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Date :  20060929

Dossier :  IMM-7239-05

Référence :  2006 CF 1160

OTTAWA (Ontario), le 29 septembre 2006

En présence de L'honorable Paul U.C. Rouleau 

 

ENTRE :

FADILA KHARCHI

Demanderesse

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR), de la décision en date du 20 septembre 2005 rendue par un agent d’immigration de l’Ambassade du Canada située à Paris, en France, par laquelle la demanderesse s’est vue refusé un visa de résidence permanente en raison du fait que son époux est une personne décrite au paragraphe 36 de la LIPR et donc interdit de territoire au Canada pour motif de criminalité.

 

[2]               La demanderesse, Mme Fadila Karchi, est la requérante principale dans la procédure d’immigration au Canada. Sont part à la même demande son époux, Abdelfettah Sayoud, leurs deux fils, Medhi Amine Sayoud et Amir Sayoud, ainsi que leur fille, Meroua Melissa Sayoud.

 

[3]               Le 5 novembre 2004, Mme Karchi et les membres de sa famille ont obtenu leur certificat de sélection du Québec.

 

[4]               Le 14 mars 2005, Mme Karchi faisait parvenir sa demande de résidence permanente à l’Ambassade du Canada à Paris. Dans sa demande, elle indiquait que son époux avait été condamné à trois mois de prison avec sursis et à une amende de 2000 Dinars Algériens, soit environ 44$ canadiens (Affidavit de Carmelina Paci, Pièce K, Dossier de la demanderesse, à la page 54) suite à une déclaration de culpabilité pour homicide involontaire.

 

[5]               Par lettre du 15 juin 2005, l’Ambassade du Canada à Paris demandait à Mme Karchi de fournir des détails supplémentaires sur l’accident de la route qui avait mené à la condamnation de son époux.

 

[6]               Par lettre datée du 12 août 2005, Mme Karchi faisait parvenir le rapport de Gendarmerie contenant le procès verbal de l’accident à l’Ambassade du Canada à Paris.

 

[7]               Par lettre datée du 20 septembre 2005, l’agent d’immigration transmettait à Mme Karchi sa décision de refuser sa demande de résidence permanente.

 

[8]               Le 19 août 1999, en Algérie, M. Sayoud conduisait un véhicule parmi un cortège lors du mariage d’un de ses amis. Dans la voiture se trouvaient aussi Mme Karchi, leurs trois enfants et la nièce de Mme Karchi.

 

[9]               À la hauteur d’un pont, à la demande du conducteur en avant de lui, M. Sayoud a dévié dans la voie de gauche pour prendre une photo. Dans le véhicule à l’avant de M. Sayoud se trouvait le photographe du mariage qui prenait des photos des voitures du cortège une après l’autre alors qu’elles dépassaient son véhicule.

 

[10]           La voiture de M. Sayoud était la dernière à se faire ainsi photographier.

 

[11]           Au moment de s’engager, M. Sayoud n’a pas vu de véhicule circulant en sens inverse sur cette voie. Il a été surpris par un camion venant en sens inverse qu’il a tenté sans succès d’éviter.

 

[12]           L’impact a causé des blessures aux passagers du véhicule et des blessures mortelles à la nièce de Mme Karchi, Hanane Bensouad, qui est décédée peu après l’accident.

 

[13]           La brigade de la Gendarmerie de Ouled Rahmoune a enregistré une infraction d’homicide par imprudence contre M. Sayoud, tel qu’il appert du rapport de Gendarmerie.

 

[14]           La cour de Constantine a trouvé M. Sayoud coupable d’homicide et de blessures involontaires, actes prévus et punis par les articles 288 et 442 du Code pénal algérien (Affidavit de Carmelina Paci, Pièce I, Dossier de la demanderesse, à la page 47).

 

[15]           Le 31 janvier 2000, M. Sayoud a été condamné à trois mois de prison avec sursis et à une amende de 2,000 dinars algériens.

 

[16]           Font partie des motifs de la décision contestée, la lettre de l’agent d’immigration datée du 20 septembre 2005 ainsi que les entrées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI).

 

[17]           L’agent d’immigration a refusé la demande de résidence permanente de Mme Karchi et sa famille pour la raison que l’époux de Mme Karchi, M. Sayoud, est interdit de territoire au Canada pour criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

 

[18]           L’agent d’immigration a noté que l’alinéa 36(1)b) de la LIPR interdit de territoire pour criminalité l’étranger qui a été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales.

 

[19]           De plus, l’agent d’immigration a noté que M. Sayoud a été déclaré coupable en Algérie, le 31 janvier 2000, d’une infraction d’homicide et de blessures involontaires postérieures à un accident de la route, infraction qui commise au Canada, serait punissable en vertu du paragraphe 249(4) du Code criminel, L.R. 1985, c. C-46 et est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans. Ainsi, l’agent d’immigration a conclu que M. Sayoud est interdit de territoire.

 

[20]           L’agent d’immigration a rejeté la demande de Mme Karchi en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR qui stipule que l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent d’immigration les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve à la suite d’un contrôle qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la LIPR.

 

[21]           L’agent d’immigration a ajouté que l’interdiction de territoire s’étend à tout séjour au Canada comme visiteur et que l’époux de Mme Karchi ne devrait même pas tenter d’entrer au Canada.

 

[22]           L’agent a noté que l’accident n’est pas survenu sous l’emprise de l’alcool et aucun élément du jugement ne permet de croire à une négligence de la part du conducteur. Selon le jugement, la voiture du condamné a dévié sur le côté gauche de la route à l’entrée d’un pont, où le condamné a été surpris par un camion arrivé en sens inverse qu’il a essayé en vain d’éviter.

 

[23]           En l’espèce, les questions en litige suivantes sont soulevées par les arguments des parties :

a.       L’agent d’immigration a-t-elle commis une erreur en déterminant que l’époux de Mme Karchi est interdit de territoire pour motif de criminalité selon l’alinéa 36(1)b) de la LIPR?

b.      L’agent d’immigration a-t-elle manqué à son devoir de diligence et d’équité en omettant de convoquer Mme Karchi et son époux en entrevue pour clarifier l’accident survenu?

c.       Les faits en l’espèce justifient-ils l’octroi des dépens sur une base avocat-client?

 

[24]           Le paragraphe 11(1) de la LIPR énonce les conditions préalables avant qu’un étranger puisse entrer au Canada, soit l’obtention des documents requis qui sont délivrés si l’étranger démontre qu’il n’est pas interdit de territoire :

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign nation is not inadmissible and meets the requirements of the Act.

 

 

[25]           L’alinéa 36(1)b) de la LIPR discute de l’interdiction de territoire pour grande criminalité, plus précisément du cas où l’étranger est déclaré coupable d’une infraction hors du Canada qui constituerait une infraction au Canada :

 

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

[…]

 

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

[…]

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

 

 

[26]           L’article 249 du Code criminel décrit l’infraction de conduite dangereuse :

 

249. (1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

 

a) un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu;

 

[]

 

(3) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

 

(4) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatrorze ans.

249. (1) Every one commits an offence who operates

 

 

(a) a motor vehicle in a manner that is dangerous to the public, having regard to all the circumstances, including the nature, condition and use of the place at which the motor vehicle is being operated and the amount of traffic that at the time is or might reasonably be expected to be at that place.

 

 

(3) Every one who commits an offence under subsection (1) and thereby causes bodily harm to any other person is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding ten years.

 

 

(4) Every one who commits an offence under subsection (1) and thereby causes the death of any other person is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding fourteen years.

 

 

[27]           L’article 288 du Code pénal algérien (Affidavit de Carmelina Paci, Pièce J, Dossier de la demanderesse, à la page 52) porte sur l’infraction d’homicide involontaire et énonce ce qui suit :

Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, commet involontairement un homicide, ou en est involontairement la cause, est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans, et d’une amende de 1,000 à 20,000 DA.

 

 

[28]           L’article 442 du Code pénal algérien (Affidavit de Carmelina Paci, Pièce J, Dossier de la demanderesse, à la page 53) porte sur l’infraction de contraventions relatives aux personnes :

Sont punis d’un emprisonnement de dix jours au moins à deux mois au plus et d’une amende de 100 à 1,000 DA ou de l’un de ces deux peines seulement :

 

[]

 

2)      ceux, qui par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, sont involontairement la cause de blessures, coups ou maladies, n’entraînant pas une incapacité totale de travail supérieure à trois mois;

 

[]

 

 

[29]           La question de déterminer si une infraction commise à l’étranger et pour laquelle l’étranger a été condamné est équivalente à une infraction d’une loi fédérale canadienne est une question de droit. Il est nécesaire d’interpréter le droit étranger et le droit canadien afin de déterminer si les deux infractions sont équivalentes selon le libellé de chaque infraction. Dans ce contexte, l’agent d’immigration ne détient aucune expertise particulière. L’interprétation qu’il fait du droit étranger et canadien doit être correcte (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, aux paragraphes 37 et 59). L’omission d’évaluer convenablement l’équivalence des infractions constitue une erreur fatale, une erreur qui donne lieu à la révision de la part de cette Cour (Ngo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 609, au paragraphe 23).

 

[30]           Pour ce qui est des questions de violation d’équité procédurale ou de justice naturelle, cette Cour doit examiner les circonstances particulières afin de déterminer si le décideur de faits a respecté l’équité procédurale et la justice naturelle. Si elle décide qu’il y a eu une violation de l’équité procédurale ou de la justice naturelle, cette Cour doit retourner la décision au décideur de faits en question (Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, [2006] A.C.F. no 8 (QL), au paragraphe 15; Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 1284, [2005] A.C.F. no 1560 (QL), au paragraphe 5; Trujillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 414, [2006] A.C.F. no 595 (QL), au paragraphe 11; Bankole c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1581, [2005] A.C.F. no 1942 (QL), au paragraphe 7).

 

[31]           Pour déterminer si une infraction commise à l’étranger constituerait, si elle avait été commise au Canada, une infraction à une loi fédérale, il faut établir que les éléments essentiels des deux infractions sont équivalents.

 

[32]           Selon la décision Hill c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1987] A.C.F. no 47 (C.A.F.) (QL) de la Cour d’appel fédérale, les éléments essentiels de l’infraction sont les facteurs déterminants de l’équivalence. L’équivalence peut être vérifiée de trois manières :

[] tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches. (Je souligne.)

 

 

[33]           Ce test d’équivalence a subséquemment été retenu dans plusieurs décisions, par exemple, Steward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 3 C.F. 487, [1988] A.C.F. no 321 (QL), au paragraphe 11; Lo c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CFPI 1155, au paragraphe 36; Ngo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 609, au paragraphe 16.

 

[34]           Dans Brannson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 2 C.F. 141 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a précisé qu’il faut comparer les éléments essentiels des infractions pertinentes pour vérifier s’ils sont équivalents :

Quels que soient les termes employés pour désigner ces infractions ou pour les définir, il faut relever les éléments essentiels de l’une et de l’autre et s’assurer qu’ils correspondent. Naturellement, il faut s’attendre à des différences dans le language employé pour définir les infractions dans les différents pays.

 

 

[35]           Selon la Cour d’appel fédérale, dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 1 C.F. 235 (C.A.F.), il faut comparer les infractions pour déterminer si elles sont suffisamment semblables, c’est-à-dire si elles comportent les mêmes critères, peu importe comment ces critères sont caractérisés dans chaque infraction :

Je pense qu’il serait tout à fait conforme à l’objectif de la loi, et à la jurisprudence de notre Cour, de conclure que ce que signifie l’équivalence, c’est essentiellement la similitude de définition des deux infractions. Une définition est similaire si elle prévoit les mêmes critères à observer pour prouver que l’infraction a été commise, que ces critères se traduisent par des « éléments constitutifs » (au sens restrictif) ou par des « moyens de défense » dans l’une ou l’autre loi. À mon avis, la définition d’une infraction embrasse les éléments constitutifs et les moyens de défense propres à cette infraction, voire à cette catégorie d’infractions. Dans l’application du sous-alinéa 19(2)a1)(i) de la Loi sur l’immigration, il n’est pas nécessaire de comparer tous les principes généraux de responsabilité pénale dans les deux systèmes: ce qu’il faut examiner, c’est la comparabilité des infractions, et non la comparabilité des possibilités de condamnation dans les deux pays.

 

 

[36]           L’article 288 du Code pénal algérien a une portée très large qui dépasse le contexte de conduite dangereuse, punissable en vertu du paragraphe 249(4) du Code criminel canadien. En effet, l’article 288 du Code pénal algérien s’applique si quelqu’un cause la mort d’une autre personne par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements.

 

[37]           L’arrêt R. c. Hundal, [1993] 1 R.C.S. 867, arrêt-clé qui a élargi le critère de la mens rea nécessaire en matière de conduite dangereuse dans le but de rendre la condamnation plus facile en vertu du paragraphe 248(4) du Code criminel, définit la conduite dangereuse de la façon suivante :

D’où il ressort clairement que c’est sur la négligence que repose un verdict de culpabilité de conduite dangereuse. La question à se poser n’est pas de savoir ce qu’a été l’intention subjective de l’accusé mais bien de savoir si, du point de vue objectif, il a satisfait a [sic] la norme appropriée de diligence. Il n’y a rien de particulièrement difficile à déterminer si un conducteur a manqué de façon palpable à la norme acceptable de diligence. Sans aucun doute, la plupart des Canadiens comprennent bien et reconnaissent facilement le concept de négligence. Or, la conduite négligente d’un véhicule automobile peut être considérée comme un continuum où l’on va de l’inattention momentanée qui entraîne la responsabilité civile, en passant par la conduite imprudente prévue au code de la route d’une province, jusqu’à la conduite dangereuse sanctionnée par le Code criminel.

 

 

[38]           Par conséquent, toute négligence dans la conduite d’un véhicule n’est pas punissable en droit criminel canadien, plus spécifiquement selon le paragraphe 249(4) du Code criminel. Pour qu’un accusé soit passible d’un verdict de culpabilité en vertu du paragraphe 249(4) du Code criminel, « [] le juge des faits doit être convaincu qu’il s’agit d’un comportement qui représenterait un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la situation de l’accusé. » (R. c. Hundal, précité).

 

[39]           En comparaison, l’article 288 du Code pénal algérien ne requiert pas un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable puisqu’il mentionne expressément la maladresse comme étant punissable, état qui se rapproche davantage à l’inattention qui entraîne la responsabilité civile, tel que mentionné dans R. c. Hundal, précité.

 

[40]           La preuve déposée devant de l’agent d’immigration n’est pas suffisante pour démontrer que les éléments essentiels de l’infraction du paragraphe 249(4) du Code criminel canadien ont été établis dans la procédure engagée à l’étranger.

 

[41]           Aucun élément de preuve ne permet de croire que M. Sayoud a été condamné d’homicide involontaire en vertu de la négligence. Au contraire, les policiers de la Gendarmerie algérienne ont porté une accusation d’homicide par imprudence (Affidavit de Carmelina Paci, Pièce G, Dossier de la demanderesse, à la page 29), infraction qui n’est pas punissable en vertu d’une loi fédérale canadienne.

 

[42]           De plus, la peine d’emprisonnement imposée à M. Sayoud, soit trois mois de prison avec sursis est nettement au-dessous du minimum prévu par l’article 288 du Code pénal algérien qui est de six mois. Également, l’amende imposée à M. Sayoud, 2,000 dinars algériens, est au bas de l’échelle prévue par l’article 288 du Code pénal algérien, qui est de 1,000 à 20,000 dinars algériens.

 

[43]           La légère sanction imposée à M. Sayoud porte à croire que sa faute était considérée comme étant légère selon l’article 288 du Code pénal algérien.

 

[44]           Il faut aussi noter que le casier judiciaire de M. Sayoud est vierge (Affidavit de Carmelina Paci, Pièce L, Dossier de la demanderesse, à la page 55), ce qui constitue un élément additionnel supportant l’interprétation concernant la légèreté de la faute reprochée à M. Sayoud.

 

[45]           L’imprudence n’est pas punissable en droit criminel canadien. L’imprudence dans la conduite automobile ferait plutôt l’objet de poursuite selon le Code de la route des provinces au Canada.

 

[46]           Dans ses notes du STIDI, l’agent d’immigration fait référence au fait que « le défaut d’imprudence semble établi » et que « la conduite dangereuse causant la mort d’une personne est un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans » pour fonder sa décision que M. Sayoud est interdit de territoire pour motif de criminalité. L’agente d’immigration se réfère à la conduite dangereuse et à la conduite imprudente comme s’il s’agissait d’un seul et même principe de droit.

 

[47]           Par contre, la conduite dangereuse et la conduite imprudente sont des principes distincts en droit, le premier amenant la responsabilité criminelle en vertu du Code criminel canadien et le second amenant la responsabilité civile en vertu des Codes de la route provinciaux.

 

[48]           L’agent d’immigration a donc commis une erreur dans son interprétation des éléments essentiels se rapportant à l’infraction de conduite dangereuse telle qu’énoncée à l’article 249 du Code criminel.

 

[49]           Rien dans la preuve ne porte à croire que M. Sayoud a commis une infraction qui remplit les éléments essentiels de la conduite dangereuse prévue au paragraphe 249(4) du Code criminel.

 

[50]           Rien dans la preuve n’indique que l’agent d’immigration a procédé à l’analyse des éléments essentiels des deux infractions. Rien dans la preuve n’indique que l’agent d’immigration a même consulté le Code pénal algérien.

 

[51]           L’agent d’immigration a donc commis une erreur en établissant que les deux infractions (l’article 288 du Code pénal algérien et l’article 249 du Code criminel canadien) étaient équivalentes.

 

[52]           Mme Karchi allègue que l’agent d’immigration a manqué à son devoir de diligence et d’équité en s’abstenant de les convoquer en entrevue, elle et son époux, pour clarifier l’accident survenu.

 

[53]           Dans un premier temps, il est important de rappeler que l’agent d’immigration a demandé, par lettre datée du 15 juin 2005, des informations supplémentaires afin d’effectuer son étude de la demande de visa de résidence permanente. L’agent d’immigration a effectivement demandé une copie du procès-verbal complet ou du rapport de police, afin de mieux évaluer les circonstances de l’accident en cause.

 

[54]           Par conséquent, le procès-verbal complet de l’accident s’est ajouté au jugement pénal comme preuve au dossier. Ainsi, il appert que l’agent d’immigration a jugé cette preuve suffisante pour procéder à l’étude de la demande.

 

[55]           Par ailleurs, il est clair que l’agent d’immigration n’était pas tenu, au nom de l’équité, de procéder à une entrevue. La Cour s’est exprimée ainsi dans l’arrêt Lo, précité, au paragraphe 35 :

Je suis d’avis que l’agent des visas n’était pas tenu de donner à M. Lo l’occasion de se faire entendre sur l’équivalence des infractions, pas plus que les agents des visas subséquents n’étaient dessaisis du dossier parce que l’agent des visas Menard a décidé de délivrer un visa.

 

 

[56]           Étant donné que les exigences liées à l’équité procédurale sont minimes, eu égard aux circonstances, il est sans fondement pour Mme Karchi de prétendre que l’agent d’immigration aurait manqué à son devoir d’agir de façon équitable parce qu’elle ne les a pas convoqué en entrevue, elle et son époux.

 

[57]           Dans Silion c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1999] A.C.F. no 1390 (C.F) (QL), au paragraphe 11, le juge Mackay s’est exprimé ainsi à cet égard :

Il s’agit essentiellement d’une décision administrative, que l’agent des visas a prise dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Eu égard aux circonstances de la présente affaire ou de toute autre affaire, il n’est pas nécessaire que l’agent des visas ait une entrevue personnelle avec la personne qui demande un visa. Dans certaines circonstances, l’omission de le faire pourrait être inéquitable, mais je ne suis pas convaincu que ce soit ici le cas. []

 

 

[58]           Mme Karchi demande l’octroi de dépens sur une base avocat-client, alléguant l’inertie de l’agent d’immigration qui a négligé d’appliquer les tests d’équivalence.

 

[59]           De façon générale, la Règle 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration et de protection des réfugiés exclut l’octroi de dépens en pareille matière, sauf pour des raisons spéciales.

 

[60]           En l’espèce, il n’y a aucune preuve de raisons spéciales qui permettraient l’octroi de dépens à Mme Karchi.

 

[61]           La décision rendue en l’espèce n’est pas de nature à justifier l’octroi de dépens. Il n’y a aucun indice de mauvaise foi de la part du Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration qui a, de fait, examiné et analysé la preuve avant de rendre sa décision.

 

[62]           L’agente d’immigration n’a pas suivi la procédure présentée dans l’arrêt Hill, précité, pour déterminer si l’infraction commise à l’étranger était équivalente à une infraction à une loi fédérale canadienne. Elle a donc commis une erreur en déterminant que les infractions étaient équivalentes, ce qui fondait sa décision que M. Sayoud était interdit de territoire.

 


 

 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision est retournée à un autre agent d’immigration pour nouvelle détermination.

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7239-05

 

INTITULÉ :                                       Fadila Kharchi v. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Qc

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 août 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            ROULEAU J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 septembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Rosalie Brunel

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brunet Avocats

Montréal, Qc

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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