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Date : 20060929

Dossier : IMM-6409-05

Référence : 2006 CF 1162

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

JULIA LARIOS-GARCIA et

ETHEL LARIOS-GARCIA

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Les demanderesses sont citoyennes du Mexique; Julia Larios-Garcia est la mère de la demanderesse mineure. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que ni l’une ni l’autre n’avait la qualité de réfugié au sens de la Convention. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

II.         Les faits

[2]               La demanderesse principale dit craindre son ex-conjoint, Felix, qui abusait d’elle physiquement et mentalement. Elle l’a quitté quand elle a découvert qu’il avait une aventure. Elle craignait aussi que Felix lui enlève sa fille, comme il avait tenté de le faire dans le passé.

 

[3]               Dans son FRP, la demanderesse a soutenu ne pas avoir demandé l’aide d’organismes de l’État car Felix était un ami proche du président du Mexique, Vincente Fox. Celui-ci aurait vraisemblablement donné instruction aux autorités gouvernementales de ne pas aider la demanderesse à cause du souhait de son ami, qu’il connaissait depuis l’école secondaire, de lui faire du tort.

 

[4]               Peu après l’audience tenue devant la Commission, la demanderesse a modifié son FRP pour dire qu’il y avait des raisons additionnelles pour ne pas avoir sollicité la protection de l’État : Felix était un trafiquant de drogue et il avait des contacts dangereux, dont un « tueur à gages » qui, à une occasion, l’avait suivie.

 

[5]               La demanderesse s’est également fondée sur le rapport d’un psychiatre, qui a conclu que les réponses qu’elle avait données aux questions posées étaient dignes de foi et qu’elle souffrait du syndrome de stress post-traumatique ainsi que de symptômes de dépression. Son état s’aggraverait si elle retournait au Mexique.

 

 

 

[6]               La demanderesse a soulevé quatre questions :

·                    la Commission a-t-elle commis une erreur en tirant, au sujet de la crédibilité, une conclusion défavorable fondée sur le seul motif que la demanderesse a modifié son FRP, ce que la loi autorise expressément?

·                    la Commission n’a pas tenu une audience équitable car il y a eu de fréquentes interruptions lors du témoignage, un avertisseur d’incendie a retenti et l’interprète avait un rhume;

·                    la Commission a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État car elle a omis de prendre en compte la réticence des femmes victimes de violence à demander de l’aide et elle n’a pas évalué convenablement le lien avec l’ancien président Fox;

·                    la Commission a commis une erreur en concluant que la Cour fédérale a souscrit à l’idée que la ville de Mexico représente une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Mexique et a omis de prendre en considération l’effet de la preuve médicale.

 

III.       Analyse

[7]               Il est bien établi qu’en matière de crédibilité la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315). S’agissant de la protection de l’État, la norme dépend du fondement sur lequel on s’appuie pour tirer la conclusion, de sorte qu’il s’agit soit de la décision raisonnable soit de la décision manifestement déraisonnable (mettre en contraste Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1449, [2004] A.C.F. no 1755 (QL) et Larenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 159, [2006] A.C.F. no 218 (QL)). Dans la présente espèce, cette question n’a aucune incidence. L’évaluation d’une PRI est fondée sur la norme de la décision manifestement déraisonnable (Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 353, [2005] A.C.F. no 435 (QL)). Quant à l’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.

 

A.        La crédibilité

[8]               La demanderesse a considérablement modifié son FRP, soulevant un motif tout à fait nouveau pour sa revendication en vertu de la Convention. La Commission n’a pas souscrit à son explication au sujet de la raison pour laquelle elle avait omis au départ un motif aussi important, à savoir la crainte que lui inspirait son conjoint trafiquant de drogue et ses « hommes de main » (mots employés par la Cour). La demanderesse soutient qu’étant donné que la loi permet de modifier un FRP, la Commission ne peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur le fait que le droit d’apporter des modifications est en cause.

 

[9]               La Commission manquerait à son obligation d’évaluer la crédibilité si elle n’examinait pas les motifs pour lesquels une personne modifie un FRP. Ces motifs peuvent soit aider la cause d’un demandeur, soit avoir une incidence défavorable sur sa crédibilité, mais il s’agit là d’un élément d’analyse légitime des motifs véritables d’une demande d’asile. Dans les circonstances, l’explication de la demanderesse était déraisonnable, et le récit contredisait sa prétention initiale.

 

B.         L’équité procédurale

[10]           J’ai passé en revue la transcription. Il y a bien eu de nombreuses interruptions, mais elles avaient pour but d’obtenir des éclaircissements ou d’empêcher la demanderesse de s’écarter du sujet.

 

[11]           Même lorsqu’un décideur effectue des interruptions, ces dernières ne posent problème que si cela empêche le demandeur de faire valoir ses arguments (voir Madi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1062, [2001] A.C.F. no 1450 (QL)). Les interruptions n’ont jamais atteint ce niveau; en fait elles avaient pour objet, semble-t-il, de maintenir un certain ordre et une certaine clarté dans l’instance.

 

[12]           Il n’a pas été montré que les autres problèmes – l’avertisseur d’incendie (qui n’a manifestement pas été déclenché par la Commission) et le rhume de l’interprète – ont eu une incidence quelconque sur l’audience, hormis un léger délai. Si ces faits étaient à ce point importants pour la demanderesse, une objection aurait été soulevée ou un ajournement demandé.

 

C.        La protection de l’État

[13]           La Commission n’a pas fait abstraction du sujet de préoccupation selon lequel les femmes victimes de violence hésitent souvent à demander de l’aide. Elle a fait expressément référence aux Directives du président à cet égard. L’hésitation de la demanderesse n’était pas fondée sur des préoccupations d’ordre culturel ou religieux ou sur des sentiments de faible estime de soi (ou d’autres raisons). Sa crainte était tout d’abord fondée sur l’idée que Vincente Fox, qui présidait à l’époque le pays, aiderait Felix d’une certaine façon afin d’empêcher toute aide de la part de l’État. Cette crainte a plus tard été remplacée pour celle que suscitaient les contacts de Felix chez les trafiquants de drogue.

 

[14]           S’agissant de savoir si la Commission a tiré une conclusion manifestement déraisonnable, il était évident qu’il y avait des preuves, ou une absence de preuves, plus que suffisantes pour justifier sa conclusion. Aucune conclusion précise n’a été tirée au sujet du président Fox, mais il est indubitable au vu du dossier que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Si la demanderesse n’avait pas remplacé ses préoccupations concernant le président Fox par des préoccupations concernant des trafiquants de drogue lorsqu’elle a modifié le FRP, elle aurait laissé entendre, sans preuve aucune, que le président Fox aiderait un ami trafiquant de drogue, qu’il connaissait depuis l’école secondaire, à veiller à ce que la demanderesse ne puisse pas obtenir l’aide de l’État. À défaut d’une preuve quelconque, il s’agit là d’une allégation indéfendable.

 

D.        La possibilité de refuge intérieur

[15]           Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur dans son analyse concernant une PRI à Mexico en déclarant que cette éventualité a été expressément sanctionnée dans la décision Torres (la référence exacte est la suivante : B.O.T. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 284, [2005] A.C.F. no 343 (QL)) et que la Cour a confirmé [Traduction] « explicitement » qu’il existe une PRI dans la ville de Mexico.

 

[16]           Selon mon interprétation de la conclusion de la Commission quant à la décision Torres, cela signifie tout simplement que la Cour a entériné l’idée - en ce sens qu’il n’était pas manifestement déraisonnable de conclure - que, dans cette affaire-là, le demandeur avait une PRI à Mexico. Selon moi, cela ne veut pas dire que, aux yeux de la Commission, la Cour avait ordonné de conclure à l’existence d’une PRI à Mexico pour tous les Mexicains.

 

[17]           Il est possible que d’aucuns puissent considérer que les mots employés par la Commission ont un sens plus large. Il est important pour la Commission d’indiquer clairement aux parties que les décisions par lesquelles la présente Cour confirme une conclusion qui n’est pas manifestement déraisonnable ne constituent pas une directive au sujet de résultats précis dans d’autres affaires.

 

[18]           Ces remarques s’appliquent également aux commentaires qu’a faits la Commission sur l’affaire Urgel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1777, [2004] A.C.F. no 2171 (QL). La Cour a confirmé le caractère raisonnable de la conclusion tirée par la Commission, à savoir que, dans cette affaire, il existait des PRI pour le demandeur.

 

[19]           Si l’on considère la décision de la Commission dans son ensemble, son libellé quelque peu expansif ne dénote pas qu’il y avait une contrainte réelle qui aurait pu l’empêcher d’arriver à la conclusion qu’elle a tirée, et que la preuve étayait entièrement. Il était plus que loisible à la Commission de conclure à l’existence d’une PRI.

 

[20]           La Commission n’a pas fait abstraction de la preuve psychiatrique, mais elle a fait sa propre évaluation de la crédibilité de la demanderesse, ainsi qu’elle était tenue de le faire en vertu de la loi.

 

IV.       Conclusion

[21]           La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6409-05

 

INTITULÉ :                                       JULIA LARIOS-GARCIA ET

                                                            ETHEL LARIOS-GARCIA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

POUR LES DEMANDERESSES

David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VANDERVENNEN LEHRER

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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