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Date : 20060918

Dossier : IMM-1293-06

Référence : 2006 CF 1103

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

RAJESH NAIDU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans la présente instance, Rajesh Naidu conteste une décision relative à un examen des risques avant renvoi (ERAR) rendue le 21 février 2006. Dans cette décision, l’agent d’ERAR a conclu que M. Naidu ne serait exposé à aucun risque s’il était obligé de retourner aux îles Fidji, son pays d’origine.

 

[2]               Le seul motif qu’invoque M. Naidu pour contester la décision relative à l’ERAR est que l’agent d’ERAR aurait omis d’évaluer l’intérêt supérieur de son jeune enfant né au Canada.

L’historique

[3]               M. Naidu a été admis au Canada à titre de résident permanent en 1983. En raison d’une condamnation au criminel pour trafic de cocaïne en 2001, il a fait l’objet d’une enquête de la part de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), à Edmonton, le 11 septembre 2002. La Commission a déclaré M. Naidu interdit de territoire pour grande criminalité et une mesure d’expulsion a été prise contre lui.

 

[4]               M. Naidu a exercé son droit d’appel à l’encontre de la décision d’expulsion susmentionnée et a obtenu, dans une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) le 15 août 2003, un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure d’expulsion.

 

[5]               La SAI a en partie fondé sa décision sur des motifs d’ordre humanitaire et elle a particulièrement tenu compte des besoins de l’épouse et du jeune fils de M. Naidu. Toutefois, comme condition au sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, M. Naidu devait ne pas troubler l’ordre public, observer une bonne conduite et ne commettre aucune autre infraction.

 

[6]               Le sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion accordé par la SAI à M. Naidu était un accommodement généreux parce que, jusque là, celui‑ci avait fait l’objet de nombreuses condamnations au criminel. Le dossier révèle que, entre 1992 et le début de 2003, M. Naidu a été déclaré coupable relativement à 15 chefs d’accusation criminelle, notamment de vol, de violence conjugale, de trafic, d’obstruction, d’ivresse au volant et de conduite pendant l’interdiction.

 

[7]               Malgré les conditions relatives au sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, M. Naidu n’a pas cessé de se livrer à des activités criminelles. En raison d’un mandat non exécuté délivré par la Cour provinciale de l’Alberta pour l’arrestation de M. Naidu, un agent d’audience a demandé que l’on fasse un examen de la décision relative au sursis. M. Naidu ne s’est pas présenté à l’audience du 18 mai 2004 qui avait été fixée par la SAI, et, le 21 avril 2005, le sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion qui lui avait été accordé a été annulé.

 

[8]               M. Naidu a affirmé par affidavit que c’est involontairement qu’il ne s’est pas présenté à l’audience en révision fixée par la SAI. En dépit du fait que le dossier montre clairement que M. Naidu a été condamné au criminel à Edmonton en 2005 pour conduite pendant l’interdiction et défaut de comparaître, celui‑ci a également affirmé dans son affidavit qu’il [traduction] « ne s’était livré à aucune autre activité criminelle ».

 

[9]               Comme l’expulsion de M. Naidu du Canada était prévue pour le 13 mars 2006, celui‑ci a demandé un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion. Cette requête a été rejetée par ordonnance du juge Sean Harrington le 10 mars 2006. M. Naidu se trouve présentement aux îles Fidji. Rien au dossier n’indique que M. Naidu a demandé à demeurer au Canada ou à revenir au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

[10]           M. Naidu a présenté une demande d’ERAR le 28 janvier 2006. Celle‑ci comprenait très peu de renseignements utiles. La demande d’asile de M. Naidu ne comprenait que la brève déclaration suivante :

[traduction]

 

J’aimerais demeurer au Canada parce que j’y habite depuis plus de 20 ans. J’ai une femme que j’ai épousée aux îles Fidji en 1990. J’ai un fils qui est âgé de 13 ans. Il est né à Edmonton.

 

 

La décision relative à l’ERAR

[11]           En ce qui concerne la question du risque, l’agent d’ERAR a examiné la situation qui règne aux Îles Fidji et a conclu avec raison que M. Naidu n’avait aucun motif de craindre de retourner aux îles Fidji. En effet, il a souligné que M. Naidu n’avait fait valoir l’existence d’aucun risque qu’une personne ou qu’un groupe de personnes aux îles Fidji s’en prenne à lui. Il ressort également de la décision de l’agent d’ERAR que, selon lui, les motifs d’ordre humanitaire invoqués par M. Naidu n’étaient pas appropriés ou ne constituaient pas des considérations nécessaires dans le cadre d’un ERAR; à l’appui de cette affirmation, il a renvoyé aux décisions suivantes : Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2005] A.C.F. no 1470, 2005 CF 1193; Thambirajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2004] A.C.F. no 91, 2004 CF 77.

 

Les questions en litige

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce?

2.         Quand, s’il y a lieu, un agent d’ERAR doit‑il tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant comme d’un élément essentiel de son appréciation?

L’analyse

[12]           La question de savoir si un agent d’ERAR est oui ou non tenu par la loi de tenir compte de l’intérêt supérieur d’un enfant touché par l’expulsion d’un parent est une question de droit ou de compétence et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. La question de savoir si un demandeur a présenté une preuve suffisante pour faire naître une telle obligation soulève d’ordinaire une question mixte de fait et de droit à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable : voir Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 272 FTR 62, 2005 CF 437.

 

[13]           M. Naidu s’appuie fortement sur la décision rendue par le juge Roger Hughes dans Varga  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2005] A.C.F. no 1570, 2005 CF 1280 dans laquelle il a décidé que l’intérêt supérieur de l’enfant touché doit être pris en compte dans le contexte d’un ERAR visant un parent. Il ne fait aucun doute que la décision Varga étaye l’argument de M. Naidu. Le juge Hughes a affirmé ce qui suit au paragraphe 17 de cette décision : « Même s'il ne s'agit pas d'un facteur déterminant, il faut tenir compte de l'intérêt de ces enfants et lui accorder un certain poids dans une demande d'évaluation et encore plus lorsque l'agent de renvoi exécute son mandat ». Bien que la décision Varga fasse l’objet d’un appel, aucune décision n’a été rendue par la Cour d’appel.

 

[14]           L’avocat du défendeur prétend que la décision Varga est erronée et que, quoi qu’il en soit, il affirme que je devrais appliquer l’autre jurisprudence dans laquelle on a décidé que les motifs d’ordre humanitaire ne doivent pas être pris en compte dans le cadre d’un ERAR. Le défendeur invoque les décisions suivantes : Covarrubias, susmentionnée, Thambirajah, susmentionnée, Sherzady c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2005] A.C.F. no 638, 2005 CF 516; El Ouardi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 C.A.F. 42, ainsi que la récente décision rendue par le juge Richard Mosley dans Alabadleh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2006] A.C.F. no 913, 2006 CF 716.

 

Les décisions Alabadleh et Sherzady, susmentionnées, comprennent des énoncés beaucoup plus clairs que ceux qui figurent dans Varga. Les autres décisions susmentionnées sont moins convaincantes. Dans Covarrubias, il était question de soins de santé et il n’était pas question de l’intérêt supérieur de l’enfant. Thambirajah est une décision qui a été rendue par le juge Michel Shore dans le contexte d’une requête visant à obtenir le sursis d’une mesure d’expulsion. L’application de déclarations faites dans l’exercice de cette compétence particulière à d’autres procédures comporte certains risques. En conséquence, j’estime que Thambirajah ne possède pas une grande valeur de précédent par rapport à Varga. De même, la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt El Ouardi, susmentionné, donne à penser qu’il ne convient d’ordinaire pas d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant touché dans le cadre d’un ERAR, mais, cependant, cette décision laisse planer un certain doute sur ce point car le juge affirme ce qui suit : « […] je ne suis pas convaincu que, dans les circonstances de l'espèce, l'examen des risques était le bon forum pour examiner l’intérêt supérieur de l’enfant » [Non souligné dans l’original.] (voir le paragraphe 10).

 

[15]           Tout récemment, cette question a été soumise au juge Eleanor Dawson dans Ammar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1041. Après avoir effectué un examen approfondi de la jurisprudence ainsi que des dispositions législatives applicables, la juge Dawson a statué au paragraphe 16 que « l’intérêt supérieur d’enfants canadiens n’est pas évalué dans le cadre d’une demande d’ERAR ».

 

[16]           Le raisonnement suivi dans les décisions Alabadleh, Ammar et Sherzady, susmentionnées, me semble plus convaincant et, par conséquent, je refuse, en toute déférence, d’appliquer la décision Varga. L’évaluation des risques envisagée par l’article 12 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 n’est tout simplement que cela, c’est‑à‑dire une évaluation des risques concernant la personne susceptible d’être expulsée. Il existe d’autres moyens d’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant à charge touché par l’expulsion d’un parent ou d’un tuteur ou, comme l’a déclaré le juge John Evans au paragraphe 105 de l’arrêt De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 C.A.F. 436 : « […] il n'est pas obligatoire que chaque disposition d'un texte législatif puisse satisfaire au critère de "l'intérêt supérieur de l'enfant" lorsqu'une autre disposition exige un examen attentif de cet intérêt ».

 

[17]           Malgré les points de vue différents sur cette question, il ressort clairement de la jurisprudence qu’un demandeur doit présenter une preuve suffisante pour qu’on exerce le pouvoir discrétionnaire en matière de motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, M. Naidu n’a manifestement pas réussi à s’acquitter de ce fardeau. Il ne suffit pas de déclarer que l’intérêt d’un enfant sera affecté par une mesure d’expulsion parce qu’il en est rarement autrement. Ce qui est exigé, c’est une preuve claire et convaincante de l’incidence probable qu’aura une mesure d’expulsion sur un enfant touché. Cette preuve comprend généralement la preuve de l’existence de vulnérabilités personnelles ou économiques toutes particulières ou de liens tous particuliers entre le parent et l’enfant ou, lorsque l’enfant quitte également le Canada, la preuve d’un désavantage important qui en découle ou du risque que cela présente pour l’enfant.

 

[18]           En l’espèce, l’agent d’ERAR ne disposait de rien d’autre que de « la simple énonciation de renseignements de base » (voir Alabadleh, paragraphe 18). L’agent d’ERAR n’est pas obligé de faire d’autres enquêtes ou de faire essentiellement la preuve d’un demandeur. Ce point a été tranché de façon définitive dans la décision Alabadleh, susmentionnée, ainsi que dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2004] A.C.F. no 158, 2004 C.A.F. 38, où le juge a décidé ce qui suit au paragraphe 8 :

Le demandeur qui invoque des raisons d'ordre humanitaire n'a pas un droit d'être interviewé ni même une attente légitime à cet égard. Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c'est à ses risques et périls qu'il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. Selon nous, dans sa demande pour des raisons humanitaires, M. Owusu n'a pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l'intérêt supérieur de ses enfants de manière à ce que l'agente n'ait d'autre choix que d'en tenir compte.

 

 

[19]           Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire de M. Naidu ne peut pas être accueillie.

 

[20]           Les parties ont convenu que, à moins que l’appel interjeté à l’encontre de la décision Varga ne soit déterminant quant à l’issue de la présente instance, aucune question à certifier ne sera soumise. Comme j’ai décidé que M. Naidu ne peut pas avoir gain de cause pour un motif autre que le jugement qui a été rendu dans la décision Varga, je confirme que la présente instance ne soulève aucune question de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de M. Naidu soit rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1293-06

 

INTITULÉ :                                                   RAJESH NAIDU

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                                        DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin E. Moore                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Rick Garvin                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Kevin E. Moore Law Office                             POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (AB)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

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