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Date : 20061003

Dossier : IMM-5111-06

Référence : 2006 CF 1171

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

RWIYAMIRIRA, JEAN BOSCO

MUTONI, ANGEL

MUCO, PATRICK

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

[1]               Requête de la part des demandeurs visant à obtenir un sursis de leur mesure de renvoi, prévue pour le 3 octobre 2006. La demande de contrôle judiciaire sous-jacente vise une décision d’un agent d’examen des risques avant le renvoi (ERAR) datée du 18 juillet 2006, dans laquelle l’agent conclut que les demandeurs ne risquent pas d’être torturés ou persécutés advenant leur renvoi au Rwanda. Les demandeurs contestent cette décision au motif que, malgré l’obligation de ne tenir compte que de nouveaux éléments de preuves, l’agent d’ERAR devait tout de même tenir compte des documents relatifs à leur crainte de persécution présentés devant la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié (Commission).

 

[2]               Les demandeurs prétendent que l’agent d’ERAR devait considérer ces documents parce que la Commission avait rejeté leur demande au motif qu’il y ait des raisons sérieuses de penser que le demandeur principal avait été complice de crimes de guerre, et non pour absence de crainte raisonnable de persécution. Par compte, la Commission rejette également l’allégation des demandeurs qu’ils seraient victimes de persécution pour l’un des motifs de la Convention sur les réfugiés (Convention). L’agent d’ERAR ne devait pas considérer ces documents.

 

[3]               La demande sous-jacente ne soulève aucune question sérieuse. De plus, les demandeurs n’établissent pas qu’ils subiraient un dommage irréparable et la balance des inconvénients penche en la faveur du Ministre.

 

FAITS

[4]               Ayant suivi une carrière militaire, M. Rwiyamirira, devient le premier secrétaire de l’ambassade du Rwanda au Canada en mai 1999. En septembre 1999, un nouveau premier ministre est nommé et M. Rwiyamirira est rappelé au Rwanda. Le demandeur principal allègue qu’il avait des différends avec le nouvel ambassadeur et que celui-ci l’aurait menacé d’avoir sa peau s’il ne rentrait pas au pays. Les demandeurs font une demande d’asile.

 

[5]               Leur demande d’asile est rejetée le 7 juillet 2004. La Commission a conclu qu’il y avait de sérieuses raisons de croire que M. Rwiyamirira avait été complice dans la perpétration de crimes contre l’humanité et, par conséquent, en application des alinéas 1Fa) et 1Fc) de la Convention, il est exclu du bénéfice de pouvoir obtenir l’asile au Canada.

 

[6]               La Commission examine « toute la preuve tant testimoniale que documentaire » et conclut également que le « demandeur [principal] ne serait [pas] exposé à aucun problème advenant son retour au Rwanda » et qu’il n’y a [pas] une possibilité sérieuse ou raisonnable que [ses] enfants soient victimes de persécution pour l’un des motifs de la Convention advenant un retour dans leur pays ».

 

[7]               La Commission ne croit pas aux menaces alléguées de M. Rwiyamirira, ou qu’il se soit véritablement opposé au régime. La preuve démontre au contraire que M. Rwiyamirira avait gravi les échelons au sein du Front Patriotique Rwandais et ne s’était dissocié du régime que lorsqu’il a perdu son poste de premier secrétaire.

 

[8]               Le 6 mai 2005, le juge Yves de Montigny rejette la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission (IMM-6703-04).

 

[9]               La demande d’ERAR des demandeurs est rejetée le 18 juillet 2006, en vertu de l’Article 113(a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi).

…Ainsi, les documents suivants ne seront pas pris en considération puisqu’ils ont été présenté lors de l’audience devant la CISR ou qu’il est raisonnable de croire qu’ils auraient pu être présenté à ce moment…

 

(Décision d’ERAR, dossier des demandeurs, p. 17)

 

[10]           Le 15 septembre 2006, les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision d’ERAR.

 

ANALYSE

            Critères applicables aux demandes de sursis

[11]           Afin d’évaluer le bien-fondé de la requête en sursis, la présente Cour doit déterminer si les demandeurs satisfont aux critères jurisprudentiels émis par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 587 (QL).

 

[12]           Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a retenu trois critères qu’elle a importés des la jurisprudence en matière d’injonction, plus particulièrement de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Manitoba (Attorney General) v. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1982] 1 S.C.R.. 110, [1982] S.C.J. No. 6 (QL) :

(a)        l’existence d’une question sérieuse;

(b)        l’existence d’un préjudice irréparable; et

(c)        l’évaluation de la balance des inconvénients.

 

[13]           Les trois critères doivent être rencontrés pour que cette Cour accorde le sursis demandé. Si un seul d’entre eux n’est pas rencontré, cette Cour ne peut pas accorder le sursis.

 

[14]           Les demandeurs ne satisfont pas un test établi dans l’arrêt Toth, ci-dessus.

 

 

(a)        Absence de question sérieuse

 

[15]           La détermination des risques est essentiellement une question de fait et pour cette raison, une grande déférence doit lui être accordée. (Singh c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 145, [2005] A.C.F. no 199 (QL); Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (QL).)

 

[16]           Dans ses prétentions écrites relativement à l’existence d’une question sérieuse, les demandeurs ne soulèvent qu’une question – l’exclusion par l’agent d’ERAR de 27 documents qui avaient été présentés devant la Commission.

 

[17]           En vertu de l’article 113(a) de la Loi, l’agent d’ERAR ne doit considérer que les éléments de preuve survenus depuis le rejet d’une demande d’asile, ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles :

113.     Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

113.     Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

[18]           Les demandeurs soumettent que l’agent d’ERAR devait faire une exception puisque la Commission avait rejeté leur demande au motif qu’ils étaient exclus de la Convention et non pas parce qu’ils avaient une crainte de persécution. Selon les demandeurs « les motifs de la décision de rejeter la demande d’asile sont basés exclusivement sur l’exclusion » et « les motifs relatifs à la crainte de persécution n’ont pas été touchés ».

 

[19]           Par contre, la lecture des motifs de la Commission démontre le contraire. La Commission a considéré tous les éléments de preuves et conclut qu’il n’y avait pas de raison sérieuse de croire que les demandeurs seraient victimes de persécution advenant leur retour au Rwanda :

Devant les objectifs de changements politiques d’une façon pacifique du parti AMAHORO, parti que le demandeur a joint au Canada, le tribunal considère que le demandeur ne serait exposé à aucun problème advenant un retour au Rwanda.

 

Puisque le tribunal ne croit pas aux problèmes allégués par le demandeur au cours de sa carrière, il ne croit pas qu’il y a une possibilité sérieuse ou raisonnable que les enfants soient victimes de persécution pour l’un des motifs de la Convention advenant un retour dans leur pays.

 

(Motifs de la décision de la Commission, page 21.)

 

 

[20]           Les demandeurs n’ayant pas convaincu la Commission qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés pour un motif de la Convention, l’agent d’ERAR ne devait que considérer les éléments de preuves survenus après le rejet de leur demande d’asile. (Loi, article 113(a).)

 

[21]           Les demandeurs doivent établir un lien entre la situation actuelle dans leur pays et leur situation personnelle. L’agent d’ERAR n’était pas satisfait que les demandeurs avaient établi ce lien dans ce cas, et n’était pas convaincu que les demandeurs seraient personnellement à risque au Rwanda. L’agent d’ERAR a dûment soupesé et apprécié la preuve documentaire au dossier. Les conclusions tirées de cette preuve sont raisonnables et s’en infèrent raisonnablement.

 

[22]           La demande de contrôle judiciaire ne soulève donc aucune question sérieuse.

 

b)         Absence de préjudice irréparable

[23]           En ce qui concerne les allégations qui se retrouvent dans l’affidavit du demandeur, elles sont  insuffisantes afin d’établir l’existence d’un préjudice irréparable.

 

[24]           La notion de préjudice irréparable a été définie par la Cour dans l’affaire Kerrutt c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 F.T.R. 93, [1992] A.C.F. no 237 (QL), comme étant le renvoi d’une personne vers un pays où il existe un danger pour sa vie et sa sécurité. Dans la même décision, la Cour a également conclu qu’il ne pouvait s’agir de simples inconvénients personnels ou de la division d’une famille.

 

[25]           Il ne suffit pas qu’un préjudice soit allégué par un demandeur dans un affidavit. Lorsque ce préjudice est une crainte d’être maltraité advenant un retour dans son pays, encore faut-il mettre en preuve des éléments établissant le fondement objectif de cette crainte : Gogna v.. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 68 F.T.R. 140, [1993] F.C.J. No. 817 (QL).

 

 

[26]           En l’espèce, les demandeurs ont bénéficié d’une audience à la Commission relativement à leur revendication du statut de réfugié et d’un ERAR, sans avoir pu démontrer qu’ils seraient personnellement ciblés advenant un retour au Rwanda, donc sans démontrer un préjudice irréparable.

 

c)         Balance des inconvénients

[27]           En l’absence de questions sérieuses et de préjudice irréparable, la balance des inconvénients favorise le ministre, qui a intérêt à ce que l’ordonnance de renvoi soit exécutée à la date qu’il a fixée. (Mobley c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 65 (QL).)

 

[28]           Le juge Barbara Reed, dans l’affaire Membreno-Garcia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 CF 306, [1992] A.C.F. no 535 (QL), a d’ailleurs élaboré sur la question de la balance des inconvénients en matière de sursis, et de l’intérêt public qui doit être pris en considération :

Cependant, d'après la prépondérance des inconvénients, il faut se demander à quel point le fait d'accorder des sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d'immigration. Chacun sait que la procédure actuelle a été mise en place parce qu'une pratique s'était développée par laquelle de très nombreuses demandes, tout a fait dénuées de fondement, étaient introduites devant la Cour et encombraient les rôles, uniquement pour permettre aux appelants de demeurer plus longtemps au Canada. Il y va de l'intérêt public d'avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du possible, ne se prête pas aux abus. Tel est, à mon avis, l'intérêt public qu'il faut soupeser par rapport au préjudice que pourrait éventuellement subir le requérant si un sursis n'était pas accordé.

 

[29]           Les demandeurs ne démontrent pas l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable qui sont autant de facteurs qui font pencher la balance des inconvénients en faveur du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

CONCLUSION

[30]           Pour l’ensemble des raisons ci-dessus, la présente requête en sursis est rejetée.

 

 

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête demandant le sursis de l’exécution d’une mesure de renvoi soit rejetée.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5111-06

 

INTITULÉ :                                       RWIYAMIRIRA, JEAN BOSCO

                                                            MUTONI, ANGEL

                                                            MUCO, PATRICK

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 3 octobre 2006 (par téléconférence)

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 3 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Nicole Goulet

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Alexandre Kaufman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

NICOLE GOULET

Gatineau (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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