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Date : 20060908

 

Dossier : T-1029-92

Référence : 2006 CF 1079

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

JOSEPHINE E. MARSHALL

demanderesse

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

et LE SYNDICAT DES EMPLOYÉS DE LA FONCTION PUBLIQUE

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Le 19 janvier 2006, les requêtes en jugement sommaire présentées par les défendeurs ont été accordées, entraînant le rejet de l’action introduite par Josephine E. Marshall (la demanderesse) contre Sa Majesté la Reine (la Couronne défenderesse), ainsi que contre l’Alliance de la fonction publique du Canada et le Syndicat des employés de la fonction publique (les syndicats défendeurs). Par ailleurs, la déclaration modifiée de la demanderesse a été radiée. Conformément à l’ordonnance de la Cour, les défendeurs et la demanderesse ont déposé des observations sur les dépens.

FAITS PERTINENTS

[2]               La demanderesse a introduit l’instance en 1992, en demandant un jugement déclaratoire et des dommages-intérêts dans le cadre de l’emploi qu’elle a occupé dans la fonction publique fédérale entre 1972 et 1986. Elle alléguait un congédiement injustifié, des blessures subies sur son lieu de travail, un stress résultant de mauvais traitements et des problèmes de santé soi­­-disant liés à son emploi. La demanderesse était, à toutes les époques pertinentes, membre des syndicats défendeurs et ses conditions d’emploi étaient régies par une convention collective.

 

[3]               La Cour a estimé que les demandes de la demanderesse relevaient à juste titre de la procédure de règlements des griefs prescrite par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, et qu’elle n’avait pas à exercer sa compétence résiduelle dans cette affaire. 

 

ANALYSE RELATIVE AUX DÉPENS

[4]               Les articles 400 à 422 des Règles traitent de la question des dépens dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire et des actions en justice. Le paragraphe 400(1) des Règles prévoit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. Le paragraphe 400(3) des Règles énumère une longue liste de facteurs pouvant être pris en compte par la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. La Cour n’est toutefois pas limitée par cette liste de facteurs. Le paragraphe 400(3) des Règles prévoit ce qui suit :

400. (3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

a) le résultat de l’instance;

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

d) le partage de la responsabilité;

e) toute offre écrite de règlement;

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

g) la charge de travail;

h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299;

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

 

400. (3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(a) the result of the proceeding;

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

(c) the importance and complexity of the issues;

(d) the apportionment of liability;

(e) any written offer to settle;

(f) any offer to contribute made under rule 421;

(g) the amount of work;

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and

(o) any other matter that it considers relevant.

 

 

Circonstances particulières

[5]               La demanderesse déclare qu’elle est une femme célibataire, âgée et disposant de revenus modestes. Elle vit seule et sa pension de retraite constitue son unique source de revenus. Elle fait valoir qu’une adjudication des dépens contre elle minerait considérablement sa capacité à assurer sa subsistance et lui causerait un préjudice abusif. Elle fait également remarquer qu’elle ne dispose d’aucun moyen raisonnable de payer des dépens élevés auxquels elle serait condamnée et qu’une telle adjudication des dépens découragerait l’accès à la justice par d’autres demandeurs individuels aux revenus limités.

 

[6]               Les syndicats défendeurs font remarquer qu’en dépit de ses inquiétudes liées aux dépens, la demanderesse a fait appel du jugement de la Cour. Les syndicats défendeurs soulignent également qu’il est tout à fait incohérent de la part de la demanderesse d’exiger des défendeurs qu’ils assument la charge de ses procédures alors qu’elle continue à plaider ces affaires dès qu’elle en a la possibilité.

 

[7]               Comme l’ont indiqué les syndicats défendeurs, la Cour a déjà rendu de nombreuses ordonnances d’adjudication des dépens contre la demanderesse dans le cadre de l’instance. La Cour n’a pas accepté les circonstances particulières alléguées par la demanderesse pour justifier le refus d’accorder les dépens dans ces affaires. Je suis d’accord avec les syndicats défendeurs et je ne vois aucune raison d’appliquer un raisonnement différent en l’espèce.

 

Incapacité

[8]               Contrairement aux prétentions de la Couronne, la demanderesse fait valoir qu’elle n’a jamais été réticente à porter son affaire devant les tribunaux. Elle prétend que l’affaire a parfois été retardée du fait principalement qu’elle assurait sa propre défense, qu’elle avait souvent des problèmes de santé et qu’elle était sous le coup d’une incapacité légale touchant ses facultés cognitives (ce qui a finalement conduit la Cour à lui ordonner de retenir les services d’un avocat).

 

[9]               Les syndicats défendeurs font valoir que la Cour n’a pas ordonné à la demanderesse de retenir les services d’un avocat en raison de son incapacité légale. Dans une ordonnance datée du 20 août 2003 exigeant de la demanderesse qu’elle nomme un avocat au dossier dans cette instance, la Cour a conclu :

[traduction]

En fait, il m'est impossible de calculer ou d'établir, sur la foi de ces éléments, l'ampleur ou la nature de l'incapacité de Mme Marshall ou de déterminer si elle n'a pas la capacité d'ester en justice au sens des articles 115 ou 121 des Règles de la Cour fédérale (1998). Force m'est de conclure qu'elle n'est pas en mesure d'agir pour son propre compte en justice sans l'aide d'un avocat et sans continuer de faire subir aux défendeurs un préjudice qui s'aggrave avec le temps.

 

[10]           D’après les syndicats défendeurs, il découle de ce qui précède que la demanderesse devait retenir les services d’un avocat car c’était la seule façon de garantir la poursuite de l’instance dans un délai raisonnable. Ce n’est pas, contrairement aux allégations de la demanderesse, parce qu’elle se trouvait sous le coup d’une incapacité légale.

[11]           À l’appui de leurs prétentions, les syndicats défendeurs font remarquer que, par avis de requête daté du 2 septembre 2003, la demanderesse a expressément demandé une ordonnance enjoignant à un avocat de la représenter au motif qu’elle était sous le coup d’une incapacité légale. Ce faisant, la demanderesse cherchait à s’appuyer sur l’article 121 des Règles. Cependant, par ordonnance du 29 septembre 2003, la Cour a rejeté cette requête au motif que la demanderesse n’avait pas respecté l’ordonnance antérieure de la Cour lui enjoignant de présenter toute nouvelle requête par le truchement de son avocat nommé en bonne et due forme.

 

[12]           J’abonde dans le sens des syndicats défendeurs et je confirme que la Cour n’a pas rendu d’ordonnance exigeant de la demanderesse qu’elle retienne les services d’un avocat du fait de sa prétendue incapacité.

 

Retard

[13]           D’après la Couronne défenderesse, l’alinéa 400(3)i) des Règles indique clairement que le retard peut entrer en ligne de compte pour le calcul des dépens. La Couronne défenderesse reconnaît que la prolongation de l’instance a été très coûteuse pour elle en frais de défense. Dès lors, la Couronne estime que la Cour devrait tenir compte du retard dans l’évaluation des dépens.

 

[14]           La demanderesse allègue que l’action n’a pas été rejetée en raison d’un quelconque retard. En réalité, l’action a été rejetée en raison d’une question de compétence soulevée par les défendeurs à la suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vaughan c. Canada, [2005] A.C.S. n° 12 (Vaughan), en février 2005. D’après la demanderesse, n’eût été cette décision, l’instance aurait suivi son cours. La lente progression de l’instance a permis aux défendeurs de réussir à faire rejeter l’action par voie de jugement sommaire sur la base d’une jurisprudence récente, leur évitant du même coup d’avoir à engager des frais pour assurer leur défense et de voir une ordonnance être prononcée contre eux.

 

[15]           Les syndicats défendeurs prétendent que la possibilité d’opposer le défaut de compétence à l’action de la demanderesse existait bien avant la décision Vaughan. À cet égard, les syndicats défendeurs s’appuient sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l'Alliance de la Fonction publique, [1990] A.C.S. n° 55 (Gendron).

 

[16]           Que la décision de la Cour soit fondée sur une jurisprudence récente ou sur une décision de 1990, l’instance dure en l’espèce depuis plus de 13 ans. On ne compte plus les retards dans cette affaire, retards qui ont donné lieu à de nombreux examens de l'état de l’instance, à des requêtes en prorogation de délai, à des directives et conférences sur la gestion de l’instance, tout cela dans le but de faire avancer l’affaire. Tous ces éléments ont taxé les ressources de la Cour et ont occasionné aux défendeurs des frais importants.

 

[17]           Les syndicats défendeurs allèguent, et j’en conviens, que ces frais ont été engagés en raison du défaut par la demanderesse d’accorder suffisamment d’importance à la poursuite de son action. Dès lors, j’en conclus que l’adjudication des dépens devrait prendre en compte et refléter ces nombreux retards.

 

Offres écrites

[18]           La Couronne défenderesse indique avoir tenté à deux reprises de parvenir à un règlement avec la demanderesse. La première offre a été proposée dans le cadre d’une conférence de règlement des litiges présidée par la protonotaire Aronovich qui a eu lieu les 24 et 25 mai 2000. La seconde offre de règlement a été formulée par écrit le 2 février 2005. À ces deux occasions, la Couronne a proposé un montant global de 30 000 $. Les deux offres ont été rejetées sommairement par la demanderesse. À la suite de leur rejet par la demanderesse, ces offres ont été retirées. D’après la Couronne défenderesse, le rejet de ces offres de compromis était déraisonnable.

 

[19]           S’agissant des prétentions de la Couronne à propos des offres écrites, la demanderesse fait valoir qu’étant donné la révocation des offres par la Couronne, cette question n’a aucune pertinence. De plus, eu égard à la nature de sa demande, la demanderesse soutient que le montant proposé était déraisonnablement bas.

 

[20]           Dans l’arrêt Francosteel Can. Inc. c. African Cape (L’), 2003 CAF 119, la Cour d’appel fédérale a établi qu’une offre de règlement non visée par l’article 420 des Règles aurait tout de même dû être prise en compte aux fins de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’adjudication des dépens prévu par l’article 400 des Règles. Même si en l’espèce les offres ont été révoquées à la suite du refus de la demanderesse, elles doivent néanmoins être prises en considération dans l’évaluation des dépens.

 

Débours

[21]           D’après la demanderesse, les syndicats défendeurs n’avaient aucune raison de ne pas recourir aux services d’un avocat de la section locale, du moins pour la requête en jugement sommaire. Par ailleurs, les défendeurs ont invoqué à peu près la même thèse et l’affaire n’était pas particulièrement compliquée. Par conséquent, les défendeurs ne devraient pas se voir accorder de dépens au titre des débours.

 

[22]           Les syndicats défendeurs répondent que l’affaire était plus importante et plus complexe que ne veut bien le reconnaître la demanderesse. Ils font remarquer que l’action se fondait sur les nombreux aveux faits par la demanderesse au cours des interrogatoires préalables. L’obtention de ces aveux était nécessaire car la nature ou le fondement de la responsabilité alléguée ne ressortaient pas toujours clairement de la déclaration de la demanderesse. Les preuves recueillies dans le cadre de l’interrogatoire préalable constituent un élément essentiel de la requête des syndicats défendeurs. Dès lors, les défendeurs soutiennent que rien ne les empêche de réclamer les frais engagés pour les interrogatoires préalables.

 

[23]           Contrairement aux affirmations de la demanderesse, les syndicats défendeurs font valoir que leur position ne s’appuyait pas sur les mêmes arguments que ceux de la Couronne. Selon eux, leur position se fondait sur un enjeu distinct, à savoir que la demanderesse reproche aux syndicats d’avoir violé leur obligation de représentation équitable, question qui aurait dû être examinée par une autre instance. En fait, l’un des motifs d’appel invoqués par la demanderesse est précisément que la Cour ne s’est pas penchée sur les arguments des syndicats. Les syndicats défendeurs soutiennent – et je partage leur avis – que la demanderesse ne peut adopter une telle position en appel et en même temps prétendre que les parties ont fait le même travail.

 

[24]           J’estime qu’il était raisonnable pour les syndicats défendeurs d’avoir eu recours à un avocat d’Ottawa étant donné que leur bureau central s’y trouvait. Par ailleurs, comme l’ont fait remarquer les syndicats défendeurs, nombre des principaux représentants syndicaux avec lesquels la demanderesse a traité pendant cette période se trouvaient à Ottawa.

 

Conclusion

[25]           J’en conclus que les défendeurs doivent se voir accorder les dépens conformément à la colonne médiane (III) du tarif B.

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

Les défendeurs se voient accorder les dépens conformément à la colonne médiane (III) du tarif B.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1029-92

 

INTITULÉ :                                       Josephine E. Marshall c. Sa Majesté la Reine, l’Alliance de la fonction publique du Canada et le Syndicat des employés de la fonction publique

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Halifax (N.-É.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er novembre 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Blais

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 septembre 2006

 

COMPARUTIONS :

Kenneth MacLean

 

POUR LA DEMANDERESSE

James Gulvaldsen-Klaassen

 

 

David Yazbeck

 

POUR LA COURONNE

DÉFENDERESSE

 

POUR LES SYNDICATS

DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kenneth MacLean

Boyne Clarke

Halifax (N.-É.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Halifax (N.-É.)

 

David Yazbeck

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP

Ottawa (ON)

POUR LA COURONNE

DÉFENDERESSE

 

 

POUR LES SYNDICATS

DÉFENDEURS

 

 

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