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Date :  20060929

Dossier :  IMM-425-06

Référence :  2006 CF 1165

OTTAWA (Ontario), le 29 septembre 2006

En présence de L'honorable Paul U.C. Rouleau

 

ENTRE :

NABIL SAAD IBRAHIM

Partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Nabil Saad Ibrahim, est un citoyen d’Égypte âgé de cinquante ans. Il craint d’être persécuté par les extrémistes islamiques et les autorités égyptiennes en raison de ses convictions religieuses. Il allègue être ciblé en raison de sa conversion à la religion chrétienne en 1971, religion qu’il pratiquait en cachette jusqu’au décès de son frère aîné en 2002.

 

[2]               Le demandeur affirme être né d’une mère chrétienne et d’un père musulman. En 1971, après le décès de son père et sous l’influence du frère de sa mère, le demandeur alors âgé de seize ans se serait converti à la religion chrétienne. Le demandeur, qui craignait son oncle paternel, a caché sa conversion jusqu’en 1999 quand il aurait annoncé son intention de changer sa religion.

 

[3]               Le demandeur allègue que son demi-frère Yahya l’aurait alors dénoncé à un officier de la Sécurité étatique. Il aurait été arrêté et détenu deux jours pendant lesquels il aurait été victime d’insultes, de menaces, d’humiliations et de coups sauvages. Le demandeur n’aurait pas divulgué s’être déjà converti et il fut libéré sous promesse de ne pas se convertir.

 

[4]               Il allègue alors avoir continué de vivre sa foi chrétienne en cachette jusqu’au décès de son demi-frère Yahya en 2002.

 

[5]               Le demandeur était marié à une femme musulmane, Linda, dont le père était né chrétien. Cependant, le demandeur a eu un enfant avec une femme chrétienne, Magda, en dehors des liens du mariage. Son épouse aurait alors dévoilé à sa famille que le demandeur s’était converti au christianisme et elle aurait juré de se venger en le dénonçant à un groupuscule d’extrémistes musulmans du Caire, dont le beau-frère du demandeur faisait partie.

 

[6]               Le 22 novembre 2002, le demandeur quitta l’Égypte pour les États-Unis. Il était muni d’un visa de visiteur américain délivré en 2000 et valide pour cinq ans, ainsi que d’un visa de visiteur canadien délivré le 19 septembre 2002. Le demandeur séjourna un an aux États-Unis sans y demander le statut de réfugié car on lui a dit que depuis le 11 septembre 2001, il était pratiquement impossible d’obtenir un tel statut.

 

[7]               En décembre 2002, le demandeur est arrivé au Canada et a choisi de se marier et de se faire parrainer par son épouse plutôt que de demander l’asile. En septembre 2004, après que l’épouse canadienne du demandeur ait retiré son parrainage, le demandeur demanda l’asile au Canada.

 

[8]               Le tribunal a refusé la demande du demandeur pour manque de preuve. La décision fait mention que le demandeur, dont la mère est chrétienne, se serait converti au christianisme depuis 1971 et officiellement depuis 1990. De plus, il est mentionné que le demandeur allègue que les membres de la famille de son ex-épouse, des extrémistes musulmans, auraient comploté pour qu’il soit arrêté.

 

[9]               Le tribunal, dans sa décision, indique que le nom de l’ex-épouse du demandeur est Linda, un prénom plutôt chrétien, et qu’il est donc improbable que sa famille soit vraiment extrémiste musulmane. De plus, le père de Linda était chrétien et sa mère était musulmane. Il n’était donc pas plausible, selon le tribunal, que la famille de la mère de Linda soit aussi extrémiste que le prétendait le demandeur puisqu’elle avait permis le mariage de la mère de Linda à un chrétien.

 

[10]           De plus, le tribunal soulève à la question 4 du FRP que le demandeur déclare ne jamais avoir été en détention. Or dans son narratif du FRP, il dit avoir été arrêté et craint encore d’être arrêté par les autorités de son pays s’il devait y retourner. Il explique cette divergence par le fait qu’il n’a jamais été emprisonné puisqu’il ne s’agissait pas d’une arrestation officielle.

 

[11]           La partie demanderesse soumet que le tribunal ne s’est pas prononcé sur le bien-fondé de la crainte de persécution alléguée par le demandeur, soit la conversion de l’islam au christianisme. Même si le tribunal avait des réticences quant à certains aspects du récit du demandeur, il ne pouvait ignorer que sa crainte de persécution était justifiée.

 

[12]           Le demandeur soumet que le tribunal n’a pas mentionné son certificat de baptême qui, comparé à son certificat de naissance, démontre clairement qu’il est né musulman puis baptisé chrétien en secret, à l’âge de seize ans. Ce baptême entraîne une mort certaine selon certains écrits musulmans déposés en preuve et auxquels le tribunal n’a aucunement fait référence.

 

[13]           De plus, le demandeur a douté de l’impartialité du tribunal puisqu’à plusieurs reprises pendant l’audience, la commissaire s’est lancée dans une défense de l’islam avec des idées préconçues d’un islam modéré qui respecte la liberté de religion.

 

[14]           Le demandeur soumet avoir été crédible, direct et précis dans ses réponses, sans aucune contradiction ou tentative de justifier ses explications.

 

[15]           Contrairement à ce qui est rapporté dans la décision du tribunal, le demandeur indique qu’il n’a jamais affirmé s’être officiellement converti au christianisme en 1990. Cette date n’apparaît nulle part dans le FRP ni dans les transcriptions de l’audience. C’est en fait en 1999 que le demandeur aurait informé sa famille de son désir de se convertir au christianisme, alors qu’officiellement il l’était déjà depuis 1971.

 

[16]           De plus, ni dans son narratif ni durant l’audience, le demandeur n’a affirmé avoir été arrêté à cause de la famille de son ex-épouse. En fait, en 1999 il a été séquestré suite aux accusations portées contre lui par son demi-frère.

 

[17]           Le demandeur soutient que l’argument du tribunal selon lequel le nom de son ex-épouse Linda influe sur l’extrémisme religieux de cette dernière et de sa famille est complètement ridicule et circonstanciel. Il a expliqué que le père de Linda s’était converti à l’islam afin de pouvoir se marier à une musulmane puisque les mariages mixtes sont illégaux en Égypte.

 

[18]           Le demandeur soumet que ce n’est pas la famille de son ex-épouse qui pose le danger principal à sa vie mais plutôt le risque que celle-ci fasse connaître sa conversion aux autorités et aux groupes islamiques extrémistes, dont le beau-frère du demandeur fait partie. Il allègue que le tribunal n’évalue aucunement ce point.

 

[19]           Le demandeur déclare qu’il ne s’est jamais contredit en déclarant tantôt aux autorités qu’il s’était converti au christianisme et tantôt non. En fait, pendant l’entrevue avec l’agent, le demandeur a indiqué avoir été arrêté parce qu’on l’accusait de s’être converti au christianisme. Or, c’est son demi-frère qui avait dévoilé ce fait aux officiers de la sécurité d’État.

 

[20]           De plus, les officiers ignoraient le fait que le demandeur avait été baptisé, sinon il ne serait ni libre ni même vivant aujourd’hui. En effet, le tribunal ne semble pas avoir compris la différence entre la conversion et le baptême, le baptême n’étant qu’une confirmation de la conversion et qui peut se faire plusieurs années après la conversion.

 

[21]           À la question 4 du FRP, le demandeur déclarait n’avoir jamais été arrêté. Or, dans son narratif il mentionne une séquestration par la sécurité de l’État sous la loi d’urgence. Ces deux affirmations ne sont pas contradictoires. En effet, la séquestration du demandeur n’était pas officielle et il ne s’agissait pas d’une arrestation en bonne et due forme mais uniquement d’un interrogatoire pour vérifier s’il s’était vraiment converti au christianisme. Si les autorités avaient su qu’il était baptisé, ils l’auraient alors incarcéré, torturé ou tué. Cependant, à la fin de l’interrogatoire, les autorités l’ont simplement libéré sans aucune formalité; il ne s’agissait pas d’une arrestation en bonne et due forme.

 

[22]           L’attitude du demandeur ne démontre aucunement une absence de crainte sérieuse de persécution. Le demandeur était légalement présent au Canada jusqu’en août 2004 lorsque son épouse canadienne a cessé de le parrainer. Il a alors immédiatement et sans hésitation demandé le statut de réfugié. La jurisprudence prévoit qu’on peut difficilement reprocher à une personne de ne pas avoir demandé l’asile pendant le délai de son séjour légal au Canada.

 

[23]           Le tribunal a complètement ignoré la preuve documentaire selon laquelle le demandeur pourrait être victime de persécution, torture ou mort en Égypte, en raison de sa conversion au christianisme.

 

[24]           Le défendeur soutient que le demandeur a le fardeau de présenter une preuve claire et suffisante et que le tribunal est le mieux placé pour l’évaluer.

 

[25]           Le défendeur soumet que le tribunal peut prendre en compte les contradictions entre la déclaration initiale d’un demandeur à l’agent d’immigration, son FRP et son témoignage; qu’il peut également prendre en considération son caractère confus et son comportement.

 

[26]           Le défendeur soutient que le défaut de mentionner le certificat de baptême n’est pas un élément déterminant puisque le tribunal n’a pas mis en doute la crédibilité du demandeur quant à sa foi chrétienne mais plutôt quant à sa crainte de persécution par la famille de son épouse et aussi quant aux circonstances de sa détention alléguée de 1999.

 

[27]           Le défendeur soumet que le tribunal a sans doute mentionné 1990 plutôt que 1999 relativement à la date officielle de conversion de religion du demandeur puisque c’était la date initialement indiquée dans son FRP avant qu’il n’y apporte des modifications.

 

[28]           Quant à savoir quand le demandeur aurait officiellement annoncé sa conversion, le défendeur soumet qu’il s’est contredit, disant à l’agent d’immigration qu’il l’aurait divulguée lors de son arrestation en 1999 et restant plutôt confus à ce sujet dans la déclaration qu’il a consignée à la question 31 de son FRP, alors qu’à la question 9 de son FRP il a déclaré avoir été arrêté parce qu’il s’était converti au christianisme.

 

[29]           Le tribunal a rejeté la demande du demandeur au motif que le demandeur n’a pas apporté d’éléments suffisants de nature à établir qu’il est personnellement visé par les dispositions des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[30]           Ayant pris connaissance des mémoires de la partie demanderesse ainsi que de la partie défenderesse et ayant lu attentivement la transcription de l’audience devant le tribunal, je suis persuadé que l’allégation principale du revendicateur, soit le fait qu’un musulman se soit converti au christianisme, a été complètement ignorée ou écartée.

 

[31]           Une lecture attentive de la preuve documentaire soulève plusieurs questions lorsqu’il s’agit d’un apostat. La preuve documentaire démontre clairement que ces individus se sentent marqués et sujets à des arrestations, détentions et même dans certains cas ils sont menacés de mort aux mains d’extrémistes islamiques en Égypte.

 

[32]           Je suis entièrement d’accord avec les soumissions du demandeur à l’effet que le tribunal n’a pas analysé objectivement sa crainte subjective ou même objective. À mon avis, la preuve au dossier ne peut appuyer le rejet de la demande. En référant simplement au deuxième paragraphe de l’analyse de la demande, il est évident que la conclusion du tribunal à l’effet que la version du demandeur n’était pas probable est sans fondement.

 

[33]           À titre d’exemple, je cite le passage suivant :

 

Or, cette épouse porte le prénom Linda, un nom plutôt chrétien que musulman. Si cette famille était aussi étroite d’esprit, de surcroît vivant dans un pays musulman, l’ex-épouse du demandeur porterait un nom musulman. D’ailleurs, le tribunal découvre, durant l’audience, que le père de Linda était chrétien et que seule sa mère était musulmane. Si la famille de la mère était si intolérante, elle n’aurait pas permis que sa mère épouse un chrétien. Il s’agit donc d’un mariage mixte. Le tribunal ne croit donc pas en l’histoire du demandeur, car elle n’est pas plausible.

 

 

[34]           La détermination que puisque le prénom de son épouse n’était pas musulman sa famille ne serait pas aussi étroite d’esprit que l’allègue le revendicateur n’est pas plausible. Lors de sa comparution le demandeur avait expliqué que les ancêtres de son épouse étaient chrétiens et qu’un membre de cette famille se prénommait Linda, raison pour laquelle son épouse portait ce prénom qui n’était pas d’origine musulmane.

 

[35]           Comme l’expliquait le revendicateur, il n’avait pas dévoilé à son épouse sa conversion au christianisme et, après les incidents survenus dans le mariage, soit le fait qu’il est devenu père d’un enfant hors des liens du mariage et qu’il n’avait dévoilé sa conversion qu’après plusieurs années, la conclusion du tribunal ne peut être maintenue.

 

[36]           Le tribunal a également déterminé que le revendicateur n’était pas crédible parce que dans son formulaire de renseignements personnels il avait indiqué qu’il n’avait jamais fait l’objet d’arrestation de la part des forces de sécurité en Égypte. L’explication offerte par le demandeur était certainement logique. Les forces de sécurité soupçonnaient qu’il se soit possiblement converti au christianisme. Ils l’ont fait venir à leurs bureaux et l’ont détenu pendant deux jours sans l’arrêter officiellement. Ils enquêtaient tout simplement sa situation religieuse qu’il n’avait jamais dévoilée.

 

[37]           Il est vrai que le demandeur est arrivé au Canada en décembre 2002 et qu’il n’a demandé l’asile que deux ans plus tard. Ce retard est justifié. Il avait épousé une femme qui avait accepté de le parrainer et avait même initié la demande. Ils ont par la suite divorcé et elle a retiré son parrainage. Ceci explique la cause du retard à déposer sa demande de réfugié.

 

[38]           Il m’apparaît que tout au long de l’exercice la présidente du tribunal semble exprimer ses connaissances de l’islam envers le christianisme sans d’aucune façon justifier son expertise ou appuyer ses allégations par de la preuve documentaire.

 

[39]           Je suis convaincu que la décision du tribunal n’est pas fondée.

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyé à un tribunal différemment constitué pour nouvelle détermination.

 

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-425-06

 

INTITULÉ :                                       Nabil Saad IBRAHIM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Qc

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 août 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            ROULEAU J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 septembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Élie Chahwan

 

POUR LE DEMANDEUR

Annie Van Der Meerschen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Élie Chahwan

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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