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Date : 20060925

Dossier : IMM-1104-06

Référence : 2006 CF 1114

ENTRE :

OSAMUYIMEN OVIAWE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 11 janvier 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Osamuyimen Oviawe (le demandeur) est un citoyen du Nigéria et un chrétien.

[3]               Le demandeur a partagé un appartement avec M. Abu, un musulman, pendant un an, dans l'État de Kano.

 

[4]               En février 2005, un ami de M. Abu est venu à leur appartement et a été stupéfait de constater que son ami vivait avec un chrétien. Il a parlé à Abu en l'absence du demandeur. Du jour au lendemain, l'attitude d'Abu envers le demandeur a changé à la suite de cette conversation, et Abu a semblé distant, froid et quelque peu hautain.

 

[5]               La police a été informée que le demandeur avait agressé sexuellement M. Abu.

 

[6]               Le 15 février 2005, le demandeur a été arrêté, emprisonné et torturé par la police pendant près de trois mois. Au cours de son incarcération, on lui a arraché deux des dents antérieures de l'arcade inférieure avec des pinces.

 

[7]               Le 3 mai 2005, un directeur chrétien compatissant a aidé le demandeur à s'évader de la prison.

 

[8]               Le 4 mai 2005, le demandeur s'est rendu à Abrya où il s'est caché pendant deux semaines chez un ami du nom de Peter Maxwell, qu'il avait rencontré à l'université. En temps utile, avec l'aide d'un agent, Maxwell a réussi à faire sortir le demandeur du pays. Le demandeur s'est retrouvé au Canada le 18 juin 2005 et il a présenté une demande d'asile.

[9]               Aucune accusation n'a été portée contre le demandeur, qui n'a pas comparu devant le tribunal ou devant un juge.

 

[10]           Le demandeur craint que, s'il retourne au Nigéria, la police, qui est toujours à sa recherche − du moins selon ce qu'il a appris de sa mère − l'arrêtera de nouveau parce qu'il s'est évadé de prison. S'il est reconnu coupable de rapports homosexuels avec Abu − rapports qu'il nie avoir eus − il risque d'être condamné à 14 ans de prison par les tribunaux de droit commun ou à être lapidé ainsi que le prévoit le tribunal chargé d'appliquer la charia.

 

* * * * * * *

 

 

[11]           La Commission s'est dite convaincue que le demandeur était un chrétien et que le récit qu'il avait donné au sujet des incidents qui l'avaient conduit à quitter son pays était crédible. La Commission a toutefois conclu que sa demande d'asile n'avait pas de fondement objectif selon la preuve documentaire.

 

Norme de contrôle

 

[12]           Dans le jugement Aire c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 41, mon collègue le juge von Finckenstein écrit ce qui suit :

[8]     La norme de contrôle de la conclusion de la Commission sur la question de savoir si les faits indiquent qu'un demandeur court un risque de poursuite plutôt que de persécution est celle de la décision manifestement déraisonnable (Simonifi c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 1162). La Cour n'interviendra dans les conclusions de fait de la Commission que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire (Kamalanathan c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 826).

 

Possibilité de refuge intérieur

 

[13]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en estimant qu'il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans le sud du Nigéria parce qu'il ressortait à l'évidence de la preuve documentaire que la société nigériane (du Nord et du Sud) est très intolérante envers les personnes identifiées comme se livrant à des actes homosexuels.

 

[14]           Toutefois, bien qu'elle ait signalé dans ses motifs des régions du Nigéria où les homosexuels sont en comparaison plus en sécurité (Lagos et les états du Sud), la Commission n'a tiré aucune conclusion au sujet de l'existence d'une PRI. Comme elle avait conclu à l'absence de fondement objectif en ce qui concerne la persécution, il n'était pas nécessaire que la Commission poursuive en examinant l'existence d'une PRI. Il semble qu'en signalant dans ses motifs des régions où la persécution est moindre, la Commission cherchait simplement à démontrer que l'homosexualité est traitée différemment dans les régions où les tribunaux de la charia jouent un rôle important. Toutefois, comme il est chrétien, le demandeur ne serait de toute façon pas justiciable des tribunaux chargés d'appliquer la charia.

 

 

[15]           La confusion s'explique peut-être par le fait que, dans d'autres décisions, la Cour fédérale a confirmé la conclusion que les homosexuels du Nigéria disposent à Lagos d'une PRI (Aire, précitée, Zakka c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 1434; Nwokomah c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 1535).

 

Preuve objective

 

[16]           Au lieu de conclure qu'il avait une PRI, la Commission a émis l'hypothèse que le demandeur pouvait exciper de sa propre innocence pour éviter les poursuites ou la persécution. Voici ce que la Commission écrit, à la page 8 de sa décision :

[traduction] Même si le tribunal devait poursuivre le demandeur à son retour au Nigéria pour un acte homosexuel commis sans le consentement de l'autre personne, il n'en demeure pas moins que le demandeur a cité les déclarations d'amis, de membres de sa famille, de son pasteur et d'autres paroissiens, qui ont tous affirmé qu'il est un fervent chrétien, qu'il n'a jamais été un homosexuel et que les charges retenues contre lui ont été inventées de toutes pièces par Abu et son ami uniquement parce que l'ami d'Abu était horrifié que celui-ci habite avec le demandeur d'asile, qui est de foi chrétienne.

 

     Comme dans la plupart des procès criminels, c'est à Abu qu'il incomberait de démontrer, au-delà de tout doute raisonnable, que le demandeur d'asile a commis le délit de sodomie sans son consentement. Or, compte tenu du temps écoulé et des documents portés à ma connaissance, il est peu probable, suivant la preuve, que le tribunal de la charia ou la Cour fédérale le poursuivent.

 

     Il est intéressant de souligner que, suivant les rapports qui ont été cités, il faut quatre témoins oculaires musulmans de sexe masculin pour établir la culpabilité d'un homme accusé d'avoir eu des rapports sexuels illicites avec une femme Il est donc rare que des hommes soient condamnés pour cette infraction parce qu'il est très difficile d'établir leur culpabilité [non souligné dans l'original].

 

 

[17]           Au dernier paragraphe, la Commission ne précise pas que seule la charia exige des témoins oculaires. Bien que cela ne soit pas dit explicitement, on peut le déduire à la lecture du dossier du tribunal (à la page 93). Pour ajouter à la confusion, la Commission avait déjà conclu que le demandeur n'était pas assujetti à la charia, parce qu'il est chrétien. Il n'est pas raisonnable d'invoquer le fait que la charia ne s'applique pas au demandeur pour tenter de démontrer qu'il ne risque pas d'être persécuté, pour ensuite invoquer un des préceptes de la charia pour établir que le demandeur obtiendrait probablement gain de cause en justice.

 

[18]           J'estime par ailleurs qu'il ressort des deux premiers paragraphes précités que la Commission s'est livrée à des spéculations sur ce qu'il adviendrait probablement si le demandeur était finalement poursuivi en justice. La Commission suppose que le demandeur obtiendrait aisément gain de cause et qu'il lui suffirait de faire témoigner sa famille et ses amis. Le fait que les amis et les membres de la famille d'Abu pourraient inventer une version des faits contradictoire ne semble pas troubler la Commission.

 

[19]           Les spéculations auxquelles la Commission s'est livrée sur ce point témoignent d'un optimisme remarquable de sa part, compte tenu du fait qu'elle avait déjà constaté que le demandeur s'était fait arracher deux dents frontales avec des pinces lors de son incarcération au Nigéria pour homosexualité. Alors qu'elle avait jugé crédible le témoignage du demandeur, la Commission a semblé oublié sa propre conclusion à cet égard lorsqu'elle s'est interrogée sur ce qu'il adviendrait probablement de lui s'il était traduit devant un tribunal.

 

[20]           Certes, la charge de la preuve repose sur le demandeur, mais, bien que l'optimisme de la Commission soit quelque peu étonnant, il était loisible à la Commission de conclure que le fait que le demandeur avait déjà été victime de persécution et de torture ne signifiait pas nécessairement qu'il ne pourrait obtenir un procès équitable. C'est la Commission qui est la mieux placée pour apprécier les risques auxquels le demandeur est exposé et il n'appartient pas au tribunal judiciaire chargé de réviser sa décision de réévaluer la preuve.

 

[21]           Même si elle n'est pas parfaite, je ne crois pas que la décision de la Commission soit à ce point manifestement déraisonnable pour « qu'aucun degré de déférence judiciaire ne [puisse] justifier de la maintenir » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52).

 

[22]           La Commission avait le droit de conclure, sur le fondement de la preuve dont elle disposait, qu'il n'existait pas de risque véritable de persécution. La Commission a expressément conclu que le demandeur n'était pas assujetti à la charia, de sorte qu'il n'était pas passible de la peine de mort même s'il était reconnu coupable du crime qu'on lui reprochait. Le demandeur relevait donc du Code criminel du Nigéria, lequel prévoit une peine maximale de quatorze ans d'emprisonnement en pareil cas.

 

[23]           La Commission a peut-être commis une erreur en tenant pour acquis que le demandeur s'en tirerait à si bon compte s'il était jugé au Nigéria, mais même en supposant que la Commission n'a pas commis d'erreur sur ce point, le demandeur ne serait pas persécuté, selon la jurisprudence de la Cour fédérale. Dans l'affaire Aire, précitée, le juge von Finckenstein examinait le cas d'un homme qui risquait de se voir appliquer les mêmes lois nigérianes sur l'homosexualité. Voici ce qu'il écrit aux paragraphes 12 à 16 :

[12]     Le demandeur dit que cette disposition législative vise l'homosexualité, mais il s'agit plutôt d'une loi qui réprime certaines conduites. Rien n'a été déposé en preuve quant au sens à donner aux mots « contre nature ». Néanmoins, la formulation de cette disposition indique clairement que la conduite prohibée, quelle que soit l'interprétation qu'on donne aux mots « contre nature », n'est acceptable pour aucun citoyen, quelle que soit son orientation sexuelle.

[13]     De plus, dans Birsan c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 1861, le juge Pinard a conclu que :

Il n'est certes pas déraisonnable de conclure que la seule existence d'une loi interdisant l'homosexualité en public ne saurait, si elle n'est pas appliquée, établir la persécution des homosexuels.

[14]    Un rapport préparé par la UK Immigration and Nationality Directorate, cité à la page 323 du dossier du tribunal, énonce ceci :

[traduction]

« Comme plusieurs des anciennes colonies britanniques, le Nigéria a des lois adoptées lors de l'ère victorienne et qui édictent que la sodomie est punissable d'une peine maximale de 14 ans de prison. Bien que ces lois soient rarement appliquées, elles contribuent au climat d'intolérance envers les homosexuels. »

                                                                      (Non souligné dans l'original.)

La Commission n'a été saisie d'aucune autre preuve convaincante au sujet de la façon dont on appliquait l'article 214 du Code criminel du Nigéria, non plus que de sa fréquence d'application. Par conséquent, le raisonnement du juge Pinard s'applique également en l'espèce.

[15]    On trouve dans beaucoup de pays des lois qui répriment certains types de conduite sexuelle dans des circonstances données. Elles ne constituent pas en elles-mêmes de la « persécution ». Par exemple, on trouve au Canada des dispositions réprimant l'inceste et les relations sexuelles anales dans certaines circonstances, savoir les articles 155 et 159 du Code criminel, qui rendent passibles de peines d'emprisonnement de 14 et de 10 ans respectivement. Personne ne suggère pour autant que notre Code criminel est une loi qui a un caractère de persécution.

[16]    En l'espèce, la Commission a tenu compte de toute la preuve qui lui était présentée. Je ne vois aucune raison d'intervenir dans la conclusion de la Commission voulant qu'une loi d'application générale qui est rarement utilisée et qui interdit certains comportements sexuels n'a pas un caractère de persécution.

 

 

[24]           Comme la Commission a expressément conclu, en l'espèce, que le demandeur n'était pas véritablement exposé au risque d'être condamné pour un crime qu'il n'a pas commis, il n'y avait aucune possibilité qu'il soit persécuté en tant qu'innocent injustement condamné. Comme les faits de l'espèce permettaient logiquement à la Commission de tirer cette conclusion, j'estime qu'il n'y a pas lieu de modifier celle-ci dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[25]           Bien que j'aie un peu de mal à suivre le fil du raisonnement de la Commission en l'espèce, la norme de contrôle invitant à faire preuve de retenue en pareil cas milite en faveur du rejet de la présente demande.

 

[26]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 25 septembre 2006

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1104-06

 

 

INTITULÉ :                                       OSAMUYIMEN OVIAWE c. MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 23 AOÛT 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PINARD

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 25 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Idorenyin Amana                                         POUR LE DEMANDEUR

 

Me Alexandre Tavadian                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Idorenyin Amana                                         POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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