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Date : 20060927

Dossier : IMM‑3966‑05

Référence :  2006 CF 1144

 

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

JOAN BENDI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 


[1]        M. Joan Bendi (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision en date du 10 juin 2005 de la Section de la protection des réfugiés à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Par cette décision, la Commission a conclu que le demandeur n'a qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifiée (la Loi).

 

[2]        Le demandeur est citoyen albanais. Il a déclaré craindre d'être persécuté du fait de ses opinions et activités politiques.

[3]        Le demandeur a fait valoir que le régime communiste albanais avait longtemps persécuté sa famille, notamment en lui refusant l'accès à l'éducation et en saisissant ses biens. À la suite des changements politiques survenus en Albanie au début des années 1990, il a travaillé en Allemagne comme ingénieur environ six ans. Il est ensuite retourné en Albanie et y a fondé une entreprise, soit une agence de presse qui transmettait des articles aux médias d'information.

[4]        En 1998, le demandeur est devenu membre du Parti démocratique (le PD), qu'il a aussi soutenu par l'intermédiaire de son entreprise, en [TRADUCTION] « propageant son message ». Il a déclaré que le Parti socialiste (le PS) avait alors commencé à lui rendre la vie difficile en taxant lourdement son entreprise et en entravant ses communications téléphoniques.

[5]        En 2001, le demandeur et la femme qui était alors sa fiancée se sont trouvés en butte à des difficultés croissantes à l'approche des élections générales qui devaient avoir lieu cette année‑là. Le 15 juin 2001, des agents du fisc, des cadres du PS et des policiers se sont présentés à son bureau et l'ont accusé de diriger une campagne politique à partir de celui‑ci. Le demandeur a été agressé et blessé, mais il n'a pas demandé de soins médicaux. Lorsqu'il a signalé l'incident au PD, on lui a répondu que ce dernier ne pouvait le protéger.

[6]        Peu après les élections, la fiancée du demandeur a été agressée par des inconnus. Le demandeur et ses deux frères sont intervenus pour la défendre et ont été blessés. Aucun d'eux n'a demandé de soins médicaux dans la ville de Tirana, où ils résidaient, craignant que le PS ne les recherchât à l'hôpital. Le demandeur a emmené sa fiancée dans un hôpital situé à l'extérieur de Tirana, où elle est restée cinq jours. À leur retour à Tirana, ils ont constaté que le bureau du demandeur avait été saccagé. Ils y ont trouvé un avis donnant à penser que des partisans du PS étaient les auteurs de ces déprédations. Lorsque le demandeur a essayé de faire établir un rapport de police, on lui a dit que [TRADUCTION] « les gens qui jouent avec le feu – et avec le gouvernement – finissent par se brûler ». Il a déclaré penser que les vandales avaient agi avec la complicité de la police.

[7]        Le 4 juillet 2001, il y a eu une explosion à la résidence de la fiancée du demandeur. Le couple a alors décidé de quitter l'Albanie. Le demandeur a épousé sa fiancée le 20 juillet 2001 et elle est arrivée au Canada en septembre de la même année. Elle y a présenté une demande d'asile qui a été rejetée.

[8]        Entre-temps, le demandeur a remis son entreprise en marche en Albanie, mais en janvier 2002, on a refusé de renouveler sa licence d'exploitation et on lui a ordonné de vider ses locaux, ce qu'il a refusé de faire. En février 2002, des policiers se sont présentés à son bureau et ont emporté tout son matériel. Le demandeur n'a plus travaillé après cet incident, mais il a continué à appuyer le PD.

[9]        S'estimant menacé, le demandeur a obtenu un visa de visiteur pour les États-Unis et est parti pour ce pays le 30 mai 2003, avec l'intention d'engager un passeur pour lui faire traverser la frontière canadienne. N'ayant pu entrer en rapport avec le passeur et ne voulant pas demander l'asile aux États-Unis, il est retourné en Albanie le 1er juin 2003.

[10]      Entre son retour en Albanie et octobre 2003, le demandeur n'a pas eu de problèmes. Cependant, peu avant les élections prévues pour le 12 octobre 2003, soit le 10 octobre, il a été détenu et battu par la police. On lui a dit que tous les membres du PD seraient tués. Il n'a pas été gravement blessé, et on l'a relâché le lendemain. Il a continué à préparer les élections.

[11]      En qualité de vice-président de la Commission électorale de Tirana, le demandeur devait signer les rapports de scrutin. Il a refusé de le faire, au motif d'irrégularités et de ce qu'il a qualifié de manipulations de la part du PS. Le PS a menacé d'autres membres du PD qui avaient refusé de signer les rapports de scrutin. Un représentant du PS a tenu une conférence de presse où il a déclaré que les noms de tous les membres de la Commission électorale qui avaient refusé de signer ces rapports seraient communiqués à la police. Le demandeur a alors décidé de se faire plus discret pour ne pas attirer l'attention des autorités et il a formé le dessein de quitter l'Albanie le plus tôt possible.

[12]      Le 1er juin 2004, le demandeur a obtenu un autre visa pour les États-Unis, où il est arrivé le 18 juin 2004. Il a franchi la frontière à Windsor (Ontario) le 20 du même mois et a demandé l'asile à Toronto le lendemain.

 

[13]      La Commission a reconnu l'identité de citoyen albanais du demandeur, mais a émis des doutes sur son identité d'exploitant d'une agence de presse et de militant politique. Le demandeur a produit le certificat d'immatriculation de son entreprise, JON‑I Ltd. La Commission a noté que ce certificat était valable pour dix ans à compter du 13 avril 1993 et qu'il devait par conséquent expirer le 12 avril 2003. Elle a aussi noté qu'il autorisait les activités de vente en gros et au détail, d'importation et d'exportation, mais pas l'exploitation d'une agence de presse. La Commission a conclu qu'il n'était pas plausible que le demandeur eût été autorisé à exploiter une entreprise qui n'entrait pas dans le champ d'application du certificat susdit et qu'il avait inventé l'histoire de son expulsion de ses bureaux par la police afin d'« expliquer le retrait de ce certificat ».

[14]      La conclusion de la Commission touchant le champ d'application du certificat d'immatriculation paraît avoir influé sur sa conclusion finale concernant le bien-fondé de la demande d'asile de M. Bendi.

[15]      La Commission a accordé peu de poids aux déclarations du demandeur selon lesquelles ses clients étaient des membres de la presse étrangère. Elle a conclu qu'il n'avait pas produit d'éléments crédibles ou dignes de foi tendant à prouver qu'il ait exploité une agence de presse. Elle a accepté ses déclarations comme quoi il était membre du PD, mais a conclu qu'il n'était pas un militant politique comme il le prétendait.

[16]      La Commission a aussi conclu que le demandeur s'était réclamé de nouveau de la protection de l'Albanie quand il était retourné dans ce pays à partir des États-Unis en juin 2003, ce qui révélait selon elle l'absence d'une crainte fondée de persécution.

[17]      La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas produit de preuve crédible concernant des éléments importants de sa demande d'asile.

 

[18]      Pour contrôler la décision de la Commission, la Cour doit établir quelle est la norme de contrôle applicable au moyen d'une analyse pragmatique et fonctionnelle; voir Sketchley c. Canada (Procureur général) (2005), 344 N.R. (C.A.F.). Une telle analyse exige la prise en considération de quatre facteurs, soit : la présence ou l'absence d'une clause privative, l'expertise relative du tribunal, l'objet de la législation applicable et la nature de la question.

 

[19]      Les décisions de la Commission ne sont pas protégées par une clause privative forte; voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982. La Commission possède une expertise relative dans l'évaluation des demandes de protection présentées sous le régime de la Loi. L'objet général de celle‑ci est de régler l'admission des personnes, notamment des réfugiés, au Canada, et elle confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire étendu relativement aux décisions de cette nature.

[20]      Le facteur clé est la nature de la question. Dans la présente espèce, l'attention doit se concentrer sur la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n'a pas établi le bien‑fondé de son allégation qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions et activités politiques. Il s'agissait pour elle d'examiner la preuve et de rendre une décision de nature factuelle. Or une telle décision commande un degré élevé de retenue judiciaire.

[21]      L'examen comparatif des quatre facteurs m'amène à conclure que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[22]      La Commission a fondé son rejet de la demande d'asile de M. Bendi en grande partie sur l'évaluation du certificat d'immatriculation de l'entreprise de ce dernier. Elle a conclu que, comme ce document ne faisait pas mention de l'exploitation d'une « agence de presse », le demandeur avait menti en disant qu'il avait exercé des activités politiques par le moyen de son entreprise. Elle s'est en outre fondée sur cette conclusion pour établir d'autres constatations défavorables touchant sa crédibilité.

[23]      Je ne suis pas convaincue, vu le dossier, que la Commission ait tiré une conclusion juste de l'examen du certificat d'immatriculation d'entreprise. Or, si la Commission a commis une erreur à cet égard, cette erreur peut avoir influé sur ses conclusions ultérieures touchant la crédibilité générale du demandeur et le bien-fondé de sa demande. Je reprends ici à mon compte le passage suivant du paragraphe 4 de la décision Abdullahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1996] A.C.F. no 31 (1re inst.) (QL) :

[…] Dès lors que la Cour conclut que la décision de la Commission est fondée sur une erreur importante sans laquelle la Commission aurait peut-être tiré une conclusion différente, cette décision doit être annulée et l'affaire renvoyée à une autre formation de la Commission pour réexamen.

 

[24]      En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée à une formation différente de la Commission pour réexamen. Il n'est formulé aucune question pour certification.


 

ORDONNANCE

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n'est formulé aucune question pour certification.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

                                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3966‑05

 

INTITULÉ :                                       JOAN BENDI

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 11 JUILLET 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert Bafaro

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Micheal Crane

 

 

POUR LE DEMANDEUR 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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