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Date : 20060927

Dossier : IMM‑266‑06

Référence : 2006 CF 1146

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

 

ENTRE :

MOHAMMAD WAKIL PARVANTA,

alias AMAD VALI PARVANTA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire formée sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), ayant pour objet la décision en date du 7 décembre 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a accueilli la demande d'annulation, présentée par le défendeur, de la décision selon laquelle le demandeur était un réfugié au sens de la Convention.

 

[2]               Le défendeur présente une requête préliminaire visant à rayer le nom de deux demandeurs comme parties à  la présente instance. Ainsi qu'il appert de la transcription de l'audience de la demande d'annulation tenue devant la Commission, les demandeurs ont admis que, comme Zohal Dost, alias Sohal Parvanta, et Adham Parvanta (ci‑après collectivement désignés « la mère et le fils ») étaient citoyens australiens, la reconnaissance de leur statut de réfugié devait être annulée. Le demandeur consent à cette requête et ne conteste pas les conclusions de la Commission touchant la mère et le fils. En conséquence, ces deux personnes ne seront plus parties à la présente demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, puisqu'elles ont consenti à la demande d'annulation, formée par le défendeur, de la reconnaissance de leur statut de réfugiés.

 

LES FAITS

 

[3]               Le demandeur est citoyen afghan. En 1980 ou 1981, à l'âge de 18 ans, il a quitté l'Afghanistan pour aller étudier en Allemagne. Il y a revendiqué le statut de réfugié, qui lui a été accordé en 1984. On lui a délivré un document de voyage allemand, qui a été renouvelé à plusieurs reprises et a expiré en 1998.

 

[4]               Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au Canada en 1995, sans révéler que la mère et le fils étaient citoyens australiens ni qu'il avait lui-même le statut de réfugié en Allemagne et détenait un document de voyage allemand. Le Canada lui a accordé le statut de réfugié en 1996.

 

[5]               En 2002, le demandeur a déposé une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire pour lui-même, ainsi que pour la mère et le fils. C'est à ce moment que le demandeur a révélé avoir fait des présentations erronées sur certains faits dans sa première demande, déposée en 1995.

 

[6]               Le 30 novembre 2004, en vertu du paragraphe 109(1) de la LIPR et de l'article 57 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (les Règles), le défendeur a déposé une demande d'annulation de la décision ayant accueilli la demande d'asile du demandeur, au motif que cette décision résultait, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

[7]               La Commission a constaté que l'obtention du statut de réfugié par le demandeur en 1996 résultait, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Plus précisément, la Commission a conclu que le demandeur Ahmad Vali Parvanta (le demandeur) n'avait pas révélé certains faits touchant sa situation en Allemagne, où il vivait depuis 1981 et où il avait obtenu le statut de réfugié en 1984. Le demandeur a effectivement admis avoir tu, inventé ou déformé certains faits dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et à son audience concernant le statut de réfugié en 1996.

 

[8]               La Commission a également constaté que si elle avait disposé de ces éléments de preuve lorsqu'elle avait entendu sa revendication du statut de réfugié en 1996, elle n'aurait pu accorder ce statut au demandeur, au motif qu'il était exclu par application de la section E de l'article premier de la Convention.

 

ANALYSE

 

[9]               Les articles 98 et 109 de la LIPR, et la section E de l'article premier de la Convention, qui figure en annexe à la LIPR, sont libellés comme suit :

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

Annulation par la Section de la protection des réfugiés

 

Demande d’annulation

 

109.(1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

Rejet de la demande

 

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

 

 

Effet de la décision

 

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

 

 

 

SECTIONS E ET F DE L’ARTICLE PREMIER DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES RELATIVE AU STATUT DES RÉFUGIÉS

 

E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

Exclusion – Refugee Convention

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

Application to Vacate

 

 

Vacation of refugee protection

 

109.(1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

 

Rejection of application

 

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

 

Allowance of application

 

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

 

 

SECTIONS E AND F OF ARTICLE 1 OF THE UNITED NATIONS CONVENTION RELATING TO THE STATUS OF REFUGEES

 

E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

 

Analyse fondée sur la section 1E

 

[10]           Comme il ressort à l'évidence des dispositions reproduites ci‑dessus, l'article 98 est  subordonné à la section 1E de la Convention. L'objet de la section 1E est d'exclure du champ d'application de la Convention les personnes qui n'ont pas besoin de la protection que garantit le statut de réfugié. Cette disposition étaye donc les objets de la LIPR en limitant la possibilité de présenter des demandes d'asile aux personnes qui sont manifestement menacées de persécution : Kroon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 89 F.T.R. 236 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 10; et Mahdi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 191 N.R. 170 (C.A.F.), au paragraphe 8.

 

[11]           La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission dans de tels cas est celle de la décision raisonnable simpliciter : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Choovak, 2002 CFPI 573, [2002] A.C.F. no 767 (QL).

 

[12]           Pour ce qui concerne la charge de la preuve, mon collègue le juge Pierre Blais, aux paragraphes 27 à 30 de la décision Hassanzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1494, [2003] A.C.F. no 1886 (QL), a proposé une récapitulation approfondie de la jurisprudence relative au fardeau de la preuve dans les affaires relevant de la section 1E, dont il a conclu qu'« une fois que le ministre a établi prima facie que le demandeur peut retourner dans un pays où il peut jouir des mêmes droits que les nationaux du pays, il revient au demandeur de prouver pourquoi cela n'est pas possible ».

 

[13]           Le défendeur soutient que le moment par rapport auquel il convient d'établir le statut du demandeur en Allemagne et s'il est ou non exclu par application de la section 1E est celui où il a revendiqué le statut de réfugié au Canada, c'est‑à‑dire 1995-1996, et non celui de l'audience de la demande d'annulation le concernant en 2005. Je suis d'accord sur ce point avec le défendeur. Il doit être répondu à la question de l'exclusion sous le régime de la section 1E par rapport au moment de l'admission du demandeur d'asile au Canada. Cette thèse est confirmée par la Cour d'appel fédérale au paragraphe 12 de Mahdi, précité :

[...] la question véritable que la Commission devait trancher dans cette affaire était la suivante : l'intimée était-elle, lorsqu'elle a demandé son admission au Canada, une personne qui était encore reconnue par les autorités compétentes des États-Unis comme un résident permanent de ce pays […]? [Non souligné dans l'original.]

 

[14]           Dans Choovak, précitée, la revendicatrice soutenait que la date pertinente par rapport à laquelle il convenait d'examiner son droit de rentrer en Allemagne était celle de l'audience et que, à ce moment, elle avait perdu son droit de résidence temporaire. Le juge Rouleau, après avoir cité le passage ci‑dessus de Mahdi, a formulé les observations suivantes au paragraphe 37 :

Je dois avouer que cet argument de la défenderesse me paraît difficile à accepter car il mène à un résultat absurde suivant lequel un avocat peut reporter indéfiniment l'audience d'une revendication de statut de réfugié de façon à laisser devenir périmé le statut de résident du revendicateur, rendant par là inapplicable la clause d'exclusion de la section 1E. Il faut donner à cette disposition une interprétation plus conforme à son objet, qui est de fournir un refuge sûr à ceux qui en ont vraiment besoin et non d'ouvrir un raccourci commode vers le droit d'établissement aux immigrants qui ne peuvent pas l'obtenir de la manière usuelle ou qui ne le veulent pas.

 

[15]           Pour revenir à la présente espèce, le demandeur ne peut tirer parti du fait qu'il a laissé expirer son statut de résident permanent en Allemagne avant l'audition de sa demande d'asile.

 

[16]           Le demandeur invoque une jurisprudence selon laquelle le demandeur d'asile ne peut être exclu par application de la section 1E dans le deuxième pays (le Canada en l'occurrence) que s'il jouit des mêmes droits fondamentaux que les nationaux dans le premier pays (qui est ici l'Allemagne) : Kroon, précitée, au paragraphe 10; Choovak, précitée, au paragraphe 34; et Hassanzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1494, [2003] A.C.F. no 1886 (QL), aux paragraphes 19 à 21.

 

[17]           Le demandeur attire aussi l'attention sur la décision Choezom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1329, [2004] A.C.F. no 1608 (QL), au paragraphe 9 de laquelle le juge Konrad Von Finckenstein a posé en principe que la Commission, lorsqu'elle est appelée à établir si le demandeur d'asile est ou non exclu par application de la section 1E, doit examiner l'ensemble des circonstances de l'affaire, notamment : 1) le droit de rentrer et de résider pour une durée illimitée dans le pays de résidence, b) le droit d'y étudier, c) le droit d'y travailler et d) le droit aux services sociaux fondamentaux dans ce pays.

 

[18]           Le demandeur soutient que, par conséquent, la question à laquelle le tribunal aurait dû répondre était celle de savoir s'il y avait des éléments de preuve établissant clairement et sans équivoque qu'il jouissait de tous les droit d'un ressortissant allemand. Le demandeur fait valoir qu'il n'y avait pas d'éléments de preuve établissant de manière claire et convaincante que le demandeur d'asile principal bénéficiait de tous les droits d'un ressortissant allemand.

 

[19]           Cependant, le demandeur a reconnu que l'Allemagne lui avait octroyé le statut de réfugié, qu'il avait le droit d'y étudier et d'y travailler, qu'il pouvait habiter où il voulait dans ce pays, qu'on lui avait délivré un document de voyage renouvelable qui lui permettait de voyager à l'extérieur de l'Allemagne et qu'il n'avait pas demandé la citoyenneté allemande. La seule restriction que le demandeur a notée est le fait que, en tant que résident permanent, il ne pouvait pas voter.

 

[20]           S'il est vrai que le libellé de la décision aurait pu être plus clair, je constate que la preuve établissait sans l'ombre d'un doute que, au moment où il a revendiqué le statut de réfugié en 1995‑1996, le demandeur jouissait des mêmes droits fondamentaux que les ressortissants allemands et que, par conséquent, la Commission n'aurait pu alors lui accorder le statut de réfugié au motif de son exclusion par application de la section E de l'article premier de la Convention sur les réfugiés. Par conséquent, il ne servirait à rien de renvoyer l'affaire à la Commission, parce que le résultat ne pourrait être différent : Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.).

 

Analyse fondée sur l'article 109

 

[21]           Me basant sur le raisonnement suivi dans Bortey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 190, [2006] A.C.F. no 246 (QL), je conclus que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues sous le régime du paragraphe 109(1) de la LIPR est la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[22]           Le demandeur soutient que le tribunal a omis de prendre en considération le paragraphe 109(2) de la LIPR, c'est‑à‑dire de se demander s'il restait suffisamment d'éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l'asile en dépit des présentations erronées. Il fait valoir que, bien qu'il ait reconnu avoir fait de nombreuses présentations erronées, il restait dans son FRP un certain nombre de faits importants, confirmés par son témoignage à l'audience de la demande d'annulation, de nature à justifier l'asile. Je ne puis souscrire à cette proposition.

 

[23]           Une fois qu'elle avait conclu que le demandeur était exclu par application de la section 1E, la Commission n'avait pas à examiner le reste des éléments de preuve sous le régime du paragraphe 109(2) de la LIPR, puisqu'elle se trouvait empêchée par l'article 98 de celle‑ci de lui accorder le statut de réfugié ou de lui reconnaître la qualité de personne à protéger. Voir Aleman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 710, [2002] A.C.F. no 955 (QL); et Thambipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no 1166 (1re inst.) (QL).

 

[24]           Il serait à mon sens manifestement inutile et même tout à fait absurde de la part de la Commission d'entreprendre l'analyse d'une demande d'asile après avoir conclu que le demandeur ne peut avoir ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑266‑06

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMAD WAKIL PARVANTA,

                                                            alias AMAD VALI PARVANTA

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 18 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Nataliya Dzera

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Normand Lemyre

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waïce Ferdoussi, Avocats

Bureau 903

1550, rue Metcalfe

Montréal (Québec)

H3A 1X6

 

 

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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