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Date : 20060919

Dossier : IMM-6280-05

Référence : 2006 CF 1108

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

PERPARIM HAMZAI

FATIME GURI

 

demandeurs

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

MISE EN CONTEXTE

 

[1]       [...]    L'avocat de l'intimé admet que l'agent des visas s'est montrée insistante lorsqu'elle a interrogé les requérants et qu'elle a pu devenir agacée devant les réponses qu'elle recevait, mais il n'a pas reconnu l'usage de la terminologie reflétée dans les notes précitées. Je ne vois aucun motif me permettant de conclure que les requérants éprouvaient une crainte raisonnable de partialité en raison du ton et du contenu de leur entrevue, le 5 janvier 1995. Si l'agent des visas a réellement employé le vocabulaire qu'on lui reproche, c'est malheureux. Cependant, même si l'on présume que ce fut le cas, je ne suis pas convaincu que cela justifierait une crainte raisonnable de partialité.

 

(Khakoo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1533 (QL).)

CONTEXTE

[2]        La Cour est saisie d'une demande présentée par les demandeurs en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision en date du 30 septembre 2005 par laquelle une fonctionnaire de l'immigration (l'agente chargée d'examiner les considérations d'ordre humanitaire ou l'agente CH) a rejeté leur demande d'exemption pour considérations humanitaires qui auraient permis le traitement au Canada de leur demande de résidence permanente (la demande CH).

 

RAPPEL DES FAITS

[3]        Le demandeur, M. Perparim Hamzai, est un homme de 38 ans originaire de l'Albanie. Il a quitté l'Albanie et est arrivé au Canada le 17 juin 2001 par Windsor (Ontario). À l'époque, il a présenté une demande d'asile qui a été refusée le 18 mars 2003. Il a également fait l'objet le 8 avril 2004 d'une décision défavorable en réponse à sa demande d'évaluation des risques avant le renvoi (ERAR).

 

[4]        La demanderesse, Mme Fatime Guri, est une femme de 32 ans originaire de l'Albanie. Elle a quitté l'Albanie et est arrivée au Canada le 21 juin 2001 par Windsor (Ontario). À l'époque, elle a présenté une demande d'asile qui a été refusée le 25 février 2003. Mme Guri a également fait l'objet le 27 septembre 2004 d'une décision défavorable à la suite de sa demande d'évaluation des risques avant le renvoi (ERAR).

 

[5]        M. Hamzai et Mme Guri se sont rencontrés au Canada et ont donné naissance au Canada à un enfant né le 30 mars 2003, Martin Hamzai. Ils se sont épousés à Toronto (Ontario) le 17 août 2003.

[6]        Les demandeurs ont déposé leur demande CH à l'automne 2003. En janvier 2005, Citoyenneté et Immigration Canada leur a réclamé de plus amples précisions. Avant l'expiration du délai prévu pour la présentation de ces observations, leur demande a été rejetée.

 

[7]        Vers la même époque, le renvoi des demandeurs aux États-Unis a été fixé à mars 2005.

 

[8]        Le défendeur a consenti au règlement de la demande d'autorisation et d'annulation de la décision et il a renvoyé l'affaire pour qu'elle soit réexaminée par un autre agent CH en tenant compte de la demande de résidence permanente.

 

[9]        Les demandeurs se sont par conséquent désistés de la demande qu'ils avaient introduite devant la Cour fédérale.

 

[10]      En avril 2005, M. Hamzai et Mme Guri ont soumis d'autres observations, dans lesquelles ils insistaient sur l'intérêt supérieur de l'enfant né au Canada et sur l'intégration de la famille au Canada.

 

[11]      Au début de juillet 2005, M. Hamzai et Mme Guri ont été convoqués à une entrevue qui devait avoir lieu le 26 juillet 2005. Un formulaire d'avis réclamant des renseignements complémentaires était joint à cette lettre. Ils devaient présenter ces renseignements complémentaires à l'entrevue, qui avait pour objet le réexamen de leur demande.

 

[12]      Le 30 septembre 2005, la demande CH de M. Hamzai de Mme Guri a été rejetée. C'est la décision que la Cour est appelée à examiner.

 

LA DÉCISION À L'EXAMEN

[13]      Dans sa lettre du 30 septembre 2005, l'agente CH a conclu que M. Hamzai et Mme Guri n'avaient pas réussi à démontrer, sur le fondement de leur dossier, qu'il existait des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier de les dispenser des exigences législatives habituelles en matière d'immigration.

QUESTIONS EN LITIGE

[14]      Voici les questions en litige dans la présente affaire :

1.      L'agente CH a-t-elle mal apprécié l'ensemble de la preuve?

2.      L'agente CH a-t-elle mal apprécié les facteurs CH, et plus précisément le degré d'établissement de M. Hamzai et de Mme Guri au Canada ainsi que l'intérêt supérieur de leur enfant né au Canada?

3.      Les agissements de l'agente CH suscitent-ils une crainte raisonnable de partialité?

 

NORME DE CONTRÔLE

[15]      Il n'est pas nécessaire de recourir à l'analyse pragmatique et fonctionnelle lorsque la Cour examine des allégations de déni de justice naturelle ou de manquement à l'équité procédurale (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29). En ce qui concerne les questions d'équité procédurale, la norme applicable est celle de la décision correcte. Le rôle de la juridiction saisie d'une demande de contrôle judiciaire consiste à examiner les faits de l'affaire pour déterminer si le tribunal administratif en question a respecté l'obligation d'agir équitablement à laquelle il était soumis. Si la Cour arrive à la conclusion que, par ses agissements, le tribunal administratif a manqué à la justice naturelle ou à l'équité procédurale, elle n'est pas tenue de faire montre de déférence et elle doit annuler la décision du tribunal (Ren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 766, [2006] A.C.F. no 994 (QL), au paragraphe 8).

 

[16]      La norme de contrôle applicable aux décisions des agents CH en ce qui concerne les demandes CH a fait l'objet d'une analyse pragmatique et fonctionnelle dans de nombreuses décisions. La norme appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.F. no 39 (QL), aux paragraphes 57 à 62).

 

Principes généraux du régime CH

 

[17]      Le paragraphe 11(1) de la LIPR oblige tout étranger qui souhaite obtenir la résidence permanente au Canada à obtenir un visa préalablement à son entrée au Canada.

 

[18]      Toutefois, le ministre peut dispenser un étranger de cette obligation s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient (LIPR, paragraphe 25 (1)).

 

[19]      Une décision fondée sur des considérations d'ordre humanitaire constitue une mesure d'exception, discrétionnaire par surcroît. L'existence d'une demande fondée sur des considérations humanitaires constitue un moyen additionnel et spécial d'obtenir une dispense d'application des lois canadiennes sur l'immigration, lesquelles sont par ailleurs d'application universelle (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 457 (QL), au paragraphe 15).

 

[20]      C'est donc au demandeur qu'il incombe de convaincre l'agent de l'existence de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier une décision favorable. La décision du fonctionnaire de l'immigration de ne pas recommander au ministre d'accorder la dispense prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR n'enlève aucun droit à l'intéressé et ne l'empêche pas de présenter à l'étranger une demande de résidence permanente au Canada.

 

[21]      L'agent conclut à l'existence de raisons d'ordre humanitaire si le demandeur réussit à le convaincre que, vu sa situation, l'obligation, dont il demande d'être dispensé, de présenter sa demande de visa hors du Canada, selon la procédure normale, lui causerait « des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » (Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1906 (QL); Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 937, [2002] A.C.F. no 1222 (QL)).

 

[22]      Il est de jurisprudence constante que les difficultés causées au demandeur doivent être plus sévères que les simples inconvénients ou coûts prévisibles qu'entraînerait son départ du Canada, tels que la vente d'une maison ou d'une voiture ou le fait de devoir se séparer de membres de sa famille ou de ses amis (Irimie, précité, aux paragraphes 12 et 17; Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 953 (QL), au paragraphe 7; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 7, [2001] A.C.F. no 139 (QL), au paragraphe 14).

 

[23]      La norme de contrôle applicable aux décisions CH est celle de la décision raisonnable simpliciter. La Cour suprême a conclu que, dans le cas des décisions CH, cette norme commande un degré de retenue élevé :

[…] Il faut faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions des agents d'immigration qui exercent les pouvoirs que leur confère la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception dans le régime législatif, du fait que le décideur est le ministre et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi.

 

            (Baker, précité.)

 

[24]      Notre Cour ne doit pas s'immiscer à la légère dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un agent CH. Une décision CH ne suppose pas simplement l'application de principes juridiques, mais l'appréciation de nombreux facteurs aux faits de l'espèce. Dès lors que l'agent CH a tenu compte de facteurs d'ordre humanitaire pertinents et appropriés, la Cour ne modifiera pas l'appréciation que l'agent CH a faite de ces divers facteurs, même si elle aurait apprécié ces facteurs différemment :

 

[...] il appartient à [l'agent d'immigration] d'attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l'espèce. Ce n'est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

 

 

(Legault, précité, au paragraphe 11; Baker, précité, au paragraphe 53; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, [2002] A.C.S. no 3 (QL); Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 107, [2002] A.C.F. no 119 (QL), au paragraphe 19).

 

[25]      Compte tenu de ces principes, la Cour passe maintenant à l'examen des allégations spécifiques formulées par M. Hamzai et Mme Guri.

 

ANALYSE

 

1.         L'agente CH a-t-elle mal apprécié l'ensemble de la preuve?

 

[26]      Dans leur demande CH, M. Hamzai et Mme Guri ont soumis à l'agente CH des observations au sujet de la situation générale en Albanie et de leur établissement au Canada. L'agente a dûment examiné l'ensemble de leurs observations avant de conclure que M. Hamzai et Mme Guri ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s'ils étaient forcés de présenter leur demande au Canada selon la procédure normalement prévue en matière d'immigration. L'agente a plus spécialement relevé les facteurs suivants :

 

a) Les renseignements financiers de M. Hamzai et de Mme Guri faisant état de revenus effectifs de 12 000 $ pour les années 2003 et 2004. L'agente a estimé que ces revenus représentaient une intégration économique insuffisante pour qu'on puisse penser que le fait pour eux de quitter leur emploi les exposerait à des difficultés excessives. Elle a par ailleurs signalé que M. Hamzai était un travailleur autonome en Albanie avant d'arriver au Canada.

 

b) L'agente CH a tenu compte, dans son appréciation, des éléments de preuve suivant lesquels Mme Guri travaillait pour l'entreprise de son mari.

 

c) M. Hamzai et Mme Guri se sont inscrits à des cours d'anglais langue seconde. Ils n'ont pas suivi d'autre cours de perfectionnement professionnel depuis leur arrivée au Canada.

 

d) M. Hamzai et Mme Guri avaient déjà fait l'objet de décisions défavorables en réponse à leur demande d'asile et à leur demande d'ERAR. Ils ont soumis des renseignements généraux au sujet de la situation politique et économique en Albanie, mais aucune preuve précise tendant à démontrer qu'ils y seraient exposés à des difficultés excessives.

 

e) Tenant compte de l'intérêt supérieur de l'enfant âgé de deux ans de M. Hamzai et de Mme Guri, l'agente a estimé qu'il serait dans l'intérêt de celui-ci de demeurer auprès de son père et de sa mère. L'enfant est encore très jeune et l'agente a estimé qu'il ne serait pas exposé à des difficultés excessives s'il retournait en Albanie avec ses parents.

 

f) Mme Guri a dit à l'agente CH qu'elle était enceinte et l'agente a tenu compte de ce facteur, que celui ait été corroboré ou non.

 

g) Mme Guri a produit un rapport psychologique décrivant ses symptômes de dépression. L'agente a signalé que, malgré sa dépression, Mme Guri avait pu continuer à s'occuper de son enfant et à aider son mari. Le rapport en question n'a pas convaincu l'agente que le renvoi de la famille en Albanie causerait des difficultés inusitées ou excessives à M. Hamzai et à Mme Guri.

 

[27]      L'agente a tiré une conclusion raisonnable en estimant que l'ensemble des faits relatés ne permettaient pas de conclure que les demandeurs subiraient des difficultés excessives. Il est de jurisprudence constante que l'on ne doit accorder une dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire que lorsque le demandeur a démontré qu'il serait exposé à des difficultés inusités ou indues :

Il appartient au demandeur de prouver que la règle l'obligeant à demander un visa depuis l'extérieur du Canada entraînerait pour lui des difficultés inhabituelles, injustes ou indues. Le demandeur a pris le risque de s'établir au Canada alors que son statut d'immigrant était incertain, et en sachant qu'il pourrait avoir l'obligation de partir. Maintenant qu'il peut être tenu de partir et de demander le droit d'établissement depuis l'extérieur du Canada, le demandeur ne peut aujourd'hui, puisqu'il a pris ce risque, et compte tenu des faits, prétendre que les difficultés sont inhabituelles, injustes ou indues. Les propos de M. le juge Pelletier, dans l'affaire Irimie c. M.C.I. (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206 (C.F. 1re inst.), sont applicables à la présente affaire :

 

Je reviens à l'observation que j'ai faite, à savoir que la preuve donne à entendre que les demandeurs s'intégreraient avec succès dans la collectivité canadienne. Malheureusement, tel n'est pas le critère. Si l'on appliquait ce critère, la procédure d'examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d'examen ex post facto l'emportant sur la procédure d'examen préalable prévue par la Loi sur l'immigration et par son règlement d'application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire n'est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le refus de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire causera sans doute des difficultés aux demandeurs, mais eu égard aux circonstances de leur présence au Canada et à l'état du dossier, il ne s'agit pas d'une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive.

 

                        (Uddin, précité, au paragraphe 22.)

 

 

[28]      La décision de l'agente était raisonnable, compte tenu de la preuve dont elle disposait.

 

2. L'agente CH a-t-elle mal apprécié les facteurs CH, et plus précisément le degré d'établissement de M. Hamzai et de Mme Guri au Canada ainsi que l'intérêt supérieur de leur enfant né au Canada?

 

[29]      Qu'on soit d'accord ou non avec elle, l'appréciation que l'agente a faite de l'intérêt supérieur de l'enfant de M. Hamzai et de Mme Guri était néanmoins parfaitement claire. L'agente a estimé que, même s'il était dans l'intérêt de l'enfant de bénéficier des avantages que procure le fait de vivre au Canada, cet intérêt était supplanté par le besoin de cet enfant de demeurer auprès de son père et de sa mère en Albanie :

[traduction]

 

[...]   Je constate que l'intéressé et son épouse sont originaires du même pays et que la plupart des membres de leur famille immédiate y habitent. Je suis par conséquent convaincue que, s'ils choisissent de le ramener avec eux dans leur pays d'origine, leur enfant sera entouré des membres de sa famille et de gens qui l'aiment. L'enfant est par ailleurs très jeune et je ne crois pas que, s'il devait retourner en Albanie avec ses parents, il serait exposé à des difficultés excessives, car il ne s'est pas encore intégré à la société canadienne.

 

            (Décision, dossier du demandeur, à la page 9.)

 

 

 

[30]      Vu le jeune âge de l'enfant et le fait que la majorité des membres de sa famille habitent en Albanie, cette conclusion était raisonnable. Dans le cas qui nous occupe, l'agente a donc apprécié l'intérêt de l'enfant et elle a estimé qu'il était dans son intérêt supérieur de retourner en Albanie avec ses parents (Gallardo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 45, [2003] A.C.F. no 52 (QL)).

 

[31]      D'ailleurs, notre Cour a expliqué que, si l'on veut correctement évaluer l'intérêt supérieur de l'enfant, on ne doit pas se contenter d'examiner le risque auquel il serait exposé en cas de renvoi mais qu'il faut également tenir compte de sa capacité de se réadapter à l'endroit où il serait renvoyé. C'est précisément l'analyse que l'agente a faite en l'espèce. Le jeune âge de l'enfant et la possibilité pour lui d'être avec son père et sa mère ainsi qu'avec la famille élargie permettaient de penser qu'il serait en mesure de s'adapter en Albanie (Gurunathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1155, [2001] A.C.F. no 1587 (QL), au paragraphe 7).

 

[32]      Enfin, l'argument que l'agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'intérêt de l'enfant non encore né est mal fondé. Il se peut que l'agente ait eu ou n'ait pas eu d'éléments de preuve permettant de croire que Mme Guri était effectivement enceinte. Mais ce qui est plus significatif, c'est le fait que l'agente ne disposait d'aucun élément de preuve tendant à démontrer plus particulièrement que l'enfant non encore né ne serait pas en sécurité ou serait exposé à des difficultés en Albanie.

 

[33]      En l'espèce, aucun élément d'information précis n'a été communiqué au sujet des difficultés auquel l'enfant non encore né pourrait être exposé. L'agente n'avait pas l'obligation de tenir compte de ce facteur. En tout état de cause, l'analyse claire et raisonnable de l'intérêt supérieur de l'enfant dont nous avons déjà fait état vaut aussi pour l'enfant non encore né. Il n'existe pas de facteurs différents qui permettraient d'établir une distinction dans le cas d'un enfant non encore né ou d'un enfant nouveau-né.

 

3. Les agissements de l'agente CH suscitent-ils une crainte raisonnable de partialité?

 

[34]      Ainsi qu'ils l'ont répété dans leur affidavit, M. Hamzai et Mme Guri avaient déjà fait l'objet d'une décision CH défavorable qui a été annulée avec le consentement des deux parties au motif qu'on ne leur avait pas accordé la possibilité de soumettre des documents à jour au soutien de leur demande. Le consentement reposait exclusivement sur ce vice de procédure. L'allégation de M. Hamzai et de Mme Guri suivant laquelle l'agente avait un parti pris parce qu'elle avait mentionné une décision antérieure ne repose ni sur la preuve présentée en l'espèce ni sur la loi. M. Hamzai et Mme Guri n'ont pas remis en cause la validité des éléments de preuve soumis à la première agente, mais ils soutiennent que celle-ci a fait preuve de partialité en tenant compte du résumé de la preuve d'une décision antérieure, compte tenu du fait qu'il s'agissait d'une décision défavorable. L'agente a tenu compte des motifs exposés dans la décision défavorable pour ensuite examiner les nouveaux éléments de preuve soumis à son examen, et elle a notamment accordé une entrevue aux demandeurs pour leur permettre d'exposer leurs préoccupations et de faire valoir leur point de vue.

 

[35]      Il est de jurisprudence constante que l'agent a le droit de tenir compte d'une décision antérieure à condition de procéder à sa propre appréciation de la preuve, comme l'agente l'a fait en l'espèce :

L'agent qui réexaminait la décision devait tenir compte de tous les renseignements versés au dossier ainsi que des renseignements additionnels. Il était autorisé à tenir compte de la décision antérieure, à condition de faire preuve d'ouverture d'esprit et d'examiner de nouveau tous les éléments de preuve.

 

(Maire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1185 (QL), au paragraphe 3.)

 

 

Et aussi :

 

[...] [J]e n'y vois aucune erreur de droit. L'agent d'immigration semble avoir examiné les renseignements fournis par les requérants. L'avocate des requérants dit que l'examen des motifs humanitaires aurait dû être un examen entièrement nouveau, sans tenir compte des procédures ou décisions antérieures en matière de considérations humanitaires. Mais, en fait, les requérants, dans leur requête en date du 22 février 1993 fondée sur des considérations humanitaires, ont dit qu'un des motifs de cette requête portait sur le [traduction] « changement de situation ». Certes, je ne crois pas qu'un agent d'immigration ait tort, en tout état de cause, d'examiner des décisions ou procédures antérieures; mais il est certainement nécessaire de le faire lorsqu'un requérant allègue le « changement de situation ».

 

(Aligour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1597 (QL), au paragraphe 9.)

 

[36]      De même, dans le cas qui nous occupe, toutes les parties ont accepté que l'on procède à un réexamen pour permettre à M. Hamzai et à Mme Guri de soumettre des renseignements à jour. L'agente a été mise au courant des nouveaux faits qui étaient susceptibles d'étayer leur cause et elle a effectivement tenu compte d'aspects importants à cet égard, ainsi qu'en fait foi son évaluation.

 

[37]      Enfin, les propos que l'agente aurait tenus lors de l'entrevue ne trahissent pas un parti pris de sa part, mais démontrent plutôt qu'elle estimait que ni les anciens ni les nouveaux éléments de preuve portés à sa connaissance ne lui permettaient de penser que les intéressés seraient exposés à des difficultés inusitées ou excessives. Le fait que l'agente a souligné que M. Hamzai et Mme Guri avaient un faible revenu, que le seul perfectionnement professionnel qu'ils avaient reçu était le cours d'anglais langue seconde qu'ils avaient suivi, que la somme de 22 000 $ qu'ils possédaient en épargnes ne constituait pas un revenu élevé, que leur séjour de quatre ans au Canada était relativement court et qu'il est facile d'obtenir un permis commercial démontrent qu'elle a analysé raisonnablement les faits importants portés à sa connaissance. À la fin de l'entrevue, M. Hamzai et Mme Guri se sont vus offrir, non pas une seconde entrevue, mais la possibilité de soumettre des documents pour étayer leur cause.

 

[38]      Le fait que M. Hamzai et Mme Guri ne soient pas d'accord avec l'appréciation de l'agente ne signifie pas que celle-ci avait un parti pris contre eux. Non seulement l'agente n'a-t-elle pas préjugé l'affaire en se fondant sur la décision précédente, mais encore elle a accordé à deux reprises la possibilité à M. Hamzai et à Mme Guri de produire des documents et de se présenter en personne pour mettre à jour leurs renseignements et démontrer qu'ils subiraient des difficultés excessives.

 

[39]      Il faut examiner comme un tout les propos et les agissements de l'agente pour déterminer s'ils soulèvent une crainte raisonnable de partialité. Il ne suffit pas de signaler un facteur pour qu'on puisse conclure à une crainte raisonnable de partialité. Ainsi, la Cour a jugé que le simple fait qu'un commissaire soit appelé à réexaminer une affaire qu'il a déjà jugée et tranchée ne signifie pas que ce commissaire aura un parti pris lors de la seconde audience. Il est vrai aussi que le simple fait que, lorsqu'il examine une demande CH, le nouvel agent tient compte d'une décision déjà rendue ne permet pas en soi de penser qu'il existe une crainte raisonnable de partialité (Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 322, [2002] A.C.F. no 438 (QL), aux paragraphes 29 et 30).

 

[40]      La présente décision n'est entachée d'aucune erreur qui justifierait l'intervention de la Cour.

 

CONCLUSION

 

[41]      La Cour répond par la négative aux trois questions et rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n'est certifiée. Les parties n'ont proposé aucune question à certifier et la Cour n'en soumet aucune à cet égard.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6280-05

 

INTITULÉ :                                       PERPARIM HAMZAI

                                                            FATIME GURI c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 12 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Peter G. Ivanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROCHON GENOVA

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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