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Date : 20060929

Dossier : T-234-04

Référence : 2006 CF 1161

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

YURI DINABURGSKY

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]   Le défendeur, M. Yuri Dinaburgsky, est âgé de 51 ans. Il est né le 3 février 1955 à Bobruisk, au Bélarus, l’ancienne République socialiste soviétique de Biélorussie (RSS de Biélorussie). M. Dinaburgsky est juif. Il s’est enfui de la RSS de Biélorussie à cause de la discrimination et de la persécution dont les juifs étaient victimes. Le 21 mars 1989, il est entré au Canada à titre de résident permanent, accompagné de sa femme et de sa fillette de deux ans. Il a acquis la citoyenneté canadienne le 9 novembre 1994. Il réside au Canada depuis 17 ans.

[2]   Le demandeur sollicite une déclaration portant que :

1.         le défendeur a acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, ayant omis de divulguer ses antécédents criminels à l’étranger dans sa demande de résidence permanente au Canada;

2.         l’admission légale du défendeur au Canada à titre de résident permanent a été obtenue par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels et, par suite de cette admission, le défendeur a acquis la citoyenneté canadienne, emportant ainsi application de la disposition déterminative du paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29.

 

[3]   Les paragraphes 10(1) et 10(2) de la Loi sur la citoyenneté prévoient :

PARTIE II PERTE DE LA CITOYENNETÉ

[…]

 

Décret en cas de fraude

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée:

 

a) soit perd sa citoyenneté;

 

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

 

 

Présomption

 

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

 

 

PART II LOSS OF CITIZENSHIP

[…]

 

Order in cases of fraud

10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

 

(a)  the person ceases to be a citizen, or

 

(b)  the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect,

 

as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

Presumption

 

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.

 

Contexte

 

Déclarations de culpabilité d’actes criminels prononcées à l’étranger

 

[4]   M. Dinaburgsky reconnaît qu’il a été déclaré coupable d’actes criminels en RSS de la Biélorussie avant d’acquérir la résidence permanente ou la citoyenneté au Canada. Plus précisément, le défendeur a été déclaré coupable en vertu du Code criminel de la RSS de Biélorussie (Code de la Biélorussie) :

 

(i)         le 11 septembre 1973, de tentative de viol d’une personne mineure, de viol collectif d’une personne mineure, de vol et de tentative de vol. La Cour de Mogilev Oblast l’a condamné à une peine de 10 années d’emprisonnement en conformité avec les paragraphes 15(2), 115(3), 141(1) et 142(2) et l’article 39 du Code de la Biélorussie;

 

(ii)        le 13 mars 1975, de s’être évadé d’un établissement correctionnel. La Cour populaire de la ville de Grodno l’a condamné à une peine d’emprisonnement supplémentaire de 3 ans en conformité avec l’article 15, Partie II et l’article 184, Partie I du Code de la Biélorussie;

 

(iii)       le 10 avril 1986, d’avoir contrevenu aux modalités d’une ordonnance de surveillance administrative rendue le 10 février 1985. La Cour populaire du district de Lénine de la ville de Bobruisk l’a condamné à une peine de 6 mois d’emprisonnement en conformité avec l’article 194‑1, Partie I du Code de la Biélorussie.

 

 

Demande de résidence permanente

 

[5]   Le 6 décembre 1988, le défendeur a demandé le statut de résident permanent à l’Ambassade canadienne de Rome, en Italie, où il a été interrogé par une agente des visas, le 23 janvier 1989. Il a obtenu le statut de résident permanent le 21 mars 1989 quand il est entré au Canada.

 

[6]   La demande de citoyenneté du défendeur a été rejetée une première fois, le 12 juillet 1993, au motif qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de connaissances, notamment linguistiques, que prévoit l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, modifiée.

 

[7]   Le défendeur a été accusé d’avoir utilisé une carte de crédit volée contrairement au paragraphe 342(1) du Code criminel, de vol de moins de 1 000 $ contrairement à l’alinéa 334b) du Code criminel et d’un chef de supposition intentionnelle de personne contrairement à l’alinéa 403b) du Code criminel, le ou avant le 16 mars 1992, à Guelph (Ontario), en même temps que deux co‑accusés. Les accusations portées à l’endroit du défendeur n’ont été retirées qu’après le dépôt de sa demande de citoyenneté. Dans sa demande de citoyenneté, le défendeur n’a pas divulgué ces accusations au criminel comme il était tenu de le faire.

 

[8]   Le défendeur a présenté une deuxième demande de citoyenneté le 26 octobre 1993. La demande a été approuvée le 24 octobre 1994 et le défendeur a prêté le serment de citoyenneté le 9 novembre 1994.

 

Les autorités canadiennes découvrent les antécédents criminels du défendeur au Bélarus

 

[9]   En 1999, la GRC a appris que M. Dinaburgsky avait été déclaré coupable d’actes criminels en RSS de Biélorussie. À cette date, le défendeur était accusé, en vertu du Code criminel, de complot en vue de commettre une fraude contrairement au paragraphe 465(1) du Code criminel, de participation aux activités d’une organisation criminelle contrairement au paragraphe 467.1(1) et de complot en vue de faire le trafic de substances contrôlées contrairement à l’alinéa 465(1)c). Le 7 juillet 2000, le défendeur a plaidé coupable à l’accusation de complot en vue de commettre une fraude et il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 15 mois au Canada. Les autres accusations ont été retirées.

 

Avis préalable à l’annulation

 

[10]           Le 5 février 2002, le ministre a signifié à M. Dinaburgsky un avis préalable à l’annulation de la citoyenneté daté du 14 janvier 2002. Il y était allégué que le défendeur avait omis de divulguer, dans sa demande de statut de résident permanent, les condamnations criminelles prononcées contre lui à l’étranger.

 

Renvoi devant la Cour fédérale

 

[11]           En réponse à la demande de renvoi du défendeur le 13 février 2002, le ministre a renvoyé l’affaire devant la Cour fédérale au moyen d’une déclaration déposée le 30 janvier 2004.

 

Déclaration

 

[12]           Dans la déclaration déposée le 30 janvier 2004, le demandeur sollicite une déclaration portant que le défendeur a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

 

 

Dispositions législatives pertinentes

 

[13]           Les dispositions législatives pertinentes en l’espèce sont :

1.         la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29;

2.         la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2;

3.         le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46.

 

Les extraits pertinents de ces lois se trouvent à l’annexe « A » des présents motifs.

 

Cadre juridique de la révocation de la citoyenneté

 

[14]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Skomatchuk, 2006 CF 994, [2006] A.C.F. no 1249 (QL), ma collègue la juge Judith Snider a examiné les textes légaux qui régissent la révocation de la citoyenneté. En bref, voici le droit pertinent :

i.          en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, est réputée avoir acquis la citoyenneté « par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l’a acquise à raison d’une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l’un de ces trois moyens »;

 

ii.          le ministre peut remettre au gouverneur en conseil un rapport attestant que le défendeur a obtenu la citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. La préparation d’un rapport dans ces circonstances relève du pouvoir discrétionnaire du ministre. Si le ministre prépare le rapport et que le gouverneur en conseil est convaincu, par suite du rapport, que le défendeur a obtenu la citoyenneté par l’un des moyens susmentionnés, le défendeur perd sa nationalité;

 

iii.         une décision rendue par la Cour en vertu de l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, est définitive et non susceptible d’appel; la décision du gouverneur en conseil peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire;

 

iv.         les droits substantiels du défendeur sont régis par les textes légaux en vigueur au moment où il a acquis la citoyenneté;

 

v.                   il incombe au ministre demandeur d’établir, selon la norme civile de la prépondérance de la preuve, que le défendeur a obtenu la citoyenneté canadienne par la fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

[15]           Je souscris aux motifs de la juge Snider dans Skomatchuk, précité, et en particulier aux paragraphes reproduits à l’annexe « B » dans lesquels elle explique davantage les dispositions législatives qui régissent la révocation de la citoyenneté.

 

Question en litige

 

[16]           En 1989, le défendeur a-t-il obtenu son admission légale au Canada à titre de résident permanent par fraude, au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels? Dans l’affirmative, le défendeur est réputé avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits pertinents en application du paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté.

 

Preuve

 

[17]           La preuve produite au procès comprenait des faits et des documents qui avaient été admis à l’avance et elle visait :

i.           les déclarations de culpabilité d’actes criminels prononcées en RSS de Biélorussie;

ii.          le caractère authentique des documents judiciaires relatifs aux déclarations de culpabilité prononcées et aux peines imposées en RSS de Biélorussie;

iii.        la demande de résidence permanente, datée du 23 janvier 1989, dans laquelle le défendeur affirmait qu’il n’avait jamais été déclaré coupable d’un acte criminel ou d’une infraction.

 

[18]           Trois personnes ont témoigné au procès :

1.                  Mme Diane Burrows, agente des visas;

2.                  le défendeur, M. Yuri Dinaburgsky;

3.                  l’épouse du défendeur, Mme Svetlana Dinaburgsky.

 

Témoignage de Mme Diane Burrows, agente des visas à Rome qui a interrogé le défendeur

 

[19]           Mme Burrows, seul témoin du demandeur, est l’agente des visas à Rome qui a interrogé le défendeur, le 23 janvier 1989, concernant sa demande de résidence permanente au Canada comme membre de la catégorie désignée des « exilés volontaires » de l’Europe de l’Est. Cette catégorie s’applique aux exilés volontaires (principalement des juifs) des régimes communistes de l’Europe et de l’URSS.

 

[20]           Mme Burrows, aujourd’hui agente principale au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, est agente d’immigration depuis 20 ans. Elle a témoigné qu’elle avait l’habitude d’inscrire les réponses des demandeurs en « cochant » la case « oui » ou « non » qui correspondait à la question du formulaire de demande. Mme Burrows apposait ensuite ses initiales, « DB », ainsi que la date de l’entrevue à côté de la « coche ». Le témoignage concernant la pratique habituelle d’une personne est admissible et constitue une preuve corroborante relativement à la conduite d’une personne dans une affaire en particulier : voir, par exemple, Savoie c. Bouchard, [1983] N.B.J. n66; (1983), 49 N.B.R. (2d) 424, aux paragraphes 27 à 37 (C.A.N.-B.).

 

[21]           Il a semblé à la Cour que Mme Burrows était une fonctionnaire très consciencieuse, sérieuse et dévouée. La Cour conclut, selon la prépondérance de la preuve, que son témoignage est probablement vrai. J’estime qu’il est établi que Mme Burrows inscrivait toujours les réponses des demandeurs en la manière décrite dans son témoignage et que c’est ce qu’elle a fait quand elle a inscrit les réponses du défendeur pendant son entrevue en 1989.

 

[22]           Mme Burrows a témoigné qu’elle a demandé au défendeur : [traduction] « Avez-vous déjà été déclaré coupable d’un acte criminel ou d’une infraction? » et que le défendeur a répondu par la négative. Mme Burrows a « coché » la réponse, elle a apposé ses initiales, « DB », et inscrit la date de l’entrevue, « 23/1/89 », à côté du champ correspondant sur le formulaire de demande du défendeur. Mme Burrows a affirmé qu’elle avait « coché » la case, apposé ses initiales et inscrit la date pour attester qu’elle avait posé la question au défendeur et qu’elle avait obtenu la réponse indiquée sur le formulaire de demande. La demande remplie du défendeur est un document admis en preuve.

 

[23]           Mme Burrows a affirmé en témoignage que le gouvernement canadien n’exigeait pas une autorisation de sécurité pour les personnes demandant la résidence permanente en vertu du programme de la catégorie désignée des « exilés volontaires ». Le gouvernement canadien n’a pas contacté les services de police du pays d’origine du défendeur, ce geste étant susceptible de mettre indûment en péril les autres membres de sa famille.

 

[24]           Mme Burrows a dit [traduction] « Avez-vous déjà été déclaré coupable d’un acte criminel ou d’une infraction? » et le demandeur a répondu par la négative. Il s’agit d’une question importante parce que si la réponse avait été « Oui », le demandeur n’aurait pas été admissible au Canada.

 

[25]           Mme Burrows a témoigné que si le défendeur avait dit qu’« il avait eu des démêlés avec la justice quand il était jeune », Mme Burrows n’aurait pas « coché » la case « Non » en réponse à la question « Avez-vous déjà été déclaré coupable d’un acte criminel ou d’une infraction? ». Au contraire, Mme Burrows aurait encerclé la réponse à la question et elle aurait mentionné qu’il fallait un complément d’enquête avant de prendre une décision. Selon la preuve, il apparaît clairement à la Cour que si le défendeur avait répondu honnêtement à la question, l’agente des visas en aurait posé d’autres et qu’elle aurait examiné la question de savoir si, à cause de ces déclarations de culpabilité, le défendeur appartenait à une catégorie non admissible. La question aurait été de savoir si le statut de mineur du défendeur pouvait l’emporter sur sa non-admissibilité pour criminalité. L’agente des visas aurait étudié cette question. D’autres facteurs encore auraient pu être examinés en vertu des lois canadiennes en matière d’immigration, mais ils ne l’ont pas été parce que le défendeur a répondu « Non » à la question. Dans le même ordre d’idées, si le défendeur avait dit qu’il avait été injustement condamné en raison de la discrimination qui frappait les juifs en RSS de Biélorussie, Mme Burrows l’aurait indiqué sur la demande en précisant qu’il fallait un complément d’enquête et elle n’aurait pas « coché » la réponse « Non », apposé ses initiales et inscrit la date à côté de la réponse.

 

[26]           Lors du contre-interrogatoire de Mme Burrows, l’avocat du défendeur a tenté d’attribuer cette erreur à la Hebrew Immigration Aid Society (HIAS) à Rome, qui était débordée par les demandes d’aide de personnes telles que le défendeur, ayant à traiter, chaque année, le cas de 15 000 familles provenant de l’Union soviétique et de l’Europe de l’Est souhaitant émigrer aux États-Unis et au Canada. La Cour estime que cette erreur ne peut être attribuée à la HIAS puisque le formulaire de demande contient un grand nombre de réponses qui sont fausses. Le défendeur a fourni de faux renseignements relativement à ses lieux de résidence, à ses emplois et à sa scolarité. À toutes les époques en cause, le défendeur ne suivait aucun cours et il ne résidait pas en permanence aux adresses indiquées; au contraire, il était incarcéré.

 

Témoignage du défendeur, M. Dinaburgsky

 

[27]           Le défendeur a témoigné en russe avec l’aide d’un excellent interprète.

 

[28]           M. Dinaburgsky a témoigné que quand il a dit à la HIAS qu’il avait eu des démêlés avec la justice alors qu’il était âgé de moins de 18 ans, on lui a dit qu’il était inutile de le mentionner parce qu’il était mineur à l’époque. Il a ajouté que, lors de l’entrevue avec l’agente des visas, il avait dit qu’il avait été déclaré coupable alors qu’il était jeune et que l’agente des visas avait répondu qu’elle se renseignerait pour savoir si ces déclarations de culpabilité devaient faire l’objet d’une investigation. Il a affirmé que l’agente des visas avait dit : [traduction] « si c’est nécessaire, nous vous rappellerons ».

 

[29]           En contre-interrogatoire, le défendeur a affirmé qu’il avait été relâché en août 1986. Quelques mois plus tard, il a demandé la résidence permanente et il a été interrogé par la HIAS le 1er décembre 1988. Il venait tout juste de purger une peine de six mois. Avant cette date, il avait été incarcéré de 1973 à 1985. Le formulaire de demande ne mentionne aucune de ces périodes d’emprisonnement. Il a reconnu en contre-interrogatoire que plusieurs éléments de sa demande de résidence permanente étaient faux, particulièrement en ce qui concerne ses lieux de résidence au cours des dix années antérieures, son niveau de scolarité, ses emplois et ses déclarations de culpabilité. Il a dit qu’il n’avait « d’autre choix » que de donner ces fausses réponses. La Cour est convaincue que la demande de visa, relativement à plusieurs questions importantes, est fausse et que le défendeur a dit qu’il n’avait « d’autre choix » parce que s’il avait répondu honnêtement aux questions, il n’aurait pas pu immigrer au Canada.

 

[30]           Le défendeur affirme que la HIAS a rempli le formulaire de demande sans lui poser de question et qu’en particulier, elle ne lui a pas demandé s’il avait déjà été déclaré coupable d’un acte criminel. Le défendeur a affirmé que la seule question que lui avait posée la HIAS était de savoir s’il voulait aller aux États-Unis, au Canada ou en Israël. La réponse n’est pas compatible avec celle qu’il a donnée lors de l’interrogatoire préalable du 14 décembre 2004. Selon la page 67, question 304 de la transcription, le défendeur a répondu ce qui suit :

[traduction]

Q. Merci. Alors, si je comprends bien votre dernier témoignage, on vous a demandé si vous aviez un – l’interprète de la HIAS vous a demandé si vous aviez déjà été déclaré coupable d’un acte criminel?

 

R. Il m’a posé des questions qui se trouvaient dans le formulaire de demande. Si la question était là, c’est la question qu’il m’a posée.

 

 

[31]           Pendant son contre-interrogatoire devant la Cour, M. Dinaburgsky a reconnu que quelques‑unes des réponses qui apparaissaient sur sa demande de résidence permanente étaient fausses. Quand il a témoigné en personne, il a présenté une excuse différente pour justifier les fausses déclarations qu’il avait faites pendant l’interrogatoire préalable. La Cour est convaincue que des renseignements importants contenus dans sa demande étaient faux et qu’il a donné de faux renseignements à l’agente des visas, Mme Burrows.

 

[32]           M. Dinaburgsky a dit qu’il avait mentionné à l’agente des visas qu’[traduction] « il avait eu quelques démêlés avec la justice quand il était jeune ». Comme nous l’avons dit, la Cour est convaincue que l’agente des visas, Mme Burrows, aurait inscrit cette réponse et aurait poursuivi son enquête. Par conséquent, la Cour conclut que le témoignage de M. Dinaburgsky n’est pas crédible. La conclusion logique qu’elle tire est que M. Dinaburgsky a menti intentionnellement au sujet de ses lieux de résidence, de ses emplois, de sa scolarité et de ses déclarations de culpabilité antérieures. La Cour est convaincue que M. Dinaburgsky n’a pas dit à l’agente des visas qu’ « il avait eu quelques démêlés avec la justice quand il était jeune » ou qu’il avait été accusé et déclaré coupable injustement parce qu’il était juif.

 

[33]           Lors du réinterrogatoire, M. Dinaburgsky a reconnu qu’il n’avait pas « ébruité » le fait qu’il avait été déclaré coupable et incarcéré. Il a témoigné qu’il avait dissimulé sa déclaration de culpabilité pour fuir son pays. Il a également dit qu’il avait eu des rapports sexuels consensuels en groupe avec la personne qu’il aurait violée, qu’il avait été injustement accusé et déclaré coupable et que de nombreux juifs étaient injustement accusés de viol et condamnés.

 

Témoignage de Mme Svetlana Dinaburgsky

 

[34]           L’autre témoin du défendeur était l’épouse de celui-ci, Mme Svetlana Dinaburgsky. Elle a témoigné en anglais. Elle a déclaré que la HIAS parrainait les immigrants juifs et payait leur nourriture et leur logement pendant qu’ils étaient en fuite.

 

[35]           Mme Dinaburgsky a beaucoup impressionné la Cour. Elle est opticienne et s’exprime très bien en anglais. Elle a déposé en preuve un article d’un quotidien de Minsk qui portait sur le caractère injuste de la condamnation de M. Dinaburgsky. L’article est mentionné plus loin.

 

[36]           M. et Mme Dinaburgsky ont trois filles, une fille née au Bélarus le 2 octobre 1986 qui est venue au Canada avec M. et Mme Dinaburgsky et des jumelles nées au Canada le 25 mai 1990.

 

[37]           Mme Dinaburgsky a déclaré qu’elle avait hâte de quitter la RSS de Biélorussie à cause de l’antisémitisme dont elle avait été victime. On l’avait appelée [traduction] « sale juive » et elle avait l’impression d’être une citoyenne de seconde zone au Bélarus. Elle a rencontré M. Dinaburgsky lors de sa libération en 1986. Elle en est tombée amoureuse et est devenue enceinte. M. Dinaburgsky a ensuite été condamné à une peine d’emprisonnement de six mois pour avoir violé les conditions de sa libération conditionnelle. Elle s’est rendue au bureau de l’avocat de la ville de Bobruisk, elle a dit qu’elle voulait épouser M. Dinaburgsky et a demandé pourquoi ce dernier était incarcéré. L’avocat a répondu que M. Dinaburgsky allait passer le reste de sa vie en prison et qu’elle devait se faire avorter et dire que M. Dinaburgsky l’avait violée. Au contraire, elle a épousé M. Dinaburgsky pendant qu’il était incarcéré parce qu’elle était amoureuse de lui et enceinte de son enfant.

 

[38]           Mme Dinaburgsky a affirmé que sa soeur aînée avait le même âge que M. Dinaburgsky. Sa sœur et sa mère connaissaient M. Dinaburgsky et l’avaient assurée que cinq juifs avaient été injustement accusés de viol parce qu’ils étaient juifs et que les juifs de Bobruisk le savaient à l’époque. Elle a ajouté que M. Dinaburgsky était un bon mari, un bon père et un bon ami de la mère de Mme Dinaburgsky, qui a vécu avec eux au Canada pendant 13 ans. Elle a dit que M. Dinaburgsky ne l’avait jamais maltraitée et ne s’était jamais mal conduit à son égard. Mme Dinaburgsky a dit que la GRC avait une « dent » contre son mari. Mme Dinaburgsky savait que son mari avait été accusé de viol et déclaré coupable, mais elle était convaincue que les accusations et déclarations de culpabilité étaient fausses et injustifiées.

             

[39]           Elle a déclaré que l’entrevue avec la HIAS à Rome s’était déroulée dans le désordre. L’interprète russe n’était pas très compétent. L’interprète russe a dit à l’entrevue avec la HIAS qu’on leur avait dit de ne pas se préoccuper d’un casier judiciaire datant de l’époque où il avait 17 ans et qu’il n’était pas nécessaire que M. Dinaburgsky divulgue les déclarations de culpabilité prononcées contre lui alors qu’il était mineur.

 

[40]           L’enquête de la GRC qui a révélé les condamnations criminelles prononcées contre M. Dinaburgsky au Bélarus a été effectuée à cause des accusations criminelles portées contre lui. En 1999, trois accusations en vertu du Code criminel ont été portées contre lui; deux d’entre elles ont été retirées. M. Dinaburgsky a plaidé coupable à une accusation et il a été incarcéré pendant 15 mois dans une prison canadienne.

 

L’article de journal

 

[41]           Mme Dinaburgsky a produit en preuve un article non daté du journal [traduction] « La semaine » publié dans la ville de Minsk, capitale du Bélarus. Elle a déclaré qu’elle possédait l’article de journal avant de venir au Canada. Par conséquent, l’article doit avoir été publié avant 1989, probablement à l’époque de l’incarcération du défendeur. L’article est intitulé [traduction] « Fils blancs sur fond noir ». Le demandeur n’a pas contesté l’authenticité de l’article. Une copie originale de l’article a été produite devant la Cour. La Cour est convaincue que l’article a réellement été écrit et qu’il a été publié dans ce journal.

 

[42]           L’article dit que les accusations de viol portées contre plusieurs personnes, notamment le défendeur et son frère, étaient fondées sur une preuve fabriquée par « un organisme d’enquête de Bobruisk », ville où vivaient le défendeur et son frère. L’article affirme que la victime présumée de la tentative de viol n’avait signalé le crime que trois ans après l’incident. L’article pose des questions de pure forme telles que [traduction] « a-t-elle oublié? » et y répond en ces termes [traduction] « aujourd’hui, elle s’en souvient; en fait, ce n’est pas elle qui s’en est souvenue, c’est un certain détective nommé Posdnyak qui l’a appelée et qui lui a rappelé les événements ».

 

[43]           L’article poursuit, avec ironie, pour dire [traduction] « le souvenir est contagieux ». La victime du viol s’est également souvenue qu’environ une année avant le procès elle avait été violée par des amis et des membres de la famille Dinaburgsky et qu’à une certaine époque, elle avait été violée collectivement par toutes ces personnes.

 

[44]           L’article mentionne que la victime s’est trompée en mentionnant le nom des parties et les détails concernant les incidents, que le tribunal a constaté que son témoignage comportait des faussetés et qu’il a accepté le témoignage d’autres personnes concernant le comportement sexuel débridé de la victime.

 

[45]           L’article mentionne ensuite le frère du défendeur, un adulte, et décrit comment le défendeur, alors adolescent, avait été amené à la cellule de son frère et battu [traduction] « si violemment qu’il avait eu des lésions internes et perdu des dents ». Le frère du défendeur a fait parvenir de nombreuses requêtes et protestations écrites à des organisations telles que le Kremlin, des organismes de défense des droits de la personne et Amnisty International, mais toutes ces organisations avaient décliné compétence.

 

[46]           L’article de journal corrobore ce que soutient Mme Dinaburgsky, à savoir que les accusations de tentative de viol et de viol collectif à l’égard du défendeur sont fondées sur une preuve fabriquée et qu’elles sont fausses.

 

Les documents judiciaires de la SSR de Biélorussie

 

 

1.         Les motifs du verdict rendu par le conseil judiciaire sur les causes criminelles de la Cour de Mogilev Oblast datés du 11 septembre 1973

 

[47]           Le « verdict » de 17 pages décrit la preuve et les conclusions sur la culpabilité relativement à cinq personnes accusées de viol collectif, dont le défendeur. J’ai examiné ce document et j’estime qu’il est raisonnablement complet, clair et crédible. Il fait état de l’examen et de l’appréciation, par le tribunal étranger, de la preuve présentée contre le défendeur.

 

[48]           Le défendeur a commis son premier crime le 26 avril 1970. Il s’agissait d’une tentative de viol. Le défendeur était alors âgé de 15 ans.

 

[49]           Le deuxième crime a été perpétré le 2 décembre 1972 et le troisième le lendemain, soit le 3 décembre 1972. Le défendeur a été déclaré coupable de viol collectif. Il était alors âgé de 17 ans et a plaidé non coupable aux accusations. Il a dit qu’il n’avait voulu qu’embrasser la dame qu’il avait été accusé d’avoir tenté de violer et qu’il avait participé à des rapports sexuels consensuels de groupe avec la personne visée par l’accusation de viol collectif.

 

[50]           Le tribunal a décrit la preuve sur laquelle il s’était fondé pour conclure que le défendeur était coupable de ces crimes. Le défendeur a été également été déclaré coupable de vol d’une montre et de tentative de vol d’un portefeuille.

 

[51]           Le défendeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de dix ans. Il n’a pas été traduit devant le tribunal pour adolescents. Aucune preuve n’a été produite établissant l’existence d’un tribunal pour adolescents en RSS de Biélorussie à cette époque ni établissant, si ce tribunal existait, quelles avaient été les circonstances ayant fait en sorte que le défendeur avait été traduit devant le tribunal pour adultes.

 

2.         Le deuxième verdict en 1975

 

[52]           Le deuxième « verdict » a été prononcé contre le défendeur le 13 mars 1975 relativement au crime de tentative d’évasion perpétré le 10 décembre 1974. À cette époque, le défendeur était âgé de 19 ans. Pour ce crime, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans, en sus de sa peine de dix ans.

 

3.                  La troisième condamnation en 1986

 

[53]           Le défendeur a été relâché le 9 février 1985 après avoir purgé 12 années de la peine d’emprisonnement de 13 ans qui lui avait été infligée. Il a bénéficié d’une libération assortie d’une période de surveillance administrative de 12 mois. Il a été déclaré coupable à deux reprises d’avoir violé les conditions de sa libération conditionnelle et, à la troisième violation, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de six mois. Il a commencé à purger sa peine le 28 février 1986. Le défendeur a été libéré le ou vers le 28 août 1986.

 

Non-admissibilité pour criminalité

 

[54]           Le défendeur a été déclaré coupable pour la première fois au Bélarus pour des crimes qu’il avait commis, en tant que mineur, à l’âge de 15 et de 17 ans. Dans De Freitas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1611, au paragraphe 2, le juge Muldoon a dit ceci à propos de la situation d’un mineur sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration :

[…] En revanche, la condamnation prononcée contre un jeune contrevenant qui comparait devant un tribunal pour adultes est une condamnation au sens de la Loi sur l’immigration.

 

 

[55]      En l’espèce, le défendeur a été déclaré coupable par un tribunal pour adultes. Lorsqu’il y a ordonnance de renvoi d’un tribunal pour adolescents à un tribunal ordinaire au Canada, l’adolescent visé n’est pas jugé pour une infraction prévue par la Loi sur les jeunes contrevenants. Une déclaration de culpabilité prononcée par un tribunal pour adultes au Canada est une déclaration de culpabilité au sens des dispositions en matière de non-admissibilité de l’ancienne Loi sur l’immigration, même si la personne visée était mineure.

 

[56]      Suivant l’alinéa 19(1)c) de la Loi sur l’immigration, appartiennent à une catégorie non admissible, les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.

 

[57]      Suivant l’alinéa 271(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, quiconque commet une agression sexuelle est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans. Par conséquent, le défendeur, qui a été déclaré coupable de tentative de viol et de viol collectif au Bélarus, a été déclaré coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, serait punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans. Le défendeur appartenait donc, prima facie, à une catégorie non admissible au Canada à titre de résident permanent en 1989.

 

[58]      Le Canada ne permet pas aux personnes qui ont été déclarées coupables d’actes criminels graves d’obtenir le statut de résident permanent. Il n’appartient pas à la Cour d’accepter les personnes qui ont caché ou dissimulé des faits essentiels concernant des crimes graves perpétrés par le passé ou de leur accorder un pardon. Cette décision n’appartient qu’au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et au gouverneur en conseil. Il n’appartient pas non plus à la Cour de déterminer si, sur le plan des principes, il est opportun de rendre apatrides des citoyens canadiens qui choisissent de ne pas divulguer les condamnations criminelles prononcées contre eux avant leur admission au Canada. Il s’agit d’une décision qui appartient au Parlement agissant par l’entremise du gouverneur en conseil.

 

Conclusions de la Cour

 

[59]      J’arrive, selon la prépondérance de la preuve, aux conclusions suivantes :

 

1.         Le verdict de 17 pages contre le défendeur en date du 11 septembre 1973 est un document judiciaire complet et clair qui fait état d’un procès, d’un verdict fondé sur la preuve, de la participation des avocats de la défense du défendeur et des autres accusés et de l’examen de la preuve lors d’une « séance à huis clos » qui s’est déroulée du 29 août au 11 septembre 1973;

 

2.                  L’article de journal non daté corrobore la version de l’épouse du défendeur selon laquelle le verdict prononcé contre lui était fondé sur une preuve fabriquée et que sa déclaration de culpabilité n’était pas justifiée. Toutefois, les allégations de l’épouse du défendeur ainsi que l’article de journal ne sont pas plus crédibles que le verdict détaillé prononcé par le tribunal étranger. Je ne puis faire de nouveau le procès du défendeur en me fondant sur des allégations intéressées et un article de journal;

 

3.                  Il aurait été opportun que le défendeur et son épouse expliquent à l’agente des visas qui les a interrogés à Rome que ces condamnations étaient injustifiées parce que fondées sur une preuve fabriquée et motivée par des sentiments antisémites. Je ne puis refaire le procès du défendeur 33 ans après le verdict du tribunal étranger;

 

4.                  La preuve établit clairement que le défendeur était âgé de 15 et 17 ans au moment où il a commis les actes dont il a été déclaré coupable. Cela aurait pu être un facteur que l’agente des visas aurait examiné lors de l’entrevue de janvier 1989 si le défendeur avait divulgué les déclarations de culpabilité et s’il avait dit qu’il était mineur à l’époque en cause;

 

5.                  Le défendeur a répondu par la négative lorsque l’agente des visas de Rome lui a demandé s’il avait déjà été déclaré coupable d’un acte criminel ou d’une infraction. En outre, la Cour conclut que le défendeur n’a pas dit qu’il « avait eu des démêlés avec la justice quand il était jeune ». S’il l’avait dit, la Cour estime, selon la prépondérance de la preuve, que l’agente des visas aurait encerclé la réponse à la question et précisé qu’une enquête plus poussée s’imposait. La Cour est convaincue que l’agente des visas aurait posé plusieurs autres questions et poussé plus loin son enquête pour déterminer si ces condamnations criminelles auraient fait en sorte que le défendeur appartenait à une catégorie non admissible;

 

6.         Le défendeur a menti et il a dissimulé des faits essentiels lorsqu’il a été interrogé par l’agente des visas qui a approuvé son admission au Canada. Il a été admis au Canada à titre de résident permanent par la fraude ou au moyen de fausses déclarations ou de dissimulation de faits essentiels. Par conséquent, l’admission du défendeur au Canada n’est pas légale et, suivant le paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté, le défendeur est réputé avoir obtenu la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

 

Dépens

 

[60]      Au procès, les parties n’ont présenté aucune observation orale relativement aux dépens. Si le demandeur veut obtenir les dépens, il disposera de trois jours pour déposer ses observations à cet égard, le défendeur disposera de trois jours supplémentaires pour y répondre et le demandeur aura trois jours supplémentaires par la suite pour donner sa réplique. Si nécessaire, la Cour rendra un autre jugement relativement aux dépens.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.      L’admission légale du défendeur au Canada à titre de résident permanent a été acquise par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

2.      Le défendeur a acquis la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels au sens du paragraphe 10(2) et de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE A

 

1.         Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29

 

PARTIE II PERTE DE LA CITOYENNETÉ

[…]

 

Décret en cas de fraude

 

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

 

a) soit perd sa citoyenneté;

 

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

 

Présomption

 

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

 

[…]

 

PARTIE V PROCÉDURE

[…]

 

Avis préalable à l'annulation

 

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée :

a)  l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

 

b)  la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

 

Nature de l'avis

 

(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.

 

Caractère définitif de la décision

 

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

 

[…]

 

Interdiction

 

22. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre de l'article 5 ou du paragraphe 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté :

 

[…]

 

b)  tant qu'il est inculpé pour une infraction prévue aux paragraphes 29(2) ou (3) ou pour un acte criminel prévu par une loi fédérale, autre qu'une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions, et ce, jusqu'à la date d'épuisement des voies de recours;

 

[…]

PART II LOSS OF CITIZENSHIP

[…]

 

Order in cases of fraud

 

10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

 

(a)  the person ceases to be a citizen, or

 

(b)  the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect,

 

as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

 

Presumption

 

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.

 

[…]

 

PART V PROCEDURE

[…]

 

Notice to person in respect of

revocation

 

18. (1) The Minister shall not make a report under section 10 unless the Minister has given notice of his intention to do so to the person in respect of whom the report is to be made and

 

(a)  that person does not, within thirty days after the day on which the notice is sent, request that the Minister refer the case to the Court; or

 

(b)  that person does so request and the Court decides that the person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances.

 

Nature of notice

 

(2) The notice referred to in subsection (1) shall state that the person in respect of whom the report is to be made may, within thirty days after the day on which the notice is sent to him, request that the Minister refer the case to the Court, and such notice is sufficient if it is sent by registered mail to the person at his latest known address.

 

Decision final

 

(3) A decision of the Court made under subsection (1) is final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom.

 

[…]

 

Prohibition

 

22. (1) Notwithstanding anything in this Act, a person shall not be granted citizenship under section 5 or subsection 11(1) or take the oath of citizenship

 

[…]

 

(b)  while the person is charged with, on trial for or subject to or a party to an appeal relating to an offence under subsection 29(2) or (3) or an indictable offence under any Act of Parliament, other than an offence that is designated as a contravention under the Contraventions Act;

 

[…]

 

 

2.         Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2

 

Personnes non admissibles

 

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

 

[…]

 

c)   celles qui ont été déclarées coupables, au Canada, d'une infraction qui peut être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans;

 

Inadmissible persons

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

[…]

(c) persons who have been convicted in Canada of an offence that may be punishable under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of ten years or more;

 

 

 

3.         Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 [entrée en vigueur le 9 novembre 1994]

 

PARTIE VIII INFRACTIONS CONTRE LA PERSONNE ET LA
RÉPUTATION

 

Voies de fait

Agression sexuelle

271. (1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

a)   soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans;     

b)   soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

      

[…]

 

PARTIE IX     INFRACTIONS CONTRE LES DROITS DE PROPRIÉTÉ 

[…]

 

Punition du vol

 

334. Sauf disposition contraire des lois, quiconque commet un vol :

 

a)  est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, si le bien volé est un titre testamentaire ou si la valeur de ce qui est volé dépasse mille dollars;

 

b)  est coupable :

 

(i)  soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans,

 

(ii)  soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

 

si la valeur de ce qui est volé ne dépasse pas mille dollars.

 

PART VIII
OFFENCES AGAINST THE PERSON AND REPUTATION

 

Assaults

Sexual assault

271. (1) Every one who commits a sexual assault is guilty of

(a) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding ten years; or                                               

(b) an offence punishable on summary conviction.                                            

 

[…]

 

PART IX     OFFENCES AGAINST RIGHTS OF PROPERTY

[…]

 

Punishment for theft

 

334. Except where otherwise provided by law, every one who commits theft

 

(a)  is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding ten years, where the property stolen is a testamentary instrument or the value of what is stolen exceeds one thousand dollars; or

 

(b)  is guilty

 

(i)  of an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding two years, or

 

(ii)  of an offence punishable on summary conviction,

 

where the value of what is stolen does not exceed one thousand dollars.

 

 

 


ANNEXE B

 

 

Extraits des motifs de la juge Snider dans Skomatchuk, précité, dans lesquels elle explique les dispositions législatives qui régissent la procédure en matière de révocation de la citoyenneté.

 

III. Cadre juridique

A. Droits procéduraux

 

[…]

(1) Le paragraphe 10(1) de la Loi de 1985 sur la citoyenneté

 

[10]      Aux termes du paragraphe 10(1) de cette Loi, le ministre peut présenter au gouverneur en conseil un rapport selon lequel l’acquisition de la citoyenneté est intervenue « sous le régime de la présente loi » par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Si le gouverneur en conseil est alors convaincu que la citoyenneté a été acquise de cette manière, l’intéressé « perd sa citoyenneté ».

 

[…]

(2)  La présomption énoncée au paragraphe 10(2) de la Loi de 1985 sur la citoyenneté

 

[12]      Il se peut que l’intéressé n’ait pas directement menti ou directement dissimulé des renseignements au moment d’acquérir la citoyenneté canadienne, mais qu’il ait menti, ou dissimulé des renseignements, à l’agent d’immigration à l’étranger qui a approuvé son admission au Canada. Ce cas est résolu par le paragraphe 10(2). Selon cette disposition, est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l’a acquise « à raison d’une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l’un de ces trois moyens ».

(3)  L’avis prévu à l’article 18

 

[13]      L’article 18 de la Loi prévoit que le ministre ne peut présenter un rapport au gouverneur en conseil qu’après avoir donné avis de son intention en ce sens à l’intéressé. L’intéressé peut alors demander que soit renvoyée à la Cour fédérale la question de savoir s’il a acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Si la Cour répond par l’affirmative, sa décision constituera le fondement du rapport du ministre.

 

[14]      Dans la présente instance, l’avis prévu à l’article 18 a été signé par le ministre le 13 novembre 2004 et communiqué à M. Skomatchuk. Par avis de demande, M. Skomatchuk a prié le ministre de renvoyer cette affaire à la Cour fédérale.

(4)  Effet de la décision rendue par la Cour au titre de l’article 18

 

[15]      La décision de la Cour n’emporte pas en soi révocation ou annulation de la citoyenneté. Elle donne plutôt au ministre un fondement factuel sur lequel établir son rapport et peut constituer la base de la décision du gouverneur en conseil. Seul le gouverneur en conseil a le pouvoir de révoquer la citoyenneté. La décision de la Cour au titre de l’article 18 est définitive et non susceptible d’appel (Loi de 1985 sur la citoyenneté, paragraphe 18(3)), mais la décision du gouverneur en conseil est susceptible de contrôle judiciaire (voir par exemple l’arrêt Oberlander c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 213, [2004] A.C.F. n° 920 (QL)).

B.  Droits substantiels

 

[…]

(2)  Sens de l’expression « admission légale »

 

[18]      Pour savoir ce que signifie l’expression « admission légale », je dois me rapporter à la Loi de 1948 sur l’immigration. À son alinéa 2n), le mot « réception » s’entend de « l’admission légale d’un immigrant au Canada aux fins de résidence permanente ».

 

[19]      Pour être admis au Canada, l’intéressé devait paraître devant un fonctionnaire de l’immigration, pour un examen permettant de déterminer « s’il est admissible ou non au Canada » (Loi de 1948 sur l’immigration, paragraphe 20(1)). Le paragraphe 20(2) dispose que l’intéressé « doit donner des réponses véridiques à toutes les questions que lui pose […] un fonctionnaire […] et tout défaut de ce faire […] constitue, en soi, un motif d’expulsion suffisant ». Il faut aussi signaler l’alinéa 50f), selon lequel était coupable d’une infraction à la Loi de 1948 sur l’immigration quiconque « sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse au cours d’un examen ou d’une enquête prévue par la présente loi ou à l’égard de l’admission d’une personne au Canada ou de la demande d’admission de qui que ce soit ».

 

[20]      En somme, le régime en vigueur en 1957 était clair; une fausse déclaration faite durant l’examen en vue d’une réception ne pouvait pas être excusée. Celui qui mentait, ou qui dissimulait des faits essentiels, aux fonctionnaires de l’immigration devant lesquels il se présentait pour un examen n’était pas « licitement admis » au Canada (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bogutin, [1998] A.C.F. n° 211 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 126) et contrevenait donc à la Loi de 1948 sur la citoyenneté. [Souligné par le juge Kelen]

 

C.  Charge de la preuve et norme de preuve

[21]      C’est manifestement sur le ministre demandeur que repose la charge de la preuve.

 

[…]

 

[24]      Il est donc bien établi que, pour une instance de cette nature, la norme de preuve est la norme civile de la prépondérance de la preuve. Dans un cas comme celui‑ci, cependant, où la conduite alléguée est moralement répréhensible et comporte de graves conséquences pour le défendeur, la jurisprudence m’impose de montrer beaucoup de circonspection dans l’appréciation de la preuve (voir par exemple Odynsky, précité, au paragraphe 13).

 

[25]      La norme de la prépondérance de la preuve sera respectée si la Cour est persuadée, vu la preuve, qu’un fait contesté est plausible. Autrement dit, compte tenu de la preuve présentée à la Cour, je dois conclure que l’événement ou le fait contesté est non seulement possible, mais probable (Obodzinsky, précité, aux paragraphes 8 et 9). Dans le présent contexte, où sont allégués des faits sérieux et où les conséquences possibles pour leur auteur sont graves, la probabilité ou l’improbabilité intrinsèque d’un fait est elle‑même un point à prendre en considération (Re H (minors), [1996] A.C. 563 (C.L.)).

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-234-04

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

c.

YURY DINABURGSKY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen H. Gold                                    POUR LE DEMANDEUR

Kristina Dragaitis

 

Joseph Farkas                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                   POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

Joseph Farkas                                        POUR LE DÉFENDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

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