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Date : 20060913

Dossier : IMM-396-06

Référence : 2006 CF 1087

Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

DARIO EDGARDO RODRIGUEZ MEJIA

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dario Edgardo Rodriguez Mejia, citoyen hondurien, a demandé l’asile au Canada parce qu’il craindrait un chef de gang connu sous le nom d’« El Fantasma » (le fantôme). La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que M. Mejia n’avait pas donné un témoignage crédible à l’appui de sa demande d’asile. La Commission est aussi arrivée à la conclusion que l’omission de celui-ci de solliciter l’asile alors qu’il vivait aux États-Unis était incompatible avec une crainte subjective de persécution au Honduras. 

 

 

 

[2]               M. Mejia sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission au motif que le commissaire en question lui aurait refusé l’équité procédurale à l’audience en l’interrogeant en premier. M. Mejia fait également valoir que la Commission a commis une erreur dans l’appréciation de sa crédibilité en tirant des conclusions de fait non fondées sur la preuve et en se livrant à une analyse excessivement minutieuse de son témoignage, faisant ainsi preuve d’un excès de zèle en vue de le discréditer.    

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis persuadée qu’il n’y a pas lieu de modifier la décision de la Commission. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

La norme de contrôle applicable

[4]               Le recours par la Commission à l’ordre inversé des interrogatoires met en jeu des questions d’équité procédurale. Il est donc inutile de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour établir la norme de contrôle qui s’applique en la matière. Il appartient plutôt à la Cour de déterminer si la procédure suivie dans une affaire donnée était équitable compte tenu des circonstances pertinentes : Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n0 2056, 2005 CAF 404, par. 52 et 53.

 

[5]               En ce qui concerne le fait que M. Mejia conteste les conclusions de la Commission relatives à sa crédibilité, la Cour suprême du Canada a récemment réitéré, dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40, que seules les conclusions de fait tirées par la Commission de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des pièces dont elle disposait peuvent être annulées. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. 

 

Les Directives no 7

[6]               Les parties conviennent qu’aucune objection n’a été soulevée avant l’audience du demandeur relative au statut de réfugié quant à l’ordre des interrogatoires à l’audience. De même, bien qu’un avocat ait représenté M. Mejia à l’audience, il ne s’est pas opposé à l’ordre des interrogatoires au début ou au cours de l’audience. C’est dans la demande d’autorisation de M. Mejia adressée à la Cour que cette question a été évoquée pour la première fois.   

 

[7]               Les arguments de M. Mejia sur l’ordre inversé des interrogatoires sont mal formulés, en ce sens qu’il s’appuie presque exclusivement sur la décision Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 8, 2006 CF 16, où le juge Blanchard de la Cour a statué que les Directives no 7 entravaient illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés.   

 

[8]               En outre, la Cour dispose de fort peu d’éléments de preuve laissant croire que M. Mejia souffre d’un trouble précis ou se trouve dans une situation qui le rend particulièrement vulnérable, et très peu d’éléments donnent à penser qu’il subirait bel et bien un préjudice du fait que la Commission l’a interrogé en premier.  

 

[9]               M. Mejia mentionne effectivement dans son affidavit : [TRADUCTION] « Étant donné mon faible niveau de scolarité, l’interrogatoire que j’ai subi m’a beaucoup intimidé, et j’estime que celui-ci a eu une incidence négative sur ma capacité de répondre aux questions ». Il importe de noter, cependant, que M. Mejia ne dit pas qu’il aurait été moins intimidé si son avocat l’avait interrogé en premier ou que l’ordre inversé des interrogatoires lui-même a fait en sorte qu’on lui a refusé une audience équitable. 

 

[10]           La Cour a rendu des décisions contradictoires sur la question de savoir si les termes apparemment péremptoires des Directives n0 7 entravent indûment le pouvoir discrétionnaire qu’ont les commissaire de la Section de la protection des réfugiés de permettre à l’avocat du demandeur d’interroger celui-ci en premier : voir tout particulièrement Thamotharem, précitée, et Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n0 631, 2006 CF 461. 

 

[11]           M. Mejia a défendu sa cause en se fondant uniquement sur la jurisprudence. Autrement dit, aucun dossier de preuve valable ne m’a été présenté dans le cadre de la présente demande qui me permette de décider moi-même si les Directives n0 7 ont entravé indûment le pouvoir discrétionnaire des commissaires. Il incombe à M. Mejia de prouver l’entrave du pouvoir discrétionnaire. Comme il ne l’a pas fait, je ne puis conclure que les Directives n0 7 entravent indûment le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés.

 

[12]           Qui plus est, même en supposant que j’accepte la conclusion à laquelle est arrivé le juge Blanchard dans Thamotharem relativement à l’entrave, M. Mejia reconnaît que, dans Benitez, le juge Mosley a statué que l’omission de s’opposer à l’ordre des interrogatoires lors d’une audience sur le statut de réfugié équivaut à une renonciation implicite à contester une quelconque inéquité procédurale. M. Mejia n’a fait valoir aucun argument pour contester la conclusion du juge Mosley à cet égard. En effet, M. Mejia reconnaît, semble-t-il, avoir renoncé à son droit de s’opposer à toute inéquité procédurale susceptible d’avoir découlé du recours, par la Commission, à l’ordre inversé des interrogatoires.

 

Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité étaient-elles manifestement déraisonnables?

[13]           La demande d’asile de M. Mejia repose principalement sur son allégation qu’il craint pour sa vie et celle des membres de sa famille parce qu’il a vu trois individus, dont le fantôme, fuir les lieux d’un meurtre. Bien qu’il n’ait pas vu lui-même quelqu’un atteindre par balle la victime, M. Mejia a témoigné devant la Commission qu’un garde de sécurité et d’autres personnes avaient été témoins de la fusillade.

 

[14]           M. Mejia a également déclaré qu’il n’avait pas signalé à la police ce qu’il a vu par peur pour sa sécurité et qu’il n’avait pas témoigné au procès du fantôme pour la même raison.   

 

[15]           La Commission n’a pas prêté foi au récit de M. Mejia, faisant remarquer que le fantôme avait été condamné pour le meurtre sur le fondement, peut-on présumer, du témoignage d’autres personnes. En de telles circonstances, la Commission a jugé que le fantôme n’aurait aucune raison de vouloir se venger de M. Mejia. 

 

[16]           Selon M. Mejia, la Commission a conclu à tort que le fantôme avait été déclaré coupable et condamné, soulignant que le fantôme aurait été mis en liberté au bout de deux ans seulement.   D’après les renseignements sur la situation au Honduras dont disposait la Commission, la peine prévue pour meurtre est de 20 à 30 ans d’emprisonnement. M. Mejia affirme donc que le fantôme n’aurait pas pu être incarcéré pour le meurtre en question.

 

[17]           Cet argument présente un problème : il est contredit par le propre témoignage de M. Mejia. Ce dernier a dit devant la Commission que le fantôme avait bel et bien été reconnu coupable du meurtre et condamné pour celui-ci et qu’il avait passé deux ans en prison. Par conséquent, on ne saurait qualifier de manifestement déraisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle le récit de M. Mejia n’était pas crédible.

 

[18]           C’est là la conclusion principale qui sous-tend la décision défavorable rendue par la Commission. La conclusion générale de celle-ci voulant que M. Mejia ait inventé son récit repose toutefois sur bien d’autres conclusions. À titre d’exemple, la Commission a fait observer que M. Mejia a témoigné que son épouse avait fui la résidence familiale à la suite de menaces, et ce, après avoir confié leurs enfants aux soins d’une autre famille. M. Mejia affirme cependant dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP)) que son épouse avait emmené leurs enfants avec elle lorsqu’elle a pris la fuite.

 

[19]           Il ressort des motifs de la Commission que le commissaire concerné a porté attention à l’explication fournie par M. Mejia pour justifier la contradiction mentionnée ci-dessus, mais qu’il l’a rejetée. Je ne saurais dire que la conclusion de la Commission à cet égard était manifestement déraisonnable.

 

[20]           La Commission a aussi décidé de ne pas attribuer une grande valeur probante à l’affidavit établi par un avocat hondurien que M. Mejia avait censément consulté au sujet de sa situation. L’affidavit indique que celui-ci a demandé à l’avocat de l’aider à se protéger contre le fantôme et sa bande. Selon l’avocat, M. Mejia avait besoin de protection parce qu’il avait signalé à la police le meurtre commis par le fantôme et qu’il avait témoigné pour le compte de la police, entrainant ainsi l’incarcération du fantôme.  

 

[21]           Cette description du rôle joué par M. Mejia est entièrement incompatible avec son propre témoignage dans lequel il niait avoir eu affaire avec la police dans ce dossier ou avoir témoigné contre le fantôme relativement au meurtre. Il était donc tout à fait raisonnable que la Commission accorde une faible valeur probante à l’affidavit.

 

[22]           Enfin, la Commission a conclu que le défaut de M. Mejia de demander l’asile au cours des 15 mois durant lesquels il a vécu illégalement aux États-Unis avant de venir au Canada est incompatlbie avec sa crainte subjective de persécution. La Commission est arrivée à cette conclusion après avoir examiné et rejeté les explications données par M. Mejia pour justifier son omission d’avoir demandé l’asile aux États-Unis; la Commission n’a commis aucune erreur à cet égard.    

 

[23]           Je n’entends pas passer en revue chacune des autres conclusions de la Commission contestées par M. Mejia. Il suffit de dire que, considérés équitablement dans leur ensemble, les motifs de la Commission révèlent que sa conclusion générale selon laquelle M. Mejia manquait de crédibilité est raisonnable et abondamment fondée sur la preuve dont elle disposait.

 

[24]           Je n’accepte pas non plus la prétention de M. Mejia voulant que les conclusions défavorables de la Commission en matière de crédibilité soient fondée sur un examen trop approfondi de la preuve ainsi que sur un excès de zèle en vue de le discréditer. La Commission a bel et bien tiré des conclusions négatives sur certaines questions accessoires, mais plusieurs de ses autres conclusions négatives avaient trait à des aspects fondamentaux de la demande d’asile de M. Mejia, et elle étaient largement appuyées par la preuve. 

 

Conclusion

[25]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Certification

[26]           Puisque la Cour d’appel fédérale est maintenant saisie d’un grand nombre de questions relatives au caractère équitable des Directives no 7 et de l’ordre inversé des interrogatoires, M. Mejia m’a demandé de certifier à nouveau trois des questions certifiées par le juge Mosley dans la décision Benitez.

 

[27]           Le défendeur ne fait pas valoir avec insistance qu’il n’y a pas lieu de certifier les questions proposées par M. Mejia. Après avoir examiné soigneusement ce point, je suis persuadée que certains aspects des arrêts rendus par la Cour d’appel fédérale dans Benitez et Thamotharem permettent de trancher la présente espèce. Il convient donc de certifier les questions soumises par M. Mejia.  


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les questions suivantes seront certifiées :

 

            1.         La mise en oeuvre des Directives no 7 a-t-elle entravé le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Commission?

 

            2.         Les Directives no 7 vont-elles à l’encontre de la justice naturelle en portant atteinte à l’indépendance des commissaires de la Commission?

 

            3.         Si les Directives no 7 et la procédure qu’elles établissent portent atteinte à la justice naturelle et à la justice fondamentale, le demandeur d’asile peut-il renoncer implicitement, d’une quelconque façon, à s’opposer à l’atteinte, notamment en ne s’opposant pas à la procédure d’interrogatoire?

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-396-06

 

INTITULÉ :                                       DARIO EDGARDO RODRIGUEZ MEJIA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET DU JUGEMENT :                       LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 13 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacques Despatis                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

Gregory Tzemenakis                                                      POUR LE DÉFENDEUR                                                      

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jacques Despatis                                                          POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                       

Ottawa (Ontario)

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