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Date : 20061005

Dossier : IMM-1630-06

Référence : 2006 CF 1186

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

AMINATA KEITA

Demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

Défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Née le 2 août 1980 à Ottawa au Canada, Aminata Keita a toujours cru être citoyenne canadienne. Deux ans après sa naissance, elle dut quitter le pays avec ses parents pour des raisons économiques, son père continuant à occuper un poste à l’ambassade de Guinée, mais au Mali cette fois. Ce n’est que quatre années plus tard que la famille Keita regagna son pays d’origine, la Guinée. En 2001, alors que la demanderesse avait 21 ans, elle reçut un passeport canadien de l’ambassade canadienne en Guinée, et suite à cette obtention, elle vint s’établir à Montréal en vue d’y poursuivre des études. En 2003, c’est un certificat de citoyenneté canadien qu’elle se vit remettre après en avoir fait la demande suivant son arrivée au pays.

 

[2]        Suite aux diverses démarches de la demanderesse auprès de Citoyenneté et Immigration Canada, il est apparu aux autorités canadiennes qu’en dépit du fait que le lieu de naissance de madame Keita soit le Canada, un élément demeure, ses parents jouissaient du statut diplomatique guinéen à sa naissance en 1980. Bien que la règle générale, telle qu’énoncée à l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, c. C-29, veuille qu’une personne née au Canada après le 14 février 1977 soit en droit de se voir reconnaître la citoyenneté canadienne, une exception légale vient limiter l’étendue de son application. Cette voie parallèle, découlant de l’alinéa 3(2)a) de cette même loi, s’applique lorsque comme dans le cas présent, au moment de la naissance de l’enfant en sol canadien, « [(…)] les parents n’avaient qualité ni de citoyens ni de résidents permanents et dont le père ou la mère était : a) agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger [(…)] ».

 

[3]        La demanderesse ne conteste pas l’état du droit et convient qu’elle ne peut se voir accorder la citoyenneté canadienne compte tenu de la situation familiale dans laquelle elle se trouve. Néanmoins, afin de jouir d’un statut légalement reconnu au pays, il lui était loisible de faire une demande de résidence permanente depuis le Canada considérant qu’elle est venue s’établir en sol canadien en 2001. Par conséquent, elle a soumis une telle demande aux autorités canadiennes à l’été 2004.

 

[4]        Par l’adoption de l’article 11 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, (LIPR), le législateur a établi qu’une demande de résidence permanente réalisée par un étranger intéressé à venir s’établir au pays doit d’ordinaire être faite auprès de l’ambassade canadienne se trouvant dans le pays d’origine dont cette personne a la nationalité ou dans le pays dans lequel il réside légalement depuis au moins un an comme l’énonce le paragraphe 11(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés D.O.R.S./2002-227. En revanche, un régime d’exception existe au Canada tel qu’énoncé au paragraphe 25(1) de la LIPR, et c’est celui dont a tenté de se pourvoir la demanderesse en déposant sa demande en 2004. En bref, ce régime permet au ministre, sur demande d’un étranger interdit de territoire au Canada ou qui ne se conforme pas à la LIPR, d’étudier une demande de statut de résident permanent réalisée à l’intérieur même du pays lorsqu’elle est appuyée par des motifs d’ordre humanitaire.

 

[5]        Dans le présent dossier, l’agente d’immigration a refusé le 28 février 2006 la demande de résidence permanente en vertu de considérations humanitaires présentée par madame Keita. C’est d’ailleurs cette décision qui fait aujourd’hui l’objet du contrôle judiciaire devant cette Cour.

 

POINTS EN LITIGE

 

[6]        Les points en litige dans le présent dossier sont les suivants :

            A.        La norme de contrôle applicable

            B.         La bonne foi de madame Keita

            C.        La décision rendue par l’agente d’immigration est-elle raisonnable ?

 

CONTEXTE

 

[7]        Faut-il le souligner, madame Keita a fait une demande de passeport auprès de l’ambassade canadienne en Guinée avant de venir s’établir à Montréal pour y entreprendre ses études. Il est important de préciser que le formulaire canadien de demande de passeport ne se soucie aucunement du statut diplomatique d’un parent à la naissance. Par conséquent, suite à sa demande, madame Keita avait en poche un passeport canadien obtenu en bonne et due forme lorsqu’elle est entrée au pays.

 

[8]        Quelque temps après son arrivée, la demanderesse s’est fait remettre un nouveau passeport canadien considérant qu’elle s’était fait voler le précédent. En 2003, c’est un certificat de citoyenneté qu’elle s’est vue octroyer, certificat qui est émis en prenant en compte l’information à l’effet qu’un parent jouit ou non d’un statut de diplomate reconnu. À ce sujet, la demanderesse n’a étonnamment rien mentionné dans le formulaire de demande. Dans les faits, la demanderesse ne s’est pas personnellement chargée de compléter les formalités écrites menant à l’obtention du certificat. Elle affirme que c’est plutôt un ami qui s’en est occupé pour son compte et qu’elle l’a signée sans même en avoir fait la lecture au préalable. Bien que cette façon de procéder soit à tout événement inexcusable, ce manquement n’a pas conduit l’agente d’immigration à conclure à la mauvaise foi de la demanderesse.

 

[9]        Toutefois, suite à l’émission du certificat de citoyenneté de madame Keita, la lumière a été faite sur sa situation familiale réelle relativement au statut de diplomate de ses parents et c’est alors que les autorités canadiennes lui ont confisqué son passeport et son certificat de citoyenneté canadiens. Il semble y exister une entente entre le Canada et la Guinée à l’effet que la Guinée serait tenue d’informer les autorités canadiennes sur la présence de ses diplomates au pays et sur la naissance de leurs enfants s’il y a lieu. Cette information n’était pas disponible au moment de l’émission du premier passeport canadien de la demanderesse. En l’espèce, il ne s’agit pas de déterminer à quel gouvernement un tel manquement doit être reproché. Conséquemment, il n’est pas question d’imputer à madame Keita des intentions de mauvaise foi.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[10]      Tel qu’il appert de la jurisprudence depuis l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la norme de contrôle applicable, relativement à une décision se prononçant sur une demande de résidence permanente en raison de considérations d’ordre humanitaire, est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

ANALYSE

 

[11]      En premier lieu, il est important de rappeler le rôle joué par l’agent d’immigration lorsqu’il étudie une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et c’est ce qu’a très bien réussi à faire madame la juge Layden-Stevenson au paragraphe huit dans l’affaire Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 436, [2003] A.C.F. no 607 (QL) :

Il est utile de rappeler certains des principes établis qui régissent les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire. La décision du représentant du ministre en ce qui concerne une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est une décision discrétionnaire : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (l'arrêt Baker). La norme de contrôle judiciaire applicable à ces décisions est celle de la décision raisonnable simpliciter (arrêt Baker). Dans le cas d'une demande de dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, le fardeau de la preuve incombe au demandeur (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 94, [2003] A.C.F. no 139, le juge Gibson, citant les jugements Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 34 Imm.L.R. (2d) 91 (C.F. 1re inst.) et Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 36 Imm.L.R. (2d) 175 (C.F. 1re inst.)). La pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh); Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.) (Legault)). Les lignes directrices ministérielles n'ont pas force de loi et ne lient pas le ministre et ses représentants, mais elles sont accessibles au public et la Cour suprême les a qualifiées de très utiles à la Cour (Legault). Les décisions relatives à des raisons d'ordre humanitaire doivent être motivées (Baker). Il serait excessif d'exiger des agents de révision, en tant qu'agents administratifs, qu'ils motivent leurs décisions avec autant de détails que ceux que l'on attend d'un tribunal administratif qui rend ses décisions à la suite d'audiences en règle (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2001), 282 N.R. 394 (C.A.F.)).

 

[12]      De plus, il est important de mettre l’accent sur le fait qu’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire s’inscrit dans un régime d’exception dérogeant ainsi à la règle générale au pays voulant qu’une demande de résidence permanente soit faite à l’étranger. À cet égard, monsieur le juge Rouleau écrit ce qui suit au paragraphe 15 de la décision Nazim c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 125, [2005] A.C.F. no 159 (QL) :

La possibilité de présenter une demande fondée sur des considérations humanitaires a pour but de prévoir un recours en cas de difficultés inhabituelles, injustes ou excessives. Il ne s'agit pas de savoir si le demandeur apporterait ou apporte vraiment une contribution positive à la collectivité canadienne. En examinant s'il existe des considérations humanitaires, les agents d'immigration doivent déterminer s'il existe une situation particulière dans le pays d'origine de la personne et si un renvoi peut causer des difficultés indues. C'est au demandeur qu'il appartient de prouver à l'agent qu'il existe une situation particulière dans son pays et que sa situation personnelle eu égard à cette situation particulière justifie l'exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire.

 

[13]      Voici ce que madame Keita a allégué relativement à la privation excessive qu’elle aurait à supporter si elle devait présenter sa demande à un bureau des visas en Guinée comme l’exige la loi :

Si je retourne en Guinée sans compléter mes études universitaires à Montréal, je serai obligé d’abandonner mes projets de carrière à l’échelle internationale. En effet, en Guinée, les femmes ne sont pas incitées à faire des études universitaires mais plutôt à se marier à un vieil homme sans doute illettré, qui a déjà une ou deux épouses et qui désirera que je lui fasse des enfants. Une telle avenue est totalement contraire à mes ambitions et projets les plus légitimes.

 

Avec raison, l’agente d’immigration a conclu qu’il ne s’agissait que d’hypothèse sans fondement véritable.

 

[14]      D’un autre côté, compte tenu des circonstances de cette affaire, madame Keita entretient avec le Canada un rapport comparable à l’ensemble des étrangers munis d’un visa étudiant venus au pays pour y poursuivre leur cheminement scolaire. Tout semble indiquer que l’agente d’immigration a été sensible à la situation de la demanderesse en lui accordant pour ce faire la possibilité de prolonger sa présence au pays jusqu’en avril 2006, soit la date de fin d’études alléguée par madame Keita. À cet effet, l’agente d’immigration relate ce qui suit :

À plusieurs occasions j’ai accordé des délais à la requérante pour lui permettre de me fournir la preuve qu’elle obtiendrait son diplôme en avril 2006 et ainsi lui permettre de finaliser ses études avant son départ. À cette date j’ai obtenu comme preuve documentée que les résultats de 8 cours universitaires suivis depuis son retour au Canada en 2001. Par conséquent aucun délai ne sera accordé à la requérante pour demeurer plus longtemps au pays.

 

[15]      En ce qui a trait à la question des lignes directrices IP5 intitulées Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire et émises par Citoyenneté et Immigration Canada, il n’appert pas à la lecture du présent dossier que l’agente d’immigration ne s’y soit pas adéquatement conformée.

 

[16]      Durant les représentations des parties devant cette Cour, j’ai appris qu’une demande de réfugié instituée par madame Keita est actuellement pendante au pays. Cet état de fait ne peut susciter de la part de cette Cour aucun commentaire puisque son devoir aujourd’hui se limite à juger une demande en contrôle judiciaire, et qu’en l’espèce, elle se prononce en faveur du rejet de la demande.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée.

Aucune question à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

 

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1630-06

 

INTITULÉ :                                       Aminata Keita c.

                                                            Le MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 septembre 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Luc R. Desmarais

 

POUR LA DEMANDERESSE

Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luc R. Desmarais

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-Procureur Général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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