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Date : 20061002

Dossiers : IMM-2474-06

IMM-4899-06

 

Référence : 2006 CF 1167

ENTRE :

MOHAMED MEHDI CHIBANI

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

[1]               Le renvoi de M. Chibani du Canada vers son pays natal, l'Algérie, est prévu pour le 10 octobre. Il demande qu'il soit sursis à l'exécution de cette mesure de renvoi jusqu'à ce que le sort de deux demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire introduites devant notre Cour soit connu. Dans le dossier IMM-2474-06, il sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre a refusé de lui accorder le privilège de présenter depuis le Canada une demande de résidence permanente. Bien que l'article 11 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) oblige l’étranger, préalablement à son entrée au Canada, à demander à l’agent le visa requis par règlement, le ministre peut, en vertu de l'article 25 de la LIPR, lever tout ou partie des critères applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire (CH) le justifient.

[2]               L'autre décision en litige découle de l'examen des risques avant renvoi (ERAR) de M. Chibani. Bien que le statut de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés lui ait été refusé il y a quelques années, il a réclamé, ainsi qu'il en avait le droit, un nouvel examen des risques avant renvoi, en vertu des article 112 et suivants de la LIPR. Le ministre a estimé qu'il ne serait exposé à aucun risque s'il retournait dans son pays d'origine.

 

[3]               La date à laquelle les deux décisions ont été rendues est importante. La décision défavorable CH a été rendue le 11 avril 2006, tandis que la décision défavorable ERAR a été rendue le 25 juillet 2006. En bref, une décision ERAR est différente d'une décision CH, bien qu'il puisse y avoir un certain chevauchement. Une ERAR est une évaluation des faits survenus après le rejet de la demande d'asile (rejet qui, dans le cas de M. Chibani, remonte à 1996). Elle vise à déterminer si l'intéressé serait exposé à un risque s'il retournait dans son pays d'origine. La décision CH fait davantage appel à une analyse des liens du demandeur avec le Canada et avec son pays d'origine, mais elle tient également compte, du moins dans une certaine mesure, des risques auxquels il serait exposé s'il était renvoyé dans son pays.

 

CRITÈRE À APPLIQUER

[4]               Il est de jurisprudence constante qu'à l'instar d'une injonction interlocutoire, le sursis est une réparation extraordinaire qui ne peut être accordée que si la demande principale ─ en l'espèce, les demandes principales ─ soulève(nt) une question sérieuse, que le demandeur subirait un tort irréparable en cas de refus de lui octroyer un sursis et que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur. Ces trois conditions doivent être réunies (Toth c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 86 N.R. 302, et RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311).

 

[5]               Je vais analyser les deux décisions en examinant à tour de rôle ces trois conditions.

 

QUESTION SÉRIEUSE

[6]               Pour ce qui est de la demande CH, M. Chibani souligne que sa demande était en instance depuis trois ans lorsqu'il a reçu par la poste un avis le sommant de mettre son dossier à jour dans les quinze jours suivants. Il a répondu le dernier jour du délai qui lui était imparti en communiquant certains renseignements, mais a déclaré qu'il n'avait pas été en mesure de fournir les autres renseignements réclamés en raison de son état de santé, sans en dire plus à ce sujet. En réponse, on lui a accordé un délai très court qu'il n'a pas respecté.

 

[7]               M. Chibani affirme qu'il était manifestement injuste de lui accorder un délai aussi court pour communiquer des détails concernant sa vie personnelle au cours des trois années précédentes. S'il avait eu plus de temps, il aurait pu produire une lettre d'un psychologue sur son état de santé mentale (une lettre plutôt vague en ce sens a d'ailleurs été versée au dossier de la Cour), il aurait été en mesure de donner de plus amples précisions au sujet de son bénévolat (il semble qu'il n'a jamais occupé d'emploi) et il aurait été en mesure de démontrer que sa situation aurait été intenable en Algérie, parce qu'il s'est converti de l'islam au christianisme.

 

[8]               En supposant, mais en me gardant bien de tirer de conclusion à ce sujet, que M. Chibani a soulevé un argument raisonnablement défendable en ce qui concerne l'absence d'équité procédurale, je passe maintenant à la question de savoir si la décision ERAR soulève une question sérieuse.

 

[9]               Au sujet de l'ERAR, M. Chibani soulève deux points importants. Il signale en premier lieu que l'agent n'a pas cru qu'il s'était converti de l'islam au christianisme alors qu'il se trouvait au Canada. En second lieu, il fait valoir que si sa crédibilité était en cause, l'agent aurait dû le convoquer à une entrevue en personne. Il n'est pas nécessaire de décider s'il s'agit là de questions sérieuses, compte tenu de ma décision sur le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients.

 

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[10]           M. Chibani n'a pas subi de préjudice irréparable et ce, même s'il est vrai qu'on aurait dû lui accorder plus de temps pour formuler des observations au soutien de sa demande CH. Aucune démarche n'a été entreprise en vue de le renvoyer du Canada avant que la décision ERAR ne soit communiquée et cette décision renfermait une analyse fouillée de la religion en Algérie.

 

[11]           Pour étayer ses dires au sujet de sa conversion, il a soumis une lettre écrite par un prêtre de paroisse et il a ajouté qu'il a toujours une Bible avec lui. L'agent n'a pas accordé beaucoup de poids à la lettre de ce prêtre, parce que, malgré le fait qu'elle précisait que M. Chibani participe à la messe, elle ne disait pas qu'il s'était converti. En fait, il ressort à l'évidence de la preuve que M. Chibani n'est pas encore baptisé. Il n'a soumis aucun élément de preuve pour démontrer qu'il a reçu une instruction dans les principes de la foi catholique. Dans le cas qui nous occupe, il n'est cependant pas nécessaire de se livrer à une analyse de la situation religieuse ou de la façon dont M. Chibani pourrait être perçu en Algérie s'il se disait chrétien et se promenait une Bible à la main.

 

[12]           Il n'était pas nécessaire de recevoir M. Chibani en entrevue parce que l'agent ne lui avait pas reconnu la moindre crédibilité. L'agent a poursuivi en examinant la situation des chrétiens en Algérie.

 

[13]           Bien qu'une loi ait récemment été adoptée contre ceux qui tentent de convertir les musulmans à d'autres confessions, l'Église catholique romaine est reconnue en fait et en droit et est même autorisée à diffuser des émissions sur la radio d'État. Bien qu'on ait signalé que les musulmans qui se convertissent à d'autres religions sont fustigés sur le plan social et religieux, la conversion n'est pas en soi illégale. Il n'y a donc aucune raison de modifier la conclusion que le demandeur ne serait exposé à aucun risque de persécution s'il devait retourner en Algérie.

 

PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[14]           La présence de M. Chibani au Canada remonte à de nombreuses années. Il est arrivé au Canada à la fin des années quatre-vingts dans le cadre d'un programme agricole, et il est ensuite passé dans la clandestinité, pour n'en ressortir que quelques années plus tard et attirer l'attention des autorités lorsqu'il a été accusé de voies de fait sur sa femme. Il a été reconnu coupable de ce crime. Il n'a demandé l'asile qu'en 1996.

 

[15]           Sa demande d'asile a été rejetée et la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été refusée. Bien qu'à sa décharge, M. Chibani allègue la confusion, il se serait, suivant la preuve, dérobé aux autorités à deux reprises en 2002. À cause de sa condamnation au criminel, il n'a pas le droit de participer au programme spécial mis sur pied la même année par le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada pour permettre aux ressortissants algériens de présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada. Il n'a jamais produit de déclarations de revenus, malgré le fait qu'il vit au Canada depuis une vingtaine d'années.

 

[16]           Le ministre a l'obligation d'appliquer la Loi et aucune considération d'équité ne saurait atténuer ce principe dans le cas qui nous occupe.

 

[17]           Pour ces motifs, les deux requêtes en sursis sont rejetées.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 2 octobre 2006

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                       IMM-2474-06

 

 

INTITULÉ :                                       MOHAMED MEHDI CHIBANI

                                                            c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               25 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      2 OCTOBRE 2006

 

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Peter Shams

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Daniel Latulippe

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre Grenier

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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