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Date : 20060919

Dossier : IMM-7293-05

Référence : 2006 CF 1118

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

ENTRE :

JOTHIRAVI SITTAMPALAM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               M. Jothiravi Sittampalam est détenu depuis le 18 octobre 2001. Il a été arrêté avec d'autres personnes soupçonnées de faire partie de gangs tamouls à Toronto. Il est détenu depuis au motif qu'il constitue un danger pour la sécurité publique et qu'il se soustrairait vraisemblablement à la justice s'il faisait l'objet d'une mesure de renvoi du Canada son renvoi (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 58 (LIPR)). M. Sittampalam a déjà été reconnu coupable de défaut de se conformer à un engagement (1992), de trafic de stupéfiants (1996) et d'entrave au travail d'un policier (1998).

 

[2]               Diverses formations de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de l'immigration) ont procédé, au fil des ans, au contrôle des motifs justifiant le maintien en détention de M. Sittampalam. Deux d'entre elles ont ordonné sa mise en liberté à certaines conditions (le 22 avril 2004 et le 27 septembre 2004). Ces deux décisions ont été infirmées par suite d'un contrôle judiciaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Sittampalam, 2004 CF 1756, [2004] A.C.F. no 2152 (C.F.) (QL)).

 

[3]               À maintes autres reprises, la Commission a ordonné le maintien en détention de M. Sittampalam (29 octobre 2001, 21 juin 2002, 26 septembre 2002, 21 octobre 2002, 19 novembre 2002, 8 mai 2003, 3 juin 2003, 3 septembre 2003, 17 février 2004, 16 mars 2004, 22 février 2005, 27 octobre 2005). M. Sittampalam a réussi à faire infirmer la décision de la Commission le 22 février 2005 dans le cadre d'un contrôle judiciaire (Sittampalam c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1352, [2005] A.C.F. no 1734 (C.F.) (QL)). La juge Eleanor Dawson a ordonné à la Commission de se prononcer de nouveau sur le maintien en détention de M. Sittampalam. Le 27 octobre 2005, la Commission a une fois de plus ordonné le maintien en détention de M. Sittampalam, qui sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

[4]               M. Sittampalam affirme que la Commission a commis une grave erreur en concluant qu'il constitue un danger pour la sécurité publique et qu'il se soustrairait vraisemblablement à la justice s'il faisait l'objet d'une mesure de renvoi du Canada. Je suis convaincu que M. Sittampalam a invoqué des motifs valables qui justifient l'infirmation de la décision de la Commission et je dois donc faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

I.        Question en litige

[5]               La Commission a-t-elle rendu une décision raisonnable en estimant que M. Sittampalam devait être maintenu en détention?

II.     Analyse

a)  Contrôle de la décision de la Commission

[6]               Je ne puis infirmer la décision de la Commission que si les conclusions de fait qu'elle a tirées ne reposaient pas sur la preuve ou que son analyse juridique était erronée. Pour les questions qui sont à la fois des questions de fait et des questions de droit, je dois appliquer une norme intermédiaire : il m'est alors loisible d'infirmer la décision de la Commission si elle est déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 523 (C.F.), confirmé à [2004] 3 R.C.F. 572 (C.A.F.)).

[7]               Dans le cas qui nous occupe, la décision de la Commission tombe dans cette catégorie car elle porte sur une question qui est composée à parts égales d'aspects factuels et d'aspects juridiques. La Commission a apprécié la preuve pour déterminer si elle satisfaisait à certaines normes légales, en l'occurrence celle de savoir si M. Sittampalam constitue « un danger pour la sécurité publique » et s'il « se soustraira vraisemblablement à son renvoi ». La Commission a estimé que les deux critères étaient respectés. J'estime toutefois que les conclusions que la Commission a tirées étaient déraisonnables.

 

b) Conclusion de la Commission suivant laquelle M. Sittampalam constitue « un danger pour la sécurité publique »

 

[8]               La Commission a invoqué trois principaux motifs pour conclure que M. Sittampalam constituait toujours un danger pour la sécurité publique. En premier lieu, a Commission a signalé que, dans le cadre d'une instance distincte portant sur son admissibilité au Canada, M. Sittampalam avait été considéré comme ayant fait partie du gang A.K. Kannan avant son arrestation en 2001 et qu'en septembre 2005, il n'avait pas réussi à convaincre notre Cour que cette décision devait être infirmée dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Deuxièmement, la Commission n'a pas accepté le témoignage de M. Sittampalam. Elle a notamment conclu qu'il ne pouvait être considéré réadapté, puisqu’il avait nié dans le passé qu'il avait fait partie d'un gang. La Commission a par ailleurs estimé, sur le fondement des conclusions tirées au sujet de sa crédibilité lors de l'enquête, qu'il n'y avait aucune raison de croire en l’honnêteté des déclarations faites par M. Sittampalam lors de son audience. Troisièmement, la Commission a conclu que la liste des allégations qui avait été dressée par un agent chargé d'appliquer la loi au sujet de M. Sittampalam donnait une image défavorable du « type de personne qu’est M. Sittambalam, [de] son mode de vie et [de] ses fréquentations ».

 

(i)      Enquête

[9]               La Commission a estimé qu'un élément venait « alourdir les antécédents de l’intéressé », en l'occurrence le fait que le juge Roger Hughes avait récemment conclu que rien ne justifiait d'infirmer la conclusion du commissaire Paxton suivant laquelle le demandeur tombait sous le coup de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, au motif qu'il était interdit de territoire pour criminalité organisée. À l'enquête portant sur l'interdiction de territoire, le commissaire avait conclu que, jusqu'à son arrestation, en octobre 2001, M. Sittampalam faisait toujours partie du A.K. Kannan. Le juge Hughes a estimé que la décision de la Commission n'était pas manifestement déraisonnable (Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1211).

 

[10]           Il était loisible à la Commission de citer le jugement de notre Cour ainsi que la décision sous-jacente portant sur l'interdiction de territoire. Mais la Commission est allée plus loin. Elle a souligné le fait que la décision du juge Hughes « amène Jothiravi Sittambalam un pas de plus vers son renvoi » (et ce, malgré le fait que M. Sittampalam avait interjeté appel de cette décision). Bien que cette affirmation soit vraie, il s'agit en réalité d'un fait neutre, qui n'est d'aucune utilité pour décider si M. Sittampalam devrait ou non être considéré comme dangereux. La Commission a également fait remarquer qu'en confirmant la conclusion que M. Sittampalam avait déjà fait partie d'un gang, la Cour « confère un poids particulier aux conclusions [du commissaire] dans le contexte du présent contrôle des motifs de détention ». À mon sens, en tenant ces propos, la Commission voulait signifier qu'elle interprétait la décision du juge Hughes comme un indice démontrant que M. Sittampalam constituait toujours un danger pour la sécurité publique en raison de son association passée à des gangs de rue.

 

[11]           De toute évidence, l’implication dans les activités d'un gang constitue un facteur dont on peut tenir compte pour déterminer si une personne est dangereuse (voir le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, alinéa 246b)), mais ce n'est qu'un des facteurs qui entre en ligne de compte. La Commission doit également apprécier tous les autres éléments de preuve. En l'espèce, la Commission a signalé à juste titre que la question qui lui était soumise n'était pas celle de savoir si M. Sittampalam faisait partie du gang A.K. Kannan, mais bien celle de savoir s'il constituerait un danger pour la sécurité publique pour le cas où il serait mis en liberté. La Commission a également résumé le témoignage du détective Fernandes, qui avait témoigné lors de l'instance précédente concernant M. Sittampalam. Suivant le détective Fernandes, depuis 2001, le gang A.K. Kannan, dont M. Sittampalam était le chef ou l'un des membres, était beaucoup moins actif, voire complètement inactif. Le gang était pratiquement défunt, sans doute parce qu'il n'avait plus de chef. Le constable Fernandes s'est dit d'avis qu'il était peu probable que M. Sittampalam tente de remettre sur pied le A.K. Kannan ou reprenne du service au sein de ce gang, mais il a admis qu'une animosité entre gangs rivaux pouvait resurgir. La Commission a toutefois insisté surtout sur la conclusion que M. Sittampalam avait déjà fait partie d'un gang. J'estime que la Commission n'a pas suffisamment tenu compte d'autres éléments de preuve qui se rapportaient davantage à la question de la dangerosité.

 

(ii)    Conclusions tirées au sujet de la crédibilité

 

[12]      Après avoir examiné le témoignage donné par M. Sittampalam lors des contrôles antérieurs de sa détention, la Commission a déclaré ce qui suit :

Il semble qu’un homme réformé émerge de ce portrait, se souciant du bien-être de sa famille, une personne qui déclare ne plus vouloir même parler à ses anciennes fréquentations, le fond du problème. J’aurais même pu être persuadée que Jothiravi Sittambalam respecterait également les termes d’une ordonnance de libération de l’Immigration, mais je n’irai pas jusque-là.

 

[13]      Plus loin dans ses motifs, la Commission a expliqué pourquoi elle n'acceptait pas le témoignage de M. Sittampalam. Elle a tout d'abord expliqué que M. Sittampalam avait à certaines reprises démenti toute appartenance à un gang. Vu la conclusion à laquelle le tribunal en était arrivé au terme de l'enquête, à savoir que M. Sittampalam faisait partie du gang A.K. Kannon − conclusion qui n'a pas été infirmée lors du contrôle judiciaire − la Commission s'est dite d'avis que, du fait de ce démenti soutenu, M. Sittampalam ne pouvait être considéré réadapté. Je ne comprends pas comment le fait d'avoir antérieurement nié toute implication dans les activités d'un gang démontre une absence de réadaptation. De plus, ce n'est pas parce que l'intéressé ne s'est pas réadapté qu'il constitue nécessairement un danger.

 

[14]      La Commission a également estimé qu'on ne pouvait ajouter foi au témoignage de M. Sittampalam. Pour ce faire, la Commission s'est fondée sur les conclusions tirées au sujet de la crédibilité lors de l'enquête. Lors de l'enquête, le tribunal avait en effet conclu que M. Sittambalam « n’avait cessé de se contredire sous serment et dans ses déclarations au point que l’on puisse récuser tout son témoignage ». S'appuyant sur cette conclusion, la Commission a estimé elle aussi que toutes les déclarations faites par M. Sittambalam lors des divers contrôles de sa détention avaient uniquement pour but « de servir ses intérêts en vue d’obtenir une libération ».

 

[15]      Je tiens à signaler qu'il n'est guère étonnant qu'une personne détenue donne un témoignage intéressé dans l'espoir d'obtenir sa mise en liberté. La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si son témoignage est digne de foi. Avant de l'écarter, la Commission doit être en mesure d'expliquer les motifs de sa décision.

 

[16]      Or, en l'espèce, la Commission s'est simplement fondée sur les conclusions tirées au sujet de la crédibilité lors de l'enquête. Là encore, je ne reproche pas à la Commission d'avoir cité les conclusions de l'enquête. J'estime toutefois que les conclusions tirées par le tribunal avaient une valeur limitée dans le cadre du contrôle de la détention. La principale question en litige à l'enquête était celle de savoir si M. Sittampalam se livrait ou s'était livré à des activités de criminalité organisée. Voici comme le tribunal a lui-même défini la question qui lui était soumise :

Le critère en droit cité à l'alinéa 37(1)a) de la Loi demande qu'il y ait des motifs raisonnables de croire qu'une organisation se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. (Cité par le juge Hughes dans sa décision, précitée, au paragraphe 4.)

 

 

[17]      De toute évidence, il s'agit là d'une question bien différente de celle qui était soumise à la Commission lors du contrôle de la détention. Ainsi que je l'ai déjà mentionné, la conclusion que M. Sittampalam avait déjà fait partie d'un gang constituait un facteur pertinent dont la Commission pouvait tenir compte. Toutefois, le simple fait que le témoignage donné par M. Sittampalam au sujet de ses activités passées au sein d'un gang n'a pas été jugé crédible ne signifie pas nécessairement qu'on ne devait pas ajouter foi à son témoignage lors du contrôle de sa détention. Lors des divers contrôles de sa détention, M. Sittampalam a notamment témoigné au sujet de son dossier disciplinaire lors de sa détention, de la durée de sa mise en liberté sous caution, de sa consommation de drogues dans le passé, de ses responsabilités familiales, de ce qu'il comptait faire s'il était mis en liberté, de ses projets s'il était renvoyé au Sri Lanka et de ses présumés activités au sein du gang. La conclusion qui a été tirée lors de l'enquête et suivant laquelle le témoignage de M. Sittampalam sur ce dernier point n'est pas crédible n'est pas utile pour nous aider à décider s'il y a lieu d'ajouter foi à son témoignage sur tous les autres points.

 

(iii)    Résumé des allégations

[18]      La Commission a cité un document qui renferme un résumé des incidents impliquant le gang A.K. Kannon, ainsi que d'autres gangs tamouls. Ce résumé a été préparé par un agent de l'immigration chargé de l'application de la loi au profit du délégué du ministre, qui était appelé à décider si M. Sittampalam devrait être autorisé à demeurer au Canada. Le résumé relate des faits pour lesquels M. Sittampalam a été accusé et condamné, a été accusé et acquitté ou n'a jamais été accusé, ainsi que plusieurs cas dans lesquels M. Sittampalam avait été victime d'actes criminels. Tous les incidents relatés sont antérieurs à son arrestation, qui remonte à octobre 2001.

 

[19]      Bien qu'il soit loisible à la Commission de mentionner d'autres allégations que celles qui ont abouti aux déclarations de culpabilité, elle doit le faire avec prudence en se fondant sur les éléments de preuve qu'elle estime crédibles et qui se rapportent selon elle à la question précise à laquelle elle doit répondre (Thanaratnam c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 349, [2004] A.C.F. no 395 (C.F.) (QL), infirmée pour d'autres motifs à 2005 CAF 122, [2005] A.C.F. no 395 587 (C.A.F.)(QL)). En l'espèce, la Commission a simplement fait remarquer que ce rapport « remet en question, une fois de plus, le type de personne qu’est M. Sittambalam, son mode de vie et ses fréquentations ».  À mon avis, les propos de la Commission démontrent le préjudice que risque de causer une interprétation imprudente de ce type d'élément de preuve. Des allégations non prouvées peuvent facilement amener à conclure que l'intéressé est un indésirable. Mais ce n'est pas ce que les tribunaux administratifs sont normalement appelés à décider et ce n'était certainement pas la question qui était soumise à la Commission en l'espèce. La Commission était tenue de décider si M. Sittampalam constituait un danger pour la sécurité publique. Le résumé de la preuve sur lequel la Commission s'est fondée avait trait à cette question, mais la Commission ne pouvait se contenter de citer le résumé pour exprimer des doutes sur le type de personne qu’est M. Sittambalam, ainsi que sur son mode de vie et ses fréquentations. Elle devait examiner ce que ce résumé disait, si c'était le cas, au sujet de la dangerosité actuelle de M. Sittampalam, d'autant plus qu'elle citait des faits qui remontaient à plusieurs années. Ainsi que le juge Frederick Gibson l'a fait remarquer, le tribunal chargé de décider s'il y a lieu de mettre l'intéressé en liberté « ne peut faire abstraction [des] indices [d'un changement dans la façon de voir les choses et d'agir] et fonder sa décision uniquement sur les comportements antérieurs (Willis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 822, [2001] A.C.F. no 1183 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 17).

 

c)  Conclusion de la Commission suivant laquelle M. Sittampalam « se soustraira            vraisemblablement à son renvoi »

 

[20]      La Commission a invoqué trois raisons pour conclure que M. Sittampalam se soustrairait vraisemblablement à la justice s'il faisait l'objet d'une mesure de renvoi du Canada. La Commission a d'abord repris son analyse de la décision du juge Hughes au sujet de la question de l'interdiction de territoire au Canada. Deuxièmement, la Commission a répété les réserves qu'elle avait exprimées au sujet de la crédibilité de M. Sittampalam. Troisièmement, la Commission a écarté les solutions de rechange à la détention. J'ai déjà analysé la décision de la Commission en ce qui concerne les deux premières questions et il n'est pas nécessaire que je revienne sur ces aspects. La seule question qu'il reste à régler est celle de savoir si la Commission a rendu une décision raisonnable en concluant que les solutions de rechange à la détention ne seraient pas efficaces dans le cas de M. Sittampalam.

 

[21]      M. Sittampalam a proposé à la Commission le nom de trois personnes qui étaient disposées à se porter caution pour lui : sa femme, Mme Pushpalatha Rajaratnam, sa cousine, Namunakulan Kalavathy, et le mari de celle-ci, Naunakulan Ponnamapalum. Ces deux dernières personnes avaient déjà été considérées comme des cautions acceptables à trois reprises lorsque la Commission avait conclu que M. Sittampalam pouvait être mis en liberté à certaines conditions (le 22 avril 2004 et le 27 septembre 2004). Cependant, lorsque ces décisions ont été infirmées dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire dont il était saisi, le juge Pierre Blais a fait observer que M. Ponnamapalum était mal placé pour se porter caution parce qu'il savait peu de choses au sujet de la participation du défendeur aux activités des gangs. Quant à Mme Kalavathy et à Mme Rajaratnam, la Commission a estimé qu'elles n'étaient pas des cautions acceptables essentiellement pour les mêmes raisons que celles évoquées à propos de M. Ponnamapalum. La Commission s'estimait de toute évidence liée par l'analyse faite par le juge Blais au sujet de l'acceptabilité de M. Ponnamapalum et elle a appliqué le même raisonnement en ce qui concerne les autres cautions proposées. La Commission n’a cependant pas tenu compte du témoignage que M. Ponnamapalum avait donné lors de l'audience qui s'était déroulée après que le juge Blais eut rendu sa décision. À mon avis, la Commission aurait dû tenir compte de cet élément de preuve pour décider si l'on avait répondu aux préoccupations soulevées par le juge Blais. Je constate également que, dans bon nombre des contrôles de la détention de M. Sittampalam, divers tribunaux avaient conclu que le dépôt d'un cautionnement permettrait de dissiper les réserves exprimées au sujet du risque que M. Sittampalam se soustraie à son renvoi (voir les décisions du 29 octobre 2001, 21 juin 2002, 26 septembre 2002, 21 octobre 2002, 22 avril 2004, 27 septembre 2004 et 22 février 2005). Ces tribunaux étaient davantage préoccupés par la question de la dangerosité.

 

[22]      Comme les cautions proposées n'étaient pas acceptables, la Commission a conclu qu'il n'existait pas véritablement de solution de rechange à la détention de M. Sittampalam et que son maintien en détention demeurait la seule option. L'avocat avait proposé diverses autres mesures pouvant garantir que M. Sittampalam se présente à son renvoi du Canada : assignation à résidence, surveillance par des membres de la famille et port d'un bracelet électronique. La Commission n'a examiné que cette dernière possibilité dans ses motifs. Elle a déclaré que, comme elle n'ordonnait pas la mise en liberté de M. Sittampalam, elle « n’envisag[eait] pas l’usage d’un bracelet à puce à titre de contrôle ». De toute évidence, la Commission n'envisageait pas la possibilité que M. Sittampalam puisse être mis en liberté et elle a estimé que le dépôt de cautionnements était la seule option susceptible de garantir que Jothiravi Sittambalam se présente à son renvoi du Canada.

 

d) Conclusion

 

[23]      La Commission doit examiner à fond les éléments de preuve pertinents ainsi que les facteurs permettant de décider si l'intéressé doit demeurer en détention. Il importe de constater que les facteurs énumérés par le juge Marshall Rothstein dans le jugement Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1534 (C.F. 1re inst.) (QL), et que le législateur a repris à l'article 248 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, s'imposent en raison du droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[24]      Il n'est pas nécessaire que je décide si l'un ou l'autre des points dont j'ai traité aurait justifié l'infirmation de la décision de la Commission. Il m'apparaît toutefois évident que leur effet cumulatif nous force à tirer cette conclusion en ce qui concerne les deux volets de la décision de la Commission. Je dois donc faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d'un nouveau contrôle de la détention de M. Sittampalam.

[25]      L'avocat du défendeur a réclamé la possibilité de proposer une question à certifier pour le cas où la présente affaire s'articulerait autour d'une question de droit. Par mesure de prudence, je vais donc recevoir les observations que les parties voudront me soumettre dans les dix (10) jours du présent jugement.

 

JUGEMENT

LA COUR :

1.                     ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;

2.                  ORDONNE la tenue d'un nouveau contrôle de la détention de M. Sittampalam;

3.                  EXAMINERA les observations que les parties voudront lui soumettre dans les dix (10) jours du présent jugement au sujet de la certification d'une question.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Annexe A

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Activités de criminalité organisée

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan

 

 

Mise en liberté par la Section de l’immigration

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger.

 

 

Mise en détention par la Section de l’immigration

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet d’un contrôle, d’une enquête ou d’une mesure de renvoi et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

 

 

Conditions

(3) Lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger, la section peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution.

 

 

Règlements sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Danger pour le public

246. Pour l’application de l’alinéa 244b), les critères sont les suivants :

[…]

b) l’association à une organisation criminelle au sens du paragraphe 121(2) de la Loi

 

Autres critères

248.  S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté  :

a) le motif de la détention;

b) la durée de la détention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

e) l’existence de solutions de rechange à la détention

Charte canadienne des droits et libertés, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), entrée en vigueur le 17 avril 1982

 

Vie, liberté et sécurité

 

  7.  Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

Organized Crime

37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern

Release − Immigration Division

 

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

(a) they are a danger to the public;

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.

 

 

Detention – Immigration Division

(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

 

Conditions

 

3) If the Immigration Division orders the release of a permanent resident or a foreign national, it may impose any conditions that it considers necessary, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions.

 

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

Danger to the public

246. For the purposes of paragraph 244(b), the factors are the following :

(b) association with a criminal organization within the meaning of subsection 121(2) of the Act;

Other factors

248.  If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release :

(a) the reason for detention;

(b) the length of time in detention;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

(e) the existence of alternatives to detention.

 

Canadian Charter of Rights and Freedoms, Part I of the Constitution Act, 1982, being Schedule B to the Canada Act (U.K.), 1982, c. 11

 

Life, liberty and security of person

 

  7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7293-05

 

INTITULÉ :                                       SITTAMPALAM c. MSPCP

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 5 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

POUR LE DEMANDEUR

Mielka Visnic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BARBARA JACKMAN

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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