d’exemplaire à la Cour. Ainsi, le 18 janvier 2006, le défendeur a présenté à la Cour une demande de prorogation du délai pour déposer sa défense. La prorogation du délai lui a été accordée par le protonotaire Lafrenière le 20 janvier 2006. Le défendeur a déposé sa défense à la Cour le 31 janvier 2006.

 

 

 

II.  Analyse

 

[9]               L'article 213 des Règles des Cours fédérales dispose que le demandeur peut présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire après le dépôt de la défense du défendeur.

213. (1) Le demandeur peut, après le dépôt de la défense du défendeur — ou avant si la Cour l’autorise — et avant que l’heure, la date et le lieu de l’instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

213. (1) A plaintiff may, after the defendant has filed a defence, or earlier with leave of the Court, and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment on all or part of the claim set out in the statement of claim.

 (2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l’heure, la date et le lieu de l’instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

(2) A defendant may, after serving and filing a defence and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment dismissing all or part of the claim set out in the statement of claim.

 

[10]           L'article 216 des Règles des Cours fédérales prévoit les conditions auxquelles une requête en jugement sommaire peut être accueillie :

216. (1) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

 

216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

 

(2) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

a) le montant auquel le requérant a droit, elle peut ordonner l’instruction de la question ou rendre un jugement sommaire assorti d’un renvoi pour détermination du montant conformément à la règle 153;

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

 

(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

 

(3) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu’il existe une véritable question litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d’une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l’ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

(3) Where on a motion for summary judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.

 

 

[11]           Dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd, [1996] 2 C.F. 853, confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2001 CAF 11, la juge Tremblay‑Lamer a établi les principes généraux applicables aux jugements sommaires :

J'ai examiné toute la jurisprudence se rapportant aux jugements sommaires et je résume les principes généraux en conséquence:

1. ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al.);

2. il n'existe pas de critère absolu (Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le)), mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie. Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth et Feoso);

4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario [R.R.O. 1990, Règl. 194]) peuvent faciliter l'interprétation (Feoso et Collie);

5. saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) (Patrick);

6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman et Sears);

7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (Forde et Sears). L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit « se pencher de près » sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes). [Références omises.]

 

[12]           En l’espèce, la demanderesse demande un jugement sommaire pour la somme impayée, en vertu de l’accord de règlement à l’amiable du 16 septembre 1998, plus précisément, le capital de 12 000 $ plus 8 % d’intérêts par an, à partir de la date du défaut.

 

[13]           Dans sa défense, le défendeur reconnaît avoir reçu l’avance en vertu de la LPAGP, avoir conclu l’accord de règlement à l’amiable et ne pas avoir respecté cet accord. Dans sa défense, le défendeur ne réfute aucun élément de la déclaration de la demanderesse et ne soulève aucune question de droit. Dans sa défense, le défendeur affirme ce qui suit :

[traduction] En 1998, il était clair que je devais tout vendre et recommencer à un autre endroit […] À travers un long processus que j’ai moi‑même lancé, j’ai été en mesure de parvenir à un règlement avec la plupart de mes principaux créanciers […] Je dois ajouter qu’on m’avait conseillé d’éviter de conclure un règlement avec la Commission canadienne du blé, mais que j’ai choisi de le faire croyant que c’était la « bonne chose à faire ». Il faut comprendre qu’au moment de l’accord, je souffrais de grave dépression, je n’avais pas de travail et je n’avais absolument aucune idée de la façon dont je pourrais payer les 500 $ par mois auxquels on s’attendait. Pour une personne sans emploi et sans source de revenu, il s’agissait d’un lourd engagement, mais je voulais faire de mon mieux et je croyais que c’était possible.

 

[…]

 

De 1998 à janvier 2002, j’ai réussi à rembourser 18 000 $ sur le montant initialement convenu de 50 834,92 $, ce qui représente un remboursement de plus du tiers de la somme.

 

En janvier 2002, l’entreprise pour laquelle je travaillais m’a licencié et je me suis retrouvé sans emploi. Du jour au lendemain, j’étais au chômage et je devais compter sur l’assurance‑emploi pour subvenir aux besoins de ma famille, ce qui représentait une baisse importante des revenus de notre famille. Par conséquent, je ne pouvais plus continuer à payer les 500 $ à la CCB […] Malgré ma réelle intention de recommencer les paiements, il n’y avait pas assez d’argent et je ne pouvais pas le faire.

 

[14]           Cela dit, le défendeur allègue qu’après avoir perdu son emploi en janvier 2002, il a contacté Christine Doe de la CCB à de nombreuses reprises, lui laissant des messages vocaux afin de convenir d’arrangements pour reprendre les paiements en vertu de l’accord de règlement à l’amiable lorsque sa situation financière le lui permettrait. Le défendeur soutient que Mme Doe ne l’a jamais rappelé. En outre, le défendeur prétend que l’omission de le rappeler et le fait qu’il n’ait jamais été contacté relativement au manquement à ses obligations de payer en vertu de l’accord de règlement à l’amiable l’ont amené à croire que son remboursement de 18 000 $ avait été accepté comme règlement complet de sa dette et que par conséquent, la CCB avait fermé son dossier.

 

[15]           La question de savoir si le défendeur a contacté la CCB pour convenir d’arrangements pour le remboursement de l’avance après son défaut du 1er février 2002, sans recevoir de réponse, ne soulève pas de véritable question de fait qui pourrait permettre au défendeur d’établir une défense contre la demande de remboursement de la demanderesse. À moins que la demanderesse n’annule la dette, et n’y a pas de preuve que c’est le cas en l’espèce, la dette du défendeur demeure et la demanderesse a droit au remboursement. La croyance subjective du défendeur selon laquelle la CCB a fermé son dossier ne représente pas une défense à la demande de remboursement et partant elle ne soulève aucune véritable question litigieuse.

 

[16]           Ainsi, aucun des principes généraux établi par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Granville Shipping Co. n’empêcherait qu’on accorde un jugement sommaire en l’espèce : il n’y a pas de véritable question litigieuse à trancher; le succès de la demande est tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être instruite; il ne serait pas injuste d’accorder un jugement sommaire; et il n’y a aucune question de crédibilité nécessitant qu’un contre‑interrogatoire soit mené devant le juge des faits.

 

III.  Sommes dues et adjudication des dépens

 

[17]           Selon les termes de l’accord de règlement à l’amiable, le défendeur devait payer à la demanderesse 30 000 $ sans intérêts. Avant le défaut du défendeur en février 2002, il avait remboursé 18 000 $. La somme impayée due à la demanderesse était donc de 12 000 $.

 

[18]           La date du défaut est le 1er février 2002. Par conséquent, les intérêts avant jugement à payer sur la somme due entre la date du défaut et la date du jugement doivent être calculés au taux de 8 % par an, comme prévu à la clause 6 de l’accord de règlement :

 

[traduction] En cas de défaut du producteur de respecter les dispositions du présent accord, le producteur devra consentir à ce que sa Majesté obtienne jugement contre lui pour le montant du solde de sa dette totale due à la date du manquement, y compris les intérêts au taux de 8 % par an jusqu’à la date du jugement, le tout majoré des frais du jugement.

 

 

[Dossier de requête de la demanderesse, déclaration, annexe B, page 32]

 

En outre, conformément à l’article 3 de la Loi sur l’intérêt, L.R.C. 1985, ch. I‑15,  le défendeur doit payer à la demanderesse des intérêts après jugement au taux de 5 % par an à partir de la date du jugement.

 

[19]           Les honoraires et débours vont également être adjugés à la demanderesse en vertu du paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales, selon le tarif « B », pour la somme de 734,65 $.

 

 


JUGeMENT

La cour ordonne :

 

-                     La requête en jugement sommaire est accueillie en faveur de la demanderesse. La demanderesse va récupérer 12 000 $ plus 8 % d’intérêt par an à partir de la date du défaut, ainsi que des dépens pour une somme fixée à 734,65 $ et des intérêts après jugement au taux annuel de 5 % comme énoncé à l’article 3 de la Loi sur l’intérêt, L.R.C. 1985, ch. I‑15, calculés à partir de la date du jugement.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

 

Dossier :                                                                      T-729-05

 

intitulé :                                                                     sa majesté la reine

                                                                                          c.

                                                                                          DOUGLAS BERNARD

 

Lieu de l’audience :                                               Vancouver

                                                                                          (colombie‑britannique)

 

Date de l’audience :                                             le 31 août 2006

 

Motifs du jugement

et jugement :                                                             le juge Noël

 

DATE des motifs :                                                    le 7 septembre 2006

 

 

Comparutions :

 

Don Klaassen (Ministère de la Justice, Saskatoon)              pour la demanderesse

 

Douglas Bernard                                                                 pour le défendeur

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

John H. Sims, c.r.                                                               pour la demanderesse

Sous‑procureur général du Canada

 

Se représentant lui‑même                                                    pour le défendeur

 

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