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Date : 20060927

Dossier : IMM 7201‑05

Référence : 2006 CF 1151

Toronto (Ontario), le 27 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

 

SUE‑ANN AILEEN WILLIAMS

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 16 novembre 2005 par laquelle un agent d'immigration a rejeté la demande d'exemption de visa fondée sur des considérations humanitaires qu'avait présentée Mme Sue‑Ann Williams. La Cour devait établir si les motifs de cette décision étaient satisfaisants. Comme je suis convaincu qu'ils le sont et qu'il n'y a pas de raisons de remettre cette décision en cause, la présente demande doit être rejetée.

 

[2]               Mme Williams est citoyenne de Saint-Vincent. Elle est arrivée au Canada le 19 août 1998 avec le statut de visiteur, lequel est demeuré en vigueur jusqu'au 18 février 1999. Elle est restée au Canada après cette date sans statut et a déposé une demande d'asile le 5 février 2001. Sa demande d'asile était fondée sur les mauvais traitements que lui avait infligés son ex-conjoint de fait et le risque que présentait cet homme pour sa vie si elle retournait à Saint‑Vincent. Sa demande a été rejetée le 2 juin 2003, aux motifs que le temps qu'elle avait laissé s'écouler avant de la former n'étayait pas la thèse d'une crainte subjective et qu'elle pouvait bénéficier de la protection de l'État à Saint‑Vincent.

 

[3]               Le 20 décembre 2003, Mme Williams a présenté une demande de résidence permanente à partir du Canada fondée sur des motifs d'ordre humanitaire (la demande CH), en invoquant les mêmes faits que dans sa demande d'asile. Par lettre en date du 13 janvier 2005, un agent d'immigration (l'agent) lui a demandé des renseignements complémentaires. Il la priait entre autres d'expliquer quelles raisons particulières il y aurait de l'exempter de l'obligation de présenter sa demande de résidence permanente à partir d'un bureau des visas à l'étranger et d'exposer les difficultés excessives qu'elle subirait si on ne l'autorisait pas à le faire sur le territoire canadien. Il ajoutait qu'elle devait produire des éléments de preuve ou documents à l'appui de ses dires.

 

[4]               Le consultant en immigration de la demanderesse a répondu à l'agent par lettre en date du 7 février 2005, où il se contentait d'invoquer de nouveau les mêmes faits que ceux sur lesquels se fondaient la demande d'asile et la demande CH du 20 décembre 2003. Étaient joints à cette communication des lettres de soutien des amis de la demanderesse, de son pasteur et de son employeur, ainsi que des documents faisant état de son niveau d'instruction et de ses épargnes.

 

LA DÉCISION DE L'AGENT

 

[5]               L'agent a établi sur la foi des renseignements produits que la demande CH était fondée sur [TRADUCTION] « les mauvais traitements infligés à la demanderesse par son ex‑conjoint de fait à Saint‑Vincent », et il a noté que Mme Williams n'avait pas communiqué d'autres renseignements que ceux qu'avait déjà examinés la Section de la protection des réfugiés. Il a ensuite déclaré que, comme Mme Williams invoquait dans sa demande CH les mêmes éléments de risque que dans sa demande d'asile, le dossier ne serait pas soumis à une évaluation du risque avant le renvoi.

 

[6]               L'agent a noté que la demanderesse avait une tante et deux cousins au Canada, qu'elle y avait occupé plusieurs emplois, qu'elle avait des économies d'environ 600 dollars et qu'elle faisait du bénévolat dans sa paroisse. Il a cependant ajouté que la demanderesse n'était pas [TRADUCTION] « établie à tel point au Canada que l'obligation d'en sortir pour présenter sa demande de résidence permanente lui causerait des difficultés inhabituelles, imméritées ou excessives ». L'agent faisait en outre observer que la demanderesse avait sa mère et deux sœurs à Saint‑Vincent et que, s'il était admis que ses rapports avec sa mère n'avaient pas toujours été harmonieux, elle restait en contact avec cette dernière. L'agent a conclu que, compte tenu de l'âge de la demanderesse – 29 ans –, ainsi que du fait qu'elle avait suivi des études supérieures à Saint‑Vincent et qu'elle y avait déjà travaillé, il n'était [TRADUCTION] « pas convaincu qu'elle serait incapable de retourner à Saint‑Vincent, d'y trouver un emploi et un logement, et de présenter à partir de ce pays sa demande de résidence permanente ».

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Les questions en litige dans la présente espèce sont celles de savoir si l'agent d'immigration a manqué à l'équité du fait qu'il n'aurait pas étayé sa décision de motifs satisfaisants et si, considérée dans son ensemble, sa décision est déraisonnable.

 

 

ANALYSE

 

[8]               Il est de droit constant que la norme de contrôle des décisions d'agent d'immigration sur les demandes CH est, en général, celle de la décision raisonnable : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817. Comme l'explique le juge Iacobucci dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est soutenable en ce sens qu'il est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir.

 

[9]               Pour établir si les motifs exposés sont satisfaisants, il faut établir le contenu de l'obligation d'équité de l'agent envers la demanderesse pour ce qui concerne la motivation de sa décision. Il n'est pas nécessaire à cet égard d'effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle. La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195, 2004 CAF 49.

 

[10]           La demanderesse soutient que les motifs dont l'agent a étayé ses conclusions dans la présente espèce sont insuffisants. Il n'apparaît pas clairement à la lecture de l'exposé de ces motifs, fait-elle valoir, pourquoi le fait qu'elle ait résidé au Canada durant huit ans, qu'elle y ait poursuivi ses études et qu'elle y ait occupé des emplois ne constitue pas un établissement suffisant et ne démontre pas qu'elle subirait des difficultés excessives si elle se voyait obligée de présenter sa demande à partir de Saint‑Vincent.

 

[11]           Comme le faisait observer la Cour d'appel fédérale dans Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office des transports), [2001] 2 C.F. 25, (2000), 193 D.L.R. (4th) 357, il ne suffit pas, pour remplir l'obligation de donner des motifs satisfaisants, de récapituler les moyens et la preuve des parties et de conclure. L'instance décisionnelle doit plutôt énoncer ses constatations et conclusions de fait et préciser les principaux éléments de preuve sur lesquels elles sont fondées. L'exposé des motifs doit traiter les principaux points en litige et témoigner de l'examen des principaux facteurs pertinents. Cependant, l'application de cette règle suppose que l'on a communiqué à l'instance décisionnelle l'information nécessaire pour effectuer une telle analyse.

 

[12]           Le problème pour la demanderesse, dans la présente espèce, est que, bien que l'agent l'ait demandé dans sa lettre de janvier 2005, on ne lui a pas communiqué au nom de Mme Williams d'observations propres à étayer une conclusion d'établissement au Canada ou à expliquer en quoi cela présenterait pour elle des difficultés excessives de demander la résidence permanente à partir de Saint‑Vincent. On a plutôt communiqué à l'agent une énumération des facteurs de risque que la Section de la protection des réfugiés avait déjà examinés dans sa décision de 2003. La demanderesse soutient que l'agent aurait dû réexaminer ces éléments et exposer les motifs pour lesquels ils ne pouvaient donner lieu à la constatation de difficultés excessives.

 

[13]           Je ne puis souscrire à cette prétention. À mon sens, il était permis à l'agent de conclure qu'une analyse supplémentaire du risque n'était pas nécessaire, puisque la demanderesse n'avait pas produit de nouveaux renseignements sur le risque. En outre, il était loisible à l'agent de se fonder sur la conclusion de la Section de la protection des réfugiés comme quoi la demanderesse pouvait bénéficier de la protection de l'État à Saint‑Vincent. Cela étant, il ne lui restait pas grand-chose à analyser. Les observations communiquées au nom de la demanderesse n'établissaient pas qu'elle se soit établie au Canada à tel point que cela présenterait pour elle des difficultés excessives de former une demande de résidence permanente à partir de l'étranger ou qu'elle serait incapable de le faire depuis Saint‑Vincent. Le peu de renseignements produits n'exigeait pas de l'agent qu'il explique les raisons de leur insuffisance de manière plus approfondie qu'il ne l'a fait.

 

[14]           Afin d'établir si la demanderesse subirait des difficultés excessives dans le cas où elle serait tenue de faire sa demande de résidence permanente à partir de l'étranger, l'agent a examiné et évalué ses liens avec le Canada et d'autres facteurs pertinents. Tout bien pesé, l'exposé des motifs de l'agent témoigne d'une analyse des renseignements fournis et peut résister à un examen assez poussé.

 

[15]           Je conclus en conséquence que l'agent n'a pas manqué à son obligation d'équité et que sa décision, considérée dans son ensemble, est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'a pas été proposé de question grave de portée générale, et aucune question ne sera certifiée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

 

                                                                                                            « Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑7201‑05

 

INTITULÉ :                                       SUE‑ANN‑AILEEN WILLIAMS

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 26 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LA DEMANDERESSE

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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